23 MARS 2018 PAR FAÏZA ZEROUALA ET BENJAMIN TÉOULE (LE D'OC)
Dans la nuit du jeudi 22 mars, plusieurs étudiants opposés à la sélection à l’université, qui occupaient la faculté de droit de Montpellier, ont été agressés par une dizaine d’hommes cagoulés, en présence du doyen. La ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal a annoncé l’ouverture d’une enquête par l’inspection générale. Mediapart a recueilli plusieurs récits de témoins présents.
La scène, d’une violence inouïe, a duré deux minutes, trois peut-être. Il est environ minuit à la faculté de droit et de sciences politiques de Montpellier, située dans la vieille ville. Soudain, une petite dizaine d’individus s’introduisent dans l’amphithéâtre occupé. Une pluie de coups s’abat sur tous les jeunes présents, au hasard. Des lattes issues de palettes de chantier sont utilisées comme armes par des hommes vêtus de noir, cagoulés pour certains, pour frapper les étudiant·e·s à travers les travées, sous les cris. Certains des assaillants portent des gants de frappe renforcés et destinés à protéger les phalanges.
Des vidéos édifiantes, tournées par les personnes présentes puis diffusées sur les réseaux sociaux, relatent la scène. Selon plusieurs témoins, l’ambiance, avant cette intrusion, était plutôt calme et bon enfant. Des grappes d’étudiants débattent ou jouent aux cartes, lorsque d’autres sont assoupis. Aucune tension ne se fait ressentir parmi la cinquantaine d’occupants. La musique a été coupée. L’amphithéâtre nettoyé après que certains se sont restaurés. Bref, une ambiance classique d’occupation étudiante.
Une poignée d'heures auparavant, les présents disent avoir eu l’information qu’il n’y aurait pas d’intervention policière, car le préfet n’a pas donné son accord, ce qui les a rassurés, disent-ils. Même si quelques camions de CRS stationnent selon eux non loin du bâtiment. Le cas échéant, les occupants avaient décidé qu’en cas d’irruption des forces de l’ordre, ils sortiraient mains en l’air, résolus à rester pacifiques.
Un peu plus tôt dans la journée, les étudiants ont manifesté, comme dans le reste de la France, contre la politique du gouvernement, notamment la loi orientation et réussite qui instaure une forme de sélection à l’entrée de l’université. Après le défilé, tous regagnent l’université. Ils laissent les drapeaux et leurs banderoles à l’entrée de l’université, comme la sécurité le leur a demandé.
Les étudiants et leurs soutiens organisent une assemblée générale, autorisée par l’université, qui s’achève vers 17 heures. Des personnels de l’université et des lycéens sont également présents lors de cette réunion organisée par une intersyndicale. Des magistrats et avocats, opposés à la future réforme de la justice, interviennent également. Durant cette AG, un groupe d’étudiants de la faculté de droit, vingt-cinq environ, perturbent les débats car ils sont opposés à ce mouvement, « en prenant la parole de manière autoritaire ». D’après plusieurs étudiants, ils appartiennent aux « Z’élus », l’une des corpos de la fac de droit, et considèrent cette AG comme « illégitime ».
Le blocage commence malgré tout. Les occupants relèvent que l'accès aux toilettes leur est rendu impossible car elles sont, soudainement disent-ils, hors service. Soudain, la situation prend une mauvaise tournure. Camille, un étudiant en sociologie de l’université Paul-Valéry venu prêter main-forte à ses camarades, était présent lors des événements. « J’étais à la tribune, j'ai vu rentrer les assaillants par le coin supérieur droit de l’amphi. Le doyen de la fac de droit, Philippe Pétel, est entré et nous a comptés. Ils sont tous ressortis en un seul bloc. » Mais cinq minutes plus tard, la porte s’ouvre de nouveau et quatre personnes entrent, raconte encore Camille. Trois d’entre elles sont cagoulées.
Le reste du groupe, une vingtaine, se tient en retrait. Les quatre personnes sont armées, se scindent en deux et empruntent chacune l’une des deux travées, frappant aveuglément les étudiants tout en marchant. Camille se souvient avec précision de la suite : « Ils fracassent les militants et les deux groupes convergent devant la tribune. L’un, avec ses gants renforcés, me frappe à la tête. Je tombe par terre. Mon camarade se lève, se met devant moi et se prend aussi une droite. Je suis au sol et j’ai la présence d’esprit de mettre une chaise entre eux et moi pour laisser le temps à mon ami de se relever. À gauche, des copains se font taper à coups de latte. Ça été si rapide que personne n’a eu le temps de réagir. »
Le jeune homme, un peu sonné, parvient à s’extraire de l’amphithéâtre, attrapant au passage son ordinateur. Son téléphone a aussi subi des dégâts. Octave, étudiant en histoire à Paul-Valéry, assure avoir vu le doyen et deux professeurs discuter avec les assaillants à l’extérieur de l’amphithéâtre. Il revient sur place, essaie de fermer la porte et reçoit « deux coups sur la tête et un dans le ventre, je tombe, je vois des étoiles ». Il se relève et assiste à l’agression de ses camarades.
