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Il était une fois le jour où l'arabe rencontra les langues ouest-africaines

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  • Il était une fois le jour où l'arabe rencontra les langues ouest-africaines

    Aujourd'hui langue officielle de vingt-cinq pays et célébré le 18 décembre de chaque année, l'arabe a, au cours des pérégrinations de ses locuteurs, guerriers et commerçants, parfumé nombre de langues ouest-africaines. Illustration.

    Barraga, « éclairs », en mubi. Abéré, « l'aiguille », en yoruba. Abajadda, « l'alphabet », en wolof. Outre leur localisation commune, ces mots de langues ouest-africaines ont un point commun : leur origine arabe. Parlée par plus de 150 millions de locuteurs sur le continent africain, la langue arabe se retrouve également dans le vocabulaire de nombreuses langues ouest-africaines. Le kiswahili, qui est parlé dans la partie orientale de l'Afrique, est aussi concernée. Très influencé par les commerçants musulmans de la côte, il s'est répandu alors à l'intérieur du continent. D'abord retranscrit avec l'alphabet arabe, il n'a été rendu à travers des caractères latins qu'à partir du XIXe siècle. À l'occasion de la Journée mondiale de la langue arabe, célébrée chaque année le 18 décembre, retour sur ces mots du quotidien en songhay, bambara, mokulu ou kakanda, mots dans lesquels les consonances et sonorités arabes se sont imbriquées.



    Le champ du religieux, un espace privilégié de transhumance des mots arabes
    Un des champs lexicaux le plus concerné par ce phénomène linguistique est celui du religieux. De nombreux mots liés, par exemple, à la pratique de la religion trouvent leur origine dans la langue de l'islam, l'arabe. Un phénomène confirmé par Firmin Ahoua, professeur de linguistique à l'université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan : « De nombreux mots ouest-africains d'origine arabe ont été apportés par les musulmans, assure-t-il. Les nombreuses écoles coraniques d'Afrique de l'Ouest ont aussi été les vecteurs de l'arabe dans les langues locales. Elles ont fait entrer des mots religieux dans le langage courant ». En voici quelques exemples :

    · Iblis, « diable, Satan »

    … en bambara : billisi, « démon, diable »

    … en kakanda : abili, « mauvais, le mauvais »

    … en gourmantché : ibilsi, « accident, mauvaise chose »

    … en tamacheq : iblis, « démon tentateur, amour illicite »

    · Iman, « foi, croyance »

    … en bambara : limana, lemineya, « confiance, foi »

    … en dagbani : immani, « foi, croyance »

    … en peul : imanaku, « foi »

    … en hausa : imani, « avoir foi dans l'Islam »

    … en swahili : imani, « foi, confiance »

    · Mu'min, « qui a la foi, fidèle, croyant »

    … en hausa : mumini, mummini, mummuni : « vrai croyant dans l'islam, personne digne de confiance »

    … en swahili : muminina, « vrai croyant (le musulman) »

    … en wolof : muumin, « innocent, personne candide »

    · Injil, « évangile »

    … en bokobaru : injila, « évangile, Nouveau Testament »

    … en peul : linjila, « le livre des évangiles »

    … en hausa : injilu, linjila, « Nouveau Testament »

    … en kanuri : lingila, « Bible »

    … en swahili : injili, anjili, « Nouveau Testament »

    … en wolof : linjil, « évangile »

    Le champ du commerce n'est pas en reste
    Autre vecteur de l'arabe dans les langues d'Afrique de l'Ouest : le commerce. « Les échanges commerciaux au sein du continent ont accéléré les emprunts de l'arabe », affirme Firmin Ahoua. Les commerçants arabo-musulmans ont amenés avec eux leur langue, que l'on retrouve donc dans divers mots se rapportant au commerce :

    · Ajr, au pluriel Ujur, « salaire, récompense, rétribution »

    … en bidiya, : ajur, « bénédiction »

    … en dangaleat : udyirnaw, « bénédiction »

    … en peul : waraja (verbe), wajoo, « récompenser »



    D'abord exprimée dans des champs lexicaux bien précis, la langue arabe a fini par se fondre dans les langues populaires, s'imbriquant dans des mots du quotidien. « Une véritable assimilation de la langue s'est alors opérée, plus récemment dans l'histoire », soutient Firmin Ahoua. Des mots comme ab, abba, « père » en arabe, sont devenus aba en kotoko, abba en peul et abba en songhay. Bahr, « la mer, le fleuve » en arabe, est devenu baharré en migama, baar en mubi, baxru en wolof ou encore baharia en swahili, « le matelot ». En haoussa, le mot est devenu bahara, « prostituée notoire ». Le mot babur, « locomotive » en arabe, est utilisé en peul, en haoussa, en kanuri et en tupuri pour désigner une motocyclette, ou un avion dans ce dernier cas. En lamé, on préférera utiliser bapur pour désigner une voiture, et en songhay on dira albabur pour décrire un « fourneau surmonté d'un récipient pour faire bouillir l'eau, destinée au thé ou au café ».

    Quand la langue réagit à l'étranger
    Les langues ouest-africaines peuvent par ailleurs ne pas prendre en compte les diverses significations d'un même mot. Burj, « tour, signe du zodiaque » en arabe, est repris en wolof pour désigner une étoile ou un signe astrologique. On dira burjuwol en peul, ou buruji en haoussa, qui peut aussi décrire la Voie lactée. Des expressions de la vie courante ont également intégré le quotidien des locuteurs ouest-africains. La ba'sa, en arabe « tout va bien, cela n'a pas d'importance », se dit wala ba'sa en hausa, « on ne peut rien y reprocher », labaas, laabaas ou albaisi en songhay, respectivement « bien ! » et « mieux, en meilleure santé ».

    Les langues ouest-africaines ont donc évolué au fil des siècles, au gré de l'histoire du continent. Pour Firmin Ahoua, « les Portugais, premiers colons de la région, ont aussi participé à l'évolution linguistique de cette partie de l'Afrique. On a démontré qu'à chaque époque coloniale correspond un phénomène linguistique. »

    Source : "Dictionnaire des emprunts arabes dans les langues de l'Afrique de l'Ouest" de Sergio Baldi, éditions Karthala, 2008.


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