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Encadrement et régulation des importations : le paradoxe algérien

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  • Encadrement et régulation des importations : le paradoxe algérien

    Interpellé il y a quelques mois sur la hausse du prix de la pomme locale, conséquemment à la suspension de l’importation de ce produit, le Premier ministre avait répondu que cela permettait au moins aux agriculteurs de Bouhmama, région de Khenchela, connue pour la production de ce fruit, de gagner leur vie.
    C’était en septembre dernier devant le Sénat.
    La réponse d’Ahmed Ouyahia supposait que le nouveau dispositif d’encadrement des importations avait des visées protectionnistes, ce dont se sont toujours défendues les autorités algériennes.

    Officiellement, l’interdiction de l’importation de certains produits et la limitation d’autres par le biais de quotas et de licences sont destinées à freiner l’érosion inquiétante du matelas des réserves de change.
    Depuis, on aura tout vu et entendu et malin qui pourrait dire quels objectifs sont recherchés à travers la nouvelle posture interventionniste de l’État.
    Pour la pomme et les viandes rouges, le chef de l’exécutif a répondu : cela va dans l’intérêt du produit local.
    Il y a un prix à payer et tant pis si c’est sur le citoyen qu’il retombe.

    La pomme de moyenne qualité est à 500 dinars le kilogramme et la côte de bœuf, le morceau le plus accessible aux petites bourses, à 1300 DA.
    Si le prix de la viande rouge a augmenté de 30 à 40%, celui de la pomme locale est passé du simple au triple. Inutile de dire que c’est la marge des producteurs et sans doute des intermédiaires qui a augmenté en flèche puisque, jusqu’à preuve du contraire, les facteurs déterminant le coût de revient de ces produits n’ont pas bougé.
    Le résultat est que la ration déjà maigre du citoyen est devenue rachitique et nul besoin d’une enquête diététique pour le démontrer.

    Une supercherie nommée banane

    La pomme et la viande rouge produites localement font donc vivre des milliers de familles d’agriculteurs et d’éleveurs et autant d’intervenants dans le processus.
    Mais peut-on dire autant des autres produits ?
    Si on prend les courbes prises depuis une année par le prix de la banane par exemple, on se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond. De 150 dinars, donc à la portée de tous, elle a frôlé les cimes dans l’intervalle entre la suspension de son importation et l’attribution des premières licences en mars 2017.

    Acheminé en petites quantités par des contrebandiers à partir de la Tunisie, ce fruit emblématique avait atteint les 1000 dinars le kilogramme.
    Les premières licences ont été attribuées en mars 2017 et l’importation a repris en avril.
    Le prix a d’abord baissé à 400 dinars, pour se fixer par la suite à 350 dinars.
    Là aussi, les facteurs déterminants le coût de revient sont les mêmes (prix d’achat à la source, taxes douanières et autres) mais le prix final de vente au consommateur a augmenté de plus de 100%.
    Sur chaque kilogramme de banane, le citoyen paye 200 dinars supplémentaires que rien ne justifie, sauf le déséquilibre entre l’offre et la demande.

    Seule la marge des importateurs et des revendeurs est en cause.
    Une marge indécente, c’est le moins que l’on puisse dire.
    La preuve par les chiffres.
    Avant le nouveau dispositif réglementaire, l’importateur achetait la tonne de banane sur les marchés internationaux à environ 65 cents de dollar le kilo (650 dollars la tonne), soit l’équivalent de 70 à 75 dinars le kilogramme.
    Le prix final de vente pour le consommateur était d’environ 150 dinars, englobant le prix d’achat à la source, les frais de transport, les taxes et bien sûr la marge bénéficiaire de l’importateur et de tous les intermédiaires.

    À 150 dinars donc, tout le monde trouvait son compte et il est évident que personne n’importait des bananes d’Amérique du Sud juste pour le plaisir de le faire.
    L’attribution des licences s’est faite sur la base d’un cahier des charges et le ministère du Commerce avait rendu public les détails de l’opération.

    Ils étaient 44 opérateurs à postuler pour décrocher une licence, mais seuls 6 d’entre eux avaient été retenus.
    Les 38 autres avaient été recalés pour des motifs divers : pour ne pas avoir exercé l’activité d’importation de bananes au cours des cinq dernières années, pour avoir proposé des prix non conformes au prix de référence qui était de 650 dollars la tonne, pour avoir proposé d’importer de petites quantités et ne disposant pas d’entrepôt de stockage, de mûrissage et de froid, ou car ne remplissant pas les autres critères fixés par la commission de sélection.
    On le voit bien, le prix de référence a été un critère déterminant dans l’attribution des licences.

    Dit autrement, les « heureux élus » devaient continuer à importer tout en maintenant les prix qu’ils pratiquaient avant, c’est-à-dire aux alentours de 150 dinars le kilogramme. Mais cela n’a jamais été le cas.
    La banane est vendue au minimum à 350 dinars (plus de 400 dinars ces derniers mois) au vu et au su des directions de la répression des fraudes, au mépris de l’engagement initial des importateurs concernant le fameux prix de référence. Une explication des services du ministère du commerce est vivement souhaitée, car à y voir de plus près, le chiffre donne le tournis.

