Par Pr Chems Eddine CHITOUR
Qui se souvient de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate»?
Qui se souvient de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate»?
«Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.» Guillaume d'Orange
Ce titre provocateur pour susciter le débat n'est pas de moi, c'est, en tant qu'ancien du pétrole, faisant partie à la marge du Club Energie des anciens qui ont capitalisé une expérience globale de 2000 ans, en regrettant qu'elle ne soit pas sollicitée, je me sens interpellé. Qui se souvient du fameux coup d'éclair dans un ciel serein que fut la décision de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde par son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate» «Nous avons décidé souverainement de nationaliser les hydrocarbures». Longtemps après, ceux qui sont honnêtes avec l'Histoire, se remémoreront cette phrase qui changea le destin pétrolier de l'Algérie. Les accords d'Evian avaient d'une certaine façon perpétué un «ordre» qui était celui de l'exploitation du pétrole par les multinationales. Bref, ce n'était pas l'indépendance réelle. Nous devions réussir une autre indépendance en tenant compte de nos forces, du mouvement du monde, pour proposer aux jeunes un cap basé sur un effort collectif. C'est à un nouveau 24 Février du savoir qu'il nous faut inventer.
Ayant fait partie de cette génération de pionniers des années 70 qui avaient le feu sacré. A tort- diront certains-, à raison nous le disons, nous avons cru et donné le meilleur de nous-mêmes car il y avait une utopie mobilisatrice. 1971 la force de frappe de toute l'Algérie (environ un millier de diplômés se trouvaient à Cherchell) le 15 mars moins d'un mois après le discours du président Boumediene, toute cette intelligence était répartie sur les différents challenges du pays (hydrocarbures, Trans-saharienne, Barrage vert, les 1000 villages agricoles, l'éducation, l'université, la santé militaire). Tout était à construire, tout était à inventer. A Cherchell, nous étions dans la même chambrée sans autre ambition que de servir le pays. Le brassage permis par le Service national- encore une décision qui participe à l'idée de nation indépendamment de l'ethnie ou de la religion- avait consacré le vivre ensemble, avait une signification. A titre personnel j'ai gardé des liens avec des amis de toutes les régions du pays. Je me suis trouvé d'abord à l'ancienne base Irara, ensuite à l'Ecole des Cadets de la Révolution pour enseigner en terminale.
Où en sommes-nous 46 ans après cette épopée?
Depuis 1971, nous avons extrait du sous-sol environ 2 milliards de tep. Si on continue à ce rythme de production débridée, sans nouvelle découverte significative nous en aurons pour une vingtaine d'années. De 1965 à 1978, l'Algérie a engrangé 22,5 milliards de dollars. Il y eut la création d'une trentaine d'entreprises d'envergure internationale dont la Sonatrach, la Sonelgaz et la Snvi ou ce qu'il en reste. L´essentiel de l´industrie date de cette époque. Nous sommes bien contents d´avoir une capacité de raffinage de 22,5 millions de tonnes. Nous n'avons développé que l'amont uniquement pour rendre disponible les hydrocabures et rien de significatif dans l'aval Depuis, nous avons engrangé plus de 1000 milliards de dollars. Qu'en avons-nous fait de pérenne et surtout pourquoi cette rente ne nous a pas permis de sortir du sortilège du farniente trompeur de la rente qui a donné à l'Algérien que tout lui est dû sans effort, peut-être encore plus par la corruption non réprimée. L'économie se bazarise de plus en plus et nous incite à la paresse.
Nous avons une population de 40 millions d'habitants, des habitudes de consommation de pays riches que l'on se permettait tant que le baril valait 100 dollars et plus. En 2014 nous avons perçu 55 milliards de dollars de rente et en 2017 30 milliards de moins. Dans une conjoncture marquée par la conjugaison des prix erratiques, une production nationale qui stagne et la hausse de la consommation, l'Algérie se trouve devant un dilemme. Comment satisfaire la demande locale tout en préservant ses parts de marché à l'export? La consommation d'électricité augmente de 8% par an, la consommation de gasoil a triplé entre 2000 et 2014, et celle de l'essence a plus que doublé durant cette période. Nous consommerons avant 2020 40 milliards de m3 de GN avec une consommation irrationnelle. Cela est dû aux subventions qui sont données tous azimuts. L'université produit plus de 300.000 diplômés; où sont ils? Que font-ils? Que valent-ils? Nous étions cent fois moins dans les années 70 et nous avons été sur le front du développement.
