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Djihad: Sanâbil, un réseau sulfureux lié à plusieurs attentats terroristes

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  • Djihad: Sanâbil, un réseau sulfureux lié à plusieurs attentats terroristes

    Le nom de cette association de soutien aux prisonniers musulmans, dissoute en novembre 2016, apparaît dans de nombreuses affaires de terrorisme. Enquête.
    A quelques encablures des rives de la Seine, le petit pavillon couvert de lierre se niche dans une rue paisible d'Alfortville (Val-de-Marne). Ce matin ensoleillé de juin, une locataire, récemment installée au rez-de-chaussée, explique n'avoir "jamais croisé" les membres de l'association qui, jusqu'en novembre 2016, occupaient le premier étage.

    Plusieurs voisins de ce quartier résidentiel se souviennent, eux, des allées et venues de femmes entièrement voilées d'un niqab ne laissant apparaître que les yeux. "Elles étaient toujours accompagnées par un homme, rapporte un riverain. Elles étaient très discrètes et n'avaient aucun contact avec les autres habitants."

    Ces silhouettes, tout de noir vêtues, étaient celles d'épouses de prisonniers, hébergées par une association d'aide aux détenus musulmans, à l'occasion de leurs visites dans les centres de détention d'Ile-de-France. Une vingtaine de kilomètres plus à l'est, dans la zone d'activité de Noisiel (Seine-et-Marne), il ne reste rien non plus de l'ancien siège de cette association: la Fraternité musulmane Sanâbil (Epis de blé).

    Le réseau a-t-il servi d'incubateur pour les candidats au djihad?

    Et pour cause: le 23 novembre 2016, en Conseil des ministres, Sanâbil a fait l'objet d'un décret de dissolution. Une mesure rare, qui permet de neutraliser des groupes incitant à la haine ou à l'action violente. Le décret stipule que, "sous couvert d'un soutien matériel dispensé à des détenus de droit commun ainsi qu'à leur famille", cette association contribue à "la radicalisation de ces derniers durant leur séjour carcéral et à les rallier à la cause djihadiste".

    A ce jour, quatre membres de l'association -l'ex-président, l'ex-trésorier, l'ancienne responsable du pavillon des femmes, ainsi que l'organisateur du pique-nique annuel de sensibilisation- sont toujours assignés à résidence dans le cadre de l'état d'urgence. Pourtant, aucun d'entre eux n'est visé par des poursuites.

    Alors, quelle menace représente Sanâbil? Cette structure est accusée d'avoir été un vecteur de radicalisation pour les détenus qu'elle visitait et aidait financièrement. Et d'avoir établi des connexions entre des prisonniers condamnés pour des faits de terrorisme et des jeunes adeptes de l'islamisme radical, voire des djihadistes engagés sous la bannière du groupe Etat islamique.

    "Cette association a eu une propension à soutenir les détenus les plus extrémistes, relève Jean-Charles Brisard, président du Centre d'analyse du terrorisme. Le nom de Sanâbil n'apparaît qu'en périphérie des dossiers judiciaires, mais à une fréquence telle que l'on peut se demander si elle n'a pas servi d''incubateur" pour des candidats au djihad."

    De fait, la liste des fondateurs de Sanâbil, de leurs proches et des détenus aidés ressemble à un trombinoscope de la mouvance prodjihad enracinée en France depuis plus de vingt ans. Du soutien aux responsables des attentats du GIA algérien, en 1995, jusqu'à l'abandon d'une voiture chargée de bonbonnes de gaz près de Notre-Dame de Paris, en septembre 2016, en passant par l'assassinat de deux policiers à Magnanville (Yvelines), en juin de la même année, le nom de Sanâbil résonne comme une ritournelle.

    Une vingtaine de proches ont rejoint la zone irako-syrienne

    L'Express peut apporter des informations inédites sur le parcours de certains acteurs de ce théâtre d'ombres. En tout, une vingtaine de personnes, liées à l'association ou gravitant dans son entourage immédiat, ont rejoint la zone irako-syrienne. Certains sont soupçonnés d'y avoir participé à des crimes de guerre. D'autres sont les mentors d'auteurs de tueries et d'attentats en France.

