Des musulmans demeurent très ébranlés, mais ils restent attachés à leur vie ici
« Quand j’entre dans la mosquée, je suis toujours sur mes gardes. Pendant la prière, s’il y a le moindre bruit, je sursaute », lance l’imam de la mosquée de la capitale, Mohamed Hafid. Le 29 janvier 2017, il était allé rejoindre un ami après la prière au Centre culturel islamique de Québec (CCIC). Les deux parlaient du dernier match de soccer de leur équipe favorite quand les premiers tirs ont retenti dans la salle.
Au sein de sa propre mosquée, il a constaté que certaines femmes ne venaient plus à la prière par peur. Lui-même a-t-il pensé à se retirer, voire à quitter Québec pour une autre ville ? « Non, répond-il. Ce serait donner raison aux extrémistes. Le fait de généraliser, c’est toujours injuste. Moi, j’ai beaucoup de plaisir à vivre ici. La majorité des gens, quelle que soit leur origine, veulent juste vivre et laisser vivre. »
À l’approche du triste anniversaire, le président du CCIQ, Mohamed Labidi, dit qu’il « essaie d’être positif ». L’entrevue se déroule dans la salle même où la tuerie a eu lieu. Il montre le petit coin et les poutres derrière lesquelles les gens se sont cachés. « Je suis partagé entre l’espoir et l’amertume. On n’est pas sortis du bois non plus. On vit toujours avec des messages haineux. »
Gestes de haine et excuses
L’année a été éprouvante pour les musulmans de Québec : référendum sur le cimetière à Saint-Apollinaire, montée de La Meute et d’autres groupuscules de la droite identitaire, débat entourant la consultation sur le racisme systémique, fausse nouvelle de TVA voulant que les dirigeants d’une mosquée aient demandé l’exclusion des femmes d’un chantier de construction…
Sans compter que, le 6 août dernier, la voiture de M. Labidi a été incendiée. Après cela, sa famille lui a demandé d’être moins présent dans les médias et les membres du CCIQ ont exigé qu’on les protège davantage. « Ils ont peur. On a ajouté plusieurs mesures de sécurité autour de la mosquée et, toujours, ils demandent plus. »
Malgré tout, quand on lui demande comment il voit l’avenir des relations entre musulmans et non-musulmans au Québec, il dit que c’est une relation qui « va de plus en plus vers le bon sens, la compréhension et tout ça ».
À l’épicerie Amine, dans le quartier Saint-Roch, l’épouse du propriétaire, Saliha Khalfi, raconte qu’elle s’est fait intimider par des clients l’été dernier. Une femme lui criait de rentrer dans son pays alors qu’un homme mimait les tirs d’un fusil avec sa main. « J’ai eu très peur, surtout que j’étais enceinte. » Or, souligne-t-elle, « c’est une Québécoise » qui passait par là qui est venue à son aide. « Elle a appelé la police et a commencé à crier dans le téléphone pour les presser de venir vite. »
Mme Khalfi dit avoir reçu beaucoup de témoignages de solidarité après la tuerie au CCIQ. « Des hommes sont arrivés ici, des larmes dans les yeux, et ils nous ont dit : “Excusez-nous.” Les gens veulent nous rassurer, nous disent qu’on est les bienvenus. Qu’on est tous des soeurs et des frères. »
D’autres sont plus pessimistes, comme Rachid Raffa, un analyste du ministère des Transports d’origine algérienne qui vit au Québec depuis 1975 et qui a notamment cofondé le Centre culturel islamique de Québec.
Cet intellectuel a l’impression que les élites ont minimisé ce qui s’est produit. « Tout a été fait pour occulter le fait que c’était un acte terroriste », dit-il en référence à la décision des procureurs de ne pas porter d’accusation de terrorisme contre Alexandre Bissonnette. « La symbolique d’accusation de crimes haineux et d’actes terroristes est éminemment importante. »
En avril dernier, il s’est rendu en Algérie sur la tombe des deux victimes qui étaient ses compatriotes. « Je suis encore plus inquiet que par le passé parce que ces deux tombes que j’ai visitées m’obsèdent. Je me suis dit : ils sont morts pour rien. »
Les proches se terrent
Les familles, elles, se font discrètes. À l’approche de la commémoration de la tuerie, les demandes de médias affluent de partout. « Elles n’en peuvent plus », concède le porte-parole du CCIQ, Boufeldja Benabdallah.
Rencontrée à son épicerie sur le chemin Sainte-Foy, la veuve d’Azzedine Soufiane a préféré nous diriger vers les porte-parole officiels. À l’intérieur de son commerce, les employés travaillaient dans la bonne humeur. Seul un tee-shirt noir, derrière la caisse, rappelait le drame. « Non à l’islamophobie. En solidarité avec les victimes du 29 janvier. »
Le Devoir a aussi pu prendre des nouvelles des familles des deux victimes d’origine guinéenne. « Elles vont bien. Elles font leur deuil tranquillement, mais dans l’ensemble, c’est le quotidien qui reprend, dit le porte-parole Souleymane Bah. Ça va, on se motive entre nous. On est chez nous au Québec. » Pendant que les familles pansent leurs plaies, les représentants de la mosquée, eux, donnent des entrevues.
