Liberté : Le prince héritier saoudien a annoncé une série de réformes visant l’idéologie du wahhabisme. Comment analysez-vous cette nouvelle donne ?
Soheïb Bencheikh : À l’époque très récente du roi Abdallah une réforme de modernisation s’opérait déjà, mais avec la tranquillité et la discrétion qui caractérisaient ce roi. Je cite comme exemple frappant la création de la King Abdallah University of Science and Technology (KAUST) et son vaste et futuriste campus située au nord de Djeddah. Dans cet ilot de l’océan wahhabite, les femmes ne sont pas obligées de se voiler et la mixité décomplexée s’opère de façon aussi naturelle qu’innocente, car cette zone était et est toujours interdite à la police religieuse avec ses interpellations et réprimandes incongrues. Aujourd’hui, le prince héritier Mohamed Ben Salmane veut, non seulement intensifier ces réformes, mais il les revendique, contrairement à ces prédécesseurs, à haute voix et avec une certaine précipitation. Pour comprendre l’ampleur des réformes annoncées par ce prince, il nous faut scruter le contexte dans lequel elles naissent. Pour ma part, deux éléments me paraissent importants : le lien de la famille Saoud avec le wahhabisme et le bouleversement actuel de la succession du pouvoir. Faisons une petite excursion dans l’histoire pour nous éclairer. Au milieu du XVIIIe siècle dans la péninsule arabique surgit Mohamed Ben Abd Al Wahhab, prédicateur austère d’obédience hanbalite, alors minoritaire dans le monde musulman. Original et violent, il prône un strict retour à l’islam des premiers temps, celui de la première génération : salaf. Il qualifie de renégats tous les musulmans qui ne se reconnaissent pas dans son rigorisme et qui refusent de le suivre. Persona non grata, il est rejeté par la plupart des tribus et des villes de l’Arabie de l’époque. Les aléas de l’histoire font que ce prédicateur rencontre un ambitieux chef de clan, Mohamed Ben Saoud. Les deux hommes scellent une alliance sacrée et immuable fortifiée par des épousailles : la fille de Abdel Wahhab épouse l’un des fils de Ben Saoud. Chacun y trouve son compte : par son épée, Ben Saoud protège et propage la doctrine de Ben Abd Al Wahhab, et ce dernier exige, au nom de la religion, obéissance et allégeance à Mohamed Ben Saoud. De massacres en massacres qui n’épargnent même pas les lieux saints, La Mecque et Médine, ils arrivent jusqu’aux sanctuaires sacrés des chiites de Najaf et de Karbala en Irak. Là, ils exterminent la population et détruisent tombeaux et mausolées, considérés par Ben Abd Al Wahhab comme des idoles adorées en dehors de Dieu. Le wahhabisme devient tellement inquiétant qu’il fallait le stopper. Le Sultan ottoman exhorte son vassal le vice-roi d’Égypte, le pacha Mehmet Ali, à mettre fin à ce courant dévastateur et c’est ce que le général égyptien Ibrahim Pacha, fils de ce dernier, fait avec succès. L’armée égyptienne reprend La Mecque et Médine, pourchassent les Wahhabites jusqu’à leur fief, Daria, à côté de l’actuel Riad en les dispersant dans le désert de Nadjd. Cette période est considérée par les historiens comme le premier État saoudien qui prit fin en 1818. Au milieu du XIXe siècle, la famille saoudienne récidive, toujours forte de son alliance avec les descendants d’Abdel Wahhab.
