Par Adrien Mugnier
Il y a environ une quinzaine d’années, l’intérêt grandissant pour l’Arctique a donné lieu à des annonces scientifiques préoccupantes sur l’abondance présumée de ressources naturelles, dans un monde en perpétuelle recherche de nouvelles zones à exploiter. Cette nouvelle course pour la souveraineté de l’Arctique a mené les grandes nations frontalières à produire une stratégie pour le Pôle nord. Dans ce domaine, la Chine est fréquemment appelée « le dragon des neiges ». Elle ne dispose pas d’accès direct à cette région du monde, et ne possède pas de base légale lui permettant de formuler des revendications. Pékin a adopté une attitude très prudente et en apparence passive. Le réchauffement climatique modifie les possibilités de navigation sur les routes du nord, ouvrant du même coup des intérêts géostratégiques et géoéconomiques alléchants pour l’empire du milieu. Cet usage futur des passages dans le grand nord, concerne aussi l’Asie du Nord-Est avec le Japon et la Corée du Sud.
La Chine nous intéresse car elle incarne le futur florissant de l’économie mondiale, l’investissement massif dans les grands projets commerciaux, comme l’initiative « la ceinture et la route » (Belt and Road), lancée en 2013. La Chine avance discrètement ses pions soulignait Mikaa Mered dans un entretien pour GéoStratégia. Par-là même, il indique que l’ambition chinoise se matérialise rapidement, sur plusieurs niveaux, afin de conquérir progressivement tous les leviers de domination dans la région. Le dernier événement en date est un investissement privé d’un montant de 43 milliards de dollars en Alaska, négocié lors de la visite du président américain à Pékin. Il s’agit du plus gros investissement dans cette région de l’Histoire, ce qui a poussé certains chercheurs norvégiens à dire que les Chinois se seraient d’ores et déjà rendus maîtres de l’Arctique.
Il s’agit de mieux comprendre les ambitions et l’utilisation dont souhaiterait en faire Pékin, avant d’analyser les multiples outils mis en œuvre depuis 2008, une date qui marque un tournant dans la recherche chinoises sur l‘arctique, d’une analyse plutôt axée sur les problématiques environnementales à une analyse économique et stratégique.
LA PRÉSENCE CHINOISE EN ARCTIQUE
Pour établir une présence, il existe divers moyens d’observations. Le premier serait constitué des moyens matériels utilisés par Pékin, dans l’étude des transformations techniques lors des expéditions chinoises en Arctique. Le second consiste à décrypter la position officielle de Pékin, qui se caractérise par la prudence et se retrouve dans son discours officiel -souvent éloigné des actions diplomatiques menées dans le grand Nord. A cette fin il est nécessaire de lire entre les lignes, d’observer les transformations des axes stratégiques et de décrypter des collaborations et actions diplomatiques, bien souvent non dénuées d’intérêts économiques.
DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE À LA PROSPECTION ÉCONOMIQUE
L’intérêt des dirigeants chinois pour les pôles n’est pas récent. C’est au début des années 80 que l’image du « Dragon des neiges » prend forme, avec le lancement de l’Administration indépendante pour l’Arctique et l’Antarctique (1981)1. Dans la foulée, la Chine adhère au traité de l’Antarctique en 1983 puis lance ses premières expéditions sous l’autorité de l’Institut de recherche polaire. Les premières expéditions en Arctique se déroulent au moins dix ans plus tard, avec une participation active aux recherches sur le climat et l’environnement. L’aspect scientifique renvoie alors à un besoin de prestige, de se positionner parmi les grandes nations. comme elle peut aussi le faire à propos de la recherche spatiale.
L’Europe et les Etats nordiques sont pourtant longtemps restés aveugles, face aux ambitions chinoises. Leur prise de conscience ne s’est opérée qu’en 2010, avec la publication d’un rapport indiquant une évolution paradigmatique de la Chine sur l’Arctique. Le Rapport de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm, intitulé « China prepares for an ice-free Arctic », mettait en exergue volonté certaine de la Chine à participer à la gouvernance en Arctique; par la promotion du multilatéralisme (pour elle-même ?), et de l’intervention dans la gestion future des ressources des fonds marins arctiques. 2
En 1992, avant que l’on ne parle de l’ouverture des routes arctiques, Pékin a organisé son 1er programme de recherches scientifiques de cinq ans dans l’océan Arctique. Un projet réalisé en partenariat avec des universités européennes -comme l’Université de Brème, qui a été suivi par l’entrée de la Chine au Comité International des sciences arctiques (CISA) en 1996. Créé en 1990, cet organisme a pour mission de favoriser et de faciliter la coopération dans tous les aspects de la recherche arctique. Il comprend à ce jour 18 pays membres 3.
