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De la chanson à la médiation

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  • De la chanson à la médiation

    Et dans cette catégorie d’art, s’impose la chanson : une œuvre composée d'un texte et d'une musique indissociables l'un de l'autre*, formant ce beau mélange entre la musique et la poésie. Grâce à son écho favorable et son succès acquis auprès du public par un moyen traditionnel et ancestral de communication qui est la parole ornée de quelques notes de mélodie, la chanson a pu, à travers le temps, sortir de son cercle primaire, représentant un rituel de fête ou de deuil, pour devenir petit à petit un moyen d’expression et de médiation parfois plus efficace que les nouveaux médias car cette dernière, popularisée naturellement, possède des atouts qu’elle fera jouer à travers le temps pour s’imposer comme un phénomène social qui ne manque pas d’importance. Chose qui lui procure cette nouvelle nomination "le cinquième pouvoir" après celui de la presse.

    A l’instar de la chanson universelle, la chanson algérienne d’expression kabyle joue aussi bien ce rôle d’autant plus qu’un ensemble de facteurs socio-politico-culturels l’imposent. Elle ne manque tout de même pas de spécificités, surtout qu’elle est plus popularisée que les autres arts. Si l’on plonge dans la chanson algérienne ancienne, dite Amazighe ou Berbère, on trouve qu’elle a beaucoup véhiculé la culture autochtone connue pour ses spécificités de communication et de transmission orales héritées des anciennes générations et nourrie par bon nombre de valeurs morales ancestrales.

    La genèse de la chanson kabyle
    Depuis sa naissance à la fin du 19e siècle, la chanson Kabyle, véhiculée par des troupes folkloriques qui sillonnaient la région village par village en jouant des instruments comme le tambour et la trempette et en chantant en chœur, est considérée beaucoup plus comme un instrument efficace de lutte pour la pérennité de la culture kabyle souvent menacée de distinction.

    * définition wikipedia (encyclopédie libre)

    Venue pour joindre l’utile à l’agréable c’est -à-dire les paroles et le spectacle vivant aux belles musiques et airs folkloriques plus anciens, elle se transforme petit à petit en un moyen plus pertinent d’expression et de communication et vue la nature orale de la culture kabyle et berbère en général, la chanson se converti petit à petit en un moyen de renseignement, de transmission culturelle puis de lutte politique. Subversive de nature, la chanson kabyle moderne, dont la genèse remonte à la période entre les deux guerres mondiales, a connu la naissance de la première vague des chanteurs talentueux immigrés en France et qui ont commencé à enregistrer des disques au début des années 30. Des artistes comme Cheikh El-Hasnaoui et Slimane Azem Zarouki Allaoua et autre Mohamed Saïd Oublélaïd ont baptisé la première génération de chanteurs Algériens reconnus à l’échelle internationale. Ces derniers, plus ou moins connus, ont toujours véhiculé la spécificité culturelle kabyle avec un style tout nouveau ; anticonformistes quant aux règles et discipline imposées par la musique andalouse, et beaucoup plus proches de la culture populaire et des soucis du peuple, cette nouvelle vague a pu démystifier la chanson qui était usurpée et prisonnières des couches sociales bourgeoises des grandes métropoles, en réduisant l’écart qui existe entre l’école classique et les masses populaires. En se forgeant un autre style plus populaire (Chaabi) compréhensible et accessible pour tous et qui parle au peuple avec un langage jargon bien ressenti, la nouvelle génération formée essentiellement d’ouvriers immigrés en France, en côtoyant d’autres musiciens du monde a pu imposer sa touche ici en France et attirer les plus grandes maisons de disques à l’époque comme Pathé Marconi et Philips. Le "Châbi" qui veut dire populaire en arabe algérien, a été créé par les kabyles mais se chante dans les deux langues kabyle et arabe populaire algérien. Ce nouveau style initié par El-Nador, El-Ghafour, puis propulsé par des artistes comme El-Anka et El-Hasnaoui (les deux sont kabyles) a eu un grand succès dès les premières années de son apparition car il ne reflète dans ces paroles que l’image profonde du peuple algérien berbère dans l’histoire. Cette nouvelle souche de chanteurs a révolutionné la culture urbaine et a pu vulgariser cette dernière en la popularisant mais aussi en l’ajustant aux causes actuelles telles que la lutte politique anti-coloniale dans les années 20 et la lutte armée de 1954, La chanson populaire algérienne a joué un grand rôle dans la prise de conscience politique qui a contribué à l’émergence du mouvement nationaliste algérien au début du vingtième siècle et même durant la guerre de libération (1954-1962, les chansons populaires et patriotiques émulaient les combattants avec des chants émouvants et le meilleur tube de l’époque était la chanson "Ayemma seber ourtsrou" (ma mère, patiente ne pleures pas) composée par le grand musicien classique Iguerbouchène et interprétée par Farid Ali.

