En marge du vieux système, la jeunesse crie son désespoir sur YouTube, se résigne ou tente de s'inventer un avenir.
Face à un président malade, qui s’accroche au pouvoir depuis plus de dix-huit ans, la jeunesse crie son désespoir et tente de s’inventer un avenir.
Bouteflika n’a pas parlé directement à ses concitoyens depuis cinq ans.
Jamais un chef d’État n’avait régné aussi longtemps sur l’Algérie. Avant lui, Houari Boumediene détenait le record de longévité avec treize années d’exercice du pouvoir. Le raïs était mort dans une aura de mystère. Son décès à l’issue d’une longue période de coma fut annoncé le 27 décembre 1978. Le surlendemain, un petit homme en manteau noir, un certain Abdelaziz Bouteflika, alors inamovible ministre des Affaires étrangères et héraut du tiers-mondisme, prononça son oraison funèbre au cimetière d’Elia, près d’Alger. Il fut évincé de la succession par les hauts dignitaires du régime et condamné à une interminable traversée du désert avant d’être rappelé par le «cercle des décideurs» pour remporter l’élection présidentielle de 1999. L’Algérie émergeait d’une sanglante guerre civile entre le régime et les islamistes, sorte de répétition générale du chaos dans lequel a glissé une partie du monde arabe.
Abdelaziz Bouteflika règne sur un peuple à la fois turbulent et soumis depuis maintenant dix-huit ans et sept mois. Le temps pour une génération de grandir tandis que son président se recroqueville. Dans un pays où le pouvoir est opaque, le président est devenu une ombre. Âgé de 80 ans, il est impotent depuis son hospitalisation en urgence au Val de Grâce, à Paris, en 2013, pour un AVC.
Le chef de l’État a déserté le palais d’el-Mouradia, situé sur les hauteurs d’Alger. Ses passages au siège de la présidence se comptent sur les doigts d’une main depuis le début de l’année. Abdelaziz Bouteflika y vient par obligation constitutionnelle pour des Conseils des ministres. Quelques images filtrées par le service de communication de la présidence sont à chaque fois diffusées dans les journaux des chaînes de télévision. Les plans durent à peine quelques secondes. Ils donnent lieu à d’interminables exégètes. «Il a tourné la tête, il est capable de parapher et a même réussi à applaudir des deux mains malgré son bras paralysé », constate l’un en spéculant sur les progrès de son état de santé. « Il parcourait un texte alors qu’il ne peut pas lire sans lunettes », déplore un sceptique. Son visage est passé au crible.
Son regard peut être, selon les séquences, absent ou perçant. Son teint est cireux. Et ses traits toujours figés. « Ces mises en scène sont destinées à rassurer la population et à montrer que le pouvoir n’est pas vacant», décrypte un ancien ministre peu convaincu qu’elles atteignent leurs buts. « La maladie a évidemment des conséquences sur le fonctionnement de l’État, qui est comme lui, à moitié paralysé. Un Conseil des ministres se tient pour préserver les formes et valider, par exemple, la loi de finances, mais les institutions sont bloquées. Les décisions se prennent ailleurs», poursuit-il.
Terrasse sur la mer
Cet ailleurs se situe dans une résidence médicalisée de Zéralda, une ville balnéaire du fond de la baie de Sidi Fredj, où débarqua l’expédition française de 1830. Prononcer le nom de Zéralda, c’est ouvrir la boîte à fantasmes. Le président passerait ses journées sans agenda dans sa chaise roulante derrière de hauts murs sous la surveillance d’un staff de médecins chinois et français tandis que son jeune frère, Saïd, fidèle parmi les fidèles, gérerait les affaires de l’État dans un bureau plongé dans la pénombre.
Une autoroute embouteillée relie la capitale au centre déplacé du pouvoir. À l’entrée de Zéralda, une route s’enfonce à gauche dans une forêt de pins, de chênes verts et de palmiers. À droite, un chemin interdit à la circulation aboutit à un ancien centre de repos avec piscine et courts de tennis pour cadres supérieurs de la Sonatrach, la société nationale d’hydrocarbures sur laquelle repose l’économie du pays. Abdelaziz Bouteflika demeure dans le bâtiment central, un immeuble cossu à défaut d’être luxueux. Au premier étage sont installées des cuisines, des salles à manger et de réunions. De la terrasse, on voit au loin la mer tandis que dans le ciel des aigrettes volent en escadrille. Au rez-de-chaussée, les murs sont tapissés de piètres reproductions de tableaux orientalistes.