Cependant, elle ne peut faire face à la puissante tribu Al Rachid : elle est écrasée encore une fois. En revanche, au début du XXe siècle, Abdelaziz Ben Abderrahmane Al Saoud s’impose sur tout le désert de Nadjd. Fidèle à l’ambition de ses aïeux, il conquiert les villes de Nadjd une à une, étend son pouvoir en s’accaparant du Hedjaz, c’est-à-dire, de La Mecque et de Médine. En chassant le malékisme et le chafiisme ancrés depuis des siècles au Hedjaz, Abdel Aziz “hanbalise” ou plutôt “wahhabise” toute l’Arabie, excepté le Sud et quelques émirats à l’Est, protectorats de la puissance britannique. En connivence avec celle-ci, Abdel Aziz proclame officiellement en 1926 la naissance de ce qu’on appelle l’État saoudien moderne, troisième tentative qui, elle, a réussi. Ainsi, l’avènement du wahhabisme ne remonte pas seulement à Abdel Aziz, mais c’est une constituante fondatrice et légitimatrice de l’État saoudien. Cela étant dit, on saisit mieux les dangers et les défis qui se dressent devant l’ambition qu’affiche témérairement le prince Mohamed Ben Salmane. S’ajoute à cela le délicat problème de la succession du pouvoir. En effet, depuis la mort de Abdel Aziz, la succession de ses fils s’est perpétuée de frère en frère d’une manière horizontale ; ce qui institue une véritable gérontocratie puisque tous les fils d’Abdel Aziz vivants ont régné jusqu’à un âge avancé : Saoud, Fayçal, Fahd, Khaled, Abdellah et Salmane. Celui-ci est donc le dernier fils vivant d’Abdel Aziz et sa montée au trône est tout à fait légitime et respecte l’usage établi. Pour la première fois, la famille Saoud est désorientée, car elle n’a aucun protocole qui prend en charge la dynamique de succession qui passe à la troisième génération, celle des petits-fils. Un autre facteur est à considérer dans cette perturbation, le nombre important des petits-fils d’Abdel Aziz. Au début, le vieux roi Salmane a tenté de remédier à cette carence en désignant comme prince héritier celui qui est considéré comme le plus sage et le plus apte à gouverner parmi les petits-fils d’Abdel Aziz : son neveu Mohammed Ben Nayef.
Cependant, cette nomination ne règle pas la question à long terme : comment les petits-fils se succèderont-ils alors que l’on imagine bien mal que le pouvoir se promène de cousin en cousin d’autant plus qu’ils dépassent la centaine ?Salmane, dit-on, a révisé son choix et a opté pour une solution radicale en nommant purement et simplement son propre fils comme prince héritier le 21 juin 2017 et cela malgré sa jeunesse (32 ans). Assistons-nous alors à la naissance de la dynastie salamanienne ?
Ce jeune prince dont la légitimité est à consolider fait de plus en plus parler de lui. À cause de ses déclarations et des annonces successives de ses projets, Mohamed Ben Salmane devient au centre de l’intérêt des grands médias et attire l’attention de tous les observateurs.
D’abord, il commence par bâillonner les prédicateurs wahhabites dans les mosquées, il interdit leur accès aux médias et traque leur présence sur internet ; puis il musèle la police religieuse en attendant de lui ôter officiellement toute prérogative. C’est la dissolution pure et simple de cette police de Mouttawa qui est annoncée au bout. Autoriser les femmes du royaume à conduire leurs voitures constitue une véritable révolution sociale, car cette facilité permettra à la majorité des femmes de travailler. Mieux encore, par décret royal, il permet aux femmes d’accéder librement aux stades et aux salles de spectacles, cinéma, etc. Aujourd’hui, le voile des femmes n’est plus de rigueur dans les réceptions officielles ou festives…
Cette réforme est-elle annonciatrice de nouveaux paradigmes pour les mouvements islamistes ? Ces derniers connaîtront-ils leur déclin ?
Je ne parlerais pas tout de suite de paradigmes, mais de perspectives ou plutôt d’alternatives. Nous sommes, au moins, devant deux possibilités : l’échec ou la réussite du prince Mohamed Ben Salmane. Dans le cas où le prince réussirait (ce qui est, à mon avis, peu probable), nous assisterions à au moins deux processus : l’affaiblissement du salafisme et même peut-être le renforcement de l’axe laïque. Depuis plusieurs décennies, le salafisme s’implantait dans les sociétés musulmanes en contestant leurs pratiques et leurs compréhensions ancestrales de la religion. Si le prince réussit, le mouvement salafiste, sans ressources matérielles et idéologiques, sera discrédité dans les sociétés musulmanes puisque discrédité à La Mecque elle-même. Un peu comme le slogan marketing “vu à la télé”, parce que ce sera “vu à La Mecque”, beaucoup de musulmans se libéreraient du salafisme.
