Abdel Fattah al-Sissi est sans surprise donné largement vainqueur de l'élection présidentielle avec plus de 90% des voix, malgré un taux de participation relativement faible. Le président égyptien semble déterminé à mener une série de réformes - économiques, sociales ou administratives - pour faire face aux problèmes du pays, à commencer par le chômage des jeunes.
De notre correspondant au Caire,
« Qu’est ce qui est plus dangereux pour l’Egypte que les attentats terroristes de Daech ? C’est l’explosion démographique ! » Les Egyptiens sont désormais plus de 105 millions. En 2016, il y a eu 2,6 millions de naissances en Egypte, soit la moyenne d’un nouveau-né toutes les 12 secondes, selon le recensement de 2017.
Une multi-bombe à retardement. Elle explosera quand nombre de ces enfants ne trouveront pas de place à l’école primaire gratuite, puis à nouveau au collège puis au lycée puis à l’université. Mais la pire des bombes explosera dans une vingtaine d’années quand ces jeunes chercheront un emploi. Déjà aujourd’hui, un tiers des nouveaux arrivés sur le marché de l’emploi ne trouve pas de travail.
Les chaises
Un chômage d’autant plus difficile à supporter qu’en dehors de la famille, les jeunes ne peuvent compter sur aucun soutien ou allocation étatique. « Ah le bon vieux temps des années soixante et du président Nasser, quand tout diplômé était automatiquement employé dans l’administration ou le secteur public », répètent à l’envie des retraités devant leur petits-enfants. « Et c’est comme ça que le pays a été ruiné », répondent, parfois, des jeunes excédés.
On en était arrivé, au début des années 1970, à un mécanisme de prolifération tel que l’on jouait aux chaises musicales dans les administrations. Faute de chaises suffisantes, les fonctionnaires se les chipaient. Spectacle surréaliste de chaises cadenassées aux bureaux avec le nom du fonctionnaire gravé dessus. Même si les nominations automatiques ont été arrêtées dès le début des années 1980, l’administration et le pléthorique secteur public ont continué à être le principal employeur d’Egypte.
Les choses changent dans les années 1990 avec la privatisation de nombreuses sociétés publiques et après les accords de libéralisation partielle de l’économie conclus avec le Fonds monétaire international (FMI). Le secteur privé connait une croissance fulgurante et devient le premier employeur d’Egypte. Mais après le soulèvement contre Moubarak en 2011, administrations et secteurs publics achètent la paix sociale en engageant massivement près d’un million d’employés.
Dégraissage
Quand Abdel Fattah al-Sissi prend le pouvoir en 2014, l’économie égyptienne est exsangue. Les pays du Golfe volent à son secours avec 20 milliards de dollars d’aide économique et pétrolière. Mais les milliards sont avalés sans progrès notable. Les bailleurs de fonds exigent des mesures draconiennes supervisées par le FMI. En 2017, Sissi obtempère. Dévaluation de 50% de la livre égyptienne, levée de 40% des subventions sur le carburant, gaz et électricité et mise à la retraite anticipée ou non remplacement de 13% des fonctionnaires (700 000 en deux ans).
Mais le plus dur est à venir cet été, avec la levée totale des subventions sur le carburant et un nouveau train de privatisations et de dégraissage. Mais la hantise des émeutes du pain de 1977 est encore dans les esprits. Pour tenter d’amortir le choc chez les plus défavorisés (25% des Egyptiens) une « super carte d’approvisionnement » a été prévue. Les Egyptiens ont déjà fait face en 2017 à une inflation de 30% qui pourrait, après une baisse notable, repartir en flèche cet été.
Le gouvernement espère que la croissance économique (5,5% escomptés) et la reprise du tourisme, avec ses millions d’emplois, permettront de juguler le chômage. Les virements des expatriés seront aussi essentiels. Ils ont viré, en 2017, 30 milliards de dollars. Soit plus de deux fois les revenus du Canal de Suez et du tourisme.
Formation
Une des raisons importantes du chômage des jeunes est l’état de dégradation de l’enseignement public en Egypte. Selon le recensement de 2017, il y a encore 19 millions d’analphabètes en Egypte (18%). Un phénomène qui frappe surtout la campagne (13 millions) et la multitude de quartiers informels en milieu urbain. Les femmes (11 millions) sont, elles aussi, plus affectées par l’inaptitude à lire et à écrire. Dans un pays ou 37 millions des habitants ont moins de 18 ans, l’enseignement a été lourdement affecté par des dizaines d’années de négligence et de manque de moyens.
