A travers une tension extrême, Benjamin Netanyahu contribue fortement à faire de Moscou l'acteur central du Moyen-Orient
Le mercredi 9 mai, jour des frappes lancées par Israël contre les bases militaires syriennes qui abritent des troupes et des armements iraniens, Benjamin Netanyahu se trouvait fort opportunément à Moscou. Il était un des deux invités d'honneur de Vladimir Poutine, avec le président serbe Aleksandar Vucic. Rien n'a filtré des conversations entre le président russe et le Premier ministre israélien, mais le porte-parole de Tsahal a été autorisé à déclarer : "Les Russes ont été informés avant l'attaque via un mécanisme que nous avons à notre disposition."
"Nous ne les dérangeons pas"
La question des relations entre Israël et la Russie devient un des enjeux centraux de la reconfiguration très périlleuse du Moyen-Orient. En prenant le soin de consulter et de prévenir Poutine en préalable à la riposte israélienne massive en Syrie (visant "des dizaines de cibles iraniennes"), Netanyahu a confirmé la ligne à laquelle il se tient précautionneusement : en 2015, lorsque la Russie décida de s'engager militairement aux côtés de Bachar al-Assad, il se garda bien de critiquer cette ingérence, pourtant décisive dans l'évolution du conflit syrien.
La même année, après un incident qui aurait pu être dramatique, un mécanisme a été mis au point entre les deux pays pour coordonner leurs activités dans le ciel syrien afin d'éviter des confrontations accidentelles. Le ministre de la Défense, Moshé Ya'alon résume ainsi cette coopération secrète : "Nous ne les dérangeons pas et ils ne nous dérangent pas non plus". En clair, les Israéliens n'interfèrent pas dans les manoeuvres militaires russes en soutien aux forces de Damas sous réserve que les Russes ne se mêlent pas des raids menés par Israël contre le Hezbollah en territoire syrien. De fait, depuis le déclenchement du conflit syrien, on compte au moins une quarantaine d'interventions aériennes ou de tirs de missiles israéliens sur le territoire syrien sans que les Russes (présents sur place depuis 2015 seulement) ne s'y soient opposés - alors même que cela va à l'inverse des intérêts de leur allié Assad.
Avec un peu plus d'un million de citoyens issus de l'espace post-soviétique (sur plus de 8 millions d'habitants, dont près de 2 millions d'Arabes), Israël entretient avec le pays de Poutine des liens à la fois étroits et ambigus : pour mémoire, le très offensif ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, est né à Kichinev. De façon presque symétrique, l'influence d'Israël reste importante en Russie : 1 million de juifs vivent sur le territoire de la Fédération russe (20 millions de musulmans sunnites) et les liens sont intenses, en particulier dans le domaine économique (où l'on compte de nombreux investisseurs mutuels et des échanges financiers importants). La langue russe est de facto la troisième d'Israël (après l'hébreu et l'arabe) et, selon les quartiers ou les municipalités, elle est souvent la deuxième.
Moscou s'impose comme intermédiaire
A priori, l'implication de la Russie en Syrie (aux côtés des pires ennemis de Jérusalem que sont les forces iraniennes et de celles du Hezbollah chiite libanais) va à l'opposé des intérêts israéliens ; Moscou a soutenu de manière déterminante l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, ce qui n'a guère plu à Netanyahu, et même livré des système de missiles sophistiqués S300 (voire S400) à l'Iran. Mais les réalités sont plus complexes : la Russie, fait significatif parmi d'autres, tarde volontairement à doter les troupes d'Assad des moyens de défense antiaériens performants dont elle dispose (ce qui compliquerait les frappes israéliennes).
Pour sa part, Israël ne veut à aucun prix provoquer la Russie et, tout au contraire, avance ses pions de manière quasi-autorisée dans la sphère post-soviétique, afin de renforcer sa stratégie de confinement de l'Iran : par exemple, des drones ont été fournis à l'Azerbaïdjan (bien qu'en majorité chiite, ce pays est pro-américain) pour renforcer ce pays qui a des relations tendues avec son voisin persan (lequel ne tolère pas d'ami de l'Amérique à ses frontières).
Position idéale mais digne d'un équilibriste
Dans ce jeu du chat et de la souris, il semble que Netanyahu ait choisi de donner un rôle central aux Russes afin de contenir leur capacité de nuisance ; l'essentiel étant de limiter les livraison d'armes made in Russia au régime des mollahs. De fait, Moscou s'impose désormais, en grande partie à cause de la ligne très conflictuelle de Trump au Moyen-Orient, comme un intermédiaire privilégié entre Israël et l'Iran. Pour jouer les "go between" et faire baisser la tension, le Kremlin appelle les deux parties antagonistes au dialogue : "La valeur ajoutée de la Russie, estime le spécialiste des affaires étrangères Alexandre Krylov (professeur au MGIMO, l'"ENA" de la diplomatie russe), c'est qu'elle garde de bons contacts avec des forces auxquelles les autres acteurs des conflits régionaux refusent de parler : le Hamas, le Hezbollah, l'Iran, les Kurdes..."
Une position idéale, mais très équilibriste : la diplomatie russe estime que les inquiétudes sécuritaires des Israéliens sont "légitimes", tout en considérant l'Iran comme un partenaire indispensable. Moscou fera donc tout pour maintenir de bonnes relations tant avec Jérusalem qu'avec Téhéran, puisque, de toute façon, les frappes israéliennes ne menacent en rien la stratégie de la Russie en Syrie.
Benjamin Netanyahu a contribué à faire de la Russie un arbitre, une puissance incontournable au Moyen-Orient. Faut-il qu'il y ait actuellement un grand vide à Washington pour les Etats-Unis ne réagissent pas davantage à ce signe patent du repli américain.
