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André Bouny : « Agent orange, le déni reste total »

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  • André Bouny : « Agent orange, le déni reste total »

    La guerre du Viêt Nam n’est pas finie : c’est le propos avancé par André Bouny, auteur de l’essai Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam, depuis maintenant vingt ans. Nombre de ses victimes vivent encore à l’heure où ces lignes s’écrivent : l’agent orange — un défoliant massivement employé par l’aviation nord-américaine — frappa des millions d’individus, de génération en génération : fausses couches, malformations congénitales, pathologies, cancers… Si le grand public sait l’usage qui fut fait du napalm, l’agent orange demeure méconnu. En mai 2014, Bouny instigua, aux côtés de Tran To Nga, ancienne résistante vietnamienne contaminée lors du conflit, le procès intenté contre 26 compagnies chimiques américaines — dont Monsanto. Nous avons consacré un article à ce sujet dans le numéro 3 de notre revue papier : le présent échange est la version intégrale de l’un des nombreux entretiens menés lors de son écriture.

    Q: L’agent orange est « un sujet d’initiés, obscur et mal identifié du grand public », écrivez-vous. Pourquoi ce brouillard autour de lui ? Mais, en tant que militant actif, percevez-vous malgré tout une évolution au fil de ces dernières années ?
    … À l’attention de ceux qui ignorent le sujet, je dois rappeler que les épandages d’agent orange durant la guerre américaine au Viêt Nam avaient pour but d’anéantir la forêt tropicale afin d’empêcher les combattants indépendantistes de s’y cacher, ainsi que d’empoisonner et détruire les ressources vivrières, les privant ainsi de nourriture — eux, mais aussi les populations. Dans un deuxième temps, cela obligeait les habitants à abandonner terres et villages : ils étaient alors déplacés dans 3 à 4 000 camps appelés « hameaux stratégiques », permettant leur contrôle et privant ainsi la guérilla de nourriture et la coupant de tout renseignement. L’agent orange reste – bien que les choses soient en train de changer doucement – un sujet d’initiés parce qu’il imbrique de nombreux domaines : politiques et militaires, scientifiques et sanitaires, juridiques et diplomatiques, environnementaux et économiques, etc. Et, par-dessus tout, historiques. Au fond, comme la plupart des sujets ! Mais c’est surtout du domaine historique que vient le brouillard qui entoure l’agent orange. Pour différentes raisons – guerres secrètes et illégales au Laos et au Cambodge, entre autres –, l’Histoire ne mentionne pas cette guerre chimique, et quand elle est évoquée, elle n’est jamais présentée (et donc encore moins reconnue, comme telle). Par ailleurs, l’agent orange ne fut qu’une des nombreuses armes utilisées lors de cette gigantesque entreprise de destruction que fut la guerre du Viêt Nam.

    Dans ces conditions, comment le crime de l’agent orange pourrait-il être notoire ? Outre les obstructions financières, sa vulgarisation n’est pas aisée. D’où la nécessité de diffuser le sujet, le rendre accessible afin de ne pas rebuter en le cantonnant à une cause anxiogène : autrement dit, faire confiance à l’intelligence des gens. C’est donc bien l’Histoire qui a occulté cette guerre chimique – pourtant la plus importante de l’histoire de l’humanité… il ne nous est pas enseigné de réfléchir, mais de répéter. Aussi, les gens vous regardent avec des yeux incrédules lorsque vous parlez de millions de victimes « inconnues », et ne vous prennent pas au sérieux même si vous l’êtes bien davantage qu’eux…La procédure française actuelle contre 26 multinationales états-uniennes ayant fabriqué l’agent orange – conduite par Maître William Bourdon et ses collaborateurs, Maîtres Amélie Lefèbvre et Bertrand Repolt – facilite le débat public : les choses bougent. La génération montante de journalistes en appétit prend contact et nous sollicite — je la remercie au nom de toutes les victimes présentes, passées, et à venir. Reportages et documentaires, émissions et interviews se succèdent, courroie d’un débat naissant, même si c’est encore très insuffisant, et, espérons-le, début d’une prise de conscience de l’opinion publique.
    Cependant, même si, officiellement, le déni reste total du côté de « nos alliés américains », il n’est plus rare que professeurs d’universités et étudiants entrent en contact pour aborder et traiter ce crime de guerre, crime contre l’humanité, voire génocide doublé d’un génocide à retardement – si ce n’est ce que j’appelle un « attentat contre le génome humain », propriété de l’humanité tout entière. Actuellement, une recherche scientifique récente venant à point précise et démontre l’action néfaste transgénérationnelle de la dioxine TCDD contenue dans l’agent orange. Au-delà de ses multiples conséquences et effets sanitaires, cancérogènes et autres reconnus par l’Académie nationale des sciences de Washington, une vieille controverse entretenue s’était installée à propos des effets tératogènes de cette dioxine. Or, cette dernière étude scientifique sur la molécule incriminée, menée par Michael K. Skinner et son équipe – qui a eu la gentillesse de me transmettre l’original –, professeur de biochimie à l’Université de l’État de Washington, démontre et confirme les terribles enchaînements qu’il baptise épigénétiques transgénérationnels. Si l’appellation scientifique change quelque peu, les nouveau-nés échappant à la morphologie générique de l’espèce humaine n’en restent pas moins ce qu’ils sont.

