Jalâl ud-Dîn Roumî, figure majeure du soufisme, a profondément marqué de son empreinte ce courant ésotérique musulman. Plus de sept siècles après son décès, ses enseignements continuent à inspirer ses disciples qui viennent par centaines de milliers le célébrer tous les ans, du 7 au 17 décembre à Konya, en Turquie. Portrait d’un poète mystique au rayonnement universel.
Roumî est né quatre fois, une fois en tant qu’esprit dans les cieux, une deuxième fois en tant qu’humain à Balkh(1). Mais sa troisième naissance, celle de poète mystique, à Konya(2), est survenue suite à une douloureuse déchirure. Une séparation qui a ravivé le chagrin des séparations passées, celle d’avec son maître spirituel, son inséparable ami, Shams ed-Dîn Tabrizi.
Celle-ci a non seulement accéléré le plein accomplissement de sa maturité spirituelle, mais nous a également offert l’une des plus belles œuvres mystiques de la littérature persane et amené la pratique du Samâ’, toujours vivante à nos jours. Plus que la rencontre donc, c’est la séparation qui a été le déclic créateur, permettant la venue au monde d’un poète ivre. Ne devons-nous pas subir nous-mêmes la déchirure de la sortie du ventre de notre mère afin de venir à la vie? Afin d’être, tout simplement?
30 septembre 1207 Naissance à Balkh dans le Khorasan (actuel Afghanistan). Son père, Bahâ ud-Dîn Valâd (1148-1231), est un maître soufi réputé. Sa mère, Mu’mine Khatûn, fille de l’émir de Balkh, appartient à la lignée du calife Ali.
1219 Fuit l’invasion mongole avec sa famille pour Arzanjân (Arménie) puis Lâranda (Anatolie, Turquie) et enfin Konya.
1226 Epouse Gauher Khâtûm, mère de ses deux aînés, Sultân Valâd et ‘Alâ ud-Dîn Tchelebi.
1229 Décès de sa première femme.
1231 Epouse en secondes noces Karra Khatûn, mère de ses deux cadets, Amir Muzaffar al-Dîn Muhammad Chelebi et Malika Khatûn.
1227-1240 Devient le disciple de Burhân od-Dîn Muhaqqîq Tirmidhî, qui l’envoie étudier à Alep et Damas.
1240 Retour à Konya. Enseigne la loi canonique.
1244 Rencontre son maître spirituel Shams ed-Dîn Tabrizi.
1247 Disparition de Shams ed-Dîn Tabrizi.
17 déc 1273 Décès à Konya.
Le thème de la séparation, à la fois du Créateur et du Neyestan (endroit premier de nos origines où les âmes préexistaient), de son Balkh natal et de Shams ed-Dîn Tabrizi , sera redondant dans l’œuvre de Mawlânâ(3).
«L’union: Voilà les jardins du Paradis.
La séparation: Voilà les tourments de l’enfer.
L’amour est éternel, l’univers est son vêtement,
Il met à nu celui qui est vêtu, voilà la clé de l’énigme», disait ainsi Roumî.
Ce thème composera les 18 vers introductifs de son ouvrage monumental de 25 000 distiques, le Mathnawî(4).
Le Mathnawî, sublime de poésie et de sagesse
Cet ouvrage de six volumes se veut un «tafsir», une interprétation en vers et en fables du Coran, afin de tenter de rendre visible l’invisible. Même si Mawlânâ lui-même se plaint que son dessein est impossible, que l’on ne pourrait sincèrement comprendre ses dires que si l’on expérimente cela par nous-mêmes, et que les mots aussi beaux soient-ils ne pourront jamais illustrer la beauté du Divin et de la Rencontre Divine.
Il commence donc cet ouvrage par 18 vers introductifs, le Neyname (Le Livre du Ney, ou Le Chant du Roseau), considérés comme l’essence même du message de Roumî. Ecrits de la main de Mawlânâ, ils étaient destinés à être les seuls et uniques vers nous parvenant, si ce n’était l’insistance de Husâm ed-Dîne Chelebî, l’un des compagnons de Roumî, qui l’a prié d’en écrire davantage. Il n’en écrira pas mais en prononcera, souvent en état d’ébriété spirituelle, fréquemment aussi en présence de nombreuses personnes autour de lui. Il passera parfois des heures à énoncer les fables composant le Masnavî. Husâm ed-Dîne Chelebî sera son compagnon et scribe fidèle(5).
Le Neyname, cri de cœur d’une flûte arrachée à sa roselière
Alors que le premier commandement de l’islam nous exhorte à lire, « Iqraa ! » (Lis !), Mawlânâ, lui, commencera son Masnavî par « Beshnou », « Ecoute » en persan, « Ismaâ » en arabe (d’où est venu le nom du Sama’).
Par ce premier commandement, Mawlânâ donne une importance à l’écoute. L’écoute de l’harmonie, de la symphonie de la nature et de l’univers, l’écoute du silence, l’écoute du divin, l’écoute de soi et de l’autre, l’écoute des messages cachés de l’Univers.
