Tweet
Une taupe au palais
Comment les services de renseignement militaire français espionnent Mohammed VI.
Le Journal publie des documents émanant du ministère français de la Défense. Ils sont l’œuvre du ou des informateurs travaillant pour le compte du gouvernement français. Ces documents, datés de juin 2003, permettent une plongée au cœur du système au lendemain du séisme du 16 mai.
Que savaient les services avant le 16 mai ? Quelles étaient les relations avec les Saoudiens ? Les Marocains ont-ils joué de la rivalité entre les Français et les Américains ? Autant de questions auxquelles ces “notes blanches” apportent un éclairage intéressant.
Que disent les puissants lorsqu’il n’y a ni micros ni journalistes dans les environs ? Le fond de leur pensée et aussi, peut-être, quelques vérités. Le Journal Hebdomadaire a pu se procurer des documents qui reprennent des informations fournies par un individu proche, voire très proche, des cercles du Pouvoir, et travaillant pour les services français. Voilà pour la source des informations contenues dans ces documents. Quant aux documents eux-mêmes, leur origine est sans conteste le ministère français de la Défense. Précision importante, il s’agit ici de ce qu’on appelle en jargon des services français de “notes blanches”. En d’autres termes, leur contenu reprend à l’Etat brut, c'est-à-dire sans recoupement ni vérification de la part des services, les informations fournies par l’agent. L’intérêt de ces documents réside d’abord dans la qualité des responsables ou ex-responsables marocains qui ont parlé à la ou les “taupes”. Leur intérêt réside aussi en la période très particulière où ces informations ont été recueillies, à savoir l’immédiat après-16 Mai 2003.
Pouvait-on éviter le 16 mai ?
Les entrevues que relatent ces documents datent du mois de juin 2003. Les fiches obtenues par Le Journal concernent des entretiens avec le ministre délégué à l’Intérieur Fouad Ali El Himma, le conseiller du roi André Azoulay, l’ex-ministre de l’Intérieur Driss Basri et enfin l’ex-ministre des affaires religieuses Abdelkebir Alaoui M’daghri. L’une des questions qui a taraudé les esprits au lendemain des attentats du 16 mai était : comment ce type d’opérations a-t-il pu se produire dans un pays aussi bien quadrillé par l’appareil sécuritaire ? Des thèses relevant parfois de la théorie de la conspiration ont ainsi fleuri dans l’esprit de l’opinion publique. Deux témoignages tels que rapportés par notre “taupe” laissent planer quelque soupçon sur le manque de vigilance des services marocains. Ainsi, André Azoulay aurait “confirmé” à cet agent travaillant pour les Français, l’existence d’un rapport établi par les Emiratis sur d’éventuels attentats. Le conseiller du roi se serait demandé pourquoi le rapport n’a pas été transmis à temps au roi. Il aurait trouvé ce retard “louche”. Pour sa part, Driss Basri aurait affirmé de son côté, avoir transmis un message au roi par l’intermédiaire du ministre de la Justice, Mohammed Bouzoubâa, dans lequel il l’aurait averti de la probabilité d’attaques à l’encontre de cibles juives. Ces attaques devaient être menées par des étrangers convertis à l’islam. Mieux, l’informateur des services français affirme dans sa fiche concernant Driss Basri que celui-ci lui aurait assuré avoir même communiqué les noms de deux individus impliqués dans les attentats. Driss Basri aurait dit avoir été court-circuité par Fouad Ali El Himma et Mustapha Sahel. Il aurait aussi affirmé que c’est son ami général algérien à la retraite et conseiller du président Bouteflika, -très probablement Larbi Belkheïr, actuel ambassadeur d’Algérie au Maroc-, qui lui aurait fourni les informations concernant l’éventualité des attentats. Driss Basri se serait plaint, toujours selon notre informateur, du fait que son initiative avait été retournée contre lui. Ses ennemis l’auraient accusé de travailler avec les services algériens. Si ces informations se vérifiaient, cela signifierait qu’un sérieux examen du fonctionnement de l’appareil sécuritaire marocain s’impose, notamment à travers le traitement des événements du 16 mai.
Les fiches du ministère français de la Défense jettent une lumière crue sur les relations ente le Maroc et l’Arabie Saoudite.