    Q : Vous parlez de la guerre du Viêt Nam comme d’un « laboratoire de la guerre du futur ». À quoi songez-vous, précisément ?
    Toute guerre de haute intensité est, de fait, une expérience en matière d’armement pour la suivante, bien qu’entre-temps (si j’ose dire, puisque la guerre n’arrête jamais) essais et expériences se poursuivent. Par exemple, durant la Seconde Guerre mondiale, États-Unis d’Amérique et Royaume-Uni avaient étudié 12 000 substances chimiques. Puis ils en sélectionnèrent 7 000 pouvant entrer dans la composition d’armes. Le but était de détruire et empoisonner les rizières pour affamer le Japon et obtenir sa capitulation. Parallèlement, l’effrayant projet Manhattan aboutissait, et ces substances chimiques restèrent en réserve avant d’être réactivées et utilisées plus tard par l’Angleterre contre la guérilla communiste en Malaisie… Parmi elles se trouvaient les ancêtres de l’agent orange ! Quant à la guerre américaine au Viêt Nam, la panoplie des armes non-conventionnelles utilisée est tout simplement hallucinante, autant que méconnue. Par ailleurs, l’aviation américaine largue des milliers de petites sondes acoustiques, et des sondes sismiques sensibles aux déplacements des coolies [travailleurs agricoles d’origine asiatique]. Des capteurs nocturnes à infrarouge, des détecteurs de sources de chaleur – comme, par exemple, les moteurs ou même les selles humaines fraîchement excrétées – constituent une véritable barrière électronique appelée « ligne McNamara ». Cette panoplie est reliée à un lacis informatique embarqué dans des avions relais Boeing RC-135V/W Rivet joint, qui synthétisent les informations et dirigent les frappes aériennes qui hachent l’objectif, de jour comme de nuit. Il m’est impossible de faire ici un inventaire exhaustif, sauf à remplir des pages au risque de lasser vos lecteurs (je ne peux que renvoyer à mon ouvrage celles et ceux qui veulent aller plus loin). Nous ne devons pas oublier que cette panoplie martiale appartient à une époque où la technologie américaine permet d’envoyer les leurs sur la Lune. L’éventail d’armes téléguidées utilisées au Viêt Nam préfigurait celles de la guerre en Irak, et même l’arrivée des drones aériens – et bientôt sous-marins, en cours de mise au point. Une première en matière de terrorisme dans l’épopée humaine. Depuis la poudre qui permit à ceux qui la maîtrisaient de s’accaparer la majeure partie du monde, le but est d’allonger sans fin le bras de celui qui donne la mort sans risquer sa vie. Mais cela reste physique, avant que l’intelligence artificielle conduise des armes offensives autonomes « robots tueurs » démunies de toute conscience, terrorisme lobotomisé ouvrant un monde où la cognition deviendrait trouble psychiatrique.

