à Algerie.patriotique
Par Houari Achouri – Avec le Barrage vert, l’Algérie a été pionnière dans la lutte contre la désertification, affirme Saïd Grim, concepteur du projet.
Le Barrage vert et la route Transsaharienne, lancés dans les années 1970, du temps du président Houari Boumediene, sont l’exemple de réalisations où l’institution militaire, à travers le Service national, s’est impliquée directement, durant une certaine période, apportant ainsi sa contribution décisive à deux gigantesques projets d’aménagement du territoire avec un impact inestimable sur le développement économique et social. De nombreux articles ont paru dans les médias, rédigés à partir d’interviews des principaux acteurs de ces projets et de témoignages de ceux qui étaient engagés sur le terrain dans leur réalisation. Mais l’histoire de ces grands travaux, qui ont connu leur moment de gloire et de prestige pour tomber ensuite dans la banalité et quasiment l’oubli, reste à écrire. Dans ce sens, ****************** publiera à partir de demain, en exclusivité, l’interview de Saïd Grim, ingénieur civil des eaux et forêts et concepteur du Barrage vert.
Le Barrage vert aura 50 ans en 2018. Saïd Grim date de 1968 le début de cette vaste opération qu’il a initiée dans un climat qu’il décrit «tendu, une partie de la hiérarchie forestière montrant de l’hostilité à toute initiative visant l’aménagement des forêts par un personnel d’autochtones». «On considérait alors, et peut-être encore maintenant, que les techniques sortant de la routine relevaient de l’apanage des experts internationaux», explique-t-il. Toute la carrière de Saïd Grim sera émaillée d’ennuis liés au Barrage vert, un projet contrarié, selon lui, dès le départ par ce qu’il appelle «la hiérarchie forestière».
Contre vents et marées, il réussira, en 1968, à amorcer son idée inspirée de ce qu’il a appris en tant qu’élève à l’Ecole nationale des eaux et forêts de Nancy, où il a pu «prendre connaissance de démarches et de doctrines qui nécessitaient bien évidemment une adaptation au contexte algérien», dit-il. Tout commence à Moudjebara, à une vingtaine de kilomètres au sud de Djelfa, et une sorte de bilan fut établi lors d’un séminaire «houleux» organisé à Djelfa les 18 et 19 septembre 1968.
Saïd Grim évoque les noms de ceux qui étaient portés par «l’amour du travail bien fait» et qui se sont sacrifiés pour que l’idée du Barrage vert soit concrétisée. Il cite également toutes les embûches posées sur son chemin, voire les persécutions qu’il a subies pour empêcher que cette idée devienne réalité. Il est très critique sur le travail de ce qu’il appelle tantôt l’administration forestière, tantôt la hiérarchie forestière. Il estime qu’elle n’a pas aidé à la concrétisation du projet et qu’au contraire elle s’y est opposée.
Pour son concepteur, le Barrage vert est sûrement le «fleuron de l’Algérie» en matière de lutte contre la désertification. «Mais plus encore, c’était une référence pour tous les pays en proie à la désertification», souligne-t-il. Il estime que «l’Algérie fut le premier pays à engager des opérations d’envergure pour enrayer la stérilisation d’une vaste partie de son territoire». Mais, il se dit «convaincu que l’Algérie, il y a une cinquantaine d’années, a perdu la chance de figurer en bonne place parmi les acteurs majeurs de la lutte contre la désertification». Saïd Grim ne mâche pas ses mots concernant le plan national de reboisement. «Il s’agit d’une pure fumisterie» et il l’explique à partir d’arguments techniques. Lire l’interview.
Le concepteur du Barrage vert : «C’était une affaire entre Boumediene et moi» (I)
Le président Houari Boumediene en compagnie d'Abdelaziz Bouteflika. D. R.
