La décision de Washington de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël n'a pas fait réagir de la même façon au Maghreb et en Afrique au sud du Sahara.
À la suite de la décision de Donald Trump, mercredi 6 décembre, de reconnaître unilatéralement Jérusalem comme capitale d'Israël, c'est surtout la rue arabe qui s'exprime sur le continent.
Manifestations au Maroc
Au Maroc, où le roi Mohamed VI, président du Comité Al-Qods, s'est empressé de réagir en exprimant par écrit à Donald Trump sa « préoccupation personnelle », plusieurs centaines de personnes ont manifesté après la prière de vendredi à Rabat, Oujda, Berkane et Nador, selon le site Telquel. Une nouvelle manifestation est prévue ce dimanche dans la capitale, à l'appel de l'Association marocaine de soutien à la lutte du peuple palestinien (AMSLP) et du Groupe d'action national pour le soutien à la Palestine. Son coordinateur, Abdelkader Alami, assure dans les colonnes du Huffington Post Maghreb que « tous les leaders des partis politiques seront côte à côte ». Il lance aussi un appel au boycott des produits américains.
Boycott en Égypte
En Égypte, le représentant du syndicat des pharmaciens a d'ailleurs annoncé sur la chaîne TV privée Al-Nahar le boycott des médicaments américains, rapporte le site anglophone Egypt independant. Dans ce pays dirigé d'une main de fer par Abdel Fatah al-Sissi, les protestations ont cependant été limitées. Au Caire, les quelques centaines de fidèles qui ont manifesté vendredi à la mosquée Al-Azhar étaient entourés de policiers anti-émeute, note l'AFP.
Tunisie : jeunesse en pointe...
Rien de tel en Tunisie, où des marches se sont tenues dans plusieurs villes à travers le pays. « Le cœur de la Tunisie bat pour la Palestine », titre Webdo, site d'infos né dans le sillage de la Révolution tunisienne. Dans la capitale, Tunis, c'est à l'initiative de l'UGTT (Union générale tunisienne du travail), puis du parti islamiste Ennahda, que s'est rassemblée une foule massive avenue Bourguiba ce vendredi. La puissante centrale syndicale a appelé à cette occasion le gouvernement à « prendre une position ferme ».
La veille, la principale avenue de Tunis avait déjà accueilli une mobilisation spontanée. « Les jeunes reprennent le flambeau de la résistance », titre le quotidien tunisien La Presse, selon qui la décision de Washington a eu pour effet la « remobilisation de la jeunesse, celle qui n'a pas connu les Intifadha palestiniennes de 1987 et 2000 ». Devant la foule agglutinée aux abords du Théâtre municipal, ce jeudi, il y a Jamel, pour qui « la lutte armée des peuples arabes contre l'entité sioniste est devenue nécessaire ». « La souveraineté d'un État arabe comme le nôtre aurait dû aujourd'hui ordonner l'expulsion de l'ambassadeur américain et fermer les arrière-boutiques américaines dans le pays », explique-t-il au reporter de La Presse. Pour Oussema, autre jeune interrogé, « ce n'est plus une affaire de dirigeants politiques », mais de « peuples ». « Le discours est radical. On n'entend plus parler de Ligue arabe, mais plutôt de Lutte arabe. Au parlement tunisien, les députés en séance extraordinaire hier ont revendiqué une seule chose : « Criminaliser la normalisation avec l'entité sioniste », conclut La Presse.
... et députés offensifs
Lors de cette séance de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), les députés tunisiens ont aussi mis en garde contre une tentative d'Israël de « diviser les rangs africains vis-à-vis de la cause palestinienne ». La Presse en rend compte dans un autre article intitulé « l'ARP dénonce une manœuvre sioniste ». Le pouvoir législatif tunisien réagissait alors à l'invitation faite par Israël à 7 présidents de parlements d'États africains (Rwanda, Ghana, Ouganda, Cameroun, Tanzanie, Seychelles et le Soudan du Sud) à participer du 5 au 7 décembre à une conférence parlementaire de la Knesset (le Parlement israélien) sur la reconnaissance d'Al-Qods comme capitale de l'État sioniste. Alors que ce séjour intégrait une visite des territoires occupés, les législateurs tunisiens ont rappelé dans une déclaration « le soutien des peuples africains et de leurs leaders à la cause palestinienne juste » et ont insisté « sur la gravité de cette visite aux territoires occupés en 1967, ce qui constitue une violation flagrante de la légalité internationale ».
L'Afrique subsaharienne presque silencieuse
Ce rappel par les législateurs tunisiens des « principes de l'Union africaine », et de « ses positions constantes de soutien aux mouvements de libération nationale dans le monde », a cependant eu peu d'échos sur le continent africain, que ce soit dans les palais, ou dans la presse.