Ce que Mawlânâ nous invite à écouter dans ses écrits, c’est aussi la plainte de la flûte (symbole de l’homme spirituellement mûr), arrachée à son jardin originel. Cette complainte se nourrit de la nostalgie des plaisirs goûtés dans les Cieux par les âmes demeurant ici-bas. Des âmes qui se lamentent, incomplètes car séparées de leur Aimé (Dieu) et de leur Neyestan.
Parfois roseau, parfois flûte, le terme ney est utilisé à la fois comme symbole de l’homme, symbole de Roumî lui-même, mais aussi comme image de l’« homme parfait » (Al-insân al-kâmil ), ayant atteint un certain degré de maturité spirituelle. Cet homme parfait doit être vidé de son égo, tout comme un roseau doit être vidé de sa substance afin de devenir flûte.
Ces substances ne peuvent être vidées que par un feu destructeur/créateur, le feu de l’Amour qui annihilera l’égo, transformant ainsi l’être en une personne capable de recevoir le message céleste et de voir les secrets de la beauté divine.
Au-delà de cette symbolique, ce qui anime le ney, c’est le souffle. Ne faut-il pas souffler dans une flûte afin qu’elle émette un son ? Mawlânâ en fera un parallèle avec le souffle divin qui nous anime, nous humains.
La danse des derviches tourneurs, célébration d’un mariage céleste
Jalâl ud-Dîne Rumi décède le 17 décembre 1273, Konya est en deuil. Ce jour, il le prédisait jour de communion avec Dieu, et l’appelait Shab-i Arus en persan, la nuit de noces. Aujourd’hui encore, on célèbre ce mariage céleste tous les ans, du 7 au 17 décembre à Konya, commémorant la disparition physique du Maître et sa quatrième naissance, cette fois auprès de son Bien-Aimé.
Après son décès, les générations suivantes se devaient de connaître ses enseignements. Or pour perpétuer son legs, quelle autre chose que la danse ! La danse et la musique. Une danse en harmonie avec le monde, une ronde des planètes et des atomes. Selon Roumî, si tout se meut, c’est qu’il y a des notes musicales et des expressions qui glorifient Dieu, que l’oreille « immature » peine à percevoir. Il dira à ce propos :
«Plusieurs chemins mènent à Dieu, j’ai choisi celui de la danse et de la musique».
C’est Shams ed-Dîn Tabrizi qui a initié Roumî, érudit sobre, à cette danse mystique. A sa disparition, son fils aîné Sultân Valâd et Husâm ed-Dîne Chelebî, tour à tour, prendront en main l’organisation de l’héritage mevlévi(6), à travers le Sama’.
Roumî est né quatre fois, une fois en tant qu’esprit dans les cieux, une deuxième fois en tant qu’humain à Balkh(1). Mais sa troisième naissance, celle de poète mystique, à Konya(2), est survenue suite à une douloureuse déchirure. Une séparation qui a ravivé le chagrin des séparations passées, celle d’avec son maître spirituel, son inséparable ami, Shams ed-Dîn Tabrizi.
Celle-ci a non seulement accéléré le plein accomplissement de sa maturité spirituelle, mais nous a également offert l’une des plus belles œuvres mystiques de la littérature persane et amené la pratique du Samâ’, toujours vivante à nos jours. Plus que la rencontre donc, c’est la séparation qui a été le déclic créateur, permettant la venue au monde d’un poète ivre. Ne devons-nous pas subir nous-mêmes la déchirure de la sortie du ventre de notre mère afin de venir à la vie? Afin d’être, tout simplement?
30 septembre 1207 Naissance à Balkh dans le Khorasan (actuel Afghanistan). Son père, Bahâ ud-Dîn Valâd (1148-1231), est un maître soufi réputé. Sa mère, Mu’mine Khatûn, fille de l’émir de Balkh, appartient à la lignée du calife Ali.
1219 Fuit l’invasion mongole avec sa famille pour Arzanjân (Arménie) puis Lâranda (Anatolie, Turquie) et enfin Konya.
1226 Epouse Gauher Khâtûm, mère de ses deux aînés, Sultân Valâd et ‘Alâ ud-Dîn Tchelebi.
1229 Décès de sa première femme.
1231 Epouse en secondes noces Karra Khatûn, mère de ses deux cadets, Amir Muzaffar al-Dîn Muhammad Chelebi et Malika Khatûn.
1227-1240 Devient le disciple de Burhân od-Dîn Muhaqqîq Tirmidhî, qui l’envoie étudier à Alep et Damas.
1240 Retour à Konya. Enseigne la loi canonique.
1244 Rencontre son maître spirituel Shams ed-Dîn Tabrizi.
1247 Disparition de Shams ed-Dîn Tabrizi.
17 déc 1273 Décès à Konya.
Le thème de la séparation, à la fois du Créateur et du Neyestan (endroit premier de nos origines où les âmes préexistaient), de son Balkh natal et de Shams ed-Dîn Tabrizi , sera redondant dans l’œuvre de Mawlânâ(3).