Quand il le peut, Abdelaziz Bouteflika reçoit ses visiteurs internationaux derrière la porte d’une antichambre fermée aux curieux. Il s’exprime, d’une voix basse et rauque, à l’aide d’un micro-amplificateur portatif. Les invitations tombent au compte-gouttes. À la sortie de l’entretien, les hôtes déploient des trésors de créativité verbale pour trouver les mots appropriés. Le 6 décembre, Jean-Yves Le Drian, qui accompagnait Emmanuel Macron, a opté pour la sobriété. «Intellectuellement, il est parfaitement en forme», affirma-t-il sur France Inter, avant d’ajouter : « Il est plus fatigué mais bon, ça peut arriver à un certain âge. »
À Zéralda, le reclus vit entouré de son clan. Il y a autour du vieux malade sa soeur, Zhora, une ex-sagefemme qui le materne, et deux de ses frères, Abderrahim, dit Nacer, un discret haut fonctionnaire, et Saïd, le cadet. Le rôle de ce dernier est sujet à controverse. Ancien universitaire engagé dans la lutte syndicale puis conseiller spécial de son frère, Saïd Bouteflika est le véritable secrétaire général de la «République de Zéralda ». D’une loyauté absolue, il sert d’intendant et de courroie de transmission. Le déclin physique de son frère lui aurait permis de passer d’un rôle d’entremetteur à celui d’arbitre, mais sa marge de manoeuvre est inconnue. Sa réserve naturelle et son refus de s’ouvrir aux médias attisent les rumeurs. Pour ses plus virulents détracteurs, il est le noeud gordien d’un puissant réseau de corruption. Ses adversaires lui prêtent des ambitions présidentielles.
« Saïd est un vice-roi qui favorise ses amis. Il a la capacité de leur ouvrir la voie aux crédits et de les favoriser pour gagner les marchés publics mais la famille Bouteflika n’a plus besoin d’enrichissement personnel. C’est déjà fait ! Quant au choix du successeur, il a toujours reposé dans le système algérien, où militaires et oligarques s’imbriquent sur un consensus dénué jusqu’à ce jour de pulsions dynastiques », tranche un familier du sérail. Alors, en attendant, qui gouverne? La «République de Zéralda » sans nul doute. Le premier ministre, Ahmed Ouyahia, et le général Gaït Salah, chef d’état-major des Armées, qui doit sa promotion au président, figurent en bonne place parmi les visiteurs de l’établissement. La mise à la retraite en 2015 par le président du général Mohamed Mediene, dit Toufik, le tout-puissant chef du DRS (Département du renseignement et de la sécurité, les services secrets) pendant des décennies, a mis fin à d’incessants tiraillements. La santé chancelante du président a figé le statu quo. Bien que décapité, le DRS reste le disque dur de l’État et le centre d’analyse politique des militaires. Sa machinerie bien huilée fait tourner le régime.
Vidéos parodiques
L’invisibilité d’Abdelaziz Bouteflika a en fait ajouté un rideau de fumée supplémentaire au pouvoir. Observateur scrupuleux et lucide du régime, l’écrivain Kamel Daoud résume dans un récent billet la situation en une formule : en Algérie, «le pouvoir est clandestin par définition ou par fantasme collectif ». On pourrait également appliquer au pays la formule de Winston Churchill qui comparait, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique à « un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme ».
Si elle présente l’avantage de cuirasser le pouvoir, l’opacité a l’inconvénient d’ankyloser une administration kafkaïenne par nature. «Beaucoup de décisions ne sont pas prises par peur de déplaire et de payer ensuite les pots cassés. Ces blocages font de l’Algérie un royaume immobile où rien ne bouge, en apparence », confie un haut fonctionnaire.
Fermé comme une huître, le régime se crispe. Il interdit les manifestations de rue et a mis les médias sous cloche. Enfermé dans une bulle souverainiste, le pays s’enfonce dans la crise sociale. L’État n’a pas anticipé la baisse des prix du pétrole et rafistole les brèches plutôt que de poser les véritables bases d’une nouvelle économie sortie du tout pétrole. Les biens consommés proviennent toujours, malgré des ajustements, à plus de 80 % des importations. La monnaie s’effondre, l’inflation galope, le pouvoir d’achat est en berne, mais ses habitants ne risquent pas de se révolter. «Le pouvoir joue de la peur de l’inconnu et du basculement de la Libye, de la Syrie et du Yémen dans la violence. La télévision nationale a diffusé pour le 20e anniversaire du massacre de Benthala (environ 400 civils tués par le Groupe islamique armé pendant la guerre civile) des images inédites de celle qui fut la tuerie emblématique de la décennie noire. Elles ont été interprétées comme un message adressé aux Algériens : taisez-vous, sinon vous aurez ça. »
Les gens préfèrent manger du pain et des oignons plutôt que de tenter le diable. Quant à la succession, «elle sera fermée à l’opposition », dit Omar Belhouchet, le patron du quotidien francophone El Watan, dont les ressources publicitaires se sont taries à la suite du boycott des grands annonceurs. Le journal avait eu le tort de ne pas soutenir Abdelaziz Bouteflika lors de la dernière présidentielle, une élection au résultat pourtant couru d’avance. Il a vu également son nouveau siège mis sous scellés par la justice.
