Annonce

Réduire
Aucune annonce.

L'énigme de la mort du marabout El Hadj Mamba

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • L'énigme de la mort du marabout El Hadj Mamba

    El Hadj Mamba était très connu. Trop ? Est-ce pour cela qu'on l'a tué ? On venait de loin pour le voir, "surtout des Arabes, mais aussi des Noirs et des Blancs", se rappelle Mme Dos Santos, la concierge du 181, avenue de Clichy, un ensemble d'immeubles calmes et défraîchis, au fond du 17e arrondissement de Paris, à deux pas du périphérique. Le marabout et sa famille faisaient partie des plus vieux locataires. Des plus aisés aussi. Ils disposaient de quatre petits appartements, dont l'un, au rez-de-chaussée sur cour, faisait office de bureau. Une feuille de papier est scotchée sur les volets clos : "Suite au décès d'El Hadj Mamba Diakhaby, survenu le 7.01.07 à son cabinet, la famille ne reçoit plus de clients. Pour tout renseignement, veuillez vous adresser au commissariat de police. Merci de votre compréhension."

    Assassiné d'une balle dans la nuque, le paisible quinquagénaire, originaire du Sénégal, n'a pas vu venir la camarde. Et personne n'a entendu quoi que ce soit : la télévision, installée dans la salle d'attente, était allumée, le son monté à fond. "C'est l'un de ses fils qui l'a découvert. On était un dimanche, il devait être 7 heures du soir", précise la concierge. Le tueur n'a pas fait d'erreur de timing. A la nuit tombée, un dimanche de janvier, le risque de croiser un éventuel témoin est minime. Une enquête judiciaire a été ouverte, mais, comme l'admet le parquet de Paris, rien ne dit que le "travail de fourmi" des policiers aboutisse rapidement : à ce jour, ces derniers n'ont "pas la moindre piste". La liste des derniers rendez-vous offre - hélas ! - "une foule de possibilités". Celle d'un client mécontent n'est pas la plus plausible. "Ce qui marque la pratique maraboutique, c'est justement la médiatisation de la violence - par les talismans, etc.", relève l'anthropologue Liliane Kuczynski, auteur d'un ouvrage-clé sur Les Marabouts africains à Paris (CNRS éditions, 2002). L'hypothèse d'un crime crapuleux ne semble pas non plus très convaincante. "Rien n'a été touché : ni son argent ni le poste de télé", assure la concierge, pour qui l'assassinat du marabout est un "traumatisme pour tout le monde".

    Un habitant de l'immeuble, son vélo à la main, approuve : "Les marabouts, je n'y connais rien. Mais, sur le plan humain, cette famille, c'est vraiment des gens bien : polis, discrets, gentils !" El Hadj Mamba aurait-il pu être victime d'un de ses confrères, jaloux de son succès ? La campagne de publicité qu'il s'était offerte sur les ondes de Beur FM aurait-elle fait des envieux ? Une chose est sûre : le mage noir de l'avenue de Clichy, dont la haute silhouette et le boubou immaculé ornaient son blog sur Internet, faisait partie du quartier et, au-delà, de la grande famille du peuple parisien.

    Arrivés en France dans les années 1970-1980, la majorité des marabouts d'Afrique de l'Ouest ont principalement essaimé dans le nord et l'est de la capitale. Le plus souvent originaires du Sénégal ou de Guinée, ils seraient aujourd'hui autour de 300 dans Paris. "Aucun n'habite le 1er arrondissement ni les beaux quartiers de la rive gauche", note Liliane Kuczynski. Et rares sont ceux qui exercent leurs talents dans les 2e, 9e, 10e et 16e arrondissements, où sont plutôt installés les voyants - profession libérale à laquelle les marabouts sont "statutairement assimilés". Bien qu'ils soient supposés posséder des dons de divination similaires, gare à ne pas confondre Madame Soleil et le Professeur Cissé !

    Le mot "marabout" a lui-même plusieurs sens. Il désigne celui qui possède "des pouvoirs magiques de devin ou de guérisseur", explique, sur son site Internet, l'universitaire Modou Ndiaye, de la faculté des lettres de Dakar (Sénégal). Il peut aussi "être l'équivalent du mot "cheikh", emprunté à l'arabe, désignant un chef religieux musulman, un guide spirituel" ou, enfin, "désigner un maître (...) qui enseigne le Coran aux enfants".

    Installé à Paris depuis plus de vingt ans, Hamdine Tall, qui a appris le métier de guérisseur auprès d'une Peule réputée de la région du Fleuve, à la frontière mauritano-sénégalaise, fait une nette différence entre cette activité ancestrale, souvent exercée par les femmes en Afrique, et les fonctions, exclusivement masculines, du marabout, "défini comme un homme de Dieu dans la religion musulmane".

