Une mission du Medef a tenté de lever les obstacles à l’accès à un marché
prometteur.
FABRICE NODÉ-LANGLOIS
Issad Rebrab (à gauche), patron et fondateur du groupe Cevital, fait visiter, le 8 février à l’Arbâa près
d’Alger, son usine de verre plat à Pierre Gattaz, le président du Medef.
ROMUALD MEIGNEUX
Cet homme d’affaires français en a vu d’autres. Il a travaillé en Irak et au Soudan. Et
pourtant, il l’affirme : « L’Algérie est le pays le plus compliqué que j’ai fait. » En conduisant à Alger
la semaine dernière une délégation de plus de cinquante patrons français représentant les grands
du CAC 40 et quelques PME - la plus importante depuis des années -, Pierre Gattaz, le président
du Medef, emportait comme toujours dans ses voyages à l’étranger un esprit de conquête, mais
aussi un cahier de doléances bien garni.
MAGHREB
Assommée il y a quatre ans par l’effondrement des prix du pétrole, l’Algérie cherche à diversifier
son économie, à passer d’un pays d’importation à un pays de production. Mais les méthodes
employées laissent perplexes les patrons français. Ainsi, depuis le 1er janvier, pas moins de 850
produits sont interdits d’importation. Le double objectif des autorités algériennes est d’enrayer la
baisse des réserves de change qui ont fondu de moitié depuis 2015 et de stimuler la production
nationale. Du jour au lendemain, les arômes pour boisson, la mayonnaise ou même les lombrics
(les vers de terre) étrangers ont été bannis du marché algérien. Le mobilier aussi, comme le sait
trop bien David Soulard, directeur général des Meubles Gautier. « Nous avons dix conteneurs
bloqués en France », raconte ce patron venu à Alger pour évaluer la situation. David Soulard se dit
prêt à organiser l’assemblage de meubles en Algérie, mais « il faut former la main-d’œuvre, cela
prendra du temps. Les décisions administratives vont beaucoup trop vite ! ». Renault Trucks, la
filiale de Volvo, est une des autres victimes de la liste des importations interdites. Des dizaines de
12/02/2018
2/3
camions sont en attente à Bourg-en-Bresse. Des véhicules pas homologués pour n’importe quel
marché, leur motorisation n’étant pas aux normes européennes.
Remonté jusqu’à Macron
Renault Trucks joue bien le jeu du « made in Algeria » puisqu’il doit ouvrir une usine à Meftah, au
sud d’Alger, qui affichera un taux d’intégration (part des pièces ou des emplois algériens) de 15 %
en 2022 puis de 40 à 60 %. Problème : la demande d’approbation du projet industriel est restée
coincée un an par l’administration algérienne. Il aura fallu que le dossier remonte jusqu’à
Emmanuel Macron pour être débloqué, au même titre qu’un projet d’usine PSA.
La limitation brutale des importations relance le trabendo, le trafic, tel qu’on le nomme à Alger et
Marseille, affirment plusieurs observateurs, diplomates et entrepreneurs. Rien d’étonnant dans ce
pays où « 50 % de l’économie est informelle », évalue Michel Bisac, patron des Pages Maghreb (la
déclinaison locale des Pages jaunes) et conseiller au commerce extérieur, à Alger depuis douze
ans.
Deuxième doléance portée par Pierre Gattaz : les délais de paiement. « Nous avons attendu
jusqu’à un an pour être payé par l’administration », illustre Marc Velu, directeur commercial de
CAN Groupe, entreprise de travaux publics.
Enfin, parmi les freins à l’investissement, figure en bonne place le « 51-49 ». Cette règle mise en
place en 2009 plafonne à 49 % la part d’un investisseur étranger dans le capital d’une entreprise
algérienne. Elle est vécue comme un frein important par beaucoup d’entrepreneurs français.
« Nous soutenons cette règle », a affirmé clairement Ali Haddad, le très influent patron des patrons
algériens, président du FCE. « Elle protège les entreprises algériennes », a-t-il déclaré au cours du
forum d’affaires franco-algérien, organisé à l’hôtel El-Aurassi qui surplombe la baie d’Alger-laBlanche.
Ali Haddad relativise ces « irritants » en soulignant que les investisseurs américains,
italiens, turcs ou chinois s’en accommodent. La présence de la délégation du Medef l’atteste, les
Français sentent que le moment est venu d’accélérer sur ce marché de 40 millions d’habitants
assoiffé de diversification. La concurrence est rude, reconnaît Pierre Gattaz. Les Chinois ont
construit le nouvel aéroport d’Alger et édifient la grande mosquée (avec la participation du français
Aegis), l’une des plus vastes du monde. « Les Algériens préfèrent cent fois travailler avec nous
qu’avec les Chinois, assure Michel Bisac, ne serait-ce qu’en raison de la langue. » Un atout à
cultiver.
Sans occulter - loin de là - les nombreuses difficultés, Pierre Gattaz a voulu inscrire sa visite sur le
long terme, « à trente ans ». Il est d’accord avec son homologue Ali Haddad sur ce point : la
richesse de l’Algérie, ce n’est plus son pétrole mais sa jeunesse. Alors que 300 000 jeunes
diplômés arrivent sur le marché du travail chaque année et que 30 % des jeunes sont
12/02/2018
3/3
officiellement au chômage, un effort massif de formation est nécessaire pour que cette richesse
fructifie et que l’économie se diversifie.
prometteur.