Car beaucoup de croyants considèrent que l’islam pratiqué à La Mecque est plus authentique que celui pratiqué ailleurs du simple fait du prestige du lieu, alors que le hanbalisme est beaucoup plus récent que le malikisme ou le hanafisme, plus anciens et proches de l’époque du Prophète. Ensuite, on note depuis quelques années l’émergence d’un axe laïque dans lequel Mohamed Ben Salmane est directement impliqué. Le coup d’État du général Sissi en Égypte suivi de l’arrivée du roi Salmane et de son fils ainsi que l’émergence des Émirats comme puissance militaire sont des éléments qui font que cet axe se dessine nettement au Moyen-Orient. Il se distingue par sa tendance laïque, son rapprochement avec Israël et son aversion viscérale pour l’islam politique qu’il soit chiite (l’Iran, Hizbo Allah) ou sunnite (les Frères musulmans et leurs avatars dans les pays musulmans). Il est vrai que l’affaiblissement du salafisme ne signifie pas le recul de l’islam politique. Car, attention ! Il ne faut pas nommer tout ce qui bouge “islamisme”. Le faire c’est méconnaître les idéologies, ce qui se bousculent dans l’ombre ainsi que la rivalité interne qui n’exclut pas l’affrontement entre l’islam politique et le salafisme. Rappelons, encore une fois, que l’islam politique que l’on nomme communément islamisme n’est pas le salafisme.
Ce dernier, s’il n’est pas djihadiste, prône l’obéissance totale aux pires despotes et dictateurs. Alors que l’islam politique ou l’islamisme est, au contraire, une contestation au nom de la religion, une utilisation de l’islam pour s’opposer au pouvoir et le conquérir. Dans le cas où le prince échouerait, ce qui est, à mon sens, assez probable, nous assisterions à un véritable gouffre au Moyen-Orient avec des retombées très graves et inédites dans le monde musulman. Même en cas d’échec, le salafisme ne sortira pas indemne, car l’échec du prince conduira inévitablement à celui de l’Arabie saoudite et, du coup, à l’éclatement de son idéologie wahhabite. Ensuite, on pourrait redouter un renforcement de l’islamisme, c’est-à-dire de l’islam politique. Et là, vous pouvez me demander, et à juste titre, pourquoi l’affaiblissement de l’Arabie saoudite conduirait-il à un éventuel renforcement de l’islamisme. L’affaiblissement de l’Arabie saoudite en tant que leader de ce nouvel axe laïque favoriserait automatiquement ses rivaux notamment le Qatar et sa chaîne de destruction massive Al Jazeera et le croissant chiite très politisé. Autrement dit, si le prince échoue, c’est l’axe Arabie saoudite-Émirats arabes-unis-Égypte qui échoue au profit de l’axe rival Iran-Qatar-Turquie et donc au profit d’un regain de l’islam politique. Si je parle d’Al Jazeera dans ces termes, c’est que cette chaîne, dotée d’énormes moyens et au grand renfort des plus brillants des journalistes, fait perfidement l’apologie de l’islamisme, banalise le terrorisme, et pour des raisons qui demeurent mystérieuses, présente à nos enfants des criminels comme Ben Laden, Zawahiri et Al Joulani comme des héros.
Toute cette propagande sournoise et intelligemment voilée pourchasse et envahit les musulmans jusqu'à leurs foyers. Je la regarde régulièrement dans l’unique objectif d’observer avec quelle posologie savante cette chaîne diffuse le venin de l’islamisme. L’accusation qui talonne le Qatar de soutenir le terrorisme et d’ébranler les sociétés musulmanes n’est pas dénuée de fondement.