Dans le primaire (7 millions), la majorité des enfants qui n’ont pas les moyens de payer l’école privée, s’entassent à plus de quarante par classe et à trois ou quatre par banc. La journée scolaire ne dure que 4 heures pour 6 cours débités par des enseignants mal payés. Au collège (6 millions) un tiers des élèves mal formés sont dirigés vers des écoles techniques. Au lycée (5 millions), la plupart des enseignants réservent leurs efforts pour des cours extra-scolaires dans des écoles-bis payantes ou les leçons particulières. Une mine d’or, puisque l’accès aux facultés les plus prisées (médecine, ingénierie, etc.) se fait en fonction du pourcentage obtenu au bac.
Reformer l’école nécessitera des moyens énormes dont le gouvernement ne dispose pas. Plusieurs pistes sont examinées et celle qui revient le plus souvent est de limiter la gratuité des études universitaires. A chaque fois que la question est évoquée, la levée de boucliers est immédiate. Toutefois, le gouvernement, qui ne s'inquiète ni de sa popularité ni de perdre les élections, pourrait adopter la mesure du moment qu’il estime qu’elle ne risque pas de provoquer un soulèvement populaire incontrôlable.
Déjà, les masters et doctorats obtenus gratuitement par 300 000 Egyptiens sont maintenant payants. Quant au système éducatif, il semble que le gouvernement égyptien teste la méthode japonaise pour éventuellement remplacer graduellement un système inspiré du bac à la française.
Famille nombreuse
Mais le président égyptien veut aussi s’attaquer à ce que certains experts considèrent comme le péché originel qui a appauvri l’Egypte : les naissances incontrôlées. Depuis les années 90, l’Egypte avait lancé un ambitieux projet de planning familial avec, notamment, le soutien de l’Agence américaine pour le développement.
Des campagnes publicitaires conçues par une compagnie américaine qui avait créé le populaire cowboy d’une marque de cigarettes ont envahi les écrans des télés et les pages des magazines et journaux. Tous les moyens de contraception, de la pilule au stérilet en passant par les préservatifs étaient subventionnés. Des centres « pour la famille » ont poussé dans toute l’Egypte avec gynécologues et traitements gratuits. Le milieu rural, qui reste prépondérant en Egypte (60%) et où le taux de natalité est les plus élevé, a été visé.
Résultat, le taux de croissance naturelle est passé de 2,94% en 1988 à 1,91% en 2005. Mais l’édifice s’est effondré du fait de l’arrêt de l’aide de Washington après la poursuite en justice en 2011 d’ONG américaines accusées de comploter contre l’Egypte. Les désordres politiques et économiques et l’opposition islamiste à la limitation des naissances durant le pouvoir des Frères musulmans (2012/13) ont eu raison du projet.
En 2013 la croissance naturelle était remontée à 2,5%. En 2016, elle est redescendue à 2,25 %. Mais certains députés de la majorité du président veulent aller au-delà d’une nouvelle campagne de planning familial. Ils proposent des mesures contraignantes comme la limitation des subventions et de la gratuité de l’enseignement aux deux premiers enfants.
« Président des coptes »
A son arrivé au pouvoir, le président Sissi avait demandé à la Grande Mosquée d’al-Azhar, autorité morale de l’islam sunnite, d’opérer « une révolution religieuse » afin de priver les extrémistes musulmans des interprétations théologiques radicales leur permettant de recruter les terroristes. al-Azhar s’est contenté de tenir quelques conférences de pure forme sans toucher au fond du problème, consistant dans l’interprétation de certaines sourates coraniques et hadith du prophète. Pire, al-Azhar a poursuivi en justice de nombreux islamologues réformateurs dont plusieurs ont fini en prison pour « mépris de l’islam ».
Le talon d’Achille du président égyptien, qui mène une répression féroce contre les Frères musulmans, est son besoin du soutien des salafistes pour ne pas être accusé d’islamophobie et d’être « le président des coptes ». Ce projet de réforme qui a connu un gel de facto pourrait toutefois être réactualisé grâce à un allié inattendu. L’Arabie saoudite, principal soutien financier des salafistes et de leur idéologie avec le wahhâbisme, est en train de mener des reformes sans précèdent sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salman. Un prince qui a déclaré qu’il prônera un islam tolérant et combattra la pensée radicale.