« Vue d'Afrique, cette décision ne semble pas emballer grand monde. Les réactions, pour l'instant, restent assez timides et l'on peut dire sans trop grand risque de se tromper, qu'elle est loin l'époque où la question palestinienne préoccupait au plus haut degré l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) au point où Yasser Arafat était devenu familier des sommets africains », estime le quotidien burkinabè Le Pays.
Certes, le président de la commission de l'Union africaine (UA) Moussa Faki Mahmat « regrette » dans un communiqué « cette décision qui ne fera qu'accroître les tensions dans la région et au-delà et compliquer davantage la recherche d'une solution au conflit israélo-palestinien » ; l'Égypte et le Sénégal ont fait partie des huit pays (avec la Bolivie, la France, l'Italie, le Royaume-Uni, la Suède et l'Uruguay) à avoir demandé la réunion en urgence du Conseil de sécurité de l'ONU vendredi matin, lesquels ont unanimement condamné la décision de Washington.
En Afrique du Sud, l' « apartheid » d'Israël dénoncé
Reste que le sujet fait peu débat, en tout cas, publiquement. Il faut se tourner vers l'Afrique du Sud pour voir, à l'instar des parlementaires tunisiens, des réactions plus fermes. À quelques jours de la 54e conférence nationale de l'ANC (Congrès national africain), le parti sud-africain, au pouvoir depuis 1994, a d'abord dénoncé un « geste ouvertement provocateur » qui « mine gravement l'esprit du multilatéralisme et constitue un revers important pour un processus de paix fragile et déjà bloqué ». Et d'insister sur l' « imprudence » du président des États-Unis, qui choisit encore les médias sociaux pour s'exprimer sur sa politique étrangère.
Le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu), qui forme avec le Parti communiste sud-africain et l'ANC l'alliance tripartite, a également réagi. « Les Américains ont perdu le peu de morale qu'il leur restait, car cette décision va encourager l'État d'apartheid d'Israël à poursuivre ses politiques arriérées et barbares contre les Palestiniens », a-t-il déclaré. Le parti de gauche radicale EFF (les Combattants pour la liberté économique), la troisième force politique du pays, a de son côté condamné la décision du « réactionnaire » Donald Trump, qui reconnaît « Jérusalem comme capitale de l'apartheid d'Israël ». Ces réactions sont compilées dans le site d'information sud-africain Independant on line.
Enfin, l'archevêque Desmond Tutu, héros de la lutte de libération contre l'apartheid en Afrique du Sud, a également exprimé son indignation : « Dieu pleure pour la reconnaissance, incendiaire et discriminatoire, du président Donald Trump de Jérusalem comme capitale d'Israël. Il est de notre responsabilité de dire à M. Trump qu'il a tort. »
Trump, dangereux pour l'Afrique ?
« Au nom de la paix, Trump doit partir avant de commettre des dégâts plus désastreux », estime Hugues Richard Sama dans le quotidien burkinabè L'Observateur , qui se remet à peine de cette décision. « Il y a comme une forme de folie et d'irresponsabilité chez le chef de l'exécutif américain dont on se demande parfois s'il maîtrise les enjeux internationaux. Quand bien même les États-Unis auraient toujours soutenu leur protégé israélien, ils l'ont toujours fait avec une dose d'intelligence, de realpolitik. Et voici que ce septuagénaire aux cheveux peroxydés sorti d'on ne sait quelle planète, parachuté de sa Trump Tower dont il n'aurait jamais dû descendre, vient de briser un tabou et de rompre un consensus qui, même fragile, avait au moins le mérite d'exister », écrit-il.
Alors que cette décision risque de créer de nouveaux troubles au Proche-Orient, le politiste David Mondo estime enfin dans une tribune publiée dans le quotidien kenyan The Nation que les alliés des États-Unis, comme le Kenya, se retrouvent aujourd'hui dans une position « précaire ». Précaire, dangereuse, embarrassante, délicate… Est-ce parce qu'ils sont dans cette posture que les pays d'Afrique subsaharienne sont restés tellement silencieux ces derniers jours ? Par souci de ne pas se brouiller avec leurs partenaires ? Les États-Unis, d'abord, très présents en matière de coopération sécuritaire, mais aussi économique, sur le continent. Et Israël, qui a opéré une reconquête du continent depuis peu. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu était l'invité spécial du 51e sommet de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), en juin 2016, au Liberia. Quelques semaines avant sa tournée « historique » en Afrique de l'Est (Ouganda, Kenya, Rwanda, Éthiopie). La première d'un chef de gouvernement israélien en exercice depuis des décennies.