    Après l’indépendance, c’est pour une autre lutte que la chanson joue son rôle : la démocratie et le combat pour l’identité et la reconnaissance de la langue berbère en Algérie.

    C’est ainsi qu’à travers les deux derniers siècles, la chanson kabyle a toujours porté comme symbole la liberté mais aussi les frustrations d’un peuple et l’étendard d’une dynastie Amazigh* historiquement déchirée par les multiples invasions romaine, phénicienne, arabe, espagnole, turque puis française et politiquement réprimée par le pouvoir en place qui refuse cette culture en déniant jusqu’à présent la nationalisation et l’officialisation de la langue berbère. C’est pour cette raison que la majorité des chanteurs kabyles ont comme crédo la défense de cette langue et culture menacée d’être jetée dans les oubliettes : "Chanter ne signifie pas être gai", disait Slimane Azem dans l’une de ses chansons.
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  • #2
    Effectivement, si l’on fait une analyse de la chanson kabyle, on constate facilement qu’elle est liée à cette question identitaire qui fait qu’elle soit une chanson naturellement contestataire, ce qui lui procure cette allocation " la chanson identitaire" ; Une nouvelle face de chanson représentée par bon nombre d’artistes connus dans le monde, entre autre le célèbre chanteur kabyle IDIR connu dans le monde avec son tube " Avava inouva " (mon père à moi) enregistré dans les années 70 et qui a beaucoup marqué sa génération par son allure intellectuelle mais combien naturelle avec une manière universelle d’affirmation de sa culture berbère dans un monde de diversité qui impose l’acceptation de l’autre allant jusqu’au métissage artistique et culturel. Avec ses deux derniers albums " identités " (1998) et "La France des couleurs” (2007), il œuvre beaucoup pour la concrétisation du concept nouveau qui est " la musique du monde** "qui représente les cultures du monde avec leurs différences surtout la lutte des minorité ethniques à laquelle les kabyles appartiennent depuis toujours. IDIR, en prônant le mélange de styles et le frôlement avec les cultures du monde compte créer par son thème musical une rencontre entre les races car c’est dans cette alliance que paraissent naturellement les spécificités de chacune des identités. La chanson kabyle quant à elle beigne dans cette composition très complexe et même si elle renferme ses spécificités thématiques et musicales, variées et très riches en rythmes, elle n’exprime que les complaintes, les révoltes et les cris de détresse d’un peuple dont " la liberté est matée sur l’enclume du mépris " pour citer l’illustre poète Jean Amrouche ***.

    Matoub Lounès et la chanson

    Tous ces aspects font que Matoub Lounès a trouvé quand il est venu dans la chanson en 1978 un terrain favorable défraichi par ces prédécesseurs Cheikh-El-Hasnaoui, Slimane Azem, Aït Menguellet et Ferhat ; Par conséquent, la chanson matoubienne ne peut être qu’engagée et encore plus engagée, et ce sur tous les fronts. Matoub Lounès ou le " rebelle " comme on l’appelle est allé encore plus loin dans son engagement ; Il a payé son combat de son propre sang ; Il est grièvement blessé par un gendarme en 1988, kidnappé et séquestré pendant 15 jours par un groupe armé en 1994, puis lâchement assassiné le 25 Juin 1998.