    Les premières licences attribuées en 2017 portaient sur l’importation de 60.000 tonnes de bananes.
    Une marge supplémentaire de 200 dinars, que rien ne justifie, est « prélevée » sur chaque kilogramme vendu.
    Sur la quantité totale, soit 60 millions de kilogrammes,
    cela fait 12 milliards de dinars, ou 1 200 milliards de centimes. L’équivalent d’un peu plus de 100 millions de dollars extorqués indûment aux Algériens sur une aussi courte période et rien que sur la banane ! Même la baisse de la valeur du dinar ne peut pas être mise en avant.
    La monnaie nationale s’échangeait il y a une année à 1 dollar pour 109 dinars (1 dollar pour 115 dinars aujourd’hui).
    Ce n’est donc pas une très forte dévaluation qui pourrait expliquer une plus-value de 200 dinars, en plus de la marge initiale.

    Le paradoxe du marché de l’automobile

    Le marché des véhicules qu’on a prétendu réguler connaît lui aussi une situation presque similaire.
    Ça n’a échappé à personne que les prix des véhicules fabriqués en Algérie sont plus chers que ceux importés, dans une logique que personne n’arrive encore à expliquer.
    Le gouvernement lui-même reconnaît que quelque chose ne fonctionne pas correctement dans cette histoire et la publication récente des prix sortie d’usine des véhicules assemblés en Algérie est perçue comme une manière de mettre les constructeurs et les concessionnaires devant leurs responsabilités.

    Les chiffres communiqués la semaine passée par le ministère de l’Industrie permettent de situer l’étendue de la supercherie.
    Le prix final au consommateur est jusqu’à 40% supérieur au prix sortie d’usine.
    Mais le problème ne réside pas qu’à ce niveau.
    Comme on le sait, le lancement de l’industrie de montage automobile était accompagné d’importants avantages fiscaux accordés aux constructeurs.
    La logique économique aurait voulu que ces exonérations se répercutent sur le coût de revient des véhicules, donc sur leur prix, sans parler des avantages comparatifs qu’offre le marché algérien, comme la main d’œuvre bon marché, les coûts bas de l’énergie…

    Or, c’est à tout le contraire qu’on assiste et, tout comme pour la banane, les constructeurs n’ont pas attendu que le dinar atteigne le fond pour relever leurs prix.
    Selon des estimations concordantes, les prix ont doublé en une année.
    C’est vrai que l’offre est faible par rapport à la demande, mais cela ne peut pas justifier une telle envolée des prix.
    Nous ne disposons pas à ce stade de toutes les données relatives à la filière pour évaluer avec exactitude le préjudice subi par le consommateur algérien, mais il est clair qu’il s’agit d’une autre saignée, plus importante encore au vu de la valeur du produit dont il s’agit et de sa facture globale.

    Beaucoup de questions se posent. L’État n’a-t-il pas les moyens d’intervenir pour amener les opérateurs à respecter leurs propres engagements ?
    Le citoyen est en droit de savoir et de comprendre et même de se demander s’il ne s’agit pas d’un laisser-aller complice.

    Une étrange manière de réguler

    Tout au moins, il y a comme une étrange manière de réguler le marché, à dérouter le théoricien de l’intervention de l’État régulateur, John Maynard Keynes.
    Nous assistons à des hausses de prix là où des mesures ont été prises pour les faire baisser, comme c’est le cas du marché des voitures.
    Pour la banane, rien ne justifie la hausse vertigineuse de son prix, sinon la situation de quasi-monopole créée par le gouvernement en éliminant plusieurs acteurs de la filière.
    Dans sa « Théorie générale », le célèbre économiste anglais expliquait que les principes fondamentaux du capitalisme, dont celui de l’offre et de la demande, n’étaient pas immuables et proposait des solutions aux déséquilibres du marché à partir d’actions régulatrices de l’État destinées à relancer la croissance.

    On se demande bien si c’est là l’objectif recherché par le gouvernement par ses « actions régulatrices ». Les règles du jeu sont faussées par les situations de quasi-monopole sciemment créées.
    Le principe de l’offre et de la demande, qui détermine les prix des biens et des services dans une économie du marché, est vidé ici de tout son sens.
    Pour citer encore l’exemple de la banane, et alors qu’ils étaient une cinquantaine d’opérateurs, peut-être plus, à se partager le marché et à se livrer une concurrence loyale dont le grand bénéficiaire était le consommateur, l’État intervient non pas pour remettre de l’ordre mais pour éliminer un grand nombre d’acteurs et livrer le marché à une poignée de privilégiés, dans une opération de sélection pour le moins opaque. Il est vrai que ni Keynes ni aucun autre économiste n’ont rien prévu de tel…
    Makhlouf Mehenni
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