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François Léotard, Le silence

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  • François Léotard, Le silence

    Il y aurait donc une vie après la politique, c'est en tous les cas le constat de François Léotard, ancien ministre de la Défense auteur de Le silence qui aimerait que l'on dise de lui qu'il a eu raison de quitter la politique pour l'écriture.

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    Il a toujours ses yeux de chien battu. Ce côté mélancolique, ombrageux, quelque peu douloureux. Il parsème toujours sa conversation de citations. Évoque le livre de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, qu'il « n'a pas aimé », celui de Christine Angot, la traduction de la Bible par Chouraqui, le Talmud mais aussi Kafka.

    Entonne soudain un Je vous salue Marie en arabe, souvenir lointain de son service militaire au Liban. Son côté oriental, sûrement. Oriental « atteint de donjuanisme aigu », comme le définit son ami Gérard Longuet. C'est vrai : François Léotard sait user de sa voix douce, presque suave. Mais le moine soldat au regard dur n'a pas disparu : le miel du sourire n'empêche pas le fiel, parfois, de s'échapper. « Léo », l'ex-« quadra » magnifique, le goldenboy de la politique, que l'on voyait toujours en train de courir, surfant sur la crête des sondages dans les années 1980, a aujourd'hui des cheveux blancs. Et 60 ans bien sonnés. Ses interrogations, lancinantes, obsessionnelles, sur la mort, la violence, le mal, la Shoah, le mensonge demeurent.

    Et se retrouvent évoquées pêle-mêle dans son dernier roman, Le Silence. Le silence comme une manière de retour aux sources. De référence à cette année de retraite passée, en 1964, à la Pierre-qui-Vire, dans le Morvan, chez les bénédictins.

    Près de quarante ans plus tard, et après vingt ans de sa vie consacrés à l'une des carrières les plus bavardes qui soit, François Léotard, le médiatique mystique, a tiré un trait sur les tics et le toc d'une vie qui l'a pourtant exalté. Lui qui rêvait, éternelle rengaine des jeunes loups voulant empailler les vieux crocodiles, de « faire de la politique autrement », lui qui s'est prêté au jeu de la conquête du pouvoir en gravissant rageusement les échelons (conseiller au cabinet de Michel Poniatowski, député, maire de Fréjus, chef du PR, de l'UDF, ministre de la Culture puis de la Défense) stigmatise aujourd'hui les travers et « pathologies » de la vie politique - « La réduction de la personnalité, l'aspect prostitutionnel de la démarche » - auxquels il a pourtant sacrifié.

    Il y a cinq ans, et après avoir frôlé la mort (il a subi un triple pontage), il a donc choisi de tourner la page. Plutôt que de devenir un jeune Turc virant au vieux con, de ne laisser que quelques traînées d'esbroufe mais aussi de soufre. La séparation ne s'est pas faite sans douleur. Léotard a quitté la politique comme on se sépare d'une femme envahissante qui, au fond, n'est pas son genre. En son nom, François Léotard s'est pourtant fait violence. Lui, qui est « probablement le type le plus solitaire qui soit » selon Gérard Longuet, s'est transformé en chef de meute, en porte-drapeau de la fameuse « bande à Léo ». Il a tenté aussi de se transformer en guerrier. En vain. « Ses capacités lui permettaient de tout envisager, jusqu'à la fonction suprême », assure pourtant Renaud Donnedieu de Vabres qui a été l'un de ses plus proches lieutenants. Il avait une patte, un style particulier, « mélange très curieux et détonant de culture de droite quasi maurrassienne, de sensibilité de gauche et d'anticommunisme au nom des libertés individuelles ».