    Q : Vous avancez la notion d’écocide, peu connue du grand public. Que recouvre-t-elle et quels liens entretient-elle avec la guerre du Viêt Nam ?
    Le mot « écocide » refait surface avec la guerre chimique au Viêt Nam, précisément dans la bouche de Vo Quy, scientifique vietnamien, ornithologue et environnementaliste. Il écrit : « Les toxiques défoliants, dont l’agent orange, qui furent déversés massivement sur le Sud-Viêt Nam pendant la guerre américaine et qui contenaient de la dioxine, ont ravagé les écosystèmes naturels, et par voie de conséquence les équilibres de la vie de l’homme dans la région. C’est la seule guerre chimique de l’histoire de cette ampleur qu’ait connu le monde à ce jour. Les effets principaux furent un bouleversement étendu, durable et sévère, des zones forestières et des terres cultivées, base essentielle pour une société agricole. Les effets de la dioxine ont poursuivi leur œuvre de destruction dans le silence et à long terme, tant sur les populations que sur l’environnement. » C’est une bonne définition de l’écocide, spécifique à la guerre du Viêt Nam. L’effondrement d’un règne entraîne inévitablement les autres. Le Tribunal international d’opinion, de type Russel/Sartre, tenu à Paris en 2009 en soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange, a condamné le gouvernement états-unien et les compagnies chimiques au crime d’écocide — entre autres. À cette occasion une justice a été rendue par des sommités juridiques venues de tous les continents. Si le verdict d’un tribunal d’opinion ne peut prendre effet, les conclusions remises en main propre au président du Viêt Nam d’alors, Nguyen Minh Triet, au nouveau président des États-Unis, Barack Obama, ainsi qu’au Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki–moon, donnèrent quelque espoir aux victimes et à ceux qui les soutiennent.

    On considère souvent la Seconde Guerre mondiale comme la pire des catastrophes modernes de l’humanité. Vous écrivez que « la confrontation majeure de l’histoire de l’humanité » fut en réalité le Viêt Nam. Comment expliquez-vous ce décalage de perceptions ?
    Tout d’abord, afin de ne pas affoler l’aiguille du compteur des historiens, il est nécessaire de remettre l’extrait que vous citez dans son contexte, qui est : « Du point de vue de l’armement, la guerre du Viêt Nam (et plus largement cette seconde guerre d’Indochine pendant laquelle le tonnage des bombes utilisées fut six fois celui de la Seconde Guerre mondiale) reste la confrontation majeure de l’histoire de l’humanité. » Vous m’invitez donc à entrer dans les détails. Ici, je n’évoque pas le nombre de morts, mais l’intensité militaire et technologique de la confrontation, l’hallucinante disproportion des moyens mis en œuvre. Dans sa grande majorité, l’opinion publique occidentale, tout entière obnubilée par les drames de sa propre histoire, ignore que le Viêt Nam seul a reçu trois fois et demie le tonnage de bombes larguées durant toute la Seconde Guerre mondiale : comparaison des 7 078 032 tonnes de bombes sur le Viêt Nam aux 2 057 277 tonnes de toute la Seconde Guerre mondiale, ceci sur une surface tellement moindre et concentrée… qu’elle reste bien, et de loin, la confrontation majeure de l’histoire de l’humanité. Il est clairement démontré que chaque centimètre carré et cube de Viêt Nam était un objectif militaire*. D’autre part, il est nécessaire d’aborder les pertes humaines. Si l’on projetait la proportion de 7 blessés états-uniens pour un tué, avec ses 5 millions de morts (1 million de combattants, 4 millions de civils, annonce du gouvernement vietnamien en 2005 qu’aucun pays de la communauté internationale n’a remis en cause), le Viêt Nam pourrait avoir connu l’équivalent faramineux de 35 millions de blessés. Cependant, il convient de se méfier d’une telle extrapolation, car les moyens sanitaires pour traiter les victimes vietnamiennes (combattants ou civils) n’étaient nullement comparables à ceux dont disposait l’armée américaine pour soigner les GI blessés. Par ailleurs, il est même difficile d’estimer la population vietnamienne avant que débute la guerre.