« J’ai des engourdissements au bras tellement on parle à la presse ! » lance à la blague M. Benabdallah. En plus des médias locaux qui veulent tous souligner le triste anniversaire, le CCIQ reçoit des demandes de documentaristes, de chercheurs. Est-ce trop ? Est-ce excessif ? « Non ! Au contraire. C’est le signe d’un intérêt, c’est une pédagogie pour nous et pour la société. »
le Devoir
« Quand j’entre dans la mosquée, je suis toujours sur mes gardes. Pendant la prière, s’il y a le moindre bruit, je sursaute », lance l’imam de la mosquée de la capitale, Mohamed Hafid. Le 29 janvier 2017, il était allé rejoindre un ami après la prière au Centre culturel islamique de Québec (CCIC). Les deux parlaient du dernier match de soccer de leur équipe favorite quand les premiers tirs ont retenti dans la salle.
Au sein de sa propre mosquée, il a constaté que certaines femmes ne venaient plus à la prière par peur. Lui-même a-t-il pensé à se retirer, voire à quitter Québec pour une autre ville ? « Non, répond-il. Ce serait donner raison aux extrémistes. Le fait de généraliser, c’est toujours injuste. Moi, j’ai beaucoup de plaisir à vivre ici. La majorité des gens, quelle que soit leur origine, veulent juste vivre et laisser vivre. »
À l’approche du triste anniversaire, le président du CCIQ, Mohamed Labidi, dit qu’il « essaie d’être positif ». L’entrevue se déroule dans la salle même où la tuerie a eu lieu. Il montre le petit coin et les poutres derrière lesquelles les gens se sont cachés. « Je suis partagé entre l’espoir et l’amertume. On n’est pas sortis du bois non plus. On vit toujours avec des messages haineux. »
Gestes de haine et excuses
L’année a été éprouvante pour les musulmans de Québec : référendum sur le cimetière à Saint-Apollinaire, montée de La Meute et d’autres groupuscules de la droite identitaire, débat entourant la consultation sur le racisme systémique, fausse nouvelle de TVA voulant que les dirigeants d’une mosquée aient demandé l’exclusion des femmes d’un chantier de construction…
Sans compter que, le 6 août dernier, la voiture de M. Labidi a été incendiée. Après cela, sa famille lui a demandé d’être moins présent dans les médias et les membres du CCIQ ont exigé qu’on les protège davantage. « Ils ont peur. On a ajouté plusieurs mesures de sécurité autour de la mosquée et, toujours, ils demandent plus. »
Malgré tout, quand on lui demande comment il voit l’avenir des relations entre musulmans et non-musulmans au Québec, il dit que c’est une relation qui « va de plus en plus vers le bon sens, la compréhension et tout ça ».
À l’épicerie Amine, dans le quartier Saint-Roch, l’épouse du propriétaire, Saliha Khalfi, raconte qu’elle s’est fait intimider par des clients l’été dernier. Une femme lui criait de rentrer dans son pays alors qu’un homme mimait les tirs d’un fusil avec sa main. « J’ai eu très peur, surtout que j’étais enceinte. » Or, souligne-t-elle, « c’est une Québécoise » qui passait par là qui est venue à son aide. « Elle a appelé la police et a commencé à crier dans le téléphone pour les presser de venir vite. »
Mme Khalfi dit avoir reçu beaucoup de témoignages de solidarité après la tuerie au CCIQ. « Des hommes sont arrivés ici, des larmes dans les yeux, et ils nous ont dit : “Excusez-nous.” Les gens veulent nous rassurer, nous disent qu’on est les bienvenus. Qu’on est tous des soeurs et des frères. »
D’autres sont plus pessimistes, comme Rachid Raffa, un analyste du ministère des Transports d’origine algérienne qui vit au Québec depuis 1975 et qui a notamment cofondé le Centre culturel islamique de Québec.
Cet intellectuel a l’impression que les élites ont minimisé ce qui s’est produit. « Tout a été fait pour occulter le fait que c’était un acte terroriste », dit-il en référence à la décision des procureurs de ne pas porter d’accusation de terrorisme contre Alexandre Bissonnette. « La symbolique d’accusation de crimes haineux et d’actes terroristes est éminemment importante. »
En avril dernier, il s’est rendu en Algérie sur la tombe des deux victimes qui étaient ses compatriotes. « Je suis encore plus inquiet que par le passé parce que ces deux tombes que j’ai visitées m’obsèdent. Je me suis dit : ils sont morts pour rien. »
Les proches se terrent
Les familles, elles, se font discrètes. À l’approche de la commémoration de la tuerie, les demandes de médias affluent de partout. « Elles n’en peuvent plus », concède le porte-parole du CCIQ, Boufeldja Benabdallah.
Rencontrée à son épicerie sur le chemin Sainte-Foy, la veuve d’Azzedine Soufiane a préféré nous diriger vers les porte-parole officiels. À l’intérieur de son commerce, les employés travaillaient dans la bonne humeur. Seul un tee-shirt noir, derrière la caisse, rappelait le drame. « Non à l’islamophobie. En solidarité avec les victimes du 29 janvier. »
Le Devoir a aussi pu prendre des nouvelles des familles des deux victimes d’origine guinéenne. « Elles vont bien. Elles font leur deuil tranquillement, mais dans l’ensemble, c’est le quotidien qui reprend, dit le porte-parole Souleymane Bah. Ça va, on se motive entre nous. On est chez nous au Québec. » Pendant que les familles pansent leurs plaies, les représentants de la mosquée, eux, donnent des entrevues.
« J’ai des engourdissements au bras tellement on parle à la presse ! » lance à la blague M. Benabdallah. En plus des médias locaux qui veulent tous souligner le triste anniversaire, le CCIQ reçoit des demandes de documentaristes, de chercheurs. Est-ce trop ? Est-ce excessif ? « Non ! Au contraire. C’est le signe d’un intérêt, c’est une pédagogie pour nous et pour la société. »
le Devoir
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