LE POINT FR
À la suite de la décision de Donald Trump, mercredi 6 décembre, de reconnaître unilatéralement Jérusalem comme capitale d'Israël, c'est surtout la rue arabe qui s'exprime sur le continent.
Manifestations au Maroc
Au Maroc, où le roi Mohamed VI, président du Comité Al-Qods, s'est empressé de réagir en exprimant par écrit à Donald Trump sa « préoccupation personnelle », plusieurs centaines de personnes ont manifesté après la prière de vendredi à Rabat, Oujda, Berkane et Nador, selon le site Telquel. Une nouvelle manifestation est prévue ce dimanche dans la capitale, à l'appel de l'Association marocaine de soutien à la lutte du peuple palestinien (AMSLP) et du Groupe d'action national pour le soutien à la Palestine. Son coordinateur, Abdelkader Alami, assure dans les colonnes du Huffington Post Maghreb que « tous les leaders des partis politiques seront côte à côte ». Il lance aussi un appel au boycott des produits américains.
Boycott en Égypte
En Égypte, le représentant du syndicat des pharmaciens a d'ailleurs annoncé sur la chaîne TV privée Al-Nahar le boycott des médicaments américains, rapporte le site anglophone Egypt independant. Dans ce pays dirigé d'une main de fer par Abdel Fatah al-Sissi, les protestations ont cependant été limitées. Au Caire, les quelques centaines de fidèles qui ont manifesté vendredi à la mosquée Al-Azhar étaient entourés de policiers anti-émeute, note l'AFP.
Tunisie : jeunesse en pointe...
Rien de tel en Tunisie, où des marches se sont tenues dans plusieurs villes à travers le pays. « Le cœur de la Tunisie bat pour la Palestine », titre Webdo, site d'infos né dans le sillage de la Révolution tunisienne. Dans la capitale, Tunis, c'est à l'initiative de l'UGTT (Union générale tunisienne du travail), puis du parti islamiste Ennahda, que s'est rassemblée une foule massive avenue Bourguiba ce vendredi. La puissante centrale syndicale a appelé à cette occasion le gouvernement à « prendre une position ferme ».
La veille, la principale avenue de Tunis avait déjà accueilli une mobilisation spontanée. « Les jeunes reprennent le flambeau de la résistance », titre le quotidien tunisien La Presse, selon qui la décision de Washington a eu pour effet la « remobilisation de la jeunesse, celle qui n'a pas connu les Intifadha palestiniennes de 1987 et 2000 ». Devant la foule agglutinée aux abords du Théâtre municipal, ce jeudi, il y a Jamel, pour qui « la lutte armée des peuples arabes contre l'entité sioniste est devenue nécessaire ». « La souveraineté d'un État arabe comme le nôtre aurait dû aujourd'hui ordonner l'expulsion de l'ambassadeur américain et fermer les arrière-boutiques américaines dans le pays », explique-t-il au reporter de La Presse. Pour Oussema, autre jeune interrogé, « ce n'est plus une affaire de dirigeants politiques », mais de « peuples ». « Le discours est radical. On n'entend plus parler de Ligue arabe, mais plutôt de Lutte arabe. Au parlement tunisien, les députés en séance extraordinaire hier ont revendiqué une seule chose : « Criminaliser la normalisation avec l'entité sioniste », conclut La Presse.
... et députés offensifs
Lors de cette séance de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), les députés tunisiens ont aussi mis en garde contre une tentative d'Israël de « diviser les rangs africains vis-à-vis de la cause palestinienne ». La Presse en rend compte dans un autre article intitulé « l'ARP dénonce une manœuvre sioniste ». Le pouvoir législatif tunisien réagissait alors à l'invitation faite par Israël à 7 présidents de parlements d'États africains (Rwanda, Ghana, Ouganda, Cameroun, Tanzanie, Seychelles et le Soudan du Sud) à participer du 5 au 7 décembre à une conférence parlementaire de la Knesset (le Parlement israélien) sur la reconnaissance d'Al-Qods comme capitale de l'État sioniste. Alors que ce séjour intégrait une visite des territoires occupés, les législateurs tunisiens ont rappelé dans une déclaration « le soutien des peuples africains et de leurs leaders à la cause palestinienne juste » et ont insisté « sur la gravité de cette visite aux territoires occupés en 1967, ce qui constitue une violation flagrante de la légalité internationale ».
L'Afrique subsaharienne presque silencieuse
Ce rappel par les législateurs tunisiens des « principes de l'Union africaine », et de « ses positions constantes de soutien aux mouvements de libération nationale dans le monde », a cependant eu peu d'échos sur le continent africain, que ce soit dans les palais, ou dans la presse.