    Chef de service à l'hôpital Avicenne de Bobigny, l'ethno-psychiatre Marie-Rose Moro va plus loin encore : en Afrique, explique-t-elle, les guérisseurs sont "interdits par l'islam radical", lequel, "comme tous les monothéismes", essaye d'"abraser tous les autres savoirs" et de les "réduire à un seul".

    Marabouts contre guérisseurs ? Cette nouvelle guerre africaine aurait-elle ses prolongements à Paris ? Serait-elle, de près ou de loin, à l'origine de l'assassinat du médium de l'avenue de Clichy, si fier d'avoir fait le "hadj", le pèlerinage à La Mecque ? Sans doute pas : les "petits entrepreneurs religieux", comme Mme Kuczynski appelle les marabouts de Paris, sont des bricoleurs de génie, mariant un islam "ordinaire", "quotidien", fort éloigné de la bigoterie intégriste et de ses foudres, aux séductions de la magie et de la superstition. A la station de métro Barbès-Rochechouart ou à celle de Château-Rouge, les cartes de visite des marabouts distribuées aux passants ne disent rien de ces conflits. Le nom d'Allah n'est jamais mentionné. On y vend la "protection contre tous les mauvais esprits", on y promet "succès aux examens, réussite dans tous les domaines" et "désenvoûtements" à gogo. "Vous serez aimé et votre partenaire reviendra. Il courra derrière vous comme un chien derrière son maître", assure la réclame d'un "grand médium" de la rue Leibniz, dans le 18e arrondissement.

  • #2
    Sur une carte, distribuée à Barbès, il se fait appeler "Pr Mohamed Aly" ; sur une autre, trouvée à Château-Rouge, "Professeur Bengali", titre qu'il agrémente d'un dessin représentant l'étoile et le croissant, symbole de l'islam. Sur les deux cartes de visite, la photo du "grand médium" est la même. Charlatanisme ? Pas pour ceux qui y croient.

    Si l'on souhaite seulement découvrir le décorum et les accessoires utilisés par les marabouts, il suffit d'un coup de téléphone et d'une histoire fictive, banale de préférence, qui servira de prétexte à la consultation. Celle d'un fils turbulent, à l'adolescence difficile et au carnet scolaire médiocre, fait parfaitement l'affaire. Les trois marabouts consultés, au hasard des cartes de visite collectées, s'en sont accommodés, jouant avec courtoisie ce rôle d'"écouteur public" et de médiateur "généraliste", pointé par Liliane Kuczynski.

    Contrairement à leur confrère assassiné, aucun des trois ne dispose d'un cabinet à lui : c'est dans un coin de l'appartement familial, voire, pour l'un, dans la chambre des enfants, qu'ils reçoivent leurs clients. Le premier, installé au deuxième étage d'un immeuble vétuste du 18e arrondissement, propose un traitement dit "de la vache noire" pour 625 euros, somme extravagante mais négociable.

    Le deuxième, niché près de la station Château-Rouge, suggère une série d'opérations magiques, allant de l'enterrement d'un "oeuf blanc", vidé et traité par ses soins, à la confection d'amulettes, le tout pour un tarif non précisé. Le troisième, un vieux Guinéen "initié au Sénégal puis au Mali", décide de préparer une boisson, à base d'eau minérale et de "petits déchets" aux pouvoirs surnaturels, car provenant, explique-t-il, du frottis d'une tablette coranique. La consultation dure près de vingt minutes, deux fois plus longtemps que chez ses collègues. Seul accessoire visible, un exemplaire du Coran, posé sur la table minuscule qui lui sert de bureau.

    Ses pairs sont moins sobres. Outre le Coran et des livres pieux ostensiblement empilés sous le nez du consultant, l'un utilise successivement des cartes à jouer, des cauris, une noix de cola ; l'autre une corne de bélier et un énorme chapelet. Pour ce premier entretien, les tarifs varient de 20 à 40 euros. Au 181 de l'avenue de Clichy, les choses se passaient-elles différemment ? A en croire la rumeur, le prix de certains traitements pouvait atteindre 20 000 euros.

    Hamdine Tall, aujourd'hui retiré des affaires maraboutiques, n'en est pas étonné. " En plus du traitement lui-même, il y a des clients extrêmement riches, dans les Emirats ou aux Etats-Unis par exemple, qui payent pour que le marabout vienne chez eux. Tout est offert, bien sûr : l'avion, l'hôtel, les frais sur place...", confirme-t-il.

    El Hadj Mamba Diakhaby, dont la dépouille mortelle a été enterrée au Sénégal, est parti avec son mystère. Saluant la concierge, une de ses parentes, habillée à l'occidentale d'un manteau et d'un chapeau clairs, passe avec une gamine en jean et grosse parka. C'est l'une des filles de la victime. "La pauvre petite, soupire la concierge, elle a été tellement secouée ! Sa tante l'emmène chez le psychologue." Qui a dit qu'une amulette devait toujours chasser les autres ?

    Par Le monde

    Commentaire

    Chargement...
    X