Si nous prenons le terme de crise dans son sens le plus simple, c'est-à-dire comme celui qui désigne par exemple un moment dangereux et décisif dans la vie d'une personne ou d'une société, et ce, quelles que soient les divergences qui peuvent caractériser les positions et les points de vue en ce domaine, peu de gens censés, me semble-t-il, contestent aujourd'hui le fait que notre pays, et tous ceux de la région à laquelle nous appartenons, il faut le reconnaître, celle que nous appelons communément arabo-musulmane, sont bel et bien en crise, depuis déjà très longtemps. Une crise économique certes mais aussi : politique, sociale, culturelle, morale, etc. Certains, pour résumer cette situation, parlent d'une crise «civilisationnelle». Et si, pour beaucoup, la crise est surtout politique, il me semble que le problème est plus profond, même si nos systèmes et nos régimes politiques sont loin d'être sains. En réalité, de par leur position et le rôle crucial qu'ils jouent dans la vie sociétale contemporaine, nos régimes politiques en sont parmi les principales causes et ont même tendance à amplifier davantage la crise au lieu de la résoudre. Mais, en voyant les choses de façon plus sérieuse et plus approfondie, on peut dire qu'ils peuvent être considérés, eux aussi, en plus d'en être des causes, comme des effets de cette crise. Et croire que la sphère politique, en dépit de son importance, est la sphère la plus profonde de la vie des sociétés humaines me semble une des causes essentielles qui nous empêchent de mieux définir les causes de notre situation. Et c'est à partir de là que je propose ici, en m'inspirant des idées du grand sociologue français Alain Touraine, de voir en notre crise celle de ce qu'il appelle l'historicité.
Notre crise peut-elle donc vraiment être utilement envisagée comme une crise d'historicité au sens que donne ce penseur à cette notion? La réponse est affirmative, et le but de ma présente et modeste contribution est de proposer ce point de vue, celui qui considère que notre crise est une crise d'historicité. A cet effet, je vais d'abord essayer de cerner le sens de ce concept, tel que le définit son auteur lui-même et, ensuite, tenter de montrer comment, au-delà de nos difficultés économiques, politiques , notre crise peut être considérée comme une crise d'historicité.
Qu'est-ce que l'historicité ?
L'historicité est l'un des concepts centraux dans l'œuvre du sociologue Alain Touraine. En lisant différents travaux de ce dernier et en lisant aussi beaucoup de ceux qui se sont intéressés à cette notion chez lui, on peut dire, en simplifiant beaucoup (trop ?), qu'en résumé Touraine définit cette notion comme la capacité de la société de produire ses orientations sociales et culturelles à partir de son activité et de donner un sens à ces pratiques. En outre, il considère que cette historicité constitue l'objet de luttes des mouvements sociaux qui se manifestent dans les sociétés et qui cherchent à en contrôler l'orientation. Ainsi, et pour mieux saisir le sens de ce concept, il est très utile, comme on peut le constater, de souligner ce que Touraine désigne par le terme de «société» lui-même. Pour lui, la société est le résultat de l'action sociale et le produit des relations sociales. C'est pour cela que Touraine considère la société beaucoup plus comme une production, et non une reproduction comme a tendance à le soutenir son compatriote Pierre Bourdieu. En plus de cela, pour Touraine, la société est une hiérarchie de plusieurs systèmes d'action, un réseau de mouvements sociaux, de luttes politiques et de créations culturelles. Donc, Touraine considère que toute société agit sur elle-même et produit la culture à travers une suite de conflits. Elle se présente comme un système d'acteurs défini par l'action culturelle et par les orientations culturelles opérant à trois niveaux : celui, justement, de l'historicité, contenant le système d'action historique et des rapports de classe, celui des décisions et des institutions politiques, et enfin celui du fonctionnement organisationnel.
A partir de là, Touraine envisage l'historicité, comme une action créatrice par laquelle la société se transforme et se produit elle-même à travers la lutte et le conflit. Elle se construit autour de l'enjeu, de la lutte pour le contrôle de l'historicité. Et c'est lorsqu'une pratique sociale est considérée comme efficace par le plus grand nombre d'individus qu'elle devient une norme, qui, elle, contribue à mieux organiser et gérer l'ordre social. Quant au système institutionnel et politique, il est l'historicité transformée en règles de vie sociale qui sont à la base du fonctionnement des organisations.
Ainsi, Touraine appelle-t-il historicité cette distance que la société prend par rapport à son activité et cette action par laquelle elle détermine les catégories de sa pratique. C'est pour cela que pour notre auteur, La société n'est pas ce qu'elle est mais ce qu'elle se fait être. C'est alors que pour ce sociologue les sociétés à forte historicité, qui ne sont autres que les sociétés industrielles contemporaines, sont le produit de leur propre action et ne peuvent être analysées selon les mêmes principes que les sociétés traditionnelles, qu'il met en opposition aux premières. Car, n'ayant pas ou peu d'historicité, et donc incapables de se produire, les sociétés traditionnelles ou non industrielles, ont tendance à se reproduire sous la conduite d'une religion, d'une monarchie, on peut ajouter : «d'un pouvoir politique anachronique», etc. Le but de l'historicité est alors de repenser la dynamique de l'histoire ainsi que la capacité d'action des individus qu'il nomme acteurs du changement.