RFI
De notre correspondant au Caire,
« Qu’est ce qui est plus dangereux pour l’Egypte que les attentats terroristes de Daech ? C’est l’explosion démographique ! » Les Egyptiens sont désormais plus de 105 millions. En 2016, il y a eu 2,6 millions de naissances en Egypte, soit la moyenne d’un nouveau-né toutes les 12 secondes, selon le recensement de 2017.
Une multi-bombe à retardement. Elle explosera quand nombre de ces enfants ne trouveront pas de place à l’école primaire gratuite, puis à nouveau au collège puis au lycée puis à l’université. Mais la pire des bombes explosera dans une vingtaine d’années quand ces jeunes chercheront un emploi. Déjà aujourd’hui, un tiers des nouveaux arrivés sur le marché de l’emploi ne trouve pas de travail.
Les chaises
Un chômage d’autant plus difficile à supporter qu’en dehors de la famille, les jeunes ne peuvent compter sur aucun soutien ou allocation étatique. « Ah le bon vieux temps des années soixante et du président Nasser, quand tout diplômé était automatiquement employé dans l’administration ou le secteur public », répètent à l’envie des retraités devant leur petits-enfants. « Et c’est comme ça que le pays a été ruiné », répondent, parfois, des jeunes excédés.
On en était arrivé, au début des années 1970, à un mécanisme de prolifération tel que l’on jouait aux chaises musicales dans les administrations. Faute de chaises suffisantes, les fonctionnaires se les chipaient. Spectacle surréaliste de chaises cadenassées aux bureaux avec le nom du fonctionnaire gravé dessus. Même si les nominations automatiques ont été arrêtées dès le début des années 1980, l’administration et le pléthorique secteur public ont continué à être le principal employeur d’Egypte.
Les choses changent dans les années 1990 avec la privatisation de nombreuses sociétés publiques et après les accords de libéralisation partielle de l’économie conclus avec le Fonds monétaire international (FMI). Le secteur privé connait une croissance fulgurante et devient le premier employeur d’Egypte. Mais après le soulèvement contre Moubarak en 2011, administrations et secteurs publics achètent la paix sociale en engageant massivement près d’un million d’employés.
Dégraissage
Quand Abdel Fattah al-Sissi prend le pouvoir en 2014, l’économie égyptienne est exsangue. Les pays du Golfe volent à son secours avec 20 milliards de dollars d’aide économique et pétrolière. Mais les milliards sont avalés sans progrès notable. Les bailleurs de fonds exigent des mesures draconiennes supervisées par le FMI. En 2017, Sissi obtempère. Dévaluation de 50% de la livre égyptienne, levée de 40% des subventions sur le carburant, gaz et électricité et mise à la retraite anticipée ou non remplacement de 13% des fonctionnaires (700 000 en deux ans).
Mais le plus dur est à venir cet été, avec la levée totale des subventions sur le carburant et un nouveau train de privatisations et de dégraissage. Mais la hantise des émeutes du pain de 1977 est encore dans les esprits. Pour tenter d’amortir le choc chez les plus défavorisés (25% des Egyptiens) une « super carte d’approvisionnement » a été prévue. Les Egyptiens ont déjà fait face en 2017 à une inflation de 30% qui pourrait, après une baisse notable, repartir en flèche cet été.
Le gouvernement espère que la croissance économique (5,5% escomptés) et la reprise du tourisme, avec ses millions d’emplois, permettront de juguler le chômage. Les virements des expatriés seront aussi essentiels. Ils ont viré, en 2017, 30 milliards de dollars. Soit plus de deux fois les revenus du Canal de Suez et du tourisme.
Formation
Une des raisons importantes du chômage des jeunes est l’état de dégradation de l’enseignement public en Egypte. Selon le recensement de 2017, il y a encore 19 millions d’analphabètes en Egypte (18%). Un phénomène qui frappe surtout la campagne (13 millions) et la multitude de quartiers informels en milieu urbain. Les femmes (11 millions) sont, elles aussi, plus affectées par l’inaptitude à lire et à écrire. Dans un pays ou 37 millions des habitants ont moins de 18 ans, l’enseignement a été lourdement affecté par des dizaines d’années de négligence et de manque de moyens.