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    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    André Bouny : « Agent orange, le déni reste total » (suite et fin)

    Nous savons seulement qu’en 1975, elle était de 47,63 millions d’habitants. Ce dont il faut réellement prendre conscience, réside dans la signification des chiffres : dans leur froide rigueur, ils nous apprennent qu’il s’agit non d’une simple guerre asymétrique, mais bien d’une véritable extermination, puisque pour chaque soldat américain mort, 100 Vietnamiens furent tués, dont 80 % de civils. Pour bien se pénétrer de l’immensité du carnage, il est intéressant d’opérer un basculement de paradigme. En 1975, les États-Unis comptaient 220 millions d’habitants. S’ils avaient subi les mêmes pertes humaines que celles qu’ils ont infligées, 23 millions d’Américains auraient succombé, 106 millions auraient été blessés, tandis qu’exilés et déplacés totaliseraient respectivement 8 et 48 millions. Quel nom porterait pareil bilan si les victimes avaient été états-uniennes ? Quelle aurait pu être l’ampleur du traumatisme sachant ce qu’il fut avec des pertes tellement moins importantes ? Au cours de la guerre secrète, le petit Laos voisin a pour sa part reçu, à lui seul, une quantité plus importante que durant toute la Seconde Guerre mondiale. Mais cette terrible pesée n’est pas terminée, car nous devons encore y ajouter les bombardements considérables d’une autre guerre, secrète elle aussi, menée parallèlement au Cambodge, qui en reçut peu ou prou autant que le Laos. Ces chiffres ahurissants, inimaginables, suffisent à donner une idée de l’ampleur, et du nombre effroyable de victimes, du conflit.
    Concernant le Viêt Nam, n’oublions pas les 10,5 millions de personnes déplacées, les veuves et les orphelins eux aussi dénombrés par millions ; et le million et demi d’exilés – car après toute guerre d’occupation vient une guerre civile – dont 300 000 mourront sous les balles de la réunification, ou en mer, de soif ou de maladie, des naufrages ou des pirates. À cette litanie de victimes, il faut encore ajouter celles qui n’apparaissent jamais, tuées ou blessées en temps de « paix » – cette période entre 2 conflits – par des engins qui n’avaient pas explosé lors des bombardements et qui truffent toujours le sol du pays. D’après le ministère de la Défense vietnamien, les mines occupent un territoire d’une superficie de 6,6 millions d’hectares (équivalent à plus de 2 fois la Belgique). Elles abondent également au Cambodge et au Laos. Mines et autres engins non explosés ont fait entre 100 000 et 150 000 victimes au seul Viêt Nam, dont 42 000 morts. Parmi lesquels beaucoup d’enfants : au début des années 1980, plus de 40 % de la population avait moins de 15 ans. Enfin, de nombreuses vies furent écourtées, soit par la famine, soit par l’embargo qui suivit la « chute de Saigon » et que l’opinion publique a totalement oublié, bien qu’il ait duré presque 20 ans. Tel est le bilan humain pour un minuscule pays du Sud-Est asiatique, qui voulait son indépendance. Mme Nguyen Thi Binh, qui signa à Paris les Accords de paix pour le Gouvernement révolutionnaire provisoire, plusieurs fois ministre et ancienne Vice-présidente de la République Socialiste du Viêt Nam, me disait un jour avec douceur, d’une voix teintée d’une profonde et véritable incompréhension malgré son expérience exceptionnelle : « Pourquoi nous ont-ils fait la guerre ? » La comptabilité macabre ne s’arrête malheureusement pas là. Car pour être complet, il faut encore additionner les millions de victimes de l’agent orange étalées sur trois générations déjà, même si l’Histoire officielle ne les mentionne pas. Pareil désastre humain n’est possible dans les pays engagés dans la guerre que par une insensibilisation collective de la population, alliée de fait ou juste complaisante.