« Vue d'Afrique, cette décision ne semble pas emballer grand monde. Les réactions, pour l'instant, restent assez timides et l'on peut dire sans trop grand risque de se tromper, qu'elle est loin l'époque où la question palestinienne préoccupait au plus haut degré l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) au point où Yasser Arafat était devenu familier des sommets africains », estime le quotidien burkinabè Le Pays.
Certes, le président de la commission de l'Union africaine (UA) Moussa Faki Mahmat « regrette » dans un communiqué « cette décision qui ne fera qu'accroître les tensions dans la région et au-delà et compliquer davantage la recherche d'une solution au conflit israélo-palestinien » ; l'Égypte et le Sénégal ont fait partie des huit pays (avec la Bolivie, la France, l'Italie, le Royaume-Uni, la Suède et l'Uruguay) à avoir demandé la réunion en urgence du Conseil de sécurité de l'ONU vendredi matin, lesquels ont unanimement condamné la décision de Washington.
En Afrique du Sud, l' « apartheid » d'Israël dénoncé
Reste que le sujet fait peu débat, en tout cas, publiquement. Il faut se tourner vers l'Afrique du Sud pour voir, à l'instar des parlementaires tunisiens, des réactions plus fermes. À quelques jours de la 54e conférence nationale de l'ANC (Congrès national africain), le parti sud-africain, au pouvoir depuis 1994, a d'abord dénoncé un « geste ouvertement provocateur » qui « mine gravement l'esprit du multilatéralisme et constitue un revers important pour un processus de paix fragile et déjà bloqué ». Et d'insister sur l' « imprudence » du président des États-Unis, qui choisit encore les médias sociaux pour s'exprimer sur sa politique étrangère.
Le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu), qui forme avec le Parti communiste sud-africain et l'ANC l'alliance tripartite, a également réagi. « Les Américains ont perdu le peu de morale qu'il leur restait, car cette décision va encourager l'État d'apartheid d'Israël à poursuivre ses politiques arriérées et barbares contre les Palestiniens », a-t-il déclaré. Le parti de gauche radicale EFF (les Combattants pour la liberté économique), la troisième force politique du pays, a de son côté condamné la décision du « réactionnaire » Donald Trump, qui reconnaît « Jérusalem comme capitale de l'apartheid d'Israël ». Ces réactions sont compilées dans le site d'information sud-africain Independant on line.
Enfin, l'archevêque Desmond Tutu, héros de la lutte de libération contre l'apartheid en Afrique du Sud, a également exprimé son indignation : « Dieu pleure pour la reconnaissance, incendiaire et discriminatoire, du président Donald Trump de Jérusalem comme capitale d'Israël. Il est de notre responsabilité de dire à M. Trump qu'il a tort. »
Trump, dangereux pour l'Afrique ?
« Au nom de la paix, Trump doit partir avant de commettre des dégâts plus désastreux », estime Hugues Richard Sama dans le quotidien burkinabè L'Observateur , qui se remet à peine de cette décision. « Il y a comme une forme de folie et d'irresponsabilité chez le chef de l'exécutif américain dont on se demande parfois s'il maîtrise les enjeux internationaux. Quand bien même les États-Unis auraient toujours soutenu leur protégé israélien, ils l'ont toujours fait avec une dose d'intelligence, de realpolitik. Et voici que ce septuagénaire aux cheveux peroxydés sorti d'on ne sait quelle planète, parachuté de sa Trump Tower dont il n'aurait jamais dû descendre, vient de briser un tabou et de rompre un consensus qui, même fragile, avait au moins le mérite d'exister », écrit-il.
Alors que cette décision risque de créer de nouveaux troubles au Proche-Orient, le politiste David Mondo estime enfin dans une tribune publiée dans le quotidien kenyan The Nation que les alliés des États-Unis, comme le Kenya, se retrouvent aujourd'hui dans une position « précaire ». Précaire, dangereuse, embarrassante, délicate… Est-ce parce qu'ils sont dans cette posture que les pays d'Afrique subsaharienne sont restés tellement silencieux ces derniers jours ? Par souci de ne pas se brouiller avec leurs partenaires ? Les États-Unis, d'abord, très présents en matière de coopération sécuritaire, mais aussi économique, sur le continent. Et Israël, qui a opéré une reconquête du continent depuis peu. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu était l'invité spécial du 51e sommet de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), en juin 2016, au Liberia. Quelques semaines avant sa tournée « historique » en Afrique de l'Est (Ouganda, Kenya, Rwanda, Éthiopie). La première d'un chef de gouvernement israélien en exercice depuis des décennies.
LE POINT FR
Commentaire