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Moncef Marzouki, l'ex-président tunisien : "J'ai peur de ce qui peut se passer

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  • Moncef Marzouki, l'ex-président tunisien : "J'ai peur de ce qui peut se passer

    Alors qu'Emmanuel Macron est attendu mercredi en Tunisie, Moncef Marzouki, l'ancien chef d'Etat tunisien (2011-2014), s’inquiète du malaise social qui, selon lui, pourrait engendrer de nouveaux troubles.

    Mi janvier, une série de manifestations ont bloqué la Tunisie. C'est dans ce contexte qu'Emmanuel Macron effectue sa première visite d'Etat dans ce pays, à partir de mercredi prochain. La cure d'austérité entamée par le président Béji Caïd Essebsi a déclenché cette colère sociale, mais pour l'ancien chef d'Etat Moncef Marzouki, qui avait assuré la transition du pouvoir après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali en 2011, le mal est plus profond. "Nous sommes passés d’une dictature corrompue à une démocratie corrompue à une trop grande échelle", déclare-t-il au JDD.

    Que faut-il attendre de la visite d'Emmanuel Macron?
    Le raffermissement de l'amitié entre nos deux pays. L'attitude de la France à l'égard de la Tunisie a toujours été amicale et fraternelle. Je ne suis pas près d'oublier, pendant ma présidence, les trois visites de François Hollande. C'est une bonne chose que cette tradition se perpétue.

    Souhaitez-vous qu'il évoque les manifestations qui ont secoué le pays au début de l'année?
    Je ne vois pas pourquoi il le ferait. La Tunisie est un pays souverain et c'est à nous seuls de régler nos problèmes, même si nous sommes disposés à écouter les conseils des bons amis.

    Cette colère sociale semble quelque peu retombée. Ce n'était qu'un feu de paille?
    Malheureusement non. Ces *manifestations ont été un premier signal, et j'ai peur de ce qui peut se passer par la suite. La crise est réelle, le malaise profond. Pour être élu, le chef de l'Etat a mené une campagne démagogique, promettant monts et merveilles. Les gens y ont cru, mais maintenant ils se rendent compte que la machine économique est en panne, que le chômage s'aggrave.

    Certains chiffres sont pourtant encourageants : une forte hausse du tourisme, une croissance plus forte en 2017.
    Les vrais chiffres du chômage, l'effondrement du dinar, l'inflation en hausse sont plus révélateurs de l'état de santé du pays. Aujourd'hui, les classes défavorisées n'espèrent même plus que l'ascenseur social fonctionne tandis que la classe moyenne s'appauvrit. Aucune alternative ne leur est proposée. Il n'y a pas de réelle politique économique, de réformes structurelles. Le pays est à l'arrêt depuis trois ans, et cela ne va pas aller mieux dans les deux prochaines années.

    Mais c'est parce que le gouvernement veut mettre en place des réformes structurelles demandées par le FMI qu'il y a eu cette contestation…
    Dans la cure d'austérité qui s'annonce, ce seront encore une fois les classes les plus pauvres qui vont souffrir. Dans le même temps, le nombre de milliardaires explose. Cette question de la répartition des sacrifices est centrale : la population ne veut plus être la seule à payer. Et puis on ne peut disjoindre la réforme de l'économie d'autres réformes, sur la bureaucratie ou sur nos systèmes éducatif et de santé qui sont à l'agonie. Béji Caïd Essebsi aurait pu les mener. Il avait cinq ans devant lui, disposait de tous les pouvoirs. Mais il ne l'a pas fait.

    Pourquoi n'avoir pas mené ces réformes quand vous étiez au pouvoir?
    Nous étions un gouvernement intérimaire et notre mission principale était de terminer la Constitution puis d'appeler le pays à voter. Nous l'avons menée à bien. En même temps, nous avions fait le diagnostic de ces dysfonctionnements et nous avions commencé à lancer des réformes de fond. Malheureusement, certains ont dit que le train tunisien ne marchait pas à vitesse suffisante et ils l'ont fait dérailler.

    Sept ans après la "révolution de jasmin", quel bilan en tirez-vous?
    Cette révolution est un processus. Combien de restaurations avez-vous connues en France après 1789 avant d'arriver à la IIIe République? Nous ne mettrons pas autant de temps pour installer les idéaux de notre révolution, mais on ne peut pas en sept ans transformer les mentalités, les structures de l'Etat… Après, il faut se débarrasser de la corruption, l'un des plus grands problèmes de ce pays. Nous sommes passés d'une dictature corrompue à une démocratie corrompue à trop grande échelle, ce qui l'empêche de fonctionner.

    Un récent rapport du Crisis Group met en garde contre une dérive autoritaire dans le pays. Vous approuvez?
    Le logiciel des hommes aujour*d'hui au pouvoir date des années 1950. Ils n'ont rien compris à cette révolution démocratique. Pour eux, elle est une parenthèse à fermer. Le régime actuel pense sans doute que l'on va revenir à un système dirigé par un homme fort. Mais il se trompe complètement. Ce pays n'acceptera jamais le retour à la dictature.

    Sous votre présidence, il y a eu aussi de la répression, notamment lors de manifestations…
    Sous ma présidence, aucun journaliste ou blogueur n'a été mis en prison. Les forces de police avaient des ordres extrêmement stricts de ne pas s'en prendre à la population. J'avais interdit la torture, y compris avec les terroristes. Sur ce plan-là au moins, je n'ai pas grand-chose à me reprocher.

    Etes-vous intéressé par l'élection présidentielle de 2019?
    Avant cela, il y a les élections municipales du 6 mai, qui sont un grand moment pour nous. Pour 2019, même si j'avais décidé d'y aller, je ne vous le dirais pas.

    Les sondages donnent le président Essebsi favori pour 2019. Cela ne traduit pas le mécontentement que vous décrivez…
    Dans le pays, tout le monde moque ces sondages. En plus, le président aura 93 ans en 2019. Qui, sain d'esprit, peut voter pour quelqu'un aussi âgé? Parfois, ces enquêtes me classent en deuxième position. C'est uniquement pour faire peur à un certain nombre de gens, une manière de leur dire : "Attention, l'ogre va revenir!"


    le JDD
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