!
Le dernier incident militaire syro-israélien ne se résume pas à un dérapage malencontreux. Il
témoigne d’une escalade plus générale au Moyen-Orient, lourde de dangers à court et à moyen
terme.
Le samedi 10 février 2018, peu avant l’aube, un drone guidé depuis le territoire syrien pénétra
dans l’espace aérien israélien. Il fut aussitôt pris en chasse, puis abattu par des hélicoptères de
Tsahal, qui déclara « iranien » l’appareil d’observation. Peu après, une escadrille israélienne
s’envola pour aller détruire, sur le territoire syrien, la station de guidage du drone. Les huit F-16
frappés de l’étoile de David furent accueillis par un tir de barrage de missiles sol-air syriens, qui
réussirent à en descendre un. L’armée de l’air israélienne estime avoir détruit près d’une dizaine
de batteries de DCA, syriennes ou iraniennes.
Stratégiquement, les Israéliens ne se font pas à l’idée de voir la République islamique d’Iran
s’implanter militairement dans la durée sur le territoire syrien, voisin du leur. On peut les
comprendre : Téhéran n’a toujours pas officiellement renoncé à la politique étrangère de l’ayatollah
Khomeyni, qui ambitionnait de prendre le leadership de tout le monde musulman, en adoptant une
ligne dure à l’égard de l’État sioniste - lui déniant tout droit historique à l’existence. C’est une
situation absurde ; car il n’y a jamais eu d’hostilité réelle entre les Perses et les Juifs ; car Israël a
un différend originel avec les Arabes sunnites, pas avec les Iraniens chiites ; car le président
iranien réformateur Rohani a fait le choix historique d’ouvrir son pays aux Occidentaux. Mais cet
antagonisme artificiel est hélas profondément ancré dans la tête des stratèges militaires de TelAviv
et de Téhéran.
Après cette échauffourée aérienne, Benyamin Nétanyahou a conversé téléphoniquement avec
Vladimir Poutine ; il lui a notamment demandé de faire pression sur les Iraniens, afin qu’ils cessent
de renforcer leurs positions militaires sur le territoire syrien voisin d’Israël. Les Israéliens
entretiennent d’étroites relations diplomatiques avec la Russie et multiplient les rencontres au
sommet. Ils ont compris que Moscou était devenu un pivot incontournable au Moyen-Orient ; ils
restent en liaison constante avec le Kremlin.
13/02/2018
2/2
Nous, Français, serions bien avisés de faire la même chose. Par souci d’efficacité, mais aussi
parce que nous partageons quatre intérêts communs avec les Russes au Moyen-Orient.
Premièrement, Russes et nous, combattons le même ennemi principal, à savoir le djihadisme
sunnite, qui vient tuer nos enfants, dans nos rues. Deuxièmement, nous nous sentons les
protecteurs naturels des chrétiens d’Orient - et ce depuis le dernier siècle de l’Empire ottoman.
Troisièmement, nous abordons de la même manière la question des Kurdes : non à un État
indépendant (chiffon rouge aux yeux des quatre États où ces descendants des Mèdes sont
disséminés), mais oui à l’autonomie du Rojava kurde en Syrie et oui à la reprise du dialogue
Ankara-PKK, qui exista de 2012 à 2015, et que le président Erdogan abrogea pour des raisons
électoralistes. Quatrièmement, Russes et nous, souhaitons le maintien de l’accord international du
14 juillet 2015 sur la dénucléarisation volontaire de l’Iran, que l’Administration Trump a entrepris de
saboter.
La stratégie américaine d’isolement de l’Iran est contre-productive, car pousse-au-crime. Pour des
raisons intérieures, pour réussir sa réforme, l’Iran a besoin de réintégrer le commerce international
et d’attirer des investisseurs. Que l’Amérique en accepte l’augure, qu’elle cesse ses menaces
financières contre les banques souhaitant travailler avec l’Iran, qu’elle rouvre son ambassade à
Téhéran : c’est là qu’elle aura une chance d’être entendue en demandant aux Iraniens
d’abandonner leur posture anti-israélienne et de relâcher leur emprise militaire sur le Levant.
Travailler avec la Russie veut-il dire que nous devrions approuver l’entièreté de ses politiques
étrangère et intérieure ? Bien sûr que non : nous continuons à penser que son ingérence en
Ukraine n’est pas de son intérêt à long terme et qu’elle a suffisamment de territoires à développer
en Sibérie ; nous continuons à regretter que Poutine n’ait pas profité de ses dix-sept ans au
pouvoir pour instaurer un État de droit dans son pays, et nous l’encourageons à le faire dans les
six ans de son prochain mandat.
Mais face à l’engrenage des alliances nouvelles qui fourbissent leurs armes au Moyen-Orient (un
axe Amérique-Israël-Arabie saoudite contre un axe Turquie-Iran-Russie) et qui pourrait dégénérer
en affrontement généralisé, la Russie est le pivot sur lequel nous devons jouer, pour modérer
Ankara dans sa paranoïa antikurde et Téhéran dans sa rhétorique anti-israélienne. Le réalisme, la
cause de la paix et nos intérêts à long terme nous le commandent
RENAUD GIRARD-figaro
Le dernier incident militaire syro-israélien ne se résume pas à un dérapage malencontreux. Il
témoigne d’une escalade plus générale au Moyen-Orient, lourde de dangers à court et à moyen
terme.