En 1962 l'Algérie était à 60% hydraulique et 40% charbon. Depuis, le gaz naturel a étouffé toutes velléités de développement. Nous avons construit 75 barrages. Pourquoi n'avons-nous pas des barrages hydroélectriques? Il y a un problème? On dit qu'il y a un surcoût de 20%. Pourquoi nous ne l'avons pas fait? Dans une stratégie énergétique on met tout à plat. Et on règle en priorité les anomalies criardes. De mon point de vue, nous sommes tous responsables du gaspillage qui est devenu un sport national encouragé par des prix dérisoires qui n'encouragent pas la sobriété On continue à acheter des équipements énergivores. Des voitures qui dépassent pour certaines 150 g de CO2 par km. Chose qui est interdite en Europe. Parce que la norme en Europe est de 120 g, voire 100g. C'est 30% d'énergie de perdue, mais que nous achetons à près de 2,5 milliards de dollars dont une partie part par les frontières.
Comment se présente le futur?
Le monde de l'énergie est plus chaotique que jamais. Les guerres pour l'énergie vont continuer, il y aura des guerres qui seront dues au climat, des guerres de l'eau, des guerres pour la nourriture. La situation est totalement différente de 1971 où le marché était plus cohérent, sans contrainte en termes d'approvisionnement A titre d'exemple, l'Algérie aura à lutter pour garder ses parts de marché en gaz naturel et devra s'attendre à partir de 2018 à une demande des acheteurs pour la mise en place d'un prix spot qui fera baisser les prix à moins de 6 dollars le million de BTU. Elle devrait s'adapter avec une combinaison des contrats à long terme (5 à 10 ans) et une vigilance sur le marché spot avec d'autres acteurs, l'inévitable adversaire gazier le Qatar, mais des nouveaux acteurs tels que la Russie qui va être l'un des leaders de la fourniture de GNL dans la zone Asie-Pacifique en ravitaillant la Chine. Ainsi, en 2017, la Chine a importé plus de 94 milliards de mètres cubes de gaz naturel avec, environ 52 milliards de mètres cubes, sous la forme de GNL. D'autres pays interviendront, le Mozambique, Israël qui vient de conclure un contrat pluri-annuel avec l'Egypte et la Jordanie. La négociation sera de plus en plus difficile pour placer le gaz et il serait utile dans ce cadre d'inciter les pays qui nous vendent leurs produits d'accepter une nouvelle vision.
Inventer un nouveau 24 Février de l'intelligence
Imaginons que nous sommes en 2030. La population sera de 52 millions de personnes. Pour la consommation interne, en supposant un modeste développement qui nous fera passer de 1 tonne de pétrole consommée par habitant et par an à seulement 2 tonnes, c'est 100 millions de tonnes à mobiliser. Nous les aurons de moins en moins, ce qui va se ressentir d'une façon drastique sur notre rente car étant mono-exportateur. A ce rythme de gaspillage frénétique de nos ressources, l'Algérie aura épuisé sans discernement ses ressources, véritables défenses immunitaires. Ce sera le chaos.
Imaginons par contre, un gouvernement fasciné par l´avenir, la première chose à faire c´est de miser sur l´intelligence et le savoir. Un pays sans ressources pétrolières comme l´Inde, exporte pour 25 milliards de dollars de logiciels. Chacun sait par exemple, que le modèle énergétique algérien prenant en compte les profondes mutations du marché énergétique mondial dans un contexte d´évaporation, est à inventer. En fait, il faut passer de la situation où personne ne se sent concerné à une situation où tout le monde, à des degrés divers, se sent concerné.