Dans le primaire (7 millions), la majorité des enfants qui n’ont pas les moyens de payer l’école privée, s’entassent à plus de quarante par classe et à trois ou quatre par banc. La journée scolaire ne dure que 4 heures pour 6 cours débités par des enseignants mal payés. Au collège (6 millions) un tiers des élèves mal formés sont dirigés vers des écoles techniques. Au lycée (5 millions), la plupart des enseignants réservent leurs efforts pour des cours extra-scolaires dans des écoles-bis payantes ou les leçons particulières. Une mine d’or, puisque l’accès aux facultés les plus prisées (médecine, ingénierie, etc.) se fait en fonction du pourcentage obtenu au bac.
Reformer l’école nécessitera des moyens énormes dont le gouvernement ne dispose pas. Plusieurs pistes sont examinées et celle qui revient le plus souvent est de limiter la gratuité des études universitaires. A chaque fois que la question est évoquée, la levée de boucliers est immédiate. Toutefois, le gouvernement, qui ne s'inquiète ni de sa popularité ni de perdre les élections, pourrait adopter la mesure du moment qu’il estime qu’elle ne risque pas de provoquer un soulèvement populaire incontrôlable.
Déjà, les masters et doctorats obtenus gratuitement par 300 000 Egyptiens sont maintenant payants. Quant au système éducatif, il semble que le gouvernement égyptien teste la méthode japonaise pour éventuellement remplacer graduellement un système inspiré du bac à la française.
Famille nombreuse
Mais le président égyptien veut aussi s’attaquer à ce que certains experts considèrent comme le péché originel qui a appauvri l’Egypte : les naissances incontrôlées. Depuis les années 90, l’Egypte avait lancé un ambitieux projet de planning familial avec, notamment, le soutien de l’Agence américaine pour le développement.
Des campagnes publicitaires conçues par une compagnie américaine qui avait créé le populaire cowboy d’une marque de cigarettes ont envahi les écrans des télés et les pages des magazines et journaux. Tous les moyens de contraception, de la pilule au stérilet en passant par les préservatifs étaient subventionnés. Des centres « pour la famille » ont poussé dans toute l’Egypte avec gynécologues et traitements gratuits. Le milieu rural, qui reste prépondérant en Egypte (60%) et où le taux de natalité est les plus élevé, a été visé.
Résultat, le taux de croissance naturelle est passé de 2,94% en 1988 à 1,91% en 2005. Mais l’édifice s’est effondré du fait de l’arrêt de l’aide de Washington après la poursuite en justice en 2011 d’ONG américaines accusées de comploter contre l’Egypte. Les désordres politiques et économiques et l’opposition islamiste à la limitation des naissances durant le pouvoir des Frères musulmans (2012/13) ont eu raison du projet.
En 2013 la croissance naturelle était remontée à 2,5%. En 2016, elle est redescendue à 2,25 %. Mais certains députés de la majorité du président veulent aller au-delà d’une nouvelle campagne de planning familial. Ils proposent des mesures contraignantes comme la limitation des subventions et de la gratuité de l’enseignement aux deux premiers enfants.
« Président des coptes »
A son arrivé au pouvoir, le président Sissi avait demandé à la Grande Mosquée d’al-Azhar, autorité morale de l’islam sunnite, d’opérer « une révolution religieuse » afin de priver les extrémistes musulmans des interprétations théologiques radicales leur permettant de recruter les terroristes. al-Azhar s’est contenté de tenir quelques conférences de pure forme sans toucher au fond du problème, consistant dans l’interprétation de certaines sourates coraniques et hadith du prophète. Pire, al-Azhar a poursuivi en justice de nombreux islamologues réformateurs dont plusieurs ont fini en prison pour « mépris de l’islam ».
Le talon d’Achille du président égyptien, qui mène une répression féroce contre les Frères musulmans, est son besoin du soutien des salafistes pour ne pas être accusé d’islamophobie et d’être « le président des coptes ». Ce projet de réforme qui a connu un gel de facto pourrait toutefois être réactualisé grâce à un allié inattendu. L’Arabie saoudite, principal soutien financier des salafistes et de leur idéologie avec le wahhâbisme, est en train de mener des reformes sans précèdent sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salman. Un prince qui a déclaré qu’il prônera un islam tolérant et combattra la pensée radicale.
RFI
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