    *Amazigh : Berbère en langue autochtone

    ** World music est un terme générique qui couvre toutes les musiques qui ne font pas partie des courants principaux de la musique pop, de la musique classique, du jazz... et qui contiennent des composantes dites " ethniques ".

    ***Jean El-Mouhouv Amrouche : écrivain-poète kabyle d’expression française

    Victime de l’intolérance, Matoub Lounès est mort pour ses idées qui prônaient l’identité Berbère du peuple algérien, la laïcité, le modernisme et la tolérance.

    Poète escompté sur tous les fronts, indomptable franc-tireur et fervent défenseur des causes humanitaires justes, son répertoire est doté d’une grande richesse thématique et mélodique et aussi la puissance subversive de ses vers qui parlent à toute l’humanité. Sa singularité réside dans le fait qu’il porte un regard critique inédit contre toutes les forces d’avilissement, qu’elles soient religieuses, militaro-économiques ou inhérente à la société kabyle, à cela, s’ajoute l’intensité lyrique des poèmes dans lesquels il transpose les différentes souffrances de la condition humaine et qui s’appelait " la rage du désespoir "*. D’ailleurs, c’est l’exemple que j’ai choisi pour thème à mon travail de recherche, qui consiste en un mémoire plus un portrait audiovisuel de 26 minutes relatant la vie, l’œuvre et le combat du chanteur.

    Matoub Lounès est né en pleine guerre de Libération, le 24 Janvier 1956 à Taourirt Moussa Ouamar, un village situé en Haute Kabylie. Il a grandi en Kabylie où la vie est rude comme la difficulté de la nature ardue formée de hautes collines et de monts. Préférant dès son jeune âge devenir un chanteur professionnel, il évolue dans le style populaire appelé le " Chaâbi ",ce genre très ancré dans la culture algérienne ; il devient par la suite l’une des plus grandes figures de la chanson kabyle dite "engagée" de cette dernière décennie. Aussi est-il reconnu pour son parcours exceptionnel dans la chanson mais aussi pour les principes qu’il défendait à savoir la liberté, les droits de l’Homme et sa lutte contre le centralisme du pouvoir algérien et la mouvance islamiste qui a engendré le terrorisme. Ne pas oublier sa contestation identitaire et sa revendication de la langue berbère depuis le début de sa carrière en 1978, jusqu’à son destin tragique en 1998.

    Ce poète-chanteur amoureux de sa culture ancestrale qu’il revendique, ce démocrate pétulant symbole de la résistance et de la lutte pour les justes causes a en vingt ans de carrière axé sa chanson revendicative sur le volet politique tout en disant par la chanson ce qui était interdit de dire, transgressant toutes les lois et dépassant toutes les peurs, se nourrissant du goût de l’interdit. Il a su donner son point de vu, négligeant les représailles qui pourraient être engendrées, mettant en avance la place à la liberté d’expression, l’émancipation de la femme et la vérité dans un pays où même la presse dite indépendante promulguée à partir de 1991 ne jouit pas de ce droit. " Ceux qui vivent sont ceux qui luttent ", disait Victor Hugo. Matoub Lounès, à défaut de lutter pour vivre, a vécu pour lutter ; il y a consacré toute sa vie à en payer sa notoriété de sa propre vie.

