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Comment le langage est-il apparu ?

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  • Comment le langage est-il apparu ?

    Pour Richard Klein, paléoanthropologue réputé de l’université de Chicago, le langage humain serait apparu en Afrique il y a environ 50 000 ans à la suite d’une mutation du gène FoxP2 (1). Le langage serait donc le produit d’une mutation génétique parfaitement datable. Cette réponse est toutefois très loin de réunir l’assentiment des spécialistes de la question.




    Une question lourde 
de présupposés…

    La question des origines du langage comporte quelques pièges et cache de lourds présupposés. Premier piège : s’interroge-t-on sur l’origine de la faculté de langage comme maniement de signes (ce qui inclut les diverses langues des signes), ou spécifiquement de la parole ? Ce sont deux questions différentes : le langage des signes montre que l’on peut échanger des signes sans parole. Deuxième piège : à quoi reconnaît-on un langage ? Toute expression symbolique, par exemple la représentation des mains décalquées dans d’innombrables grottes préhistoriques, est-elle partie prenante d’un langage ? Sans doute, pour les sémioticiens qui étudient les stratégies humaines visant à attacher du sens à un support matériel. Troisième piège : la formulation présuppose que le langage humain est apparu en un seul lieu à une seule époque (c’est la thèse de la « monogenèse »), alors qu’il est possible qu’il soit apparu à différentes occasions et qu’une seule variante de langage articulé se soit maintenue à la suite d’une compétition ou de l’extinction d’un peuple doté de cette faculté. On a identifié une variante du gène FoxP2 dans deux ossements de Néandertaliens, ce qui laisse supposer qu’ils possédaient une aptitude au langage : mais quel genre de langage les Néandertaliens parlaient-ils ?




    …qui rebute les linguistes

    La question de l’origine du langage humain a hanté les meilleurs esprits aux XVIIe et XVIIIe siècles (John Locke, l’abbé Condillac, Jean-Jacques Rousseau, Johann Herder, etc.). Il s’agissait de recherches purement spéculatives, sans aucun support empirique. Pour éviter ces spéculations débridées à une époque où la linguistique voulait se constituer comme science, la Société linguistique de Paris décidera en 1866 de bannir toute publication sur le sujet. Cet interdit va peser longtemps sur la discipline.


    Mais à partir des années 1990, la question redevient à l’ordre du jour et suscite une vague de publications, sous l’impulsion d’un foisonnement de recherches en archéologie, éthologie, paléontologie, neurobiologie et psychologie évolutionniste. Témoin de la vitalité des recherches sur les origines du langage, la collection « Studies in the evolution of language », lancée par Kathleen Gibson et James Hurford en 2001 aux Presses universitaires d’Oxford compte actuellement 24 titres.


    En France, la publication en 2005 d’un livre collectif majeur, Aux origines des langues et du langage (2) réunissait vingt auteurs, parmi lesquels douze linguistes côtoyaient huit spécialistes de disciplines aussi variées que la philosophie, la génétique, l’archéologie, la paléoanthropologie, l’éthologie et la neuropsychologie.


    Paradoxalement, les linguistes dans leur quasi-totalité restent à l’écart des études sur les origines du langage. Certains des travaux les plus avancés sur l’origine du langage humain ont été menés sans l’aval d’aucun linguiste. Ainsi un chapitre captivant de The Sapient Mind (3) montre à partir d’études de neuroimagerie et d’archéologie que les circuits neuronaux pilotant la fabrication d’outils du Paléolithique recouvrent partiellement ceux du langage : ce qui suggère que ces deux types de comportements présupposent tous les deux une aptitude humaine plus générale à accomplir des actes complexes et finalisés. Ces deux aptitudes, technique et langagière, auraient donc probablement évolué en se renforçant mutuellement. Parmi les quatre auteurs de ce chapitre, deux sont archéologues, un autre est spécialiste d’anthropologie cognitive et le dernier d’imagerie fonctionnelle : aucun n’est linguiste.




    Mutation génétique 
ou coévolution ?