Le samedi 10 février 2018, peu avant l’aube, un drone guidé depuis le territoire syrien pénétra
dans l’espace aérien israélien. Il fut aussitôt pris en chasse, puis abattu par des hélicoptères de
Tsahal, qui déclara « iranien » l’appareil d’observation. Peu après, une escadrille israélienne
s’envola pour aller détruire, sur le territoire syrien, la station de guidage du drone. Les huit F-16
frappés de l’étoile de David furent accueillis par un tir de barrage de missiles sol-air syriens, qui
réussirent à en descendre un. L’armée de l’air israélienne estime avoir détruit près d’une dizaine
de batteries de DCA, syriennes ou iraniennes.
Stratégiquement, les Israéliens ne se font pas à l’idée de voir la République islamique d’Iran
s’implanter militairement dans la durée sur le territoire syrien, voisin du leur. On peut les
comprendre : Téhéran n’a toujours pas officiellement renoncé à la politique étrangère de l’ayatollah
Khomeyni, qui ambitionnait de prendre le leadership de tout le monde musulman, en adoptant une
ligne dure à l’égard de l’État sioniste - lui déniant tout droit historique à l’existence. C’est une
situation absurde ; car il n’y a jamais eu d’hostilité réelle entre les Perses et les Juifs ; car Israël a
un différend originel avec les Arabes sunnites, pas avec les Iraniens chiites ; car le président
iranien réformateur Rohani a fait le choix historique d’ouvrir son pays aux Occidentaux. Mais cet
antagonisme artificiel est hélas profondément ancré dans la tête des stratèges militaires de TelAviv
et de Téhéran.
Après cette échauffourée aérienne, Benyamin Nétanyahou a conversé téléphoniquement avec
Vladimir Poutine ; il lui a notamment demandé de faire pression sur les Iraniens, afin qu’ils cessent
de renforcer leurs positions militaires sur le territoire syrien voisin d’Israël. Les Israéliens
entretiennent d’étroites relations diplomatiques avec la Russie et multiplient les rencontres au
sommet. Ils ont compris que Moscou était devenu un pivot incontournable au Moyen-Orient ; ils
restent en liaison constante avec le Kremlin.
13/02/2018
2/2
Nous, Français, serions bien avisés de faire la même chose. Par souci d’efficacité, mais aussi
parce que nous partageons quatre intérêts communs avec les Russes au Moyen-Orient.
Premièrement, Russes et nous, combattons le même ennemi principal, à savoir le djihadisme
sunnite, qui vient tuer nos enfants, dans nos rues. Deuxièmement, nous nous sentons les
protecteurs naturels des chrétiens d’Orient - et ce depuis le dernier siècle de l’Empire ottoman.
Troisièmement, nous abordons de la même manière la question des Kurdes : non à un État
indépendant (chiffon rouge aux yeux des quatre États où ces descendants des Mèdes sont
disséminés), mais oui à l’autonomie du Rojava kurde en Syrie et oui à la reprise du dialogue
Ankara-PKK, qui exista de 2012 à 2015, et que le président Erdogan abrogea pour des raisons
électoralistes. Quatrièmement, Russes et nous, souhaitons le maintien de l’accord international du
14 juillet 2015 sur la dénucléarisation volontaire de l’Iran, que l’Administration Trump a entrepris de
saboter.
La stratégie américaine d’isolement de l’Iran est contre-productive, car pousse-au-crime. Pour des
raisons intérieures, pour réussir sa réforme, l’Iran a besoin de réintégrer le commerce international
et d’attirer des investisseurs. Que l’Amérique en accepte l’augure, qu’elle cesse ses menaces
financières contre les banques souhaitant travailler avec l’Iran, qu’elle rouvre son ambassade à
Téhéran : c’est là qu’elle aura une chance d’être entendue en demandant aux Iraniens
d’abandonner leur posture anti-israélienne et de relâcher leur emprise militaire sur le Levant.
Travailler avec la Russie veut-il dire que nous devrions approuver l’entièreté de ses politiques
étrangère et intérieure ? Bien sûr que non : nous continuons à penser que son ingérence en
Ukraine n’est pas de son intérêt à long terme et qu’elle a suffisamment de territoires à développer
en Sibérie ; nous continuons à regretter que Poutine n’ait pas profité de ses dix-sept ans au
pouvoir pour instaurer un État de droit dans son pays, et nous l’encourageons à le faire dans les
six ans de son prochain mandat.
Mais face à l’engrenage des alliances nouvelles qui fourbissent leurs armes au Moyen-Orient (un
axe Amérique-Israël-Arabie saoudite contre un axe Turquie-Iran-Russie) et qui pourrait dégénérer
en affrontement généralisé, la Russie est le pivot sur lequel nous devons jouer, pour modérer
Ankara dans sa paranoïa antikurde et Téhéran dans sa rhétorique anti-israélienne. Le réalisme, la
cause de la paix et nos intérêts à long terme nous le commandent
RENAUD GIRARD-figaro
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