    Un homme engagé

    Matoub Lounès est assassiné le 25 Juin 1998 à la fleur de l’âge (42 ans) et au sommet de sa gloire issue d’une popularité acquise par un combat mené avec comme arme son instrument de musique " le Mondole " et ses mots. Le chanteur talentueux et autodidacte n’est issu ni d’une école de musique ni d’une propagande médiatique : il n’est le fruit d’aucune institution culturelle ; il est issu de " l’école buissonnière "*

    * Yalla Seddiki : Lounès Matoub, Mon nom est combat, Ed. La découverte Paris 2003

    ** Rebelle Par Véronique TAVEAU Ed. : Brochet (Paris) – 1995

    L’engagement de Matoub Lounès dépassait celui d’un poète pour devenir celui d’un homme de pensée, un savant de la société qui se nourrit de la réalité de son peuple, qui sème des idées et les défend avec ferveur mais qui montre le chemin de sortir de la crise. Dans ses chansons, il affrontait à la fois le pouvoir en place qui a trahi les principes souscrits lors de la plate-forme de la Soummam en 1956** prônant la construction d’un Etat démocratique et laïc et non pas un Etat policier et militaire. Ce même pouvoir qui depuis l’indépendance a toujours nié les valeurs ancestrales de l’identité algérienne s’alliant à une tendance arabo-musulmane archaïque. Il osait dénoncer les pratiques malsaines du gouvernement en taquinant personnellement quelques-uns de ces membres qu’il site en les montrant du doigt. La violence islamiste qui a ravagé le pays et qui n’a fait pour victimes que le peuple algérien engendrant l’assassinat des intellectuels et des artistes ajouté aux carnages et aux crimes organisés n’a pas laissé l’artiste indifférent ; Il a mené un véritable combat contre les intégristes qui ont semé la terreur au sein du peuple algérien sans oublier de rendre hommage aux journalistes assassinés durant cette décennie noire qu’a vécue le pays. Dans cette lutte bipolaire contre le pouvoir dictatorial et le phénomène intégriste et toutes les violences engendrées, Matoub Lounès n’omet pas de jouer son vrai rôle, celui d’un chanteur, poète, savant de la société qui n’hésite pas à critiquer et à décortiquer les failles et même briser les tabous qui font que la société régresse au lieu de progresser Il intitule son combat : " La famille qui avance" une expression dite par le journaliste et ami du chanteur : Tahar Djaout***, assassiné en 1994.

    Le chanteur n’hésitait pas à dénoncer ce mal qui a ravagé la société algérienne, nourri par une volonté de nuisance politique, basée sur la négation identitaire, la recrudescence de l‘intolérance et le refus de la diversité des croyances religieuses, ce qui a engendré la mouvance islamiste des années 80 qui se transforme petit à petit en terrorisme des années 90 avec sa violence aveugle qui a endeuillé le peuple algérien.
    Le poète traitait dans ses thèmes tous les maux sociaux et politiques tout en démontrant leurs racines, car disait-il dans son dernier album intitulé : "Lettre ouverte aux… " sorti après sa mort en 1998 : " Le peuple algérien est trahi par les desseins maléfiques tracés par la dictature exercée par des pseudo-politiques." Dans ce même album enregistré en 1998, quelques jours avant son assassinat,

    * Matoub Lounès : Rebelle par Véronique Taveau, Ed Brochet, Paris, 1995

    **Congrès extraordinaire organisé par l’ALN le 20 Août 1956 en pleine guerre d’Algérie où étaient souscrits outre l’organisation de guerre d’indépendance, les principes de l’Algérie démocratique poste indépendante.