Le silence est réclamé dans les rangs mais il vient d’en haut. Grand orateur, Abdelaziz Bouteflika avait tissé un lien unique avec son peuple par la magie du verbe. Cette relation est aujourd’hui définitivement rompue. Le reclus de Zéralda n’a pas parlé directement à ses conci- toyens depuis cinq ans. Quant à sa dernière apparition en public, elle remonte aux élections municipales de novembre, marquées par un taux d’abstention record.
Durant les campagnes électorales législatives et locales de 2017, des vidéos de youtubeurs ont défrayé la chronique. Leur succès viral marque le gouffre qui sépare la jeunesse de ses dirigeants. Les clips sont signés Anis Tina, DZ Joker ou Kamel Labiad. Affichant des millions de vus sur les réseaux sociaux, elles témoignent de la persistance d’un esprit transgressif typiquement algérien.
Dans une parodie de film de zombies, qu’il a intitulé La Takon
Chiyyat« («Ne sois pas un cireur de pompes ) - https://www.youtube.com/channel/UCorNxrIT-eB9yt Y1UdbHfgA -, Kamel Labiad montre une berline qui roule dans la nuit et le brouillard. Saïd Bouteflika conduit, le président est assis à l’arrière. Il est reconnaissable à ses yeux qui s’allument à la manière d’un robot. Sur la plaque du véhicule, il est écrit « Il ne meurt pas ». Des chiyyatine (brosseurs de chaussures) portant le masque de personnalités connues pour être des serviteurs zélés du président courent derrière lui sur une route. Elle mène vers un fort appelé «la ferme de Bouteflika et de sa famille ».
La suite........
Face à un président malade, qui s’accroche au pouvoir depuis plus de dix-huit ans, la jeunesse crie son désespoir et tente de s’inventer un avenir.
Bouteflika n’a pas parlé directement à ses concitoyens depuis cinq ans.
Jamais un chef d’État n’avait régné aussi longtemps sur l’Algérie. Avant lui, Houari Boumediene détenait le record de longévité avec treize années d’exercice du pouvoir. Le raïs était mort dans une aura de mystère. Son décès à l’issue d’une longue période de coma fut annoncé le 27 décembre 1978. Le surlendemain, un petit homme en manteau noir, un certain Abdelaziz Bouteflika, alors inamovible ministre des Affaires étrangères et héraut du tiers-mondisme, prononça son oraison funèbre au cimetière d’Elia, près d’Alger. Il fut évincé de la succession par les hauts dignitaires du régime et condamné à une interminable traversée du désert avant d’être rappelé par le «cercle des décideurs» pour remporter l’élection présidentielle de 1999. L’Algérie émergeait d’une sanglante guerre civile entre le régime et les islamistes, sorte de répétition générale du chaos dans lequel a glissé une partie du monde arabe.
Abdelaziz Bouteflika règne sur un peuple à la fois turbulent et soumis depuis maintenant dix-huit ans et sept mois. Le temps pour une génération de grandir tandis que son président se recroqueville. Dans un pays où le pouvoir est opaque, le président est devenu une ombre. Âgé de 80 ans, il est impotent depuis son hospitalisation en urgence au Val de Grâce, à Paris, en 2013, pour un AVC.
Le chef de l’État a déserté le palais d’el-Mouradia, situé sur les hauteurs d’Alger. Ses passages au siège de la présidence se comptent sur les doigts d’une main depuis le début de l’année. Abdelaziz Bouteflika y vient par obligation constitutionnelle pour des Conseils des ministres. Quelques images filtrées par le service de communication de la présidence sont à chaque fois diffusées dans les journaux des chaînes de télévision. Les plans durent à peine quelques secondes. Ils donnent lieu à d’interminables exégètes. «Il a tourné la tête, il est capable de parapher et a même réussi à applaudir des deux mains malgré son bras paralysé », constate l’un en spéculant sur les progrès de son état de santé. « Il parcourait un texte alors qu’il ne peut pas lire sans lunettes », déplore un sceptique. Son visage est passé au crible.
