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La prosopagnosie, cette incapacité à reconnaître les visages

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  • La prosopagnosie, cette incapacité à reconnaître les visages

    La capacité à reconnaître en moins d’une seconde une voisine, un ami, une conjointe, son enfant et même son propre faciès n’est pas donnée à tout le monde. Cette simple opération cérébrale ne fonctionne tout simplement pas, ou déraille, chez les personnes souffrant de prosopagnosie, un trouble appelé face-blindness en anglais. À l’opposé, certaines personnes présentent plutôt des capacités de reconnaissance faciale hors du commun.

    En marge du développement fulgurant des systèmes de reconnaissance et d’analyse des visages, l’avancement des neurosciences a permis d’approfondir l’étendue du savoir sur la capacité très variable de certaines personnes à reconnaître des visages.

    Cela peut aller de ce collègue maladroit qui ne vous appelle jamais par votre nom dans un 5 à 7, à cette connaissance qui ne s’aperçoit pas que vous êtes assis dans la même salle d’attente chez le dentiste.

    Le célèbre neurologue américain Oliver Sacks a largement décrit sa propre prosopagnosie en rapportant sa surprise occasionnelle d’apercevoir un inconnu dans un miroir (lui-même !). Inversement, il lui est arrivé de penser voir son reflet dans une vitre, alors que quelqu’un d’autre le fixait de l’autre côté.

    En 1985, il a publié une étude de cas portant sur une personne atteinte du même trouble dont le titre se traduirait par « L’homme qui a pris sa femme pour un chapeau ». La non moins célèbre spécialiste des primates, Jane Goodall, aurait aussi été atteinte du même trouble, peinant à distinguer les visages autres que ceux de sa famille et de ses amis proches, par exemple. Elle aurait confié au Dr Sacks qu’elle avait du mal à distinguer les endroits les uns des autres et qu’elle se perdait fréquemment en forêt, pourtant son lieu principal de travail.

    La prosopagnosie n’est pourtant pas un problème de vision, met en garde Daniel Fiset. « C’est plutôt comme la dyslexie, une incapacité à reconnaître les mots », signale ce spécialiste québécois, professeur de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais.

    Étudier des sujets accidentés

    Les cas de prosopagnosie les plus connus sont ceux survenus à la suite d’un accident ou d’une lésion cérébrale, assimilables à une forme « acquise » de la maladie, précise M. Fiset. Tout le monde a eu vent de victimes d’accidents soudainement incapables de reconnaître leurs proches.

    Les méthodes d’imagerie cérébrale ont cependant permis d’observer des sujets atteints des mêmes symptômes, sans présenter de lésions. Force est de conclure que certaines personnes naissent avec ce trouble, comme Sacks, et souffrent d’une forme congénitale de la maladie quand les médecins concluent que « tout est normal du point de vue structurel », explique le chercheur.

    Causes génétiques ? Déséquilibres chimiques dans le cerveau ? « En fait, ce n’est pas du tout clair pour l’instant, explique-t-il, nous en sommes aux balbutiements dans ce domaine. »

    Des hypothèses veulent que les zones cérébrales impliquées dans la reconnaissance faciale comportent moins de neurones, ou seraient mal « connectées » avec celles associées aux habiletés « sociales » du cerveau. « Ces régions sociales sont importantes pour que l’être humain s’intéresse aux visages », explique M. Fiset.

    Dans le cas des patients présentant des lésions cérébrales, on recherche ce « qui est perdu ». L’hypothèse privilégiée par ce médecin est que la région des yeux devient « difficile à traiter » pour le patient, et cette zone jouerait un rôle majeur dans la reconnaissance des visages.

    « Vous savez, à la télévision, quand on veut masquer l’identité de quelqu’un, on cache la région des yeux avec une petite barre noire », illustre-t-il. La zone des yeux change moins que le reste du visage, notamment « parce qu’elle est moins mouvante, vieillit moins et comporte moins de peau molle ou de masse musculaire », avance le chercheur.

    Les superpouvoirs de reconnaissance

    À l’autre bout du spectre, certaines personnes possèdent des capacités beaucoup plus élevées que la moyenne à reconnaître les visages. La police métropolitaine de Londres a notamment mis sur pied une équipe spéciale de super-physionomistes (super-recognizers). Les policiers de cette unité sont réputés capables d’identifier un suspect qui n’aurait été que brièvement aperçu.

    Afin de scruter les milliers d’heures d’enregistrements provenant de la vidéosurveillance massive effectuée dans la capitale britannique, la police a retenu les services de six des meilleurs « reconnaisseurs » de visages, sélectionnés par des tests effectués par le psychologue Josh Davis, de l’Université de Greenwich. Depuis 2015, la brigade aurait identifié près de 3000 suspects, mais elle a décliné notre demande d’entrevue.

    Quant à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), elle n’a pas l’intention de mettre sur pied une telle unité, bien qu’elle « étudie la possibilité de se servir des logiciels de reconnaissance faciale », a répondu une porte-parole par courriel.

    Ça se soigne, docteur ?

    En tenant compte d’expériences aussi diversifiées, peut-on espérer entraîner les cerveaux des prosopagnosiques ? « On ne le sait pas », admet le professeur Fiset, relatant les stratégies de compensation déployées par ces personnes qui deviennent de fins observateurs de la démarche d’une personne, de sa grandeur ou de ses cheveux et d’informations non spécifiques au visage, pour éviter « d’être mal à l’aise en situation sociale ».

    Certains de ses collègues travaillent également avec des personnes souffrant d’anxiété sociale associée à l’autisme. Les individus aux prises avec des troubles du spectre de l’autisme peinent souvent à reconnaître les émotions sur les visages, dit-il, et parfois même à déterminer le sexe d’une personne. « On observe s’ils s’améliorent quand on leur demande de regarder la région des yeux », propose-t-il.

    La compagnie américaine Brain Power propose même un dispositif de lecture des émotions pour aider les personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme à « lire » leur interlocuteur. Il s’agit de lunettes, similaires aux lunettes Google, qui indiquent où porter son regard, pour bien fixer les yeux, et donnent des informations sur l’émotion ressentie par l’interlocuteur, grâce à un logiciel d’analyse (voir notre texte principal).

    La technologie se prête alors au jeu d’entraînement des « cerveaux avec des différences », comme l’annonce l’entreprise. Une chose reste certaine, ni la machine ni l’humain ne sont infaillibles.

    le Devoir
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