    Il avait des crocs et des griffes aussi, mais pas assez acérés. Il lui manquait quelque chose, ajoute Donnedieu de Vabres : « Il n'avait aucune envie d'être l'homme sur le pavois, d'être exposé. » Et il se posait trop de questions, s'engluait dans ses interrogations existentielles et ses tourments : « Parfois, à la tribune, j'ai eu ce sentiment étrange que je pouvais mener ceux qui venaient m'écouter n'importe où. C'est un pouvoir terrible d'entraîner. »

    Des coups, Léotard, entré en politique pour laver l'honneur de son père, ancien maire de Fréjus, laminé par la polémique née après la tragédie du barrage de Malpasset en 1959, en a pourtant donné aussi. Ce n'est pas un saint. Il a traîné quelques casseroles. Notamment en étant inculpé dans l'affaire de Port-Fréjus, conclue par un non-lieu, et condamné pour blanchiment à dix mois de prison avec sursis dans celle du financement occulte du Parti républicain. Mais son plus grand tort politique est d'avoir loupé le coche. De ne pas avoir osé être candidat à la présidence de la République en 1988. Il aurait pourtant pu, après la rupture avec Jacques Chirac et la dénonciation des « moines soldats » du RPR. « Si j'avais dit, on y va les gars... » Mais il ne l'a pas dit : « J'avais des doutes sur mes propres capacités, et le sentiment que je risquais de casser beaucoup de choses. » « Peut-être, au fond, ajoute Longuet, n'aimait-il pas la politique. »

    Quand il va voir Chirac à l'Élysée, en 2001, pour lui dire qu'il veut arrêter, ce dernier tombe de l'armoire - « Tu es fou ! » - avant de lui proposer, refuge douillet, l'Inspection générale des finances. L'incompréhension entre les deux hommes ne date pas d'hier. Dans la galerie des chefs d'État qu'il a connus, l'ancien président du RPR n'a jamais recueilli ses grâces. « Chirac m'a tué », dit-il même sans rire, estimant avoir pâti de « la filièreChirac-Pasqua-Marchiani et de leur grande spécialité de montages en tous genres ». Il votera « silencieusement » en 2007, dit-il, mais il ne peut s'empêcher de se réjouir de la fin de règne chiraquien : « C'est la fin, c'est la fin ! », répète-t-il, presque joyeusement. Et de se remémorer que, en 1988, après la défaite de Chirac à la présidentielle, il invitait le maire de Paris au restaurant en tête-à-tête ou chez lui pour lui remonter le moral et le convaincre de ne pas décrocher : « Je suis vraiment le roi des cons, on aurait pu gagner vingt ans ! »

    En 1981, Léotard avait également soutenu Giscard après sa défaite. Il avait passé des soirées à Chanonat à regarder « Dallas » sur un banc en bois avant d'aller se coucher ; des journées à écouter « l'ex » disséquer les raisons de son échec, chiffres et courbes à l'appui. Mais, finalement, c'est peut-être Mitterrand qui l'a le plus marqué. Mitterrand qui embobine le ministre de cohabitation qu'il est, en lui parlant de littérature, de la guerre et de la mort, encore. « Cette mutilation de l'être profond, ces contraintes physiques, tout ça pourquoi ? Il faudrait remonter à l'enfance, sait-on ? » Pour remonter à l'enfance, François Léotard a préféré l'écriture au divan. Il vient de perdre son frère. Après Philippe, disparu il y a quelques années, Dominique s'est également éteint. Sans bruit. Dominique qui « a dû souffrir de la notoriété des deux autres ». De la place envahissante que prenaient, dans cette drôle de famille, « le politique » et « le saltimbanque ».

    L'ancien ministre de la Défense et celui de la « défonce ». Celui qui se consumait de l'intérieur, introverti contrarié, couche-tôt, frugal, limite bonnet de nuit, et celui qui brûlait sa vie par les deux bouts. Jouisseur et suicidaire. Rimbaldien. Philippe, « mon autre moi ». Les souvenirs ressurgissent. Ceux d'une famille de sept enfants. D'un clan, marqué par la figure autoritaire du père, austère et distant, intarissable sur Proust et Stendhal, et celle de la mère corse, avare en caresses, et qui, quand on lui demandait combien elle avait d'enfants, répondait : « J'ai trois garçons », oubliant tout bonnement ses quatre filles. Léotard se souvient justement d'une enfance « entre garçons », un peu brutale, virile. La disparition récente du dernier frère le fait tout naturellement parler de la mort aussi : « J'en ai une trouille fétide. » Après sa retraite à la Pierre-qui-Vire, Léotard avait confié au père abbé : « Ce n'est pas Dieu que j'ai rencontré, c'est moi. » L'introspection n'en finit pas.

    Par Le Figaro
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