Soheïb Bencheikh : À l’époque très récente du roi Abdallah une réforme de modernisation s’opérait déjà, mais avec la tranquillité et la discrétion qui caractérisaient ce roi. Je cite comme exemple frappant la création de la King Abdallah University of Science and Technology (KAUST) et son vaste et futuriste campus située au nord de Djeddah. Dans cet ilot de l’océan wahhabite, les femmes ne sont pas obligées de se voiler et la mixité décomplexée s’opère de façon aussi naturelle qu’innocente, car cette zone était et est toujours interdite à la police religieuse avec ses interpellations et réprimandes incongrues. Aujourd’hui, le prince héritier Mohamed Ben Salmane veut, non seulement intensifier ces réformes, mais il les revendique, contrairement à ces prédécesseurs, à haute voix et avec une certaine précipitation. Pour comprendre l’ampleur des réformes annoncées par ce prince, il nous faut scruter le contexte dans lequel elles naissent. Pour ma part, deux éléments me paraissent importants : le lien de la famille Saoud avec le wahhabisme et le bouleversement actuel de la succession du pouvoir. Faisons une petite excursion dans l’histoire pour nous éclairer. Au milieu du XVIIIe siècle dans la péninsule arabique surgit Mohamed Ben Abd Al Wahhab, prédicateur austère d’obédience hanbalite, alors minoritaire dans le monde musulman. Original et violent, il prône un strict retour à l’islam des premiers temps, celui de la première génération : salaf. Il qualifie de renégats tous les musulmans qui ne se reconnaissent pas dans son rigorisme et qui refusent de le suivre. Persona non grata, il est rejeté par la plupart des tribus et des villes de l’Arabie de l’époque. Les aléas de l’histoire font que ce prédicateur rencontre un ambitieux chef de clan, Mohamed Ben Saoud. Les deux hommes scellent une alliance sacrée et immuable fortifiée par des épousailles : la fille de Abdel Wahhab épouse l’un des fils de Ben Saoud. Chacun y trouve son compte : par son épée, Ben Saoud protège et propage la doctrine de Ben Abd Al Wahhab, et ce dernier exige, au nom de la religion, obéissance et allégeance à Mohamed Ben Saoud. De massacres en massacres qui n’épargnent même pas les lieux saints, La Mecque et Médine, ils arrivent jusqu’aux sanctuaires sacrés des chiites de Najaf et de Karbala en Irak. Là, ils exterminent la population et détruisent tombeaux et mausolées, considérés par Ben Abd Al Wahhab comme des idoles adorées en dehors de Dieu. Le wahhabisme devient tellement inquiétant qu’il fallait le stopper. Le Sultan ottoman exhorte son vassal le vice-roi d’Égypte, le pacha Mehmet Ali, à mettre fin à ce courant dévastateur et c’est ce que le général égyptien Ibrahim Pacha, fils de ce dernier, fait avec succès. L’armée égyptienne reprend La Mecque et Médine, pourchassent les Wahhabites jusqu’à leur fief, Daria, à côté de l’actuel Riad en les dispersant dans le désert de Nadjd. Cette période est considérée par les historiens comme le premier État saoudien qui prit fin en 1818. Au milieu du XIXe siècle, la famille saoudienne récidive, toujours forte de son alliance avec les descendants d’Abdel Wahhab.