Son regard peut être, selon les séquences, absent ou perçant. Son teint est cireux. Et ses traits toujours figés. « Ces mises en scène sont destinées à rassurer la population et à montrer que le pouvoir n’est pas vacant», décrypte un ancien ministre peu convaincu qu’elles atteignent leurs buts. « La maladie a évidemment des conséquences sur le fonctionnement de l’État, qui est comme lui, à moitié paralysé. Un Conseil des ministres se tient pour préserver les formes et valider, par exemple, la loi de finances, mais les institutions sont bloquées. Les décisions se prennent ailleurs», poursuit-il.
Terrasse sur la mer
Cet ailleurs se situe dans une résidence médicalisée de Zéralda, une ville balnéaire du fond de la baie de Sidi Fredj, où débarqua l’expédition française de 1830. Prononcer le nom de Zéralda, c’est ouvrir la boîte à fantasmes. Le président passerait ses journées sans agenda dans sa chaise roulante derrière de hauts murs sous la surveillance d’un staff de médecins chinois et français tandis que son jeune frère, Saïd, fidèle parmi les fidèles, gérerait les affaires de l’État dans un bureau plongé dans la pénombre.
Une autoroute embouteillée relie la capitale au centre déplacé du pouvoir. À l’entrée de Zéralda, une route s’enfonce à gauche dans une forêt de pins, de chênes verts et de palmiers. À droite, un chemin interdit à la circulation aboutit à un ancien centre de repos avec piscine et courts de tennis pour cadres supérieurs de la Sonatrach, la société nationale d’hydrocarbures sur laquelle repose l’économie du pays. Abdelaziz Bouteflika demeure dans le bâtiment central, un immeuble cossu à défaut d’être luxueux. Au premier étage sont installées des cuisines, des salles à manger et de réunions. De la terrasse, on voit au loin la mer tandis que dans le ciel des aigrettes volent en escadrille. Au rez-de-chaussée, les murs sont tapissés de piètres reproductions de tableaux orientalistes.
Quand il le peut, Abdelaziz Bouteflika reçoit ses visiteurs internationaux derrière la porte d’une antichambre fermée aux curieux. Il s’exprime, d’une voix basse et rauque, à l’aide d’un micro-amplificateur portatif. Les invitations tombent au compte-gouttes. À la sortie de l’entretien, les hôtes déploient des trésors de créativité verbale pour trouver les mots appropriés. Le 6 décembre, Jean-Yves Le Drian, qui accompagnait Emmanuel Macron, a opté pour la sobriété. «Intellectuellement, il est parfaitement en forme», affirma-t-il sur France Inter, avant d’ajouter : « Il est plus fatigué mais bon, ça peut arriver à un certain âge. »
À Zéralda, le reclus vit entouré de son clan. Il y a autour du vieux malade sa soeur, Zhora, une ex-sagefemme qui le materne, et deux de ses frères, Abderrahim, dit Nacer, un discret haut fonctionnaire, et Saïd, le cadet. Le rôle de ce dernier est sujet à controverse. Ancien universitaire engagé dans la lutte syndicale puis conseiller spécial de son frère, Saïd Bouteflika est le véritable secrétaire général de la «République de Zéralda ». D’une loyauté absolue, il sert d’intendant et de courroie de transmission. Le déclin physique de son frère lui aurait permis de passer d’un rôle d’entremetteur à celui d’arbitre, mais sa marge de manoeuvre est inconnue. Sa réserve naturelle et son refus de s’ouvrir aux médias attisent les rumeurs. Pour ses plus virulents détracteurs, il est le noeud gordien d’un puissant réseau de corruption. Ses adversaires lui prêtent des ambitions présidentielles.
« Saïd est un vice-roi qui favorise ses amis. Il a la capacité de leur ouvrir la voie aux crédits et de les favoriser pour gagner les marchés publics mais la famille Bouteflika n’a plus besoin d’enrichissement personnel. C’est déjà fait ! Quant au choix du successeur, il a toujours reposé dans le système algérien, où militaires et oligarques s’imbriquent sur un consensus dénué jusqu’à ce jour de pulsions dynastiques », tranche un familier du sérail. Alors, en attendant, qui gouverne? La «République de Zéralda » sans nul doute. Le premier ministre, Ahmed Ouyahia, et le général Gaït Salah, chef d’état-major des Armées, qui doit sa promotion au président, figurent en bonne place parmi les visiteurs de l’établissement. La mise à la retraite en 2015 par le président du général Mohamed Mediene, dit Toufik, le tout-puissant chef du DRS (Département du renseignement et de la sécurité, les services secrets) pendant des décennies, a mis fin à d’incessants tiraillements. La santé chancelante du président a figé le statu quo. Bien que décapité, le DRS reste le disque dur de l’État et le centre d’analyse politique des militaires. Sa machinerie bien huilée fait tourner le régime.
