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Tolstoï et la poly-personnalité

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  • Tolstoï et la poly-personnalité

    Suis-je plusieurs ? Suis-je un autre ? Mais qui, et avec qui ? L’écrivain russe dévoile cette énigme.


    Suis-je plusieurs ? C'est le professeur de littérature et psychanalyste Pierre Bayard qui pose cette question dans son dernier essai (Pierre Bayard à qui l'on doit déjà des questions tout aussi passionnantes, comme « comment parler des livres qu'on n'a pas lus », ou « à quoi ressemblerait Le cuirassé Potemkine s'il avait été réalisé par Alfred Hitchcock »). Mais, sa dernière question, c’est donc celle-ci : pourquoi suis-je plusieurs ? Comme le dit encore Pierre Bayard, c'est la littérature qui nous offre les meilleures réponses à ces interrogations, la littérature et les écrivains...

    Quand on prononce le nom de « Léon Tolstoï », on pense tout de suite à Guerre et paix, bien sûr, dont on vient d'entendre l'incipit, interprété par Denis Podalydés. Léon Tolstoï ou la figure par excellence de l'écrivain russe. Mais n'est-ce pas là le réduire à sa seule dimension littéraire ?

    Tolstoï n'était pas qu'un écrivain, c'était aussi un grand penseur, anarchiste, qui voyait la fin du servage en Russie dans la libération des terres. Les éditions de L'échappée font ainsi paraître un très beau livre qui rassemble ses Ecrits sur la révolution, sous le titre Le refus de l’obéissance. De quoi enrichir notre vision de l'écrivain, mais aussi d’y voir plus clair dans cette histoire de poly-personnalité.

    Car, oui, refuser l'obéissance, selon Tolstoï, c'est refuser d'obéir à quelqu'un, c'est refuser son autorité, et par-là même celui qui se prétend auteur de ses actes et des nôtres, c'est donc refuser l'idée même d'auteur, seul et tout-puissant : or, l'homme n'est pas seul mais toujours plusieurs. Mais alors comment l’entendre ?

    Comment comprendre que l'homme est toujours plusieurs ? Faut-il l'entendre dans une dimension politique, comme une critique anti-individualiste et anti-autoritaire ; faut-il l'entendre comme une éthique de la vie à plusieurs, promotion du partage et des vertus collectives, dont celle de l'amour ; ou encore, faut-il l'entendre comme je ne suis pas seule dans ma tête et dans mon âme ?

    Sûrement tout cela à la fois, si l'on s'attache à Tolstoï, à son refus de l'autorité et de l'auteur et à sa défense du collectif, mais aussi si l'on s'attache à ses personnages. Dans La sonate à Kreutzer, nouvelle de 1889, le héros n'est pas seul : il vit non seulement avec sa femme, mais surtout entre ses sentiments contradictoires et simultanés à l'égard de sa femme, tout à la fois fou d’amour et de jalousie.

    Que l’on vive à deux ou à plusieurs, d’accord, que l’on devienne un autre (on n’est amoureux puis plus amoureux), pourquoi pas, mais comment comprendre ici que la même personne suscite en soi et en même temps des sentiments si contraires ? En pariant, justement, sur cette multiplicité de personnes en soi…

    Vous avez reconnu ? C’est du Tolstoievski ! Les démons et Guerre et Paix, en un. C'est bien la thèse de Pierre Bayard dans son dernier livre, je est plusieurs personnes. Et autant lever le voile sur Tolstoievski, l’auteur, dissocié depuis tant d'années, l'auteur de Guerre et Paix et des Frères Karamasov, le joueur libertin et l'anarchiste évangéliste.

    Mieux que personne Tolstoïevski a su révéler les méandres multiples au cœur d'un seul individu : pourquoi sommes-nous capables d'aimer et de détester en même temps une seule personne, voire plusieurs ? Pourquoi suis-je capable de me traîner devant le tribunal de ma propre culpabilité ? Pourquoi, encore, suis-je capable de passer à l'acte sans raison ? Pourquoi tout cela, et sans être schizophrène ?

    Les frères Karamasov, Anna Karénine, ou encore Pozdnychev dans La sonate à Kreutzer, autant d'ambivalence en personnes qui nous le montrent et révèlent cette énigme.

    France culture
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