****************** : Dans l’histoire du Barrage vert, est-il juste de considérer deux phases : l’une de 1972 à 1990, quand les travaux étaient réalisés par le Haut Commissariat au Service national, c’est-à-dire l’armée, les forestiers prenant en charge les aspects techniques ; la seconde, à partir de 1991, avec le désengagement de l’armée et les travaux pris en charge entièrement par la Direction générale des forêts (DGF) ? Si c’est le cas, pourquoi ce changement dans la démarche ?
Saïd Grim : Il faut rapidement rappeler la genèse du projet. Dès 1965 et, pourrait-on dire, bien avant, il apparaissait que la forêt d’Algérie se trouvait en péril. Or, dès le XVIIe siècle, des forestiers d’Europe tempérée, principalement de France et d’Allemagne, se sont efforcés de mettre au point des méthodes de gestion de leurs patrimoines boisés qui donnèrent des résultats positifs tangibles. Elève de l’Ecole nationale des eaux et forêts de Nancy, j’ai pu prendre connaissance de démarches et de doctrines qui nécessitaient bien évidemment une adaptation au contexte algérien. Ce ne sera qu’en juin 1968 que les circonstances m’autoriseront à mettre en application mon projet et les premiers travaux débuteront dans la forêt domaniale de Senalba Chergui, canton Mezreb El-Ali, sous la conduite d’un technicien émérite : le chef de district Abdelhamid Bérini. Les choses évoluent rapidement vers un climat de plus en plus tendu, une partie de la hiérarchie forestière montrant de l’hostilité à toute initiative visant l’aménagement des forêts par un personnel d’autochtones. On considérait alors, et peut-être encore maintenant, que les techniques sortant de la routine relevaient de l’apanage des experts internationaux.
Parallèlement à ces opérations intéressant les formations forestières apparaissait la nécessité d’étendre le patrimoine boisé de la région de Djelfa pour des raisons autant économiques (production ligneuse) qu’environnementales (frein à la désertification déjà bien perceptible).
Le premier périmètre retenu fut celui de Moudjebara, du nom d’un bourg situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Djelfa. Les contours du projet seront définis avec le concours bénévole d’un ingénieur de la météorologie nommé Mohamed Andaloussi. On procéda à une sorte de bilan de tout ce qui avait été envisagé lors d’un séminaire organisé à Djelfa les 18 et 19 septembre 1968. Le regroupement se déroula dans une ambiance houleuse et fut prématurément interrompu au début de l’après-midi du 19 septembre.
La hiérarchie forestière laissa malgré tout se poursuivre les travaux, pensant, à tort, que je bénéficiais de soutiens aux échelons élevés de l’Etat.
En 1969, les autorités préparent un plan spécial de développement pour la wilaya du Titteri, dont relevait la sous-préfecture de Djelfa. Il fut décidé, avec l’accord du sous-préfet d’alors, M. Bessaieh, et du maire, Saïd Boukhelkhal, de faire des projets forestiers de la région des moteurs majeurs de promotion à la fois économique et sociale pour un territoire jusque-là passablement oublié.
En septembre de la même année 1969, le président Houari Boumediene et une partie de son gouvernement se déplacent à Djelfa pour une visite d’information et de travail. A la surprise des autorités locales, le protocole de la Présidence décide que les questions forestières soient débattues en forêt. Le cortège présidentiel arrive au canton Mezreb El-Ali et c’est moi qui suis désigné par les autorités de Djelfa pour présenter le programme proposé pour la région. Des propositions de même nature furent suggérées pour l’ensemble des territoires atlasiques méridionaux et des Hautes-plaines attenantes.
L’entretien avec Houari Boumediene dura environ deux heures. Le Président était un redoutable débatteur, ses questionnements aussi pertinents que les vôtres, mais un ingénieur de 29 ans ne pouvait y répondre qu’en puisant dans ses ultimes réserves d’énergie et de savoir.
D’un discret signal, Abdelmadjid Allahoum indique que la visite présidentielle arrive à son terme. Houari Boumediene se tourne vers ses collaborateurs : «Vous venez d’entendre comme moi ce que vient de dire cet ingénieur. Avez-vous des remarques à faire ?» Personne parmi ses conseillers et ministres n’ayant souhaité intervenir, le président Boumediene prit à nouveau la parole : «Puisque vous n’avez aucune objection à formuler, ce qui vient d’être dit constituera dorénavant notre politique forestière.»