Camille arrive dans le hall et assiste à une autre scène de violence. Il dit avoir vu une camarade attaquée à coups de pied. Plusieurs témoins assurent que les assaillants étaient munis d’un Taser dont ils ont fait usage. Nelson, ouvrier agricole venu soutenir les étudiants, était posté dans le hall ce soir-là. Il est choqué d’avoir vu « une étudiante tasée, la tête ensanglantée ». Le personnel de la sécurité incendie a assisté aux faits et n’est pas intervenu, explique-t-il.
Il a aussi relevé que « le doyen parlait avec les personnes opposées à l’occupation ». Léna, étudiante en classe préparatoire au lycée Joffre, a assisté à la scène et est l’auteure des vidéos qui ont circulé vendredi matin sur Internet. « Je blaguais quand ils sont arrivés. J’ai vu ces hommes masqués, j’ai entendu le bruit de Taser, ils ont attrapé deux personnes qu’ils ont fracassées. Ils ont fait la chasse dans l’amphi et s’en sont même pris à des gens au sol. J’ai vu le doyen pointer du doigt un garçon qui était à la tribune. Puis ils m’ont frappée et sortie de force alors que je filmais. » La jeune femme de 18 ans a essuyé des coups au ventre et au dos. Dehors, elle raconte avoir vu son amie au sol, en sang. Elle lui donne, après avoir repris ses esprits, du sucre et de l’eau en attendant les secours.
Une question reste en suspens. Comment ces personnes ont-elles pu s’introduire dans l’édifice sachant que, d’après tous les témoins, la porte avait été verrouillée par une chaîne ? Qui a donc pu débloquer cet accès et les laisser pénétrer dans l’amphithéâtre ? Pour les étudiants, il est clair que le doyen et les professeurs présents – ce qu’ils ne démentent pas – sont responsables.
Dans la nuit du jeudi 22 mars, plusieurs étudiants opposés à la sélection à l’université, qui occupaient la faculté de droit de Montpellier, ont été agressés par une dizaine d’hommes cagoulés, en présence du doyen. La ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal a annoncé l’ouverture d’une enquête par l’inspection générale. Mediapart a recueilli plusieurs récits de témoins présents.
La scène, d’une violence inouïe, a duré deux minutes, trois peut-être. Il est environ minuit à la faculté de droit et de sciences politiques de Montpellier, située dans la vieille ville. Soudain, une petite dizaine d’individus s’introduisent dans l’amphithéâtre occupé. Une pluie de coups s’abat sur tous les jeunes présents, au hasard. Des lattes issues de palettes de chantier sont utilisées comme armes par des hommes vêtus de noir, cagoulés pour certains, pour frapper les étudiant·e·s à travers les travées, sous les cris. Certains des assaillants portent des gants de frappe renforcés et destinés à protéger les phalanges.
Des vidéos édifiantes, tournées par les personnes présentes puis diffusées sur les réseaux sociaux, relatent la scène. Selon plusieurs témoins, l’ambiance, avant cette intrusion, était plutôt calme et bon enfant. Des grappes d’étudiants débattent ou jouent aux cartes, lorsque d’autres sont assoupis. Aucune tension ne se fait ressentir parmi la cinquantaine d’occupants. La musique a été coupée. L’amphithéâtre nettoyé après que certains se sont restaurés. Bref, une ambiance classique d’occupation étudiante.
Une poignée d'heures auparavant, les présents disent avoir eu l’information qu’il n’y aurait pas d’intervention policière, car le préfet n’a pas donné son accord, ce qui les a rassurés, disent-ils. Même si quelques camions de CRS stationnent selon eux non loin du bâtiment. Le cas échéant, les occupants avaient décidé qu’en cas d’irruption des forces de l’ordre, ils sortiraient mains en l’air, résolus à rester pacifiques.
Un peu plus tôt dans la journée, les étudiants ont manifesté, comme dans le reste de la France, contre la politique du gouvernement, notamment la loi orientation et réussite qui instaure une forme de sélection à l’entrée de l’université. Après le défilé, tous regagnent l’université. Ils laissent les drapeaux et leurs banderoles à l’entrée de l’université, comme la sécurité le leur a demandé.