L’Arabie Saoudite pas contente
Des informations avaient filtré à l’époque sur le courroux des Saoudiens après l’affaire de la “cellule dormante” composée principalement de Saoudiens établis au Maroc. Les dirigeants saoudiens avaient peu goûté que les Marocains médiatisent cette affaire. A l’époque, la monarchie saoudienne était soumise à la pression des Américains à la suite des attentats du 11 septembre. Une présentation avait même été faite au Pentagone sur l’éventualité de l’invasion de l’Arabie Saoudite par les forces américaines. Dans ce contexte, l’attitude marocaine avait été considérée comme une trahison. Pour ne rien arranger, le premier voyage officiel du roi dans le Golfe aurait été émaillé d’” indélicatesses” à l’égard de la famille royale saoudienne. Selon les notes blanches du ministère français de la Défense, André Azoulay a affirmé que Mohammed VI était déçu par les Saoudiens et avait décidé de les “provoquer” en se rapprochant des Qataris. Toujours selon ces documents, André Azoulay aurait affirmé que l’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc à l’époque, Margaret Tutwiler, aurait encouragé le roi dans cette direction. De son côté, Fouad Ali El Himma a, selon l’informateur des services français, affirmé que le financement des groupes extrémistes était assuré par des associations saoudiennes avec le " consentement " des services saoudiens. Il a déploré aussi le manque de coopération du prince Nayyef, ministre saoudien de l’Intérieur.
Les USA contre la France
Les documents du ministère de la Défense donnent un aperçu intéressant sur l’instrumentalisation par le régime de la lutte d’influence entre les Français et les Américains au Maroc. Selon les dires de Driss Basri, tels que rapportés par l’informateur des services français, Lâanigri et Al Himma étaient devenus les “petits serviteurs de la CIA”. Jacques Chirac s’en serait ouvert à Moulay Rachid. Dans la fiche concernant El Himma, on apprend que celui-ci serait plutôt considéré comme pro-français. On y apprend aussi qu’il aurait fait savoir à son interlocuteur que Paris devait faire plus. Qu’il devait «aider le projet de société initié par Sa majesté, si elle comptait préserver ses intérêts face à la percée américaine».
Certaines des fiches obtenues par Le Journal sont mentionnées comme étant des traductions. Parfois rédigées en mauvais français, elles tendent à montrer que l’informateur ou certains de ces informateurs sont vraisemblablement marocains soient arabophones soit au niveau d’étude peu élevé. Il faut aussi relever que certaines informations sont fausses ou mal reportées. Ainsi, selon l’une de ces fiches, il est affirmé que Abdeslam Yassine, Hassan Kettani et Mustapha Ramid étaient assignés à résidence en 2003, ce qui est évidemment faux. En tout état de cause, les bonnes relations entre le Maroc et la France n’empêchent pas cette dernière de recourir à des informateurs … des fois que les informations parvenant par les canaux officiels ne soient plus très fiables.
Comment les services de renseignement militaire français espionnent Mohammed VI.
Le Journal publie des documents émanant du ministère français de la Défense. Ils sont l’œuvre du ou des informateurs travaillant pour le compte du gouvernement français. Ces documents, datés de juin 2003, permettent une plongée au cœur du système au lendemain du séisme du 16 mai.
Que savaient les services avant le 16 mai ? Quelles étaient les relations avec les Saoudiens ? Les Marocains ont-ils joué de la rivalité entre les Français et les Américains ? Autant de questions auxquelles ces “notes blanches” apportent un éclairage intéressant.
Que disent les puissants lorsqu’il n’y a ni micros ni journalistes dans les environs ? Le fond de leur pensée et aussi, peut-être, quelques vérités. Le Journal Hebdomadaire a pu se procurer des documents qui reprennent des informations fournies par un individu proche, voire très proche, des cercles du Pouvoir, et travaillant pour les services français. Voilà pour la source des informations contenues dans ces documents. Quant aux documents eux-mêmes, leur origine est sans conteste le ministère français de la Défense. Précision importante, il s’agit ici de ce qu’on appelle en jargon des services français de “notes blanches”. En d’autres termes, leur contenu reprend à l’Etat brut, c'est-à-dire sans recoupement ni vérification de la part des services, les informations fournies par l’agent. L’intérêt de ces documents réside d’abord dans la qualité des responsables ou ex-responsables marocains qui ont parlé à la ou les “taupes”. Leur intérêt réside aussi en la période très particulière où ces informations ont été recueillies, à savoir l’immédiat après-16 Mai 2003.
Pouvait-on éviter le 16 mai ?