Ce long préambule n’a pas pour objet d’éluder votre question qui est limpide. Aussi, je me dois d’être à mon tour clair : le Barrage vert a été une affaire entre Houari Boumediene et Grim. Le projet n’a pas reçu l’aval préalable des autorités institutionnellement habilitées à proposer et décider en la matière. La confusion immense qui s’en suivra a pour origine un hiatus dans l’ordre de préséance hiérarchique.
Quelques semaines plus tard, je suis muté à Abadla, au sud de Béchar ; je subissais la sanction qu’on inflige d’ordinaire aux opposants politiques. A aucun moment de mon existence je n’ai été un opposant à quelque pouvoir que ce soit et je suis décidé à conserver cette position jusqu’à la fin de mon existence. En revanche, je me considère comme l’ennemi déterminé de toute initiative, d’où qu’elle vienne, visant à amoindrir la forêt et la steppe d’Algérie. Abadla, en ces temps, représentait une sorte de petit goulag pour fonctionnaires indésirables du ministère de l’Agriculture.
Auparavant, la hiérarchie forestière fait répandre à Djelfa une rumeur selon laquelle un «pied rouge» nommé Grim entretient une agitation de nature politique dans la région. Alarmés, les services de sécurité se mettent à la recherche du trublion présenté comme un coopérant français. Une fois informés de la réalité, la police interrompit ses filatures une fois convaincue qu’il n’y avait pas péril en la demeure. Le chef de district Bérini eut moins de chance : il écopa de six mois de détention préventive à la prison de Laghouat pour avoir réalisé un travail de grande qualité visible encore aujourd’hui sur le terrain et sur Google Earth.
Nous sommes donc chassés de Djelfa et on ramène pour nous remplacer des coopérants bulgares. Les Bulgares gèrent bien les forêts de leur pays. On attend toujours que les dignitaires forestiers d’Algérie montrent ce que ces forestiers expatriés ont apporté à la forêt de Djelfa, de Telagh, de Saïda ou d’ailleurs.
Au passage, précisons que pour les programmes de reboisement prévus dans les Monts des Ouled Naïl on ne parlait pas encore de Barrage vert. Il était question de «Grands reboisements dans les Hautes-plaines et l’Atlas saharien». A l’évidence, la formulation, laborieuse, si des professionnels de la forêt pouvaient s’en accommoder, ne saurait marquer les esprits au niveau du grand public.
L’affaire tombe dans l’oubli durant plus de deux années, puis, à la surprise générale, en juin 1972, Houari Boumediene annonce sa décision de réaliser un «Barrage vert». Pourquoi la résurrection d’un programme promis à l’oubli ? Je l’ignore. En définitive, j’ai estimé la formulation meilleure que la mienne, et c’est moi qui l’imposa, les responsables du ministère de l’agriculture y allant chacun de sa petite trouvaille : ligne verte, barrière verte, muraille verte…
Les choses s’enlisent une nouvelle fois. Rien ne bouge pratiquement. La volonté de la hiérarchie forestière était de faire avorter le projet.
Houari Boumediene confie la concrétisation de l’idée à Ahmed Houhat, son conseiller ; Ahmed Houhat en charge le ministre Tayebi ; Noureddine Boukli, son secrétaire général, en hérite. La patate chaude est ensuite envoyée à Rabah Dekhli, inspecteur général des Forêts, qui, ne sachant qu’en faire, fait appel à moi. Dans la foulée, on crée une commission du Barrage vert d’une dizaine de membres, dont plusieurs sont encore en vie. Pas l’ombre d’une contribution positive n’est à inscrire à l’actif de cet aréopage.
Sous sa forme papier, le projet Barrage vert sera élaboré par moi seul. Selon Rabah Dekhli, le document a été transmis à la présidence de la République en septembre 1973.