Les étudiants et leurs soutiens organisent une assemblée générale, autorisée par l’université, qui s’achève vers 17 heures. Des personnels de l’université et des lycéens sont également présents lors de cette réunion organisée par une intersyndicale. Des magistrats et avocats, opposés à la future réforme de la justice, interviennent également. Durant cette AG, un groupe d’étudiants de la faculté de droit, vingt-cinq environ, perturbent les débats car ils sont opposés à ce mouvement, « en prenant la parole de manière autoritaire ». D’après plusieurs étudiants, ils appartiennent aux « Z’élus », l’une des corpos de la fac de droit, et considèrent cette AG comme « illégitime ».
Le blocage commence malgré tout. Les occupants relèvent que l'accès aux toilettes leur est rendu impossible car elles sont, soudainement disent-ils, hors service. Soudain, la situation prend une mauvaise tournure. Camille, un étudiant en sociologie de l’université Paul-Valéry venu prêter main-forte à ses camarades, était présent lors des événements. « J’étais à la tribune, j'ai vu rentrer les assaillants par le coin supérieur droit de l’amphi. Le doyen de la fac de droit, Philippe Pétel, est entré et nous a comptés. Ils sont tous ressortis en un seul bloc. » Mais cinq minutes plus tard, la porte s’ouvre de nouveau et quatre personnes entrent, raconte encore Camille. Trois d’entre elles sont cagoulées.
Le reste du groupe, une vingtaine, se tient en retrait. Les quatre personnes sont armées, se scindent en deux et empruntent chacune l’une des deux travées, frappant aveuglément les étudiants tout en marchant. Camille se souvient avec précision de la suite : « Ils fracassent les militants et les deux groupes convergent devant la tribune. L’un, avec ses gants renforcés, me frappe à la tête. Je tombe par terre. Mon camarade se lève, se met devant moi et se prend aussi une droite. Je suis au sol et j’ai la présence d’esprit de mettre une chaise entre eux et moi pour laisser le temps à mon ami de se relever. À gauche, des copains se font taper à coups de latte. Ça été si rapide que personne n’a eu le temps de réagir. »
Le jeune homme, un peu sonné, parvient à s’extraire de l’amphithéâtre, attrapant au passage son ordinateur. Son téléphone a aussi subi des dégâts. Octave, étudiant en histoire à Paul-Valéry, assure avoir vu le doyen et deux professeurs discuter avec les assaillants à l’extérieur de l’amphithéâtre. Il revient sur place, essaie de fermer la porte et reçoit « deux coups sur la tête et un dans le ventre, je tombe, je vois des étoiles ». Il se relève et assiste à l’agression de ses camarades.
Camille arrive dans le hall et assiste à une autre scène de violence. Il dit avoir vu une camarade attaquée à coups de pied. Plusieurs témoins assurent que les assaillants étaient munis d’un Taser dont ils ont fait usage. Nelson, ouvrier agricole venu soutenir les étudiants, était posté dans le hall ce soir-là. Il est choqué d’avoir vu « une étudiante tasée, la tête ensanglantée ». Le personnel de la sécurité incendie a assisté aux faits et n’est pas intervenu, explique-t-il.
Il a aussi relevé que « le doyen parlait avec les personnes opposées à l’occupation ». Léna, étudiante en classe préparatoire au lycée Joffre, a assisté à la scène et est l’auteure des vidéos qui ont circulé vendredi matin sur Internet. « Je blaguais quand ils sont arrivés. J’ai vu ces hommes masqués, j’ai entendu le bruit de Taser, ils ont attrapé deux personnes qu’ils ont fracassées. Ils ont fait la chasse dans l’amphi et s’en sont même pris à des gens au sol. J’ai vu le doyen pointer du doigt un garçon qui était à la tribune. Puis ils m’ont frappée et sortie de force alors que je filmais. » La jeune femme de 18 ans a essuyé des coups au ventre et au dos. Dehors, elle raconte avoir vu son amie au sol, en sang. Elle lui donne, après avoir repris ses esprits, du sucre et de l’eau en attendant les secours.
Une question reste en suspens. Comment ces personnes ont-elles pu s’introduire dans l’édifice sachant que, d’après tous les témoins, la porte avait été verrouillée par une chaîne ? Qui a donc pu débloquer cet accès et les laisser pénétrer dans l’amphithéâtre ? Pour les étudiants, il est clair que le doyen et les professeurs présents – ce qu’ils ne démentent pas – sont responsables.
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