    *** Ecrivain et journaliste assassiné en 1993.

    Tantôt sociologue, tantôt politique, le chantre a toujours été le porte-parole de la classe progressiste du peuple algérien qui représentait la majorité kabyle. Ce rôle de médiation qu’il complétait surtout avant l’ouverture démocratique de 1988, et qu’il continuait à exercer avec beaucoup plus d’impact après 1988, était pour beaucoup dans la prise de conscience populaire. En effet dans les années 70, une vague de jeunes chanteurs engagés est montée au créneau pour exprimer le mal qui ronge le pays. Parmi ces récents chanteurs, on peut citer Aït-Menguellet, Idir et Ferhat. Mais la censure, les menaces et même l’emprisonnement étaient leurs sorts.
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    • #3
      C’est dans cette vague de chanteurs engagés, courageux, que se révèle le talent de Matoub Lounès mais avec une tendance plus subversive, voire même outrancière. Depuis sa première chanson " Ayizem " (Le lion) enregistrée en 1978 à sa dernière chanson " Lettre ouverte aux… " Matoub, avec un style musical maison appelé " le chaâbi " (populaire) et une élocution claire, simple et belle n’a jamais cessé de parler pour son peuple " Tu chantes tout haut ce que tes frères ressentent tout bas victimes que nous sommes d’un système où le mot liberté veut dire : liberté des uns à disposer des autres"* mettant en exergue tous les événements passés et actuels que l’Algérie contemporaine a vécus tout en cherchant une explication, une issue pour un pays en quête de démocratie. Il analysait et dressait des bilans et même pronostiquait avec un art phraséologique hors commun ainsi qu’une conscience politique inégalée. Le chantre s’est forgé dans la chanson contestataire un style incontestablement personnel s’inspirant de la réalité amère imposée par les événements douloureux et tragiques que vivait l’Algérie durant les deux dernières décennies où la violence, la corruption et la paupérisation ont atteint leur apogée. Le chanteur dans la composition de ses poèmes-gazettes traite l’information, dresse des bilans, en tire des leçons se référant à chaque fois à des faits historiques et des faits réels dissimulés par l’histoire officielle mais retenus par celle populaire. " Un peuple qui ne connait pas son histoire risque de répéter les mêmes erreurs "

      La vie de Matoub Lounès est pleine d’aventure et d’événements, en plus de son engagement politique et les retombées directes sur sa personne, sa vie conjugale était instable, meurtrie par la déshérence et obnubilé par la quête d’avoir une descendance. Dans mon travail, je m’arrêterai sur toutes les étapes de sa vie car l’œuvre de Matoub est essentiellement autobiographique. Du 24 janvier 1956, date de sa naissance au 25 Juin 1998, date de son assassinat. Je ferai de grandes escales aux années 78 où il sort son premier album intitulé " Ayizem ", en 1980, (20 avril) où les évènements du Printemps berbère sont déclenchés, suite à l’annulation d’une conférence en langue berbère prévue à l’université de Tizi-Ouzou, ces évènements qui vont marquer la vie de Lounès et qui deviendront une grande référence dans sa lutte pour la reconnaissance de la langue berbère par le gouvernement algérien.

      * Texte écrit et révélé dans son album "Regard sur l’histoire d’un pays damné"

      De la chanson à la médiation

      Matoub Lounès comme Boris Vian ou Renaud dans la chanson française faisait exactement le rôle de journaliste qui traite les évènements et les explique à son public tout en les examinant avec minutie. On peut dire que chaque album de Matoub (deux albums par an en moyenne) représente une revue d’évènements où l’analyse et la critique ne manquent pas. Ce créneau choisi par l’artiste est très dur car non seulement il faut reporter les évènements et les traiter en gazette mais aussi il faut les introduire dans une œuvre artistique cohérente avec une poésie potable, attirante et belle.

      L’actualité politique et sociale n’a jamais manqué dans toute l’œuvre de Matoub ; Ses chansons traitent dans la majorité des faits actuels tels que le terrorisme et l’assassinat d’intellectuels, les crimes d’Etat, ainsi que le mal qui ravage les jeunes (chômage, délinquance drogue et prostitution) Sa volonté de démocratiser sa société ravagée par les tabous imposés dans le passé par un courant féodal et actuellement par l’islamisme radical nourri par le pouvoir, l’a conduit à entrer dans un autre type de chanson : la chanson revendicatrice et contestataire. Ce genre de chanson qui s’inspire d’un terroir populaire brut est interdit en Algérie mais l’artiste malgré la censure et les risques de représailles n’a jamais cessé de s’exprimer, chose qui attire son public à l’écouter et à suivre son œuvre de près.