Par Houari Achouri – Avec le Barrage vert, l’Algérie a été pionnière dans la lutte contre la désertification, affirme Saïd Grim, concepteur du projet.
Le Barrage vert et la route Transsaharienne, lancés dans les années 1970, du temps du président Houari Boumediene, sont l’exemple de réalisations où l’institution militaire, à travers le Service national, s’est impliquée directement, durant une certaine période, apportant ainsi sa contribution décisive à deux gigantesques projets d’aménagement du territoire avec un impact inestimable sur le développement économique et social. De nombreux articles ont paru dans les médias, rédigés à partir d’interviews des principaux acteurs de ces projets et de témoignages de ceux qui étaient engagés sur le terrain dans leur réalisation. Mais l’histoire de ces grands travaux, qui ont connu leur moment de gloire et de prestige pour tomber ensuite dans la banalité et quasiment l’oubli, reste à écrire. Dans ce sens, ****************** publiera à partir de demain, en exclusivité, l’interview de Saïd Grim, ingénieur civil des eaux et forêts et concepteur du Barrage vert.
Le Barrage vert aura 50 ans en 2018. Saïd Grim date de 1968 le début de cette vaste opération qu’il a initiée dans un climat qu’il décrit «tendu, une partie de la hiérarchie forestière montrant de l’hostilité à toute initiative visant l’aménagement des forêts par un personnel d’autochtones». «On considérait alors, et peut-être encore maintenant, que les techniques sortant de la routine relevaient de l’apanage des experts internationaux», explique-t-il. Toute la carrière de Saïd Grim sera émaillée d’ennuis liés au Barrage vert, un projet contrarié, selon lui, dès le départ par ce qu’il appelle «la hiérarchie forestière».
Contre vents et marées, il réussira, en 1968, à amorcer son idée inspirée de ce qu’il a appris en tant qu’élève à l’Ecole nationale des eaux et forêts de Nancy, où il a pu «prendre connaissance de démarches et de doctrines qui nécessitaient bien évidemment une adaptation au contexte algérien», dit-il. Tout commence à Moudjebara, à une vingtaine de kilomètres au sud de Djelfa, et une sorte de bilan fut établi lors d’un séminaire «houleux» organisé à Djelfa les 18 et 19 septembre 1968.
Saïd Grim évoque les noms de ceux qui étaient portés par «l’amour du travail bien fait» et qui se sont sacrifiés pour que l’idée du Barrage vert soit concrétisée. Il cite également toutes les embûches posées sur son chemin, voire les persécutions qu’il a subies pour empêcher que cette idée devienne réalité. Il est très critique sur le travail de ce qu’il appelle tantôt l’administration forestière, tantôt la hiérarchie forestière. Il estime qu’elle n’a pas aidé à la concrétisation du projet et qu’au contraire elle s’y est opposée.
Pour son concepteur, le Barrage vert est sûrement le «fleuron de l’Algérie» en matière de lutte contre la désertification. «Mais plus encore, c’était une référence pour tous les pays en proie à la désertification», souligne-t-il. Il estime que «l’Algérie fut le premier pays à engager des opérations d’envergure pour enrayer la stérilisation d’une vaste partie de son territoire». Mais, il se dit «convaincu que l’Algérie, il y a une cinquantaine d’années, a perdu la chance de figurer en bonne place parmi les acteurs majeurs de la lutte contre la désertification». Saïd Grim ne mâche pas ses mots concernant le plan national de reboisement. «Il s’agit d’une pure fumisterie» et il l’explique à partir d’arguments techniques. Lire l’interview.
Le concepteur du Barrage vert : «C’était une affaire entre Boumediene et moi» (I)
Le président Houari Boumediene en compagnie d'Abdelaziz Bouteflika. D. R.
