Plus de 200 personnes ont été arrêtées et des dizaines blessées lors d'une nouvelle nuit de troubles à travers la Tunisie, alimentés par une grogne sociale persistante et de récentes mesures d'austérité.
«Janvier doit être considéré comme un mois d’été en Tunisie tant les rues s’échauffent.» Le commentaire d’un internaute à propos des manifestations qui s’étendent depuis quelques jours à travers le pays rappelle irrésistiblement le début de l’année 2011. Faisant écho au célèbre mot d’ordre du «Printemps arabe» parti de Tunisie, «le peuple veut la chute du régime», les manifestants ont scandé cette fois «le peuple veut la chute du budget».
Sept ans après la chute du régime de Ben Ali, la contestation lancée la semaine dernière vise très précisément la hausse des prix et un budget d’austérité entré en vigueur le 1er janvier, prévoyant des augmentations d’impôts. Elle a dégénéré en émeutes dans la nuit de lundi à mardi, notamment à Tunis et à Tebourba, à l’ouest de la capitale, où des heurts ont éclaté après la mort d’un homme durant une manifestation. Plus de 200 personnes ont été arrêtées et des dizaines blessées lors d’une nouvelle nuit de troubles à travers la Tunisie, alimentés par une grogne sociale persistante.
«Aucune lumière au bout du tunnel»
«C’est l’expression du ras-le-bol généralisé de la jeunesse, des étudiants, des chômeurs face à leur marginalisation en raison de la mauvaise gestion des ressources du pays», explique Henda Chennaoui, l’une des porte-parole de la campagne «Fech Nestannew» («Qu’est-ce qu’on attend ?» en dialecte tunisien), qui a appelé à la protestation depuis le 3 janvier. La militante tunisoise de 34 ans, journaliste indépendante, jointe par téléphone, rappelle que des manifestations se produisent tous les ans depuis 2011 pour célébrer l’anniversaire de la révolution du jasmin. Si le mouvement a pris une telle ampleur cette année c’est parce que la majorité de la population est touchée par la crise économique, l’augmentation des prix et la chute continue du pouvoir d’achat. «Les gens ne voient aucune lumière au bout du tunnel et les promesses ne se concrétisent pas depuis sept ans», affirme Henda Chennaoui en insistant sur «le caractère pacifique d’un mouvement citoyen qui traduit l’impatience des jeunes Tunisiens d’avoir leur part de démocratie».
Les contestataires réclament une révision de la loi de finances, qui a augmenté la TVA et créé différentes autres taxes, ainsi qu’une meilleure couverture sociale pour les familles en difficulté et un plan de lutte contre la corruption. La «campagne» est totalement indépendante des partis politiques, assurent les militants de Fech Nestannew, même si l’opposition soutient les revendications de la société civile. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le puissant syndicat, n’a pas pris officiellement position puisque, en tant qu’acteur du dialogue national, il est le partenaire du gouvernement. Mais des sections et certains militants locaux ont adhéré à la protestation. Reconnaissant la légitimité des revendications de nombreux jeunes sans emploi, la centrale a appelé à «protester de manière pacifique pour ne pas être utilisé par des parties qui ne veulent pas le bien de notre expérience démocratique naissante.»
«Rien à perdre»
Face à cette nouvelle mobilisation des jeunes Tunisiens, «le gouvernement est revenu à ses vieux réflexes de traiter les manifestants de terroristes et de pilleurs», juge Henda Chennaoui. Les batailles font rage sur les réseaux sociaux massivement suivis par les Tunisiens. Aux campagnes de protestation, le ministère de l’Intérieur a répondu par un hashtag : «Ne détruis pas ton pays, la Tunisie a besoin de toi.» Pouvoir et contestataires s’accusent mutuellement des débordements de violence et des pillages des deux derniers jours. «Le terrorisme véritable est celui qui affame la population», dit un protestataire sur les réseaux sociaux.
«On n’a rien à perdre», répète Henda Chennaoui, comme les autres jeunes manifestants tunisiens, alors que les militants de la campagne «Fech Nestannew» ont appelé à manifester massivement vendredi à travers tout le pays.
Libération
10.01.18
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