«Heureusement que Khalifa ne sait pas parler»
par Kamel Daoud
Et si Khalifa savait parler ? Et si au lieu de cet élevage de papillons qui lui sert généralement de réponses lors des interviews, il était capable de répondre correctement, de désigner avec le doigt des illustrations sur un cahier de classe, de donner des noms ? Que serait-il advenu du pays si Khalifa maîtrisait la conjugaison et au moins une langue encore vivante ? Quelles têtes auraient pu être décapitées si Khalifa n’avait pas le niveau oral d’un sac d’argent vide ? On peine déjà à se l’imaginer. Si les vrais clients de cet homme à piles pouvaient espérer un miracle de dernière minute, ils l’ont finalement eu dès les premiers jours où ce londonien provisoire a accepté de parler aux caméras comme d’autres ont proposé de parler à l’avion pour sauver des otages.
Pour une fois encore, c’est un échec scolaire précoce, une incapacité linguistique et une impuissance étonnante à bâtir un discours clair qui ont sauvé une partie de l’Algérie de l’autre partie qui veut quand même savoir. C’est peut-être même cette incapacité à se faire comprendre de ses interlocuteurs qui a le mieux servi Rafik Khalifa face à ceux qui ont conclu que justement il a tout compris puisqu’il ne dit rien de sensé et de décryptable. L’homme n’est pas seulement une énigme politique et un mystère financier, mais surtout un paradoxe mécanique puisque l’homme ne semble pouvoir rien dire de logique que lorsqu’on y glisse des pièces de monnaie.
Cette impuissance faramineuse à répondre sauf sur le mode binaire est donc ce qui sauve beaucoup de gens qui savent désormais que mis à part quelques phrases qui lui servent à commander des repas ou à se faire comprendre par les siens, l’homme ne peut rien dire, ne peut pas témoigner, ne peut pas être pris au sérieux, ne peut pas être palpé parce qu’il est une projection et ne peut pas constituer une menace parce que personne de sensé ne peut croire que c’est lui Khalifa. Du coup, et dans la suite logique de ces borborygmes qu’il a accordés à El Jazeera et à d’autres, les autres peuvent se présenter au tribunal de Blida, lancer des phrases sans conséquences sur le réel comme le « j’assume » historique et le « je n’ai pas été intelligent » époustouflant ou le « je n’ai rien vu, rien entendu et rien pu faire » révolutionnaire.
A la fin du raisonnement, on peut même se demander si cet homme n’est pas retenu par les Anglais rien que pour des raisons linguistiques et ce qu’aurait pu être la guerre de libération si c’était lui qui avait rédigé l’appel du 1er Novembre ou ce qu’aurait pu être l’avenir de l’ENTV si Khalifa avait été élu président de la République dans un pays bâti sur la capacité à produire des discours de plus en plus longs. On peut même s’imaginer la raison profonde qui a poussé cet homme mystérieux à mettre son nom sur les avions, les télés, les stars, les maillots de joueurs, les trains, les médicaments, les équipes sportives, les tricots de peau de certains dirigeants du pays: peut-être en effet qu’incapable de discourir et d’écrire, cet homme ne pouvait déchiffrer que son propre nom, ce qui l’aurait poussé à le mettre un peu partout et là où il le pouvait et à le faire répéter comme une signature par tous ceux qu’il a rencontrés, nourris ou employés.
Le Quotidien d'Oran
par Kamel Daoud
Et si Khalifa savait parler ? Et si au lieu de cet élevage de papillons qui lui sert généralement de réponses lors des interviews, il était capable de répondre correctement, de désigner avec le doigt des illustrations sur un cahier de classe, de donner des noms ? Que serait-il advenu du pays si Khalifa maîtrisait la conjugaison et au moins une langue encore vivante ? Quelles têtes auraient pu être décapitées si Khalifa n’avait pas le niveau oral d’un sac d’argent vide ? On peine déjà à se l’imaginer. Si les vrais clients de cet homme à piles pouvaient espérer un miracle de dernière minute, ils l’ont finalement eu dès les premiers jours où ce londonien provisoire a accepté de parler aux caméras comme d’autres ont proposé de parler à l’avion pour sauver des otages.
Pour une fois encore, c’est un échec scolaire précoce, une incapacité linguistique et une impuissance étonnante à bâtir un discours clair qui ont sauvé une partie de l’Algérie de l’autre partie qui veut quand même savoir. C’est peut-être même cette incapacité à se faire comprendre de ses interlocuteurs qui a le mieux servi Rafik Khalifa face à ceux qui ont conclu que justement il a tout compris puisqu’il ne dit rien de sensé et de décryptable. L’homme n’est pas seulement une énigme politique et un mystère financier, mais surtout un paradoxe mécanique puisque l’homme ne semble pouvoir rien dire de logique que lorsqu’on y glisse des pièces de monnaie.
Cette impuissance faramineuse à répondre sauf sur le mode binaire est donc ce qui sauve beaucoup de gens qui savent désormais que mis à part quelques phrases qui lui servent à commander des repas ou à se faire comprendre par les siens, l’homme ne peut rien dire, ne peut pas témoigner, ne peut pas être pris au sérieux, ne peut pas être palpé parce qu’il est une projection et ne peut pas constituer une menace parce que personne de sensé ne peut croire que c’est lui Khalifa. Du coup, et dans la suite logique de ces borborygmes qu’il a accordés à El Jazeera et à d’autres, les autres peuvent se présenter au tribunal de Blida, lancer des phrases sans conséquences sur le réel comme le « j’assume » historique et le « je n’ai pas été intelligent » époustouflant ou le « je n’ai rien vu, rien entendu et rien pu faire » révolutionnaire.
A la fin du raisonnement, on peut même se demander si cet homme n’est pas retenu par les Anglais rien que pour des raisons linguistiques et ce qu’aurait pu être la guerre de libération si c’était lui qui avait rédigé l’appel du 1er Novembre ou ce qu’aurait pu être l’avenir de l’ENTV si Khalifa avait été élu président de la République dans un pays bâti sur la capacité à produire des discours de plus en plus longs. On peut même s’imaginer la raison profonde qui a poussé cet homme mystérieux à mettre son nom sur les avions, les télés, les stars, les maillots de joueurs, les trains, les médicaments, les équipes sportives, les tricots de peau de certains dirigeants du pays: peut-être en effet qu’incapable de discourir et d’écrire, cet homme ne pouvait déchiffrer que son propre nom, ce qui l’aurait poussé à le mettre un peu partout et là où il le pouvait et à le faire répéter comme une signature par tous ceux qu’il a rencontrés, nourris ou employés.
Le Quotidien d'Oran
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