      En Algérie, pour être connu du grand public, l’artiste doit passer sur la chaîne unique de télévision, Matoub Lounès quant à lui a boudé cette chaîne qu’il qualifie " d’instrument de pouvoir ". Il ne voulait pas en passer par là pour être célèbre. N’étant pas un simple chanteur de disque, Il choisi le contact direct avec son public.

      Il donnait des concerts dans les salles en Algérie et en France et offrait un grand concert gratuit chaque 20 Avril (commémoration du Printemps berbère) dans un stade à Tizi-Ouzou en Kabylie. Il n’hésitait pas à occuper le premier rang dans les manifestations qui se déroulaient en Kabylie surtout durant la décennie noire des années 90 où le terrorisme a atteint son apogée dans la violence surtout dans les assassinats d’intellectuels. Petit à petit, Matoub dépassait le cercle de simples chanteurs pour devenir une figure emblématique et un repère pour les jeunes générations qui épousent parfaitement ses idées, avec une manière personnelel, il attire les foules par une poésie accessible à tous, inspirée des airs et des dictons populaires anciens qu’il actualise à chaque fois qu’un nouveau thème l’impose. Depuis ses débuts dans la chanson son aura n’a cessé d’augmenter pour atteindre l’échelon international.

      Mais comment ce chanteur a-t-il pu créer une hégémonie entre lui et son public, composé essentiellement de jeunes, et ce uniquement par la chanson populaire ?

      " La construction de l’hégémonie implique que le peuplea accès aux langages dans lesquels elle s’articule "* En effet, " la production culturelle populaire opposée à celle cultivée (Matoub Lounès n’étant pas sorti d’université) ouvre aux classes populaires la possibilité de rendre sa mémoire et son expérience communicable "* Matoub Lounès a choisi le genre populaire qui est le Chaâbi car il savait qu’il ne peut atteindre les masses qu’en leur parlant dans leur langage. Le rôle de la chanson est d’autant plus important que la Kabylie garde toujours ses traditions culturelles orales. Il devient donc évident que la chanson matoubienne dans la société kabyle, à valeurs traditionnelles et culturelles purement orales, joue un rôle littéraire pertinent en faisant de la culture populaire un espace d’expression, composé de textes inédits et d’anciens contes associés au présent, pour l’exercice d’une médiation verbale car Il existe une littérature qui, totalement absente des bibliothèques et des librairies de son temps, a permis cependant aux classes populaires de passer de l’oral à l’écrit et dans laquelle s’opère la transformation du folklorique au populaire "*. Dans la chanson matoubienne le passage se fait de l’oral à l’oral mais de l’oral folklorique à l’oral populaire car en passant par l’enregistrement et l’édition, l’authenticité reste intacte, comme la littérature de cordel en Espagne et de colportage en France, cette culture populaire urbaine ou rurale malgré qu’elle soit écrite ou éditée, est une écriture à structure orale de base, représentée en forme de vers, elle transcrit des chansons, des romances, des couplets et des dictons.

      Elle est sociologiquement destinée à être lue à haute voix collectivement et en public. Matoub Lounès, dans sa poésie, jouait entre ces deux courants littéraires populaires et son objectif était de viser les antipodes de la société algérienne en général et kabyle en particulier ; avec celle de colportage il s’adresse essentiellement à la population paysanne illettrée à travers des histoires, dictons proverbes et enseignements ancrés dans la culture et l’éducation populaire, et avec celle de cordel il s’adresse à l’élite composée essentiellement de jeunes étudiants et intellectuels, usant d’un langage purement urbain, soutenu, loin de tous préjugés ou apriorismes avec une expression libertine limite vulgaire et qui se meut dans la ville avec un courant progressiste qui ne manque pas d’ironie et de hardiesse.