L’Europe et les Etats nordiques sont longtemps restés aveugles, face aux ambitions chinoises.
Fréderic Lasserre, professeur à l’université québécoise de Laval et analyste avisé de la présence chinoise dans cette zone du globe, a mené un travail de veille bibliographique dans la célèbre base de données Wanfang Data. Son constat est sans appel : on note une quasi omniprésence des questions écologiques ou de changement climatique dans les publications académiques jusqu’en 2008. Le tournant est d’autant plus frappant que l’on s’oriente ensuite vers des questions strictement économiques. Telle une chouette harfang Pékin façonne sa vue panoramique sur l’Arctique et prépare ses chercheurs à dompter la route, qui pourrait lui ouvrir le chemin de la domination du commerce mondial.
Toutefois n’ayant pas encore tous les outils en 2008 pour être totalement maître de son destin, Pékin a agi par procuration ; via une ambitieuse action diplomatique.
UNE DIPLOMATIE ACTIVE DANS LE CERCLE POLAIRE
La diplomatie chinoise a été menée avec patience mais non sans inspiration. En effet la Chine est aujourd’hui positionnée dans les domaines scientifique, institutionnel et économique, au sein d’une zone initialement étrangère à sa sphère d’influence. Sa diplomatie s’est axée autour de trois objectifs :
Répondre aux inquiétudes scientifiques concernant les effets du changement climatique, sur les réserves de nourritures chinoises et sur le climat chinois (augmentation des typhons dans le sud).
Dans une perspective plus commerciale, établir une voie maritime sûre et aux coûts de transports raisonnables.
Développer le lobbying institutionnel, pour acquérir une place aux côtés des États arctiques et entrer dans la course à l’exploitation des ressources arctiques.
Toutefois, sa présence n’allant pas nécessairement de soi en arctique, son approche demeure prudente et tournée vers le développement de partenariats politiques et économiques. Lors des discussions avec ses partenaires, la Chine se concentre sur des débats moins sensibles que l’exploitation des ressources. C’est le cas des débats liés aux changements climatiques.
La Chine a tissé différents liens avec l’Islande (accord de libre-échange en 2013) et avec le Groenland. Même mésestimée par ces partenaires, la Chine s’immisce progressivement, dans la région. Le tour d’horizon ne s’arrête pas là. Ses principaux partenariats avec la zone arctique se font avec la Norvège, le Danemark et l’Islande. Les nombreux accords signés portent principalement, depuis les années 2000, sur la coopération dans le domaine de la navigation. C’est une coopération qui a porté ses fruits, au vu des dernières annonces concernant la construction d’un brise-glace 100% chinois à l’horizon 2019. Les partenariats 4 ont toujours deux volets, l’un promettant l’achat de produits miniers danois -ou de produits maritimes du Groenland- par la Chine, le second promettant un transfert de technologie.
Ces liens ont eu un rôle majeur dans l’obtention par la Chine du statut d’observateur permanent au conseil de l’arctique. En Islande, depuis la crise financière qui a frappé l’île en 2008, la Chine occupe une place importante dans la vie économique du pays 5 . L’aide financière de Pékin est jugée inestimable par l’ancien président de l’Islande, Ólafur Ragnar Grímsson, qui a visité la Chine cinq fois durant les six dernières années de son mandat. Il y a fait promotion de l’Islande comme centre logistique potentiel en Arctique.
Le seul pays qui semble déroger aux ambitions chinoises en matière institutionnelle est la Norvège, du fait de l’affaire Liu Xiaobo en 2010 et sa désignation comme Prix Nobel de la Paix.
Si l’on reprend les trois objectifs, il reste du chemin à parcourir avant d’annoncer que “la Chine domine l’Arctique”. En effet son statut d’observateur permanent est une avancée importante, mais ne lui permet pas encore d’accéder aux leviers décisionnels. Ces derniers lui sont implicitement refusés par le Canada, la Norvège, et surtout la Russie.
Si les observateurs permanents ne disposent pas d’un droit de vote au sein du Conseil, ils peuvent en revanche faire partie du processus du Conseil, proposer des projets aux membres et même faire des déclarations. Si la Chine parvient à ses objectifs, elle pourra influencer le dialogue sur une région où beaucoup d’intérêts économiques sont en jeu. 6
Pour les chercheurs chinois, la voie d’accès au Conseil doit passer par la Russie. D’où le rapprochement stratégique mené depuis cinq ans par Pékin et Moscou, bien qu’avec une éternelle suspicion du côté russe.