Il est important de comprendre enfin que l'action qui est exercée par l'historicité sur la société n'est pas faite de façon directe. Elle le fait par un intermédiaire que Touraine nomme le système d'action historique. Ce dernier serait selon lui le cadre dans lequel le mouvement social cherche à modifier les valeurs de la société. Le champ d'historicité est l'objectif du changement social, car il s'inscrit dans la logique d'une transformation d'un système historique et de ses rapports de classe.
Notre crise peut-elle donc vraiment être utilement envisagée comme une crise d'historicité au sens que donne ce penseur à cette notion? La réponse est affirmative, et le but de ma présente et modeste contribution est de proposer ce point de vue, celui qui considère que notre crise est une crise d'historicité. A cet effet, je vais d'abord essayer de cerner le sens de ce concept, tel que le définit son auteur lui-même et, ensuite, tenter de montrer comment, au-delà de nos difficultés économiques, politiques , notre crise peut être considérée comme une crise d'historicité.
Qu'est-ce que l'historicité ?
L'historicité est l'un des concepts centraux dans l'œuvre du sociologue Alain Touraine. En lisant différents travaux de ce dernier et en lisant aussi beaucoup de ceux qui se sont intéressés à cette notion chez lui, on peut dire, en simplifiant beaucoup (trop ?), qu'en résumé Touraine définit cette notion comme la capacité de la société de produire ses orientations sociales et culturelles à partir de son activité et de donner un sens à ces pratiques. En outre, il considère que cette historicité constitue l'objet de luttes des mouvements sociaux qui se manifestent dans les sociétés et qui cherchent à en contrôler l'orientation. Ainsi, et pour mieux saisir le sens de ce concept, il est très utile, comme on peut le constater, de souligner ce que Touraine désigne par le terme de «société» lui-même. Pour lui, la société est le résultat de l'action sociale et le produit des relations sociales. C'est pour cela que Touraine considère la société beaucoup plus comme une production, et non une reproduction comme a tendance à le soutenir son compatriote Pierre Bourdieu. En plus de cela, pour Touraine, la société est une hiérarchie de plusieurs systèmes d'action, un réseau de mouvements sociaux, de luttes politiques et de créations culturelles. Donc, Touraine considère que toute société agit sur elle-même et produit la culture à travers une suite de conflits. Elle se présente comme un système d'acteurs défini par l'action culturelle et par les orientations culturelles opérant à trois niveaux : celui, justement, de l'historicité, contenant le système d'action historique et des rapports de classe, celui des décisions et des institutions politiques, et enfin celui du fonctionnement organisationnel.
A partir de là, Touraine envisage l'historicité, comme une action créatrice par laquelle la société se transforme et se produit elle-même à travers la lutte et le conflit. Elle se construit autour de l'enjeu, de la lutte pour le contrôle de l'historicité. Et c'est lorsqu'une pratique sociale est considérée comme efficace par le plus grand nombre d'individus qu'elle devient une norme, qui, elle, contribue à mieux organiser et gérer l'ordre social. Quant au système institutionnel et politique, il est l'historicité transformée en règles de vie sociale qui sont à la base du fonctionnement des organisations.
Ainsi, Touraine appelle-t-il historicité cette distance que la société prend par rapport à son activité et cette action par laquelle elle détermine les catégories de sa pratique. C'est pour cela que pour notre auteur, La société n'est pas ce qu'elle est mais ce qu'elle se fait être. C'est alors que pour ce sociologue les sociétés à forte historicité, qui ne sont autres que les sociétés industrielles contemporaines, sont le produit de leur propre action et ne peuvent être analysées selon les mêmes principes que les sociétés traditionnelles, qu'il met en opposition aux premières. Car, n'ayant pas ou peu d'historicité, et donc incapables de se produire, les sociétés traditionnelles ou non industrielles, ont tendance à se reproduire sous la conduite d'une religion, d'une monarchie, on peut ajouter : «d'un pouvoir politique anachronique», etc. Le but de l'historicité est alors de repenser la dynamique de l'histoire ainsi que la capacité d'action des individus qu'il nomme acteurs du changement.
Il est important de comprendre enfin que l'action qui est exercée par l'historicité sur la société n'est pas faite de façon directe. Elle le fait par un intermédiaire que Touraine nomme le système d'action historique. Ce dernier serait selon lui le cadre dans lequel le mouvement social cherche à modifier les valeurs de la société. Le champ d'historicité est l'objectif du changement social, car il s'inscrit dans la logique d'une transformation d'un système historique et de ses rapports de classe.
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