Qui se souvient de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate»?
Qui se souvient de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate»?
«Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.» Guillaume d'Orange
Ce titre provocateur pour susciter le débat n'est pas de moi, c'est, en tant qu'ancien du pétrole, faisant partie à la marge du Club Energie des anciens qui ont capitalisé une expérience globale de 2000 ans, en regrettant qu'elle ne soit pas sollicitée, je me sens interpellé. Qui se souvient du fameux coup d'éclair dans un ciel serein que fut la décision de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde par son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate» «Nous avons décidé souverainement de nationaliser les hydrocarbures». Longtemps après, ceux qui sont honnêtes avec l'Histoire, se remémoreront cette phrase qui changea le destin pétrolier de l'Algérie. Les accords d'Evian avaient d'une certaine façon perpétué un «ordre» qui était celui de l'exploitation du pétrole par les multinationales. Bref, ce n'était pas l'indépendance réelle. Nous devions réussir une autre indépendance en tenant compte de nos forces, du mouvement du monde, pour proposer aux jeunes un cap basé sur un effort collectif. C'est à un nouveau 24 Février du savoir qu'il nous faut inventer.
Ayant fait partie de cette génération de pionniers des années 70 qui avaient le feu sacré. A tort- diront certains-, à raison nous le disons, nous avons cru et donné le meilleur de nous-mêmes car il y avait une utopie mobilisatrice. 1971 la force de frappe de toute l'Algérie (environ un millier de diplômés se trouvaient à Cherchell) le 15 mars moins d'un mois après le discours du président Boumediene, toute cette intelligence était répartie sur les différents challenges du pays (hydrocarbures, Trans-saharienne, Barrage vert, les 1000 villages agricoles, l'éducation, l'université, la santé militaire). Tout était à construire, tout était à inventer. A Cherchell, nous étions dans la même chambrée sans autre ambition que de servir le pays. Le brassage permis par le Service national- encore une décision qui participe à l'idée de nation indépendamment de l'ethnie ou de la religion- avait consacré le vivre ensemble, avait une signification. A titre personnel j'ai gardé des liens avec des amis de toutes les régions du pays. Je me suis trouvé d'abord à l'ancienne base Irara, ensuite à l'Ecole des Cadets de la Révolution pour enseigner en terminale.
Où en sommes-nous 46 ans après cette épopée?
Depuis 1971, nous avons extrait du sous-sol environ 2 milliards de tep. Si on continue à ce rythme de production débridée, sans nouvelle découverte significative nous en aurons pour une vingtaine d'années. De 1965 à 1978, l'Algérie a engrangé 22,5 milliards de dollars. Il y eut la création d'une trentaine d'entreprises d'envergure internationale dont la Sonatrach, la Sonelgaz et la Snvi ou ce qu'il en reste. L´essentiel de l´industrie date de cette époque. Nous sommes bien contents d´avoir une capacité de raffinage de 22,5 millions de tonnes. Nous n'avons développé que l'amont uniquement pour rendre disponible les hydrocabures et rien de significatif dans l'aval Depuis, nous avons engrangé plus de 1000 milliards de dollars. Qu'en avons-nous fait de pérenne et surtout pourquoi cette rente ne nous a pas permis de sortir du sortilège du farniente trompeur de la rente qui a donné à l'Algérien que tout lui est dû sans effort, peut-être encore plus par la corruption non réprimée. L'économie se bazarise de plus en plus et nous incite à la paresse.
Nous avons une population de 40 millions d'habitants, des habitudes de consommation de pays riches que l'on se permettait tant que le baril valait 100 dollars et plus. En 2014 nous avons perçu 55 milliards de dollars de rente et en 2017 30 milliards de moins. Dans une conjoncture marquée par la conjugaison des prix erratiques, une production nationale qui stagne et la hausse de la consommation, l'Algérie se trouve devant un dilemme. Comment satisfaire la demande locale tout en préservant ses parts de marché à l'export? La consommation d'électricité augmente de 8% par an, la consommation de gasoil a triplé entre 2000 et 2014, et celle de l'essence a plus que doublé durant cette période. Nous consommerons avant 2020 40 milliards de m3 de GN avec une consommation irrationnelle. Cela est dû aux subventions qui sont données tous azimuts. L'université produit plus de 300.000 diplômés; où sont ils? Que font-ils? Que valent-ils? Nous étions cent fois moins dans les années 70 et nous avons été sur le front du développement.