    De très nombreux chercheurs s’interrogent sur la corrélation entre les transformations physiques (station debout, déplacement du larynx, accroissement du volume crânien, etc.), les capacités mentales et l’émergence des activités symboliques (premier pas vers le langage et les productions artistiques). Deux positions sont actuellement en concurrence.


    D’un côté, celle d’une mutation génétique (concernant le gène FoxP2). Quand aurait eu lieu cette mutation ? Récusant la thèse de l’émergence récente soutenue par R. Klein (50 000 ans), deux généticiens hawaïens, Karl Diller et Rebecca Cann (4), affirment de leur côté que la mutation du gène FoxP2 remonte à… 1,8-1,9 million d’années, en s’appuyant sur des données plus compatibles avec les acquis génétiques, archéologiques et anthropologiques.


    D’un autre côté, la coévolution entre cerveau, esprit et langage, qui recueille les suffrages d’un grand nombre de chercheurs. L’anthropologue Terrence Deacon avait défendu cette idée, dès 1997, dans The Symbolic Species. il émettait l’hypothèse d’une coévolution cerveau-langage selon un processus d’enrichissement mutuel. L’augmentation du cerveau au cours de l’hominisation a rendu possible les premières formes de langage symbolique, créant un environnement culturel nouveau. Ces deux phénomènes conjugués ont conduit à un véritable bond cognitif. Progressivement, les cerveaux se sont adaptés aux exigences de cette nouvelle « niche culturelle » qu’est le langage (comme le castor s’est adapté à la niche écologique des lacs artificiels qu’il construisait avec ses barrages). Pour T. Deacon, tous les hominidés dotés d’une faculté de symbolisation sont effectivement liés par un vivier commun d’informations symboliques, qui est aussi inaccessible aux autres espèces que le sont les gènes humains. Le « propre de l’homme » tiendrait donc à cette aptitude partagée à manier des symboles, transmise plutôt par sélection culturelle que par des caractéristiques physiques (bipédie, volume crânien, déplacement vers le bas du larynx).

    Trois théories sur les origines du langage
    Le linguiste W. Tecsumeh Fitch, professeur de biologie évolutionniste à l’université de Vienne, dans son livre The Evolution of Langage, présente et discute trois théories de la genèse du langage articulé.


    La genèse lexicale du langage est la seule qui a suscité d’importants travaux de linguistes. Elle porte sur l’origine du matériau grammatical issu du lexique : l’idée est celle d’une genèse grammaticale par répétition de plus en plus figée 
– un exemple célèbre est fourni par la descendance en français du latin « hodie » devenu en ancien français « hui » et devenu dans le français actuel : « au + jour + d’hui » (c’est-à-dire « au jour d’aujourd’hui »).


    La genèse gestuelle du langage a été confortée par la découverte des neurones-miroirs : ces neurones s’activaient quand à l’exécution de certains gestes (par exemple prendre un objet), mais également à l’observation, à la représentation ou à la description de ce geste.

    
La genèse musicale du langage, initialement impulsée par Charles Darwin, a également ses partisans : elle suppose que le langage trouve ses sources en particulier sous la forme du « protolangage musical ».

    • The Evolution of Language

    W. Tecsumeh Fitch, Cambridge University Press, 2010.

    NOTES

    1. Voir Wolfgang Enard et al., « Molecular evolution of FOXP2, a gene involved in speech and language », Nature, vol. CDXVIII, n° 6900, 22 août 2002.
    2. Jean-Marie Hombert (dir.), Aux origines des langues et du langage, Fayard, 2005.
    3. Dietrich Stout, Nicholas Toth, Kathy Schick et Thierry Chaminade, « Neural correlates of Early Stone Age toolmaking. Technology, language and cognition in human evolution », in Colin Renfrew, Chris Frith et Lambros Malafouris (dir.), The Sapient Mind. Archaeology meets neuroscience, Oxford University Press, 2009.
    4. Karl Diller et Rebecca Cann, « Evidence against a genetic-based revolution in language 50 000 years ago », in RudolfTBotha et Chris Knight (dir.), The Cradle of Language, Oxford University Press, 2009.

    SH
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