Il y a environ une quinzaine d’années, l’intérêt grandissant pour l’Arctique a donné lieu à des annonces scientifiques préoccupantes sur l’abondance présumée de ressources naturelles, dans un monde en perpétuelle recherche de nouvelles zones à exploiter. Cette nouvelle course pour la souveraineté de l’Arctique a mené les grandes nations frontalières à produire une stratégie pour le Pôle nord. Dans ce domaine, la Chine est fréquemment appelée « le dragon des neiges ». Elle ne dispose pas d’accès direct à cette région du monde, et ne possède pas de base légale lui permettant de formuler des revendications. Pékin a adopté une attitude très prudente et en apparence passive. Le réchauffement climatique modifie les possibilités de navigation sur les routes du nord, ouvrant du même coup des intérêts géostratégiques et géoéconomiques alléchants pour l’empire du milieu. Cet usage futur des passages dans le grand nord, concerne aussi l’Asie du Nord-Est avec le Japon et la Corée du Sud.
La Chine nous intéresse car elle incarne le futur florissant de l’économie mondiale, l’investissement massif dans les grands projets commerciaux, comme l’initiative « la ceinture et la route » (Belt and Road), lancée en 2013. La Chine avance discrètement ses pions soulignait Mikaa Mered dans un entretien pour GéoStratégia. Par-là même, il indique que l’ambition chinoise se matérialise rapidement, sur plusieurs niveaux, afin de conquérir progressivement tous les leviers de domination dans la région. Le dernier événement en date est un investissement privé d’un montant de 43 milliards de dollars en Alaska, négocié lors de la visite du président américain à Pékin. Il s’agit du plus gros investissement dans cette région de l’Histoire, ce qui a poussé certains chercheurs norvégiens à dire que les Chinois se seraient d’ores et déjà rendus maîtres de l’Arctique.
Il s’agit de mieux comprendre les ambitions et l’utilisation dont souhaiterait en faire Pékin, avant d’analyser les multiples outils mis en œuvre depuis 2008, une date qui marque un tournant dans la recherche chinoises sur l‘arctique, d’une analyse plutôt axée sur les problématiques environnementales à une analyse économique et stratégique.
LA PRÉSENCE CHINOISE EN ARCTIQUE
Pour établir une présence, il existe divers moyens d’observations. Le premier serait constitué des moyens matériels utilisés par Pékin, dans l’étude des transformations techniques lors des expéditions chinoises en Arctique. Le second consiste à décrypter la position officielle de Pékin, qui se caractérise par la prudence et se retrouve dans son discours officiel -souvent éloigné des actions diplomatiques menées dans le grand Nord. A cette fin il est nécessaire de lire entre les lignes, d’observer les transformations des axes stratégiques et de décrypter des collaborations et actions diplomatiques, bien souvent non dénuées d’intérêts économiques.
DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE À LA PROSPECTION ÉCONOMIQUE
L’intérêt des dirigeants chinois pour les pôles n’est pas récent. C’est au début des années 80 que l’image du « Dragon des neiges » prend forme, avec le lancement de l’Administration indépendante pour l’Arctique et l’Antarctique (1981)1. Dans la foulée, la Chine adhère au traité de l’Antarctique en 1983 puis lance ses premières expéditions sous l’autorité de l’Institut de recherche polaire. Les premières expéditions en Arctique se déroulent au moins dix ans plus tard, avec une participation active aux recherches sur le climat et l’environnement. L’aspect scientifique renvoie alors à un besoin de prestige, de se positionner parmi les grandes nations. comme elle peut aussi le faire à propos de la recherche spatiale.
L’Europe et les Etats nordiques sont pourtant longtemps restés aveugles, face aux ambitions chinoises. Leur prise de conscience ne s’est opérée qu’en 2010, avec la publication d’un rapport indiquant une évolution paradigmatique de la Chine sur l’Arctique. Le Rapport de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm, intitulé « China prepares for an ice-free Arctic », mettait en exergue volonté certaine de la Chine à participer à la gouvernance en Arctique; par la promotion du multilatéralisme (pour elle-même ?), et de l’intervention dans la gestion future des ressources des fonds marins arctiques. 2
En 1992, avant que l’on ne parle de l’ouverture des routes arctiques, Pékin a organisé son 1er programme de recherches scientifiques de cinq ans dans l’océan Arctique. Un projet réalisé en partenariat avec des universités européennes -comme l’Université de Brème, qui a été suivi par l’entrée de la Chine au Comité International des sciences arctiques (CISA) en 1996. Créé en 1990, cet organisme a pour mission de favoriser et de faciliter la coopération dans tous les aspects de la recherche arctique. Il comprend à ce jour 18 pays membres 3.