Les entrevues que relatent ces documents datent du mois de juin 2003. Les fiches obtenues par Le Journal concernent des entretiens avec le ministre délégué à l’Intérieur Fouad Ali El Himma, le conseiller du roi André Azoulay, l’ex-ministre de l’Intérieur Driss Basri et enfin l’ex-ministre des affaires religieuses Abdelkebir Alaoui M’daghri. L’une des questions qui a taraudé les esprits au lendemain des attentats du 16 mai était : comment ce type d’opérations a-t-il pu se produire dans un pays aussi bien quadrillé par l’appareil sécuritaire ? Des thèses relevant parfois de la théorie de la conspiration ont ainsi fleuri dans l’esprit de l’opinion publique. Deux témoignages tels que rapportés par notre “taupe” laissent planer quelque soupçon sur le manque de vigilance des services marocains. Ainsi, André Azoulay aurait “confirmé” à cet agent travaillant pour les Français, l’existence d’un rapport établi par les Emiratis sur d’éventuels attentats. Le conseiller du roi se serait demandé pourquoi le rapport n’a pas été transmis à temps au roi. Il aurait trouvé ce retard “louche”. Pour sa part, Driss Basri aurait affirmé de son côté, avoir transmis un message au roi par l’intermédiaire du ministre de la Justice, Mohammed Bouzoubâa, dans lequel il l’aurait averti de la probabilité d’attaques à l’encontre de cibles juives. Ces attaques devaient être menées par des étrangers convertis à l’islam. Mieux, l’informateur des services français affirme dans sa fiche concernant Driss Basri que celui-ci lui aurait assuré avoir même communiqué les noms de deux individus impliqués dans les attentats. Driss Basri aurait dit avoir été court-circuité par Fouad Ali El Himma et Mustapha Sahel. Il aurait aussi affirmé que c’est son ami général algérien à la retraite et conseiller du président Bouteflika, -très probablement Larbi Belkheïr, actuel ambassadeur d’Algérie au Maroc-, qui lui aurait fourni les informations concernant l’éventualité des attentats. Driss Basri se serait plaint, toujours selon notre informateur, du fait que son initiative avait été retournée contre lui. Ses ennemis l’auraient accusé de travailler avec les services algériens. Si ces informations se vérifiaient, cela signifierait qu’un sérieux examen du fonctionnement de l’appareil sécuritaire marocain s’impose, notamment à travers le traitement des événements du 16 mai.
Les fiches du ministère français de la Défense jettent une lumière crue sur les relations ente le Maroc et l’Arabie Saoudite.
L’Arabie Saoudite pas contente
Des informations avaient filtré à l’époque sur le courroux des Saoudiens après l’affaire de la “cellule dormante” composée principalement de Saoudiens établis au Maroc. Les dirigeants saoudiens avaient peu goûté que les Marocains médiatisent cette affaire. A l’époque, la monarchie saoudienne était soumise à la pression des Américains à la suite des attentats du 11 septembre. Une présentation avait même été faite au Pentagone sur l’éventualité de l’invasion de l’Arabie Saoudite par les forces américaines. Dans ce contexte, l’attitude marocaine avait été considérée comme une trahison. Pour ne rien arranger, le premier voyage officiel du roi dans le Golfe aurait été émaillé d’” indélicatesses” à l’égard de la famille royale saoudienne. Selon les notes blanches du ministère français de la Défense, André Azoulay a affirmé que Mohammed VI était déçu par les Saoudiens et avait décidé de les “provoquer” en se rapprochant des Qataris. Toujours selon ces documents, André Azoulay aurait affirmé que l’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc à l’époque, Margaret Tutwiler, aurait encouragé le roi dans cette direction. De son côté, Fouad Ali El Himma a, selon l’informateur des services français, affirmé que le financement des groupes extrémistes était assuré par des associations saoudiennes avec le " consentement " des services saoudiens. Il a déploré aussi le manque de coopération du prince Nayyef, ministre saoudien de l’Intérieur.
Les USA contre la France
Les documents du ministère de la Défense donnent un aperçu intéressant sur l’instrumentalisation par le régime de la lutte d’influence entre les Français et les Américains au Maroc. Selon les dires de Driss Basri, tels que rapportés par l’informateur des services français, Lâanigri et Al Himma étaient devenus les “petits serviteurs de la CIA”. Jacques Chirac s’en serait ouvert à Moulay Rachid. Dans la fiche concernant El Himma, on apprend que celui-ci serait plutôt considéré comme pro-français. On y apprend aussi qu’il aurait fait savoir à son interlocuteur que Paris devait faire plus. Qu’il devait «aider le projet de société initié par Sa majesté, si elle comptait préserver ses intérêts face à la percée américaine».
Certaines des fiches obtenues par Le Journal sont mentionnées comme étant des traductions. Parfois rédigées en mauvais français, elles tendent à montrer que l’informateur ou certains de ces informateurs sont vraisemblablement marocains soient arabophones soit au niveau d’étude peu élevé. Il faut aussi relever que certaines informations sont fausses ou mal reportées. Ainsi, selon l’une de ces fiches, il est affirmé que Abdeslam Yassine, Hassan Kettani et Mustapha Ramid étaient assignés à résidence en 2003, ce qui est évidemment faux. En tout état de cause, les bonnes relations entre le Maroc et la France n’empêchent pas cette dernière de recourir à des informateurs … des fois que les informations parvenant par les canaux officiels ne soient plus très fiables.
Commentaire