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100 ans des accords Sykes-Picot : "Ils ont inventé une paix qui ressemble à la guerre"

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  • 100 ans des accords Sykes-Picot : "Ils ont inventé une paix qui ressemble à la guerre"

    Dans un livre fascinant, l'historien James Barr raconte comment la France et l'Angleterre se sont partagé le Moyen-Orient en 1916. Un découpage des frontières à l'origine des conflits actuels.

    Le livre est tout simplement passionnant : "A Line in the Sand", publié en 2011 (Simon & Schuster), est une analyse fascinante des relations entre la France et l’Angleterre, sur la question du Moyen-Orient. Tout s’explique : le chaos actuel, les conflits constants, les revendications permanentes. Car l’accord Sykes-Picot, en pleine Première Guerre Mondiale, n’a rien résolu. Bien au contraire.

    Selon James Barr, professeur d’Histoire à Oxford et auteur du livre, tout a été mis en place en 1916 pour que la région ne soit plus jamais pacifiée. La Syrie en feu, le terrorisme, la question de Jérusalem, le problème du Canal de Suez, tout se mêle. A lire le récit de James Barr, on comprend que rien ne pouvait se dérouler autrement : les grandes puissances coloniales, au début du XXe siècle, ont créé un monstre, le Levant. Et ont mis en place les conditions parfaites pour une guerre sans fin. Le livre de James Barr sera publié en France à la rentrée 2016, chez Perrin : lecture essentielle pour comprendre les enjeux de cet Orient ravagé.

    Un entretien avec James Barr par François Forestier.

    Qu’est ce que l’accord Sykes-Picot ?

    - C’est un traité négocié à la fin de 1915 et signé le 16 mai 1916, en pleine guerre mondiale, pour se partager les dépouilles de l’Empire Ottoman. C’était un accord entre la Grande-Bretagne et la France – mais également la Russie. La Grande Bretagne était représentée par Mark Sykes, un membre du parlement, conservateur, et la France par François Georges-Picot, diplomate. Ce dernier était le fils de Georges Picot, historien, biographe et avocat. Au lieu de suivre les traces de son père, François Georges-Picot a préféré rejoindre le Quai d’Orsay, en 1898, l’année de Fachoda. Il me semble que cet "incident" a été formateur, pour lui. Il a été très choqué par la façon dont la France avait reculé, à Fachoda. Sa façon de négocier sera désormais influencée par cet événement historique : il va devenir un négociateur très dur. Voilà pour les acteurs. En ce qui concerne le terrain, l’accord partageait le Moyen-Orient en deux, selon une ligne droite qui allait "du A de Acre jusqu’au dernier K de Kirkouk", selon Sykes – ce sont ses propres mots, tels qu’ils apparaissent dans les minutes de la réunion.

    Deux zones d’influence, donc ?

    - Oui. Au Nord de cette ligne, la zone française. Au Sud, la zone anglaise. A l’intérieur de ces deux zones, il y avait des territoires soumis à un contrôle direct, comme le Liban et une frange côtière de la Syrie, sous administration française, tandis que le reste, la "zone arabe" (Damas, Alep, Mossoul) était "zone d’influence". Coté britannique, il y avait Acre, le Koweït, la Mésopotamie sous administration directe, le sud de la Syrie ainsi que la Jordanie, avec la Palestine, sous "influence". Ajoutons les ports, Haïfa, Saint-Jean-d’Acre et Jérusalem. Des villes comme Bassora et Bagdad se retrouvaient dans la partie britannique.

    La ligne de partage avait-elle une logique ?

    - Pas vraiment. C’était, comme le dit le titre de mon livre, "Une ligne dans le sable". En revanche, il y avait une logique politique : c’était, pour les Anglais, d’éviter que les Français puissent accéder aux cités sacrées, Médine et La Mecque. L’Angleterre, alors, se considérait comme la plus grande puissance du monde musulman. Il y avait plus de musulmans dans l’Empire Britannique que n’importe où ailleurs, si on prenait en considération l’Égypte, le Soudan, l’Inde. Les Français, eux aussi, avaient une importante population musulmane et étaient vaguement convaincus de pouvoir contrôler leurs territoires en ayant Damas dans leur escarcelle.