«L’union: Voilà les jardins du Paradis.
La séparation: Voilà les tourments de l’enfer.
L’amour est éternel, l’univers est son vêtement,
Il met à nu celui qui est vêtu, voilà la clé de l’énigme», disait ainsi Roumî.
Ce thème composera les 18 vers introductifs de son ouvrage monumental de 25 000 distiques, le Mathnawî(4).
Le Mathnawî, sublime de poésie et de sagesse
Cet ouvrage de six volumes se veut un «tafsir», une interprétation en vers et en fables du Coran, afin de tenter de rendre visible l’invisible. Même si Mawlânâ lui-même se plaint que son dessein est impossible, que l’on ne pourrait sincèrement comprendre ses dires que si l’on expérimente cela par nous-mêmes, et que les mots aussi beaux soient-ils ne pourront jamais illustrer la beauté du Divin et de la Rencontre Divine.
Il commence donc cet ouvrage par 18 vers introductifs, le Neyname (Le Livre du Ney, ou Le Chant du Roseau), considérés comme l’essence même du message de Roumî. Ecrits de la main de Mawlânâ, ils étaient destinés à être les seuls et uniques vers nous parvenant, si ce n’était l’insistance de Husâm ed-Dîne Chelebî, l’un des compagnons de Roumî, qui l’a prié d’en écrire davantage. Il n’en écrira pas mais en prononcera, souvent en état d’ébriété spirituelle, fréquemment aussi en présence de nombreuses personnes autour de lui. Il passera parfois des heures à énoncer les fables composant le Masnavî. Husâm ed-Dîne Chelebî sera son compagnon et scribe fidèle(5).
Le Neyname, cri de cœur d’une flûte arrachée à sa roselière
Alors que le premier commandement de l’islam nous exhorte à lire, « Iqraa ! » (Lis !), Mawlânâ, lui, commencera son Masnavî par « Beshnou », « Ecoute » en persan, « Ismaâ » en arabe (d’où est venu le nom du Sama’).
Par ce premier commandement, Mawlânâ donne une importance à l’écoute. L’écoute de l’harmonie, de la symphonie de la nature et de l’univers, l’écoute du silence, l’écoute du divin, l’écoute de soi et de l’autre, l’écoute des messages cachés de l’Univers.
Ce que Mawlânâ nous invite à écouter dans ses écrits, c’est aussi la plainte de la flûte (symbole de l’homme spirituellement mûr), arrachée à son jardin originel. Cette complainte se nourrit de la nostalgie des plaisirs goûtés dans les Cieux par les âmes demeurant ici-bas. Des âmes qui se lamentent, incomplètes car séparées de leur Aimé (Dieu) et de leur Neyestan.
Parfois roseau, parfois flûte, le terme ney est utilisé à la fois comme symbole de l’homme, symbole de Roumî lui-même, mais aussi comme image de l’« homme parfait » (Al-insân al-kâmil ), ayant atteint un certain degré de maturité spirituelle. Cet homme parfait doit être vidé de son égo, tout comme un roseau doit être vidé de sa substance afin de devenir flûte.
Ces substances ne peuvent être vidées que par un feu destructeur/créateur, le feu de l’Amour qui annihilera l’égo, transformant ainsi l’être en une personne capable de recevoir le message céleste et de voir les secrets de la beauté divine.
Au-delà de cette symbolique, ce qui anime le ney, c’est le souffle. Ne faut-il pas souffler dans une flûte afin qu’elle émette un son ? Mawlânâ en fera un parallèle avec le souffle divin qui nous anime, nous humains.
La danse des derviches tourneurs, célébration d’un mariage céleste
Jalâl ud-Dîne Rumi décède le 17 décembre 1273, Konya est en deuil. Ce jour, il le prédisait jour de communion avec Dieu, et l’appelait Shab-i Arus en persan, la nuit de noces. Aujourd’hui encore, on célèbre ce mariage céleste tous les ans, du 7 au 17 décembre à Konya, commémorant la disparition physique du Maître et sa quatrième naissance, cette fois auprès de son Bien-Aimé.
Après son décès, les générations suivantes se devaient de connaître ses enseignements. Or pour perpétuer son legs, quelle autre chose que la danse ! La danse et la musique. Une danse en harmonie avec le monde, une ronde des planètes et des atomes. Selon Roumî, si tout se meut, c’est qu’il y a des notes musicales et des expressions qui glorifient Dieu, que l’oreille « immature » peine à percevoir. Il dira à ce propos :
«Plusieurs chemins mènent à Dieu, j’ai choisi celui de la danse et de la musique».
C’est Shams ed-Dîn Tabrizi qui a initié Roumî, érudit sobre, à cette danse mystique. A sa disparition, son fils aîné Sultân Valâd et Husâm ed-Dîne Chelebî, tour à tour, prendront en main l’organisation de l’héritage mevlévi(6), à travers le Sama’.
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