      C’est ainsi que le poète parvient à toucher avec sa poésie les deux classes intellectuelles et paysannes ; c’est là qu’il a pu vulgariser son art et répandre sa popularité à travers tout le pays et ainsi facilement diffuser ses idées politiques rénovatrices et révolutionnaristes par le billet de la chanson populaire, cette dernière raconte une situation et la commente pour faire naître chez l’auditeur les sentiments qui sont sensés en découler.
      * Jesus Martin-Barbéro : Des médias aux médiations

      Communication culture hégémonie

      CNRS, Ed. 2002

      **Antoine. Hennion" Professionnels du disque

      "Plutôt rompre que plier

      Maudits soient-ils

      Qui ont suivi le serpent dans son trou

      Tant que nous sommes vivants nos yeux verront

      Nous sommes las d’attendre

      Aujourd’hui le sort est bouleversé

      Le mot sur quoi ils déversent leurs immondices

      Avec la fierté sera vivifié

      Quel arbre pousse sans racines"*

      Avec un langage essentiellement dans la langue kabyle et parfois doublé de français,— notre société est aussi francophone- cette langue étrangère ancrée en Kabylie depuis les premières années du colonialisme est prisée par les Kabyles car elle est vecteur de la liberté et de la laïcité elle est la plus employée par les militants Berbères dans leur lutte identitaire mais aussi elle représente un courant littéraire maghrébin d’expression française très riche dans lequel s’illustraient Mouloud Féraoun, Jean Amrouche, Mammeri, Mohamed Dib, Rachid Mimouni, Tahar Djaout et autres …Cette langue est témoin de notre spécificité au point ou les Kabyles s’expriment plus aisément en français qu’en arabe littéraire même s’ils possèdent également une très bonne connaissance de cette dernière.

      Au divorce culturel, à la distance, la censure et aux barrières politiques, ethniques et religieuses que le pouvoir, dégourdi par un parti unique (FLN) durant trois décennies, Matoub choisit le mythe et la pureté de la race kabyle pour sauvegarder l’identité algérienne malgré le métissage déjà consumé entre les Kabyles et les arabophones d’Algérie. Le déni identitaire berbère exercé par les politiques de l’Etat a fait que Matoub Lounès et tous les chanteurs d’origine kabyle prônent le communautarisme sans pour autant bercer dans le sectarisme. En contant par la prose des histoires légendaires de l’antique royaume Berbère des gloires des rois numides, le poète se construit un idéal, une cause, cet idéal bafoué puisque des scènes de violence sont mêlées ; Des crimes, guerres, Génocides, afin de mieux faire sentir la tragédie qu’a subi le peuple Berbère dans son histoire. Des bandits glorifiés, des rebelles idolâtrés, des insurrections affectionnées, voici que tous ces anarchistes, ces révolutionnaires se transforment, dans la poésie de Matoub, en héros, magnifiés par leur courage de vivre dangereusement. C’est là qu’on constate que dans la poésie populiste de Matoub il n’y a pas seulement anachronisme, comme le pensent les lettrés, mais un usage rebelle de la culture traditionnelle. C’est ainsi que le chanteur ne fait pas que parler d’un passé vieilli, mais se venge à sa manière de la féodalité et de la bourgeoisie aristocratique en créant ses propres héros et les grands bandits traversent l’esprit populaire avec un lointain appel à la revendication anarchiste. Les bandits dans la poésie de Matoub sont : Jugurtha, Koceila, Ahmed Oumerri, Krim Belkacem et autres car, disait-il dans une de ses chansons "Puisque je suis né kabyle, Mon nom est combat ", et le combat de Matoub était sa chanson.

      Extrait du travail de recherche en Master communication, option: Arts, TIC et indistrie culturelle.

      Présenté par Djillali DJERDI à l'université de Paris 8.
      LA DÉPÊCHE DE KABYLIE.....Par DDK | 27 Janvier 2008
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