Mars nous dévoile chaque jour un peu plus de son nouveau visage et on peut deja commencer à réecrire son histoire.
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Les indices partout, des preuves nulle part. Longtemps, l'eau a nargué les astronomes qui s'étaient lancés à sa poursuite sur la planète Mars. Réseaux fluviaux, lacs asséchés, fonds d'océans : les images envoyées par les sondes américaines des années 1970 pouvaient tout laisser imaginer à la surface d'un astre dont la couleur rouge était assimilée à de la rouille sur des roches imbibées. Les soupçons abondaient, mais rien ne venait jamais les étayer. Au fond des immenses deltas ou des lits de rivières, visiblement sculptés par les flots, aucun instrument dépêché sur place, au sol ou en orbite, n'avait détecté le moindre caillou dont la composition aurait été altérée par l'exposition à l'eau. Invisible, en dehors des glaces des pôles, celle-ci semblait avoir disparu en effaçant ses empreintes chimiques, en ne laissant que ses traces sur les paysages.
Pour trouver une éventuelle indication sur l'apparition de la vie sur Mars, la NASA pensait avoir donné à son programme d'exploration une direction simple et efficace : "Suivez l'eau !" Mais la piste s'avérait de plus en plus sinueuse et ceux qui la suivaient de plus en plus hésitants ou divisés entre une vision de Mars encore récemment chaude et humide et une version de la planète depuis longtemps froide et sèche.
Tout a changé, depuis trois ans, grâce à deux robots américains, Spirit et Opportunity, et à la toute première sonde envoyée par l'Agence spatiale européenne (ESA) en orbite martienne. Arrivée sur place à la fin 2003, quelques jours avant les jumeaux explorateurs de la NASA, Mars Express a, depuis, accumulé des données qui bouleversent les manières de concevoir l'évolution de la planète. Parmi les sept instruments embarqués, le spectromètre-imageur Omega a réussi, pour la première fois, à identifier et à localiser deux familles de minéraux dont la formation requiert la présence d'eau liquide.
En jouant à la fois sur la lumière visible et sur le rayonnement infrarouge