    Les Anglais voulaient établir une bande de territoire allant de la Méditerranée jusqu’au golfe Persique et éloigner les Français de ce qui est aujourd’hui l’Arabie Saoudite, de la mer Rouge et du Golfe Persique. Cette bande, c’était la voie de passage pour l’Inde, bastion important de l’Empire Britannique. Donc, non, la ligne de partage n’avait pas de rationalité autre qu’une idée simpliste : tout ça, c’est du sable, on trace un trait, on ne tient pas compte des territoires des tribus, des tracés de fleuves, des voies de communication, de la géographie. C’est une ligne purement géométrique. Tout a été fait avec désinvolture.



    Mais les choses ont changé…

    - Plus tard, les Anglais ont réalisé qu’il y avait d’importants gisements pétroliers au Nord de la ligne. A la fin de la première Guerre Mondiale, ce pétrole est devenu un enjeu. Car les Anglais se sont dit qu’en cas d’une autre guerre mondiale, il ne serait pas dit que les Américains viendraient à la rescousse. Il fallait donc s’assurer des sources d’approvisionnement en pétrole, notamment en Irak. La marine britannique – la plus puissante du monde – avait un besoin absolu de ce pétrole. Donc, après la guerre, quand Lloyd George a rencontré Clemenceau, en décembre 1919, les négociations ont repris ; Clemenceau avait besoin de Lloyd George pour récupérer l’Alsace-Lorraine, et, en échange, il a cédé Mossoul et la totalité de la Palestine. A vrai dire, la question du Moyen-Orient n’intéressait pas tellement Clemenceau. Lloyd George, lui, avait eu une éducation religieuse, et, pour lui, les lieux saints avaient de l’importance. De plus, il y avait un intérêt stratégique : protéger le Canal de Suez.

    La question religieuse a joué entre Sykes et Picot ?

    - Certes. Pour les Français. Ceux-ci avaient la réputation d’être les protecteurs des lieux saints. Pour certains Anglais, comme Sykes, toute cette région n’était peuplée que de barbares, qui, selon ses propres mots, "ne jouent même pas au cricket".

    Peut-on dire que tous les problèmes actuels proviennent de cette mainmise européenne sur le Moyen-Orient ?

    - Ce n’est pas la seule raison, mais l’accord Sykes-Picot est l’une des causes majeures du chaos actuel. Ainsi, Sykes et Picot n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur l’avenir de la Palestine. Sykes voulait ce territoire pour des raisons stratégiques, et Georges-Picot mettait en avant les raisons religieuses et historiques. Détail important : l’accord a été signé par Georges-Picot à l’encre noire, et Sykes l’a signé… au crayon noir. Voilà qui dit tout.

    Et les Juifs ?

    - Les Anglais ont immédiatement pris contact avec les Sionistes, pour les aider à remettre en question l’accord, dès sa signature. Il faut se replacer dans l’époque : l’impérialisme était de plus en plus critiqué, notamment par les Etats-Unis. Les Anglais voulaient stopper cette ingérence américaine, et c’est ainsi qu’ils ont approché les Sionistes, en leur promettant la Palestine. Ceux-ci voulaient y créer un état juif, et, sous le parapluie anglais, cet état ferait pièce aux ambitions des Français et des Américains. D’où la déclaration Balfour, le 2 novembre 1917 : "Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif…"

    La Syrie, elle, posait un problème particulier : vide du pouvoir, assassinats en série, chaos… C’est presque la situation d’aujourd’hui ?

    - Depuis toujours, la Syrie est un état instable, sauf pour la période Assad – quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir de cette famille. La Syrie a toujours été un terrain d’affrontement entre grandes puissances. En 1957, par exemple, les Anglais et les Américains ont tenté de se débarrasser du gouvernement syrien, pro-soviétique, et de le remplacer par une bande de personnages de droite, avec l’appui des irakiens. Le plus curieux, c’est qu’en Syrie, il n’y a pas de pétrole, et que la seule source de conflit, c’est l’emplacement de ce pays, qui est un carrefour entre différents pays, différentes nations.

    Rien de neuf, donc, dans cette région. En 1916 et dans les années suivantes, on voit tout ce qui va arriver plus tard : le terrorisme, le gazage des populations, les massacres.

    - L’histoire ne se répète pas vraiment. Aujourd’hui, on pense au terrorisme islamique, ou arabe. Il y a eu du terrorisme arabe dans les années 1930, certes, mais le terrorisme sioniste des années 1940 a été très efficace.