L’Europe et les Etats nordiques sont longtemps restés aveugles, face aux ambitions chinoises.
Fréderic Lasserre, professeur à l’université québécoise de Laval et analyste avisé de la présence chinoise dans cette zone du globe, a mené un travail de veille bibliographique dans la célèbre base de données Wanfang Data. Son constat est sans appel : on note une quasi omniprésence des questions écologiques ou de changement climatique dans les publications académiques jusqu’en 2008. Le tournant est d’autant plus frappant que l’on s’oriente ensuite vers des questions strictement économiques. Telle une chouette harfang Pékin façonne sa vue panoramique sur l’Arctique et prépare ses chercheurs à dompter la route, qui pourrait lui ouvrir le chemin de la domination du commerce mondial.
Toutefois n’ayant pas encore tous les outils en 2008 pour être totalement maître de son destin, Pékin a agi par procuration ; via une ambitieuse action diplomatique.
UNE DIPLOMATIE ACTIVE DANS LE CERCLE POLAIRE
La diplomatie chinoise a été menée avec patience mais non sans inspiration. En effet la Chine est aujourd’hui positionnée dans les domaines scientifique, institutionnel et économique, au sein d’une zone initialement étrangère à sa sphère d’influence. Sa diplomatie s’est axée autour de trois objectifs :
Répondre aux inquiétudes scientifiques concernant les effets du changement climatique, sur les réserves de nourritures chinoises et sur le climat chinois (augmentation des typhons dans le sud).
Dans une perspective plus commerciale, établir une voie maritime sûre et aux coûts de transports raisonnables.
Développer le lobbying institutionnel, pour acquérir une place aux côtés des États arctiques et entrer dans la course à l’exploitation des ressources arctiques.
Toutefois, sa présence n’allant pas nécessairement de soi en arctique, son approche demeure prudente et tournée vers le développement de partenariats politiques et économiques. Lors des discussions avec ses partenaires, la Chine se concentre sur des débats moins sensibles que l’exploitation des ressources. C’est le cas des débats liés aux changements climatiques.
La Chine a tissé différents liens avec l’Islande (accord de libre-échange en 2013) et avec le Groenland. Même mésestimée par ces partenaires, la Chine s’immisce progressivement, dans la région. Le tour d’horizon ne s’arrête pas là. Ses principaux partenariats avec la zone arctique se font avec la Norvège, le Danemark et l’Islande. Les nombreux accords signés portent principalement, depuis les années 2000, sur la coopération dans le domaine de la navigation. C’est une coopération qui a porté ses fruits, au vu des dernières annonces concernant la construction d’un brise-glace 100% chinois à l’horizon 2019. Les partenariats 4 ont toujours deux volets, l’un promettant l’achat de produits miniers danois -ou de produits maritimes du Groenland- par la Chine, le second promettant un transfert de technologie.
Ces liens ont eu un rôle majeur dans l’obtention par la Chine du statut d’observateur permanent au conseil de l’arctique. En Islande, depuis la crise financière qui a frappé l’île en 2008, la Chine occupe une place importante dans la vie économique du pays 5 . L’aide financière de Pékin est jugée inestimable par l’ancien président de l’Islande, Ólafur Ragnar Grímsson, qui a visité la Chine cinq fois durant les six dernières années de son mandat. Il y a fait promotion de l’Islande comme centre logistique potentiel en Arctique.
Le seul pays qui semble déroger aux ambitions chinoises en matière institutionnelle est la Norvège, du fait de l’affaire Liu Xiaobo en 2010 et sa désignation comme Prix Nobel de la Paix.
Si l’on reprend les trois objectifs, il reste du chemin à parcourir avant d’annoncer que “la Chine domine l’Arctique”. En effet son statut d’observateur permanent est une avancée importante, mais ne lui permet pas encore d’accéder aux leviers décisionnels. Ces derniers lui sont implicitement refusés par le Canada, la Norvège, et surtout la Russie.
Si les observateurs permanents ne disposent pas d’un droit de vote au sein du Conseil, ils peuvent en revanche faire partie du processus du Conseil, proposer des projets aux membres et même faire des déclarations. Si la Chine parvient à ses objectifs, elle pourra influencer le dialogue sur une région où beaucoup d’intérêts économiques sont en jeu. 6
Pour les chercheurs chinois, la voie d’accès au Conseil doit passer par la Russie. D’où le rapprochement stratégique mené depuis cinq ans par Pékin et Moscou, bien qu’avec une éternelle suspicion du côté russe.
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