Cependant, elle ne peut faire face à la puissante tribu Al Rachid : elle est écrasée encore une fois. En revanche, au début du XXe siècle, Abdelaziz Ben Abderrahmane Al Saoud s’impose sur tout le désert de Nadjd. Fidèle à l’ambition de ses aïeux, il conquiert les villes de Nadjd une à une, étend son pouvoir en s’accaparant du Hedjaz, c’est-à-dire, de La Mecque et de Médine. En chassant le malékisme et le chafiisme ancrés depuis des siècles au Hedjaz, Abdel Aziz “hanbalise” ou plutôt “wahhabise” toute l’Arabie, excepté le Sud et quelques émirats à l’Est, protectorats de la puissance britannique. En connivence avec celle-ci, Abdel Aziz proclame officiellement en 1926 la naissance de ce qu’on appelle l’État saoudien moderne, troisième tentative qui, elle, a réussi. Ainsi, l’avènement du wahhabisme ne remonte pas seulement à Abdel Aziz, mais c’est une constituante fondatrice et légitimatrice de l’État saoudien. Cela étant dit, on saisit mieux les dangers et les défis qui se dressent devant l’ambition qu’affiche témérairement le prince Mohamed Ben Salmane. S’ajoute à cela le délicat problème de la succession du pouvoir. En effet, depuis la mort de Abdel Aziz, la succession de ses fils s’est perpétuée de frère en frère d’une manière horizontale ; ce qui institue une véritable gérontocratie puisque tous les fils d’Abdel Aziz vivants ont régné jusqu’à un âge avancé : Saoud, Fayçal, Fahd, Khaled, Abdellah et Salmane. Celui-ci est donc le dernier fils vivant d’Abdel Aziz et sa montée au trône est tout à fait légitime et respecte l’usage établi. Pour la première fois, la famille Saoud est désorientée, car elle n’a aucun protocole qui prend en charge la dynamique de succession qui passe à la troisième génération, celle des petits-fils. Un autre facteur est à considérer dans cette perturbation, le nombre important des petits-fils d’Abdel Aziz. Au début, le vieux roi Salmane a tenté de remédier à cette carence en désignant comme prince héritier celui qui est considéré comme le plus sage et le plus apte à gouverner parmi les petits-fils d’Abdel Aziz : son neveu Mohammed Ben Nayef.
Cependant, cette nomination ne règle pas la question à long terme : comment les petits-fils se succèderont-ils alors que l’on imagine bien mal que le pouvoir se promène de cousin en cousin d’autant plus qu’ils dépassent la centaine ?Salmane, dit-on, a révisé son choix et a opté pour une solution radicale en nommant purement et simplement son propre fils comme prince héritier le 21 juin 2017 et cela malgré sa jeunesse (32 ans). Assistons-nous alors à la naissance de la dynastie salamanienne ?
Ce jeune prince dont la légitimité est à consolider fait de plus en plus parler de lui. À cause de ses déclarations et des annonces successives de ses projets, Mohamed Ben Salmane devient au centre de l’intérêt des grands médias et attire l’attention de tous les observateurs.
D’abord, il commence par bâillonner les prédicateurs wahhabites dans les mosquées, il interdit leur accès aux médias et traque leur présence sur internet ; puis il musèle la police religieuse en attendant de lui ôter officiellement toute prérogative. C’est la dissolution pure et simple de cette police de Mouttawa qui est annoncée au bout. Autoriser les femmes du royaume à conduire leurs voitures constitue une véritable révolution sociale, car cette facilité permettra à la majorité des femmes de travailler. Mieux encore, par décret royal, il permet aux femmes d’accéder librement aux stades et aux salles de spectacles, cinéma, etc. Aujourd’hui, le voile des femmes n’est plus de rigueur dans les réceptions officielles ou festives…
Cette réforme est-elle annonciatrice de nouveaux paradigmes pour les mouvements islamistes ? Ces derniers connaîtront-ils leur déclin ?
Je ne parlerais pas tout de suite de paradigmes, mais de perspectives ou plutôt d’alternatives. Nous sommes, au moins, devant deux possibilités : l’échec ou la réussite du prince Mohamed Ben Salmane. Dans le cas où le prince réussirait (ce qui est, à mon avis, peu probable), nous assisterions à au moins deux processus : l’affaiblissement du salafisme et même peut-être le renforcement de l’axe laïque. Depuis plusieurs décennies, le salafisme s’implantait dans les sociétés musulmanes en contestant leurs pratiques et leurs compréhensions ancestrales de la religion. Si le prince réussit, le mouvement salafiste, sans ressources matérielles et idéologiques, sera discrédité dans les sociétés musulmanes puisque discrédité à La Mecque elle-même. Un peu comme le slogan marketing “vu à la télé”, parce que ce sera “vu à La Mecque”, beaucoup de musulmans se libéreraient du salafisme.