    L'association Sanâbil est fondée le 21 février 2010 par deux convertis à l'islam. Le premier, Antho Bolamba-Digbo, 39 ans aujourd'hui, d'origine zaïroise, technicien en informatique, est le président. Le second, Leonard Lopez, 31 ans, devient le trésorier. Connu sous le pseudonyme d'Abou Ibrahim al-Andalousy, il part en Syrie en 2015, avec femme et enfants. En fait, l'association, dont l'objet est d'apporter "un soutien moral, spirituel et financier" aux "détenus musulmans", est l'émanation d'Ansar al-Haqq ("Partisans de la Vérité"), un site Internet et un forum prodjihadistes créés en 2007.

    Parmi les administrateurs et contributeurs du forum -interdit en 2012-, on trouve déjà Lopez et Bolamba- Digbo. Ce dernier y intervient en tant que "modérateur", sous le pseudo "Hittin": un village de Palestine où, en 1187, l'armée de Saladin remporte une victoire décisive sur les croisés pour la reconquête de Jérusalem...

    Parmi les membres d'Ansar al-Haqq figure, entre autres, Adrien Guihal. Arrêté en 2008 pour avoir planifié un attentat contre des locaux des renseignements généraux, Guihal a rejoint les rangs de Daech en février 2015. L'année dernière, il a revendiqué via Internet le double assassinat de Magnanville et le meurtre du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016. Surtout, parmi ces "partisans de la Vérité", on retrouve Jean-Michel et Fabien Clain. Ces deux frères, dont le nom apparaît dans de multiples procédures judiciaires, comptent aujourd'hui parmi les Français les plus "célèbres" de Daech. Ils ont revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 dans un message audio en français.

    Antho Bolamba-Digbo, alias Bilal, et les frères Clain ont fait connaissance en 2005, au Caire, alors qu'ils fréquentaient un institut salafiste. Quand les deux frères sont arrêtés, à la fin des années 2000, pour leur implication dans la filière djihadiste dite d'Artigat (Ariège), Bolamba est entendu par les enquêteurs, puis relâché. A cette occasion, il reconnaît avoir des liens personnels avec Fabien Clain, mais dans "un cadre privé".

    Le tueur du Musée juif de Bruxelles, celui de Hyper Casher...

    Dès qu'elle voit le jour, Sanâbil attire l'attention des services antiterroristes. Cela d'autant plus qu'au fil des années elle apporte son soutien à plus de 80 personnes condamnées ou en détention provisoire pour terrorisme, sur les quelque 700 prisonniers qu'elle affirme aider. Parmi les détenus que Sanâbil visite ou aide à cantiner, on retrouve l'inévitable Fabien Clain.

    De même, Lionel Dumont, ancien des filières bosniaques et du gang djihadiste de Roubaix (1996). Mais aussi Djamel Beghal, lié à Al-Qaeda et mentor de Chérif Kouachi, l'un des tueurs de Charlie Hebdo. Ou bien encore Sabri Essid, "demi-frère par alliance" de Mohammed Merah, qui apparaîtra en 2015 dans une vidéo où on le voit menacer, en français, la communauté juive avant qu'un garçonnet n'exécute d'une balle dans la tête un homme présenté comme un espion israélien.

    L'année précédente, Antho Bolamba était venu attendre Sabri Essid à sa sortie de prison. Mehdi Nemmouche, le tueur du Musée juif de Belgique à Bruxelles, en mai 2014, premier attentat revendiqué par Daech en Europe? Il avait précédemment bénéficié à deux reprises de courriers et de conseils de Sanâbil, en 2011. A sa libération, en 2012, un ex-détenu Sanâbil était, là encore, venu l'accueillir, à Toulon. Autre rapprochement troublant: en août 2014, Amedy Coulibaly, le tueur de l'Hyper Casher quelques mois plus tard, et sa compagne, Hayat Boumeddiene, participent au pique-nique de l'association. La liste n'est pas exhaustive.

    "Les prisonniers condamnés ou en détention pour terrorisme sont placés à l'isolement. Ils sont les plus demandeurs d'un soutien moral ou d'un pécule de 50 euros qui leur permette de cantiner", rétorque Bruno Vinay, l'avocat de Sanâbil. Ce fin connaisseur des affaires de terrorisme ajoute: "Dans cette histoire, les autorités raisonnent à l'envers: on fait porter à cette association la responsabilité d'actes individuels de certains de ces bénéficiaires. On la dissout de manière préventive, alors qu'aucune violence ou incitation impliquant ses membres n'a pu être démontrée."