En 1962 l'Algérie était à 60% hydraulique et 40% charbon. Depuis, le gaz naturel a étouffé toutes velléités de développement. Nous avons construit 75 barrages. Pourquoi n'avons-nous pas des barrages hydroélectriques? Il y a un problème? On dit qu'il y a un surcoût de 20%. Pourquoi nous ne l'avons pas fait? Dans une stratégie énergétique on met tout à plat. Et on règle en priorité les anomalies criardes. De mon point de vue, nous sommes tous responsables du gaspillage qui est devenu un sport national encouragé par des prix dérisoires qui n'encouragent pas la sobriété On continue à acheter des équipements énergivores. Des voitures qui dépassent pour certaines 150 g de CO2 par km. Chose qui est interdite en Europe. Parce que la norme en Europe est de 120 g, voire 100g. C'est 30% d'énergie de perdue, mais que nous achetons à près de 2,5 milliards de dollars dont une partie part par les frontières.
Comment se présente le futur?
Le monde de l'énergie est plus chaotique que jamais. Les guerres pour l'énergie vont continuer, il y aura des guerres qui seront dues au climat, des guerres de l'eau, des guerres pour la nourriture. La situation est totalement différente de 1971 où le marché était plus cohérent, sans contrainte en termes d'approvisionnement A titre d'exemple, l'Algérie aura à lutter pour garder ses parts de marché en gaz naturel et devra s'attendre à partir de 2018 à une demande des acheteurs pour la mise en place d'un prix spot qui fera baisser les prix à moins de 6 dollars le million de BTU. Elle devrait s'adapter avec une combinaison des contrats à long terme (5 à 10 ans) et une vigilance sur le marché spot avec d'autres acteurs, l'inévitable adversaire gazier le Qatar, mais des nouveaux acteurs tels que la Russie qui va être l'un des leaders de la fourniture de GNL dans la zone Asie-Pacifique en ravitaillant la Chine. Ainsi, en 2017, la Chine a importé plus de 94 milliards de mètres cubes de gaz naturel avec, environ 52 milliards de mètres cubes, sous la forme de GNL. D'autres pays interviendront, le Mozambique, Israël qui vient de conclure un contrat pluri-annuel avec l'Egypte et la Jordanie. La négociation sera de plus en plus difficile pour placer le gaz et il serait utile dans ce cadre d'inciter les pays qui nous vendent leurs produits d'accepter une nouvelle vision.
Inventer un nouveau 24 Février de l'intelligence
Imaginons que nous sommes en 2030. La population sera de 52 millions de personnes. Pour la consommation interne, en supposant un modeste développement qui nous fera passer de 1 tonne de pétrole consommée par habitant et par an à seulement 2 tonnes, c'est 100 millions de tonnes à mobiliser. Nous les aurons de moins en moins, ce qui va se ressentir d'une façon drastique sur notre rente car étant mono-exportateur. A ce rythme de gaspillage frénétique de nos ressources, l'Algérie aura épuisé sans discernement ses ressources, véritables défenses immunitaires. Ce sera le chaos.
Imaginons par contre, un gouvernement fasciné par l´avenir, la première chose à faire c´est de miser sur l´intelligence et le savoir. Un pays sans ressources pétrolières comme l´Inde, exporte pour 25 milliards de dollars de logiciels. Chacun sait par exemple, que le modèle énergétique algérien prenant en compte les profondes mutations du marché énergétique mondial dans un contexte d´évaporation, est à inventer. En fait, il faut passer de la situation où personne ne se sent concerné à une situation où tout le monde, à des degrés divers, se sent concerné.
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