Car beaucoup de croyants considèrent que l’islam pratiqué à La Mecque est plus authentique que celui pratiqué ailleurs du simple fait du prestige du lieu, alors que le hanbalisme est beaucoup plus récent que le malikisme ou le hanafisme, plus anciens et proches de l’époque du Prophète. Ensuite, on note depuis quelques années l’émergence d’un axe laïque dans lequel Mohamed Ben Salmane est directement impliqué. Le coup d’État du général Sissi en Égypte suivi de l’arrivée du roi Salmane et de son fils ainsi que l’émergence des Émirats comme puissance militaire sont des éléments qui font que cet axe se dessine nettement au Moyen-Orient. Il se distingue par sa tendance laïque, son rapprochement avec Israël et son aversion viscérale pour l’islam politique qu’il soit chiite (l’Iran, Hizbo Allah) ou sunnite (les Frères musulmans et leurs avatars dans les pays musulmans). Il est vrai que l’affaiblissement du salafisme ne signifie pas le recul de l’islam politique. Car, attention ! Il ne faut pas nommer tout ce qui bouge “islamisme”. Le faire c’est méconnaître les idéologies, ce qui se bousculent dans l’ombre ainsi que la rivalité interne qui n’exclut pas l’affrontement entre l’islam politique et le salafisme. Rappelons, encore une fois, que l’islam politique que l’on nomme communément islamisme n’est pas le salafisme.
Ce dernier, s’il n’est pas djihadiste, prône l’obéissance totale aux pires despotes et dictateurs. Alors que l’islam politique ou l’islamisme est, au contraire, une contestation au nom de la religion, une utilisation de l’islam pour s’opposer au pouvoir et le conquérir. Dans le cas où le prince échouerait, ce qui est, à mon sens, assez probable, nous assisterions à un véritable gouffre au Moyen-Orient avec des retombées très graves et inédites dans le monde musulman. Même en cas d’échec, le salafisme ne sortira pas indemne, car l’échec du prince conduira inévitablement à celui de l’Arabie saoudite et, du coup, à l’éclatement de son idéologie wahhabite. Ensuite, on pourrait redouter un renforcement de l’islamisme, c’est-à-dire de l’islam politique. Et là, vous pouvez me demander, et à juste titre, pourquoi l’affaiblissement de l’Arabie saoudite conduirait-il à un éventuel renforcement de l’islamisme. L’affaiblissement de l’Arabie saoudite en tant que leader de ce nouvel axe laïque favoriserait automatiquement ses rivaux notamment le Qatar et sa chaîne de destruction massive Al Jazeera et le croissant chiite très politisé. Autrement dit, si le prince échoue, c’est l’axe Arabie saoudite-Émirats arabes-unis-Égypte qui échoue au profit de l’axe rival Iran-Qatar-Turquie et donc au profit d’un regain de l’islam politique. Si je parle d’Al Jazeera dans ces termes, c’est que cette chaîne, dotée d’énormes moyens et au grand renfort des plus brillants des journalistes, fait perfidement l’apologie de l’islamisme, banalise le terrorisme, et pour des raisons qui demeurent mystérieuses, présente à nos enfants des criminels comme Ben Laden, Zawahiri et Al Joulani comme des héros.
Toute cette propagande sournoise et intelligemment voilée pourchasse et envahit les musulmans jusqu'à leurs foyers. Je la regarde régulièrement dans l’unique objectif d’observer avec quelle posologie savante cette chaîne diffuse le venin de l’islamisme. L’accusation qui talonne le Qatar de soutenir le terrorisme et d’ébranler les sociétés musulmanes n’est pas dénuée de fondement.
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