    Oui, mais le terrorisme sioniste répondait à une stratégie précise, frapper les centres de commande. Le terrorisme actuel est aveugle…

    - Les terroristes sionistes avaient des buts, et une idée très précise de leur action. Ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. Le message est terrible : le terrorisme paie. Vu l’agitation arabe, le gouvernement de Sa Majesté a mis des quotas très stricts pour l’immigration juive, restreignant notamment l’arrivée des Juifs d’Europe Centrale en 1939. Pour les Sionistes, c’était intolérable.

    Vous avez découvert qu’après la deuxième Guerre Mondiale, les Français ont secrètement fait parvenir des armes aux Sionistes…

    - L’idée était d’expulser les Britanniques de la Palestine. Les relations entre les Français et les Anglais étaient alors mauvaises. Les archives anglaises, récemment déclassifiées, montrent que ces livraisons d’armes étaient importantes. Et la raison de ces agissements, c’est le conflit latent entre les deux pays, conflit qui n’a cessé depuis l’accord Sykes-Picot. En livrant ces armes, les Français se vengeaient des avanies que leur avaient fait subir les Anglais dans les colonies. Notamment à Beyrouth et Damas, pendant la guerre. Vichy avait soutenu le groupe Stern, contre les Anglais.

    En 1948, la France a commencé à livrer beaucoup d’armes aux Juifs. Donc, on peut dire que la République Française a grandement participé à l’établissement de l’état d’Israël. L’autre raison des Français, alors, c’est l’apparition d’un nationalisme algérien, qu’il fallait mater. Un état Juif serait donc un bon contrepoids, un allié. De Gaulle n’était pas spécialement pro-Juif, mais les intérêts supérieurs de la politique dictaient ce choix. Ajoutons que le général a été très maltraité au Levant par Edward Spears, l’envoyé spécial de Churchill, qui le considérait comme un agitateur.

    L’accord Sykes-Picot a généré un chaos, et un personnage aussi trouble que le mufti Al-Husseini a profité de ce désordre…

    - Le cas du mufti, qui a fondé une légion de SS arabes et qui a rencontré Hitler, est intéressant. Il a introduit les nazis dans le jeu du Moyen-Orient. Leur but, évidemment, était de chasser les Juifs, de s’emparer des champs pétroliers de la mer Noire, de priver la marine anglaise de la ressource pétrolière, et de faire jonction avec l’Inde, occupée par les Japonais. Par chance, le plan n’a pas pu être réalisé. Sinon, c’était une catastrophe…

    Au fond, l’accord Sykes-Picot est le début de la décomposition des empires…

    - La guerre de 14-18 mettra à mort trois empires : l’empire russe, l’empire ottoman, l’empire de Prusse ; c’est aussi le début de la fin des empires français et britanniques. Ce qui frappe aujourd’hui, dans l’accord Sykes-Picot, c’est l’extrême dédain manifesté pour les peuples concernés. On crée des zones d’influence sans prendre en compte les intérêts des populations, on crée des frontières qui seront toujours sources de conflits, on ne respecte jamais les aspirations nationales, c’est juste un jeu de cartes.

    J’ajoute que Georges-Picot était un diplomate professionnel rigide, tandis que Mark Sykes n’y connaissait pas grand-chose, et était simplement arrogant. A eux deux, ils ont mis en place les conditions idéales pour que nul ne soit satisfait. Ils ont inventé une paix qui ressemble fortement à la guerre.

    Par François Forestier
    Obs
    dz(0000/1111)dz

  • #2
    On crée des zones d’influence sans prendre en compte les intérêts des populations, on crée des frontières qui seront toujours sources de conflits, on ne respecte jamais les aspirations nationales, c’est juste un jeu de cartes.
    ces pays arabes qui représentent quantitativement 1/5 de la population musulmane sont dans cette situation pour des raisons qui sont loin d'être reliées à la religion, ils auraient très bien pu être d'une autre croyance et même ne pas en avoir de religion, que ces mouvements violents auraient existé car c'est une histoire et des implications multiples qui expliquent les situations actuelles.

    Aujourd'hui, plusieurs questions restent d'actualité notamment celle-ci:

    Que deviendront les peuples et les frontières au proche et moyen-orient ?

    La question reste sans réponse, mais il est fort possible que des alliances se créent à nouveau entre les habitants locaux, les gouvernants de ces pays, les puissances régionales et internationales.

    En attendant, le nombre de morts des civils, ainsi que les frustrations en lien avec les libertés des individus continuent à augmenter.
    dz(0000/1111)dz

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