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Le coût d’opportunité, une notion que nous oublions trop souvent de calculer

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  • Le coût d’opportunité, une notion que nous oublions trop souvent de calculer

    Nous devrions en effet juger la valeur de toute chose par ce que nous avons dû sacrifier pour l’obtenir.

    Je ne suis pas du genre à collectionner des slogans de motivation, mais en voici un que j’aime : “Jugez de la valeur de ce que vous avez par ce que vous avez dû sacrifier pour l’obtenir”. Peut-être l’ai-je pris plus au sérieux parce qu’il était épinglé sur le tableau en liège d’une amie qui m’inspirait ; elle semblait toujours en partance pour une nouvelle expédition en Mongolie ou en Patagonie.

    Mais mon appréciation de cette devise en particulier peut être due au fait qu’elle décrit une idée sous-estimée en économie : celle du coût d’opportunité. Et je me suis rendu compte que notre incapacité collective à penser rationnellement aux coûts d’opportunité peut se retourner contre nous.

    “Notre incapacité collective à penser rationnellement aux coûts d’opportunité peut se retourner contre nous”

    À première vue, le principe du coût d’opportunité ne semble pas difficile à comprendre. Si vous passez une demi-heure sur Twitter, alors que vous auriez pu lire un livre, le temps non consacré à la lecture de livres est le coût d’opportunité du tweet. Si vous décidez d’acheter une ceinture de luxe pour 100 livres au lieu d’une moins chère à 20 livres, le coût d’opportunité est la chemise à 80 livres que vous auriez pu acheter mais à laquelle vous avez renoncé.

    Tout a un coût : tout ce que vous alliez faire à la place de, mais que vous n’avez pas pu faire.

    Nous devrions évaluer les coûts d’opportunité avec prudence, en équilibrant mentalement toute dépense de temps ou d’argent par rapport à ce que nous pourrions faire ou acheter à la place. Mais ce n’est pas ce que nous faisons en réalité.

    Réfléchissez au client angoissé dans un magasin de chaînes stéréo, incapable de se décider entre une chaîne Pioneer à 1 000 dollars et une Sony à 700 dollars. Le vendeur demande : “Préféreriez-vous prendre la Pioneer, ou bien la Sony et 300 dollars de CD ?” Et l’indécision s’évapore. C’est la Sony.

    Ce dessin légendé a été publié dans un document de recherche intitulé ‘Opportunity Cost Neglect’ (La négligence du coût d’opportunité), publié par cinq chercheurs comportementalistes (en 2009, d’où la mention des CD).

    Ce qui rend l’anecdote curieuse, c’est que ce n’est pas vraiment un trait de génie que de comprendre que l’achat de la chaîne stéréo à 700 dollars de Sony permettrait d’économiser 300 dollars, ou que 300 dollars permettaient d’acheter pour 300 dollars de CD. Ce n’est pas que le client indécis ne pouvait pas parvenir seul à cette conclusion, mais bien que le compromis explicite ne lui avait pas traversé l’esprit.

    Comme l’écrivaient les auteurs : “Les individus négligent l’information qui reste implicite, tout en conservant la capacité de reconnaître sa pertinence lorsque le choix est encadré de manière à leur faire saisir les coûts d’opportunité”.

    Diverses expériences décrites dans ce travail de recherche complètent l’anecdote de quelques données. Et d’autres recherches en psychologie font comprendre que notre attention est beaucoup plus limitée et plus fugace qu’il n’y paraît.

    “Les individus négligent l’information qui reste implicite, tout en conservant la capacité de reconnaître sa pertinence lorsque le choix est encadré de manière à leur faire saisir les coûts d’opportunité”

    Comme l’explique le psychologue Nick Chater dans un nouveau livre remarquable, ‘The Mind is Flat’ (L’esprit est plat), le cerveau génère de puissantes illusions de continuité. Il assemble ce qui est en réalité un patchwork d’impulsions et de perceptions fugaces.

    Nous sentons intuitivement que nous sommes en mesure de vérifier nos téléphones tout en gardant un œil sur la route, mais nous ne le pouvons pas. Nous pensons que nous pouvons évoquer une image précise d’un tigre, de ses moustaches qui frémissent, de sa fourrure qui brille, et qui se lèche ses babines. Mais quand on nous demande de dessiner un tigre, nous commençons à hésiter. Est-ce que les rayures sur ses pattes sont enroulées latéralement ou verticalement ?

    Il en va de même avec le coût d’opportunité. Nous avons tendance à penser que nos choix reflètent une image globale, aussi nette et vivante que le tigre, une prise en compte équilibrée de toutes les alternatives. Mais souvent, nous dépensons de l’argent simplement par habitude ou par instinct. Attirer notre attention sur les coûts d’opportunité, aussi évidents soient-ils, peut changer nos décisions.

    Le mensonge notoire sur les bus de campagne de la campagne ‘Vote Leave’ lors du référendum de 2016 était à cet égard bien conçu : non seulement le Royaume-Uni pouvait économiser de l’argent en quittant l’Union européenne, mais cet argent pouvait être utilisé pour les dépenses de santé.

    “Nous avons tendance à penser que nos choix reflètent une prise en compte équilibrée de toutes les alternatives. Mais souvent, nous dépensons de l’argent simplement par habitude ou par instinct”

    On pourrait certainement débattre des prémisses : en effet, la campagne référendaire a parfois semblé ne débattre de rien d’autre. Mais la conclusion était solide comme un roc : si vous avez plus d’argent à dépenser, vous pouvez en effet dépenser plus d’argent pour la sécurité sociale. (Encore une preuve que ce bus faisait étalage d’un marketing de génie.)

    Nous prendrions de meilleures décisions si nous nous rappelions les coûts d’opportunité plus souvent et plus explicitement. Cela n’est jamais plus vrai que dans le cas du temps. Beaucoup d’entre nous doivent faire face à des ponctions fréquentes de notre temps. “Pouvons-nous nous rencontrer autour d’un café afin que je puisse avoir votre avis?” Et il est difficile de dire non. Considérer de façon explicite le coût d’opportunité peut aider : si j’accepte cette rencontre, je devrai travailler une heure plus tard, ce qui signifie que je ne pourrais pas lire une histoire à mon fils avant le coucher.

    Il peut également y avoir des situations où nous faisons l’erreur inverse. Si vous économisez 100 livres grâce à une démarche d’économie, voilà 100 livres que vous pouvez dépenser pour une caisse de vin, ou une belle chemise, ou un dîner pour deux. Mais vous ne pouvez pas dépenser les mêmes 100 livres trois fois. Alors qu’il serait sage de considérer explicitement ce que nous pourrions faire d’autre avec notre argent, nous devrions faire attention à ne pas le dépenser encore et encore – chose que les promesses des programmes politiques ont tendance à faire.

    “Nous devrions juger la valeur de toute chose par ce que nous avons dû sacrifier pour l’obtenir. Et nous devrions prendre l’habitude de le faire délibérément”

    Donc, la maxime évoquée plus haut est juste. Nous devrions juger la valeur de toute chose par ce que nous avons dû sacrifier pour l’obtenir. Et nous devrions prendre l’habitude de le faire délibérément. Si c’était un processus automatique, les maximes ne seraient plus nécessaires pour nous le rappeler.

    Le N Économiste
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