Source : l'Express
Le mercredi 9 mai, jour des frappes lancées par Israël contre les bases militaires syriennes qui abritent des troupes et des armements iraniens, Benjamin Netanyahu se trouvait fort opportunément à Moscou. Il était un des deux invités d'honneur de Vladimir Poutine, avec le président serbe Aleksandar Vucic. Rien n'a filtré des conversations entre le président russe et le Premier ministre israélien, mais le porte-parole de Tsahal a été autorisé à déclarer : "Les Russes ont été informés avant l'attaque via un mécanisme que nous avons à notre disposition."
"Nous ne les dérangeons pas"
La question des relations entre Israël et la Russie devient un des enjeux centraux de la reconfiguration très périlleuse du Moyen-Orient. En prenant le soin de consulter et de prévenir Poutine en préalable à la riposte israélienne massive en Syrie (visant "des dizaines de cibles iraniennes"), Netanyahu a confirmé la ligne à laquelle il se tient précautionneusement : en 2015, lorsque la Russie décida de s'engager militairement aux côtés de Bachar al-Assad, il se garda bien de critiquer cette ingérence, pourtant décisive dans l'évolution du conflit syrien.
La même année, après un incident qui aurait pu être dramatique, un mécanisme a été mis au point entre les deux pays pour coordonner leurs activités dans le ciel syrien afin d'éviter des confrontations accidentelles. Le ministre de la Défense, Moshé Ya'alon résume ainsi cette coopération secrète : "Nous ne les dérangeons pas et ils ne nous dérangent pas non plus". En clair, les Israéliens n'interfèrent pas dans les manoeuvres militaires russes en soutien aux forces de Damas sous réserve que les Russes ne se mêlent pas des raids menés par Israël contre le Hezbollah en territoire syrien. De fait, depuis le déclenchement du conflit syrien, on compte au moins une quarantaine d'interventions aériennes ou de tirs de missiles israéliens sur le territoire syrien sans que les Russes (présents sur place depuis 2015 seulement) ne s'y soient opposés - alors même que cela va à l'inverse des intérêts de leur allié Assad.
Avec un peu plus d'un million de citoyens issus de l'espace post-soviétique (sur plus de 8 millions d'habitants, dont près de 2 millions d'Arabes), Israël entretient avec le pays de Poutine des liens à la fois étroits et ambigus : pour mémoire, le très offensif ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, est né à Kichinev. De façon presque symétrique, l'influence d'Israël reste importante en Russie : 1 million de juifs vivent sur le territoire de la Fédération russe (20 millions de musulmans sunnites) et les liens sont intenses, en particulier dans le domaine économique (où l'on compte de nombreux investisseurs mutuels et des échanges financiers importants). La langue russe est de facto la troisième d'Israël (après l'hébreu et l'arabe) et, selon les quartiers ou les municipalités, elle est souvent la deuxième.
Moscou s'impose comme intermédiaire
A priori, l'implication de la Russie en Syrie (aux côtés des pires ennemis de Jérusalem que sont les forces iraniennes et de celles du Hezbollah chiite libanais) va à l'opposé des intérêts israéliens ; Moscou a soutenu de manière déterminante l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, ce qui n'a guère plu à Netanyahu, et même livré des système de missiles sophistiqués S300 (voire S400) à l'Iran. Mais les réalités sont plus complexes : la Russie, fait significatif parmi d'autres, tarde volontairement à doter les troupes d'Assad des moyens de défense antiaériens performants dont elle dispose (ce qui compliquerait les frappes israéliennes).
Pour sa part, Israël ne veut à aucun prix provoquer la Russie et, tout au contraire, avance ses pions de manière quasi-autorisée dans la sphère post-soviétique, afin de renforcer sa stratégie de confinement de l'Iran : par exemple, des drones ont été fournis à l'Azerbaïdjan (bien qu'en majorité chiite, ce pays est pro-américain) pour renforcer ce pays qui a des relations tendues avec son voisin persan (lequel ne tolère pas d'ami de l'Amérique à ses frontières).
Position idéale mais digne d'un équilibriste
Dans ce jeu du chat et de la souris, il semble que Netanyahu ait choisi de donner un rôle central aux Russes afin de contenir leur capacité de nuisance ; l'essentiel étant de limiter les livraison d'armes made in Russia au régime des mollahs. De fait, Moscou s'impose désormais, en grande partie à cause de la ligne très conflictuelle de Trump au Moyen-Orient, comme un intermédiaire privilégié entre Israël et l'Iran. Pour jouer les "go between" et faire baisser la tension, le Kremlin appelle les deux parties antagonistes au dialogue : "La valeur ajoutée de la Russie, estime le spécialiste des affaires étrangères Alexandre Krylov (professeur au MGIMO, l'"ENA" de la diplomatie russe), c'est qu'elle garde de bons contacts avec des forces auxquelles les autres acteurs des conflits régionaux refusent de parler : le Hamas, le Hezbollah, l'Iran, les Kurdes..."
Une position idéale, mais très équilibriste : la diplomatie russe estime que les inquiétudes sécuritaires des Israéliens sont "légitimes", tout en considérant l'Iran comme un partenaire indispensable. Moscou fera donc tout pour maintenir de bonnes relations tant avec Jérusalem qu'avec Téhéran, puisque, de toute façon, les frappes israéliennes ne menacent en rien la stratégie de la Russie en Syrie.
Benjamin Netanyahu a contribué à faire de la Russie un arbitre, une puissance incontournable au Moyen-Orient. Faut-il qu'il y ait actuellement un grand vide à Washington pour les Etats-Unis ne réagissent pas davantage à ce signe patent du repli américain.
Source : l'Express
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