Vidéos parodiques
L’invisibilité d’Abdelaziz Bouteflika a en fait ajouté un rideau de fumée supplémentaire au pouvoir. Observateur scrupuleux et lucide du régime, l’écrivain Kamel Daoud résume dans un récent billet la situation en une formule : en Algérie, «le pouvoir est clandestin par définition ou par fantasme collectif ». On pourrait également appliquer au pays la formule de Winston Churchill qui comparait, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique à « un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme ».
Si elle présente l’avantage de cuirasser le pouvoir, l’opacité a l’inconvénient d’ankyloser une administration kafkaïenne par nature. «Beaucoup de décisions ne sont pas prises par peur de déplaire et de payer ensuite les pots cassés. Ces blocages font de l’Algérie un royaume immobile où rien ne bouge, en apparence », confie un haut fonctionnaire.
Fermé comme une huître, le régime se crispe. Il interdit les manifestations de rue et a mis les médias sous cloche. Enfermé dans une bulle souverainiste, le pays s’enfonce dans la crise sociale. L’État n’a pas anticipé la baisse des prix du pétrole et rafistole les brèches plutôt que de poser les véritables bases d’une nouvelle économie sortie du tout pétrole. Les biens consommés proviennent toujours, malgré des ajustements, à plus de 80 % des importations. La monnaie s’effondre, l’inflation galope, le pouvoir d’achat est en berne, mais ses habitants ne risquent pas de se révolter. «Le pouvoir joue de la peur de l’inconnu et du basculement de la Libye, de la Syrie et du Yémen dans la violence. La télévision nationale a diffusé pour le 20e anniversaire du massacre de Benthala (environ 400 civils tués par le Groupe islamique armé pendant la guerre civile) des images inédites de celle qui fut la tuerie emblématique de la décennie noire. Elles ont été interprétées comme un message adressé aux Algériens : taisez-vous, sinon vous aurez ça. »
Les gens préfèrent manger du pain et des oignons plutôt que de tenter le diable. Quant à la succession, «elle sera fermée à l’opposition », dit Omar Belhouchet, le patron du quotidien francophone El Watan, dont les ressources publicitaires se sont taries à la suite du boycott des grands annonceurs. Le journal avait eu le tort de ne pas soutenir Abdelaziz Bouteflika lors de la dernière présidentielle, une élection au résultat pourtant couru d’avance. Il a vu également son nouveau siège mis sous scellés par la justice.
Le silence est réclamé dans les rangs mais il vient d’en haut. Grand orateur, Abdelaziz Bouteflika avait tissé un lien unique avec son peuple par la magie du verbe. Cette relation est aujourd’hui définitivement rompue. Le reclus de Zéralda n’a pas parlé directement à ses conci- toyens depuis cinq ans. Quant à sa dernière apparition en public, elle remonte aux élections municipales de novembre, marquées par un taux d’abstention record.
Durant les campagnes électorales législatives et locales de 2017, des vidéos de youtubeurs ont défrayé la chronique. Leur succès viral marque le gouffre qui sépare la jeunesse de ses dirigeants. Les clips sont signés Anis Tina, DZ Joker ou Kamel Labiad. Affichant des millions de vus sur les réseaux sociaux, elles témoignent de la persistance d’un esprit transgressif typiquement algérien.
Dans une parodie de film de zombies, qu’il a intitulé La Takon
Chiyyat« («Ne sois pas un cireur de pompes ) - https://www.youtube.com/channel/UCorNxrIT-eB9yt Y1UdbHfgA -, Kamel Labiad montre une berline qui roule dans la nuit et le brouillard. Saïd Bouteflika conduit, le président est assis à l’arrière. Il est reconnaissable à ses yeux qui s’allument à la manière d’un robot. Sur la plaque du véhicule, il est écrit « Il ne meurt pas ». Des chiyyatine (brosseurs de chaussures) portant le masque de personnalités connues pour être des serviteurs zélés du président courent derrière lui sur une route. Elle mène vers un fort appelé «la ferme de Bouteflika et de sa famille ».
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