****************** : Dans l’histoire du Barrage vert, est-il juste de considérer deux phases : l’une de 1972 à 1990, quand les travaux étaient réalisés par le Haut Commissariat au Service national, c’est-à-dire l’armée, les forestiers prenant en charge les aspects techniques ; la seconde, à partir de 1991, avec le désengagement de l’armée et les travaux pris en charge entièrement par la Direction générale des forêts (DGF) ? Si c’est le cas, pourquoi ce changement dans la démarche ?
Saïd Grim : Il faut rapidement rappeler la genèse du projet. Dès 1965 et, pourrait-on dire, bien avant, il apparaissait que la forêt d’Algérie se trouvait en péril. Or, dès le XVIIe siècle, des forestiers d’Europe tempérée, principalement de France et d’Allemagne, se sont efforcés de mettre au point des méthodes de gestion de leurs patrimoines boisés qui donnèrent des résultats positifs tangibles. Elève de l’Ecole nationale des eaux et forêts de Nancy, j’ai pu prendre connaissance de démarches et de doctrines qui nécessitaient bien évidemment une adaptation au contexte algérien. Ce ne sera qu’en juin 1968 que les circonstances m’autoriseront à mettre en application mon projet et les premiers travaux débuteront dans la forêt domaniale de Senalba Chergui, canton Mezreb El-Ali, sous la conduite d’un technicien émérite : le chef de district Abdelhamid Bérini. Les choses évoluent rapidement vers un climat de plus en plus tendu, une partie de la hiérarchie forestière montrant de l’hostilité à toute initiative visant l’aménagement des forêts par un personnel d’autochtones. On considérait alors, et peut-être encore maintenant, que les techniques sortant de la routine relevaient de l’apanage des experts internationaux.
Parallèlement à ces opérations intéressant les formations forestières apparaissait la nécessité d’étendre le patrimoine boisé de la région de Djelfa pour des raisons autant économiques (production ligneuse) qu’environnementales (frein à la désertification déjà bien perceptible).
Le premier périmètre retenu fut celui de Moudjebara, du nom d’un bourg situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Djelfa. Les contours du projet seront définis avec le concours bénévole d’un ingénieur de la météorologie nommé Mohamed Andaloussi. On procéda à une sorte de bilan de tout ce qui avait été envisagé lors d’un séminaire organisé à Djelfa les 18 et 19 septembre 1968. Le regroupement se déroula dans une ambiance houleuse et fut prématurément interrompu au début de l’après-midi du 19 septembre.
La hiérarchie forestière laissa malgré tout se poursuivre les travaux, pensant, à tort, que je bénéficiais de soutiens aux échelons élevés de l’Etat.
En 1969, les autorités préparent un plan spécial de développement pour la wilaya du Titteri, dont relevait la sous-préfecture de Djelfa. Il fut décidé, avec l’accord du sous-préfet d’alors, M. Bessaieh, et du maire, Saïd Boukhelkhal, de faire des projets forestiers de la région des moteurs majeurs de promotion à la fois économique et sociale pour un territoire jusque-là passablement oublié.
En septembre de la même année 1969, le président Houari Boumediene et une partie de son gouvernement se déplacent à Djelfa pour une visite d’information et de travail. A la surprise des autorités locales, le protocole de la Présidence décide que les questions forestières soient débattues en forêt. Le cortège présidentiel arrive au canton Mezreb El-Ali et c’est moi qui suis désigné par les autorités de Djelfa pour présenter le programme proposé pour la région. Des propositions de même nature furent suggérées pour l’ensemble des territoires atlasiques méridionaux et des Hautes-plaines attenantes.
L’entretien avec Houari Boumediene dura environ deux heures. Le Président était un redoutable débatteur, ses questionnements aussi pertinents que les vôtres, mais un ingénieur de 29 ans ne pouvait y répondre qu’en puisant dans ses ultimes réserves d’énergie et de savoir.
D’un discret signal, Abdelmadjid Allahoum indique que la visite présidentielle arrive à son terme. Houari Boumediene se tourne vers ses collaborateurs : «Vous venez d’entendre comme moi ce que vient de dire cet ingénieur. Avez-vous des remarques à faire ?» Personne parmi ses conseillers et ministres n’ayant souhaité intervenir, le président Boumediene prit à nouveau la parole : «Puisque vous n’avez aucune objection à formuler, ce qui vient d’être dit constituera dorénavant notre politique forestière.»