    Dans les rangs de Daech, de nombreux proches de Sanâbil

    Il n'empêche: nombre de bénévoles, sympathisants ou ex-bénéficiaires de Sanâbil, parmi lesquels une forte proportion de convertis, ont basculé de manière irréversible: ils sont passés d'une vie régie par les préceptes ultrarigoristes du salafisme au djihad armé en zone irako-syrienne ou à la perpétration d'actes terroristes en France. Ainsi, Domenico G., issu d'une famille italienne, parti en Syrie en février 2015. A Villiers-sur-Marne, cet homme fréquentait la même mosquée qu'Antho Bolamba et Xavier D., 26 ans, salarié de Sanâbil entre avril 2014 et avril 2015. Ce dernier, qui ne fait l'objet d'aucune poursuite, est entendu par la police en avril 2016.

    Il reconnaît avoir fréquenté Domenico G. jusqu'en 2011, date à laquelle celui-ci se radicalise violemment. Un ami commun de Domenico et de Xavier explique aux enquêteurs que ce groupe de copains comprenait au moins quatre autres "frères" partis en Syrie. Parmi ceux-ci, Adrien Guihal -celui qui a depuis revendiqué au nom de Daech les tueries de Magnanville et de Saint-Etienne-du-Rouvray-, et Macrème Abrougui, djihadiste expérimenté tué par une frappe française, près de Raqqa, le 7 octobre 2016.

    Selon nos informations, deux autres anciens membres du bureau de Sanâbil ont rejoint les rangs de Daech: Yasmine H., 29 ans, et Damien W., 27 ans, parti avec femmes et enfants.

    Juste avant la fin de l'année 2016, Amine L., brillant interne en chirurgie à Marseille, est arrêté en Turquie. Agé de 30 ans, l'homme qui a adopté le pseudonyme d'"Al-Bistouri" sur les réseaux sociaux cherche à rallier la Syrie. Sur son téléphone portable, les policiers de la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) retrouvent le numéro d'un homme condamné en 2014 dans le procès d'une filière djihadiste. Les enquêteurs estiment que des individus appartenant aux milieux radicaux marseillais, dont un ou plusieurs ex-détenus Sanâbil, ont pu fournir à Amine L. le contact de ce prisonnier suspecté d'avoir galvanisé son "désir" de djihad.

    Le tueur de Magnanville soutenu par Sanâbil

    Deux autres affaires de terrorisme, survenues en France en 2016, entretiennent le doute sur la porosité entre le réseau de soutien et des auteurs d'attaques djihadistes. Ainsi, Larossi Abballa, le tueur des policiers de Magnanville, abattu par le Raid, avait bénéficié de l'aide de l'association. Entre mai 2011 et septembre 2013, il reçoit des lettres durant sa détention, après avoir été condamné pour son implication dans une filière d'acheminement de djihadistes vers le Pakistan.

    Après sa libération, Abballa écrit à son tour des courriers pour Sanâbil -"deux seulement, et il n'a jamais rencontré physiquement un membre de l'association", souligne maître Vinay. Cependant, il reste très attaché au réseau de soutien. Les 10 et 12 juin, la veille de commettre son double assassinat, Larossi Abballa, 25 ans, diffuse sur sa page Facebook des vidéos d'appel aux dons pour les détenus, à l'occasion du ramadan.

    Trois mois plus tard, un projet d'attentat échoue par miracle au coeur de Paris. Inès Madani, 19 ans, abandonne la voiture de son père à proximité de Notre-Dame. A bord, la police retrouve six bonbonnes de gaz, trois bouteilles d'essence et un chiffon brûlé, qui n'a pas suffi à déclencher l'explosion. L'action a été préparée par un étonnant commando féminin. Auditionnée par la section antiterroriste de la brigade criminelle, Madani explique qu'elle a "fréquenté Sanâbil, une association qui se trouve à Noisiel. On y écrivait des lettres aux détenus, pas seulement en France, mais un peu partout".

    Un hasard? Voire. Parmi les trois complices d'Inès Madani figure Sarah Hervouët, 23 ans, convertie l'année précédente. Interdite de sortie du territoire après avoir tenté de faire sa hijra, l'émigration vers la Syrie, Sarah cherchait l'âme soeur parmi les "frères" adeptes de Daech sur le sol français. Elle était promise à... Larossi Abballa. Après la mort de celui-ci, elle avait choisi d'épouser religieusement Mohamed Aberouz, frère d'un complice présumé de Larossi Abballa, détenu lui-même soutenu par Sanâbil. Un tout petit monde, décidément. **

    l'express fr
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