FABRICE NODÉ-LANGLOIS
Issad Rebrab (à gauche), patron et fondateur du groupe Cevital, fait visiter, le 8 février à l’Arbâa près
d’Alger, son usine de verre plat à Pierre Gattaz, le président du Medef.
ROMUALD MEIGNEUX
Cet homme d’affaires français en a vu d’autres. Il a travaillé en Irak et au Soudan. Et
pourtant, il l’affirme : « L’Algérie est le pays le plus compliqué que j’ai fait. » En conduisant à Alger
la semaine dernière une délégation de plus de cinquante patrons français représentant les grands
du CAC 40 et quelques PME - la plus importante depuis des années -, Pierre Gattaz, le président
du Medef, emportait comme toujours dans ses voyages à l’étranger un esprit de conquête, mais
aussi un cahier de doléances bien garni.
MAGHREB
Assommée il y a quatre ans par l’effondrement des prix du pétrole, l’Algérie cherche à diversifier
son économie, à passer d’un pays d’importation à un pays de production. Mais les méthodes
employées laissent perplexes les patrons français. Ainsi, depuis le 1er janvier, pas moins de 850
produits sont interdits d’importation. Le double objectif des autorités algériennes est d’enrayer la
baisse des réserves de change qui ont fondu de moitié depuis 2015 et de stimuler la production
nationale. Du jour au lendemain, les arômes pour boisson, la mayonnaise ou même les lombrics
(les vers de terre) étrangers ont été bannis du marché algérien. Le mobilier aussi, comme le sait
trop bien David Soulard, directeur général des Meubles Gautier. « Nous avons dix conteneurs
bloqués en France », raconte ce patron venu à Alger pour évaluer la situation. David Soulard se dit
prêt à organiser l’assemblage de meubles en Algérie, mais « il faut former la main-d’œuvre, cela
prendra du temps. Les décisions administratives vont beaucoup trop vite ! ». Renault Trucks, la
filiale de Volvo, est une des autres victimes de la liste des importations interdites. Des dizaines de
12/02/2018
2/3
camions sont en attente à Bourg-en-Bresse. Des véhicules pas homologués pour n’importe quel
marché, leur motorisation n’étant pas aux normes européennes.
Remonté jusqu’à Macron
Renault Trucks joue bien le jeu du « made in Algeria » puisqu’il doit ouvrir une usine à Meftah, au
sud d’Alger, qui affichera un taux d’intégration (part des pièces ou des emplois algériens) de 15 %
en 2022 puis de 40 à 60 %. Problème : la demande d’approbation du projet industriel est restée
coincée un an par l’administration algérienne. Il aura fallu que le dossier remonte jusqu’à
Emmanuel Macron pour être débloqué, au même titre qu’un projet d’usine PSA.
La limitation brutale des importations relance le trabendo, le trafic, tel qu’on le nomme à Alger et
Marseille, affirment plusieurs observateurs, diplomates et entrepreneurs. Rien d’étonnant dans ce
pays où « 50 % de l’économie est informelle », évalue Michel Bisac, patron des Pages Maghreb (la
déclinaison locale des Pages jaunes) et conseiller au commerce extérieur, à Alger depuis douze
ans.
Deuxième doléance portée par Pierre Gattaz : les délais de paiement. « Nous avons attendu
jusqu’à un an pour être payé par l’administration », illustre Marc Velu, directeur commercial de
CAN Groupe, entreprise de travaux publics.
Enfin, parmi les freins à l’investissement, figure en bonne place le « 51-49 ». Cette règle mise en
place en 2009 plafonne à 49 % la part d’un investisseur étranger dans le capital d’une entreprise
algérienne. Elle est vécue comme un frein important par beaucoup d’entrepreneurs français.
« Nous soutenons cette règle », a affirmé clairement Ali Haddad, le très influent patron des patrons
algériens, président du FCE. « Elle protège les entreprises algériennes », a-t-il déclaré au cours du
forum d’affaires franco-algérien, organisé à l’hôtel El-Aurassi qui surplombe la baie d’Alger-laBlanche.
Ali Haddad relativise ces « irritants » en soulignant que les investisseurs américains,
italiens, turcs ou chinois s’en accommodent. La présence de la délégation du Medef l’atteste, les
Français sentent que le moment est venu d’accélérer sur ce marché de 40 millions d’habitants
assoiffé de diversification. La concurrence est rude, reconnaît Pierre Gattaz. Les Chinois ont
construit le nouvel aéroport d’Alger et édifient la grande mosquée (avec la participation du français
Aegis), l’une des plus vastes du monde. « Les Algériens préfèrent cent fois travailler avec nous
qu’avec les Chinois, assure Michel Bisac, ne serait-ce qu’en raison de la langue. » Un atout à
cultiver.
Sans occulter - loin de là - les nombreuses difficultés, Pierre Gattaz a voulu inscrire sa visite sur le
long terme, « à trente ans ». Il est d’accord avec son homologue Ali Haddad sur ce point : la
richesse de l’Algérie, ce n’est plus son pétrole mais sa jeunesse. Alors que 300 000 jeunes
diplômés arrivent sur le marché du travail chaque année et que 30 % des jeunes sont
12/02/2018
3/3
officiellement au chômage, un effort massif de formation est nécessaire pour que cette richesse
fructifie et que l’économie se diversifie.
Commentaire