    Q : La difficulté, quant aux possibles suites juridiques, est, assurez-vous, d’abord « d’ordre politique », plus que juridique. À quels niveaux ?
    Suite à la procédure intentée aux USA par des victimes vietnamiennes et l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange (VAVA), début 2004, le Tribunal de première instance de New York-Est a débouté les plaignantes en mars 2005, puis elles saisirent la Cour d’appel fédérale du second circuit qui, à son tour, les débouta fin 2008. Enfin, en dernier recours, elles firent l’ultime appel possible auprès de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, à Washington, qui ne daigna même pas examiner la requête et la repoussa début 2009. Politiquement, c’était impensable et insupportable. Perdre une procédure intentée par l’ancien ennemi sur son propre territoire au moyen de son propre arsenal juridique n’est pas made in USA — le président George W. Bush intervenant en personne, par le biais du Département de la justice. À la suite de quoi se tint le Tribunal d’opinion à Paris. À ce moment-là, rien n’interdit une procédure au Viêt Nam. Sauf que, immanquablement, une procédure au Viêt Nam (souffrant d’une pénurie de juristes compétents, par ailleurs en pleine évaluation de ses manques juridictionnels afin de développer un arsenal juridique moderne, de plus, pays non-aligné) intentée par des victimes vietnamiennes auprès d’un tribunal vietnamien contre l’ancien ennemi et géant américain n’aurait trouvé aucune crédibilité auprès des États occidentaux, pour des raisons historiques et idéologiques. Sans compter que, politiquement, ce serait un coup d’épée dans l’eau raillé par ces mêmes pays néocolonialistes.
    De plus, le Viêt Nam est dans une phase de rapprochement accéléré avec les États-Unis, afin de contenir l’expansionnisme chinois, et ne peut commettre pareil accroc diplomatique avec des Américains, qui ne lâchent rien contre rien. Pour preuve, au mois de juillet 2013, en Corée du Sud, alliée des USA et ancien coalisé lors du conflit vietnamien, la Haute cour de Séoul a condamné les firmes Dow Chemical et Monsanto à verser des sommes précises à ses vétérans victimes eux aussi de l’agent orange. Ce fut sans suite. Le Droit international en construction n’est pas suffisamment avancé et, de toute façon, les États-Unis n’y mettent jamais les doigts, ne prennent jamais d’engagement d’ordre moral pouvant freiner ultérieurement un interventionnisme escortant leurs intérêts toujours plus vastes dans le monde. Quand on sait quels combats ont dû mener les vétérans US, eux-mêmes victimes de l’agent orange, pour obtenir reconnaissance, indemnisation et prise en charge de leurs pathologies, on est fixé… et tout ce qu’ils obtinrent le fut « à l’amiable ». Façon de ne pas créer un précédent qui ferait jurisprudence ! Encore que la jurisprudence, dans ce cas… Figurez-vous que les pathologies reconnues en lien avec l’agent orange ne sont à leurs yeux valables que pour les vétérans US, et ne sont pas exportables ! Les autres n’existent pas. En France, que pouvait-on faire ? J’identifie une victime française de l’agent orange, d’origine vietnamienne : Madame Tran To Nga, et la mets en contact avec Maître Bourdon…

    Q : Un dernier point : Kennedy est une icône positive de la culture occidentale (aussi bien politique qu’iconographique et artistique) : vous rappelez son rôle dans la guerre du Viêt Nam. Pourquoi un tel trou noir, dans la mémoire collective ?
    S’agit-il d’un trou de mémoire où d’une dissimulation historique ? Difficile d’oublier ce qui n’a jamais été dit en son temps. En quelques mots donc, début 1961, John F. Kennedy souhaitant rassurer l’Amérique sur le fait qu’il n’était pas « rose », dépêcha 400 bérets verts, des forces d’opérations spéciales avec pour mission d’instruire les soldats sud-vietnamiens aux différents moyens de combattre la guérilla communiste au sud. Le nombre des « conseillers militaires », que son prédécesseur avait envoyés par centaines, fut porté à 16 000. Sous l’égide des conseillers états-uniens, l’armée du Sud lança des milliers d’opérations de ratissage au sein de la population. Le sous-secrétaire d’État, George Ball, fut le seul des principaux conseillers du président à le mettre en garde. Il prévint son ami Kennedy que le Viêt Nam ne se plierait pas facilement à la volonté de l’Amérique. « Maintenir l’indépendance du Sud-Viêt Nam », insista Ball, « signifie que dans cinq ans il y aura 300 000 soldats américains dans les rizières et les jungles du Viêt Nam. » Kennedy ne crut pas une seconde à cette prophétie. Des bombardiers et des hélicoptères américains vinrent s’ajouter aux forces en présence, confirmant l’interventionnisme états-unien, tandis que l’armée du Sud-Viêt Nam engageait 100 000 hommes supplémentaires. Plus tard, ses effectifs approcheront le million. C’est le président Kennedy qui donna son feu vert en 1961 au lancement de l’opération « Ranch Hand » désignant l’épandage des agents chimiques au Viêt Nam. L’amnésie collective de cet envers de Kennedy réside dans le seul fait que les choses qui ne sont pas dites ne peuvent pas être sues !

    Entretien inédit pour le site de Ballast
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