Ce long préambule n’a pas pour objet d’éluder votre question qui est limpide. Aussi, je me dois d’être à mon tour clair : le Barrage vert a été une affaire entre Houari Boumediene et Grim. Le projet n’a pas reçu l’aval préalable des autorités institutionnellement habilitées à proposer et décider en la matière. La confusion immense qui s’en suivra a pour origine un hiatus dans l’ordre de préséance hiérarchique.
Quelques semaines plus tard, je suis muté à Abadla, au sud de Béchar ; je subissais la sanction qu’on inflige d’ordinaire aux opposants politiques. A aucun moment de mon existence je n’ai été un opposant à quelque pouvoir que ce soit et je suis décidé à conserver cette position jusqu’à la fin de mon existence. En revanche, je me considère comme l’ennemi déterminé de toute initiative, d’où qu’elle vienne, visant à amoindrir la forêt et la steppe d’Algérie. Abadla, en ces temps, représentait une sorte de petit goulag pour fonctionnaires indésirables du ministère de l’Agriculture.
Auparavant, la hiérarchie forestière fait répandre à Djelfa une rumeur selon laquelle un «pied rouge» nommé Grim entretient une agitation de nature politique dans la région. Alarmés, les services de sécurité se mettent à la recherche du trublion présenté comme un coopérant français. Une fois informés de la réalité, la police interrompit ses filatures une fois convaincue qu’il n’y avait pas péril en la demeure. Le chef de district Bérini eut moins de chance : il écopa de six mois de détention préventive à la prison de Laghouat pour avoir réalisé un travail de grande qualité visible encore aujourd’hui sur le terrain et sur Google Earth.
Nous sommes donc chassés de Djelfa et on ramène pour nous remplacer des coopérants bulgares. Les Bulgares gèrent bien les forêts de leur pays. On attend toujours que les dignitaires forestiers d’Algérie montrent ce que ces forestiers expatriés ont apporté à la forêt de Djelfa, de Telagh, de Saïda ou d’ailleurs.
Au passage, précisons que pour les programmes de reboisement prévus dans les Monts des Ouled Naïl on ne parlait pas encore de Barrage vert. Il était question de «Grands reboisements dans les Hautes-plaines et l’Atlas saharien». A l’évidence, la formulation, laborieuse, si des professionnels de la forêt pouvaient s’en accommoder, ne saurait marquer les esprits au niveau du grand public.
L’affaire tombe dans l’oubli durant plus de deux années, puis, à la surprise générale, en juin 1972, Houari Boumediene annonce sa décision de réaliser un «Barrage vert». Pourquoi la résurrection d’un programme promis à l’oubli ? Je l’ignore. En définitive, j’ai estimé la formulation meilleure que la mienne, et c’est moi qui l’imposa, les responsables du ministère de l’agriculture y allant chacun de sa petite trouvaille : ligne verte, barrière verte, muraille verte…
Les choses s’enlisent une nouvelle fois. Rien ne bouge pratiquement. La volonté de la hiérarchie forestière était de faire avorter le projet.
Houari Boumediene confie la concrétisation de l’idée à Ahmed Houhat, son conseiller ; Ahmed Houhat en charge le ministre Tayebi ; Noureddine Boukli, son secrétaire général, en hérite. La patate chaude est ensuite envoyée à Rabah Dekhli, inspecteur général des Forêts, qui, ne sachant qu’en faire, fait appel à moi. Dans la foulée, on crée une commission du Barrage vert d’une dizaine de membres, dont plusieurs sont encore en vie. Pas l’ombre d’une contribution positive n’est à inscrire à l’actif de cet aréopage.
Sous sa forme papier, le projet Barrage vert sera élaboré par moi seul. Selon Rabah Dekhli, le document a été transmis à la présidence de la République en septembre 1973.
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