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Guerre de l'acier: "personne n'en sortira vainqueur"

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  • Guerre de l'acier: "personne n'en sortira vainqueur"

    Donald Trump met (enfin) ses menaces protectionnistes à exécution. Jeudi dernier, le président américain a annoncé une augmentation des tarifs douaniers sur l'acier (25%) et l'aluminium. Ce faisant, il s'assied sur les règles du commerce international définies par l'OMC et provoque inquiétude et indignation chez ses partenaires commerciaux, notamment européens

    Après de nombreuses menaces, Donald Trump a finalement annoncé des mesures protectionnistes jeudi dernier, avec l'introduction de droits de douane de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium. Le lendemain, le président américain justifiait - sur Twitter - cette décision : "Quand un pays (les Etats-Unis) perd des milliards de dollars en commerçant avec virtuellement tous les pays avec lesquels il fait des affaires, les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner". La réponse de l'Europe, par le biais du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne s'est pas fait attendre : "Cette décision ne peut qu'aggraver les choses. Nous ne resterons pas les bras croisés pendant que notre industrie est frappée par des mesures injustes". Une réponse agressive qui pose de nombreuses questions. Se dirige-t-on vraiment vers une guerre commerciale ? Quelles "représailles" peut envisager l'Europe ? Mais surtout, est-ce que ces mesures protectionnistes sont vraiment favorables à l'économie américaine ? Éléments de réponse avec Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII).

    Comment analyser les mesures de protectionnisme économique annoncées par Donald Trump jeudi dernier ?

    À mon sens, ces mesures ne sont pas seulement un incident de plus et sont difficilement comparables aux mesures de sauvegarde du secteur de l'acier prises sous l'administration Bush en 2002. Elles peuvent marquer une rupture pour trois raisons essentielles : une de taille d'abord, puisqu'elles concernent un montant d'importation sans précédent, près de 50 milliards de dollars par an. Une de méthode ensuite : en invoquant la sécurité nationale, Trump brise une sorte de tabou dans le système commercial multilatéral précisément conçu pour régler les problèmes sur la base de règles et non de rapports de force politiques. Or là, la motivation est purement politique. Enfin, ces mesures suggèrent qu'il y a un déplacement des équilibres dans l'équipe de conseillers qui entourent Trump, aux bénéfices du nationalisme économique. Et ça, ça augure mal de la suite.

    Trump avait fait campagne, et répète à l'envi depuis qu'il est élu, que sa politique économique serait centrée sur l'emploi et la réduction des déficits commerciaux des États-Unis. Ces mesures agiront-elles positivement sur ces indicateurs ?

    Différentes études réalisées sur l'épisode d'une ampleur moindre de 2002 ont montré que les mesures avaient eu un effet positif sur le cours des entreprises sidérurgiques. D'ailleurs, elles ont toutes pris au moins 10% la semaine dernière. En revanche, l'impact sur l'emploi, dont se targue Donald Trump, est très négatif. Si quelques emplois peuvent potentiellement être créés ou sauvés dans la sidérurgie, des milliers, voire des dizaines de milliers d'emplois seront détruits dans les entreprises utilisatrices d'acier car le prix du matériau importé augmente donc la compétitivité des activités utilisatrices d'acier diminue. (ndlr : Les Etats-Unis ont importé 35,6 millions de tonnes en 2017, pour 33,6 milliards de dollars soit 36% de leur production).

    Sur la balance commerciale américaine, l'effet sera anecdotique. À cet égard, la politique de l'administration Trump est d'ailleurs complètement incohérente. Il dit vouloir lutter contre les déficits commerciaux et passe, dans le même temps, une réforme fiscale qui creuse de manière très importante le déficit public, qui va lui-même creuser le déficit commercial américain. Ce dernier a déjà augmenté de plus de 10% en 2017.

    Comment peut répondre l'Union européenne ?

    C'est une situation délicate pour les Européens et pour l'ensemble des partenaires des Etats-Unis. Même si l'économie américaine n'a rien à gagner avec ces taxes protectionnistes, il n'en reste pas moins que nous, leurs partenaires, nous avons beaucoup à perdre. Contrairement à ce que dit Donald Trump, personne n'a rien à gagner d'une guerre commerciale qui créé beaucoup plus de coûts, notamment par l'inflation que cela importe, qu'elle n'engendre de bénéfices. Personne n'a intérêt à aller dans ce sens.

    D'un autre côté, ne rien faire et laisser les coudées franches à Trump pour qu'il mène sa politique protectionniste n'est pas une solution viable non plus, si ?

    Notre système commercial multilatéral est régi par des accords internationaux, des engagements et des règles. Elles ont des défauts mais la seule alternative serait une gestion des relations commerciales basées essentiellement sur le rapport de force politique. Ce n'est pas dans l'intérêt de l'UE qui a moins de cohésion politique qu'un État. Il faut se garder de donner dans la surenchère et d'alimenter ce processus. Mais dans le même temps, on comprend bien qu'on ne peut pas laisser une mesure comme celle-là, qui est une violation manifeste et délibérée des engagements des Etats-Unis, sans réponse. À la fois parce qu'on ne veut pas valider la stratégie du président américain et parce que répondre, c'est aussi se donner les moyens de limiter les dégâts.

    Alors que peut faire l'Europe, concrètement ?

    La réponse la plus naturelle consiste, non pas à obtenir des avantages économiques par des mesures de rétorsion, mais à tenter de concevoir des rétorsions commerciales politiquement ciblées politiquement, pour tenter d'influer sur les décisions politiques américaines. Comment ? On peut identifier les produits dont la fabrication est concentrée dans les circonscriptions politiquement sensibles, là où l'un des ténors de la majorité républicaine est élu par exemple. Donc attaquer les produits des circonscriptions de Paul Ryan (Wisconsin) ou Mitch McConnell (Kentucky), avec les Harley Davidson dans le premier cas et le bourbon dans le second.

    On va également cibler des produits agricoles car les circonscriptions rurales sont très présentes au Sénat américain où chaque État, quel que soit sa taille, est représenté par deux sénateurs. On peut envoyer des signaux pour expliquer aux Américains que s'ils ne jouent pas le jeu, nous sommes prêts à avancer avec d'autres partenaires économiques et qu'ils risquent de se mettre à l'écart durablement du jeu de l'économie mondiale. Mais on ne peut les forcer à rien, évidemment.

    En cas de "contre-mesures" adoptées par l'Union européenne, Trump a déjà annoncé qu'il n'hésiterait pas à taxer également les voitures européennes. Faut-il craindre la suite ?

    Il peut aller plus loin oui, et c'est la raison pour laquelle ces mesures sont importantes et inquiétantes. Au-delà de leur impact direct, il y a clairement un affichage de la part du président Trump de l'absence de volonté de continuer à assumer un leadership au niveau mondial. C'est le début de la matérialisation sérieuse des options protectionnistes prônées par Trump qui, pour l'instant, prenaient des formes beaucoup moins concrètes. Il me semble qu'on peut légitimement craindre que ce soit seulement le début d'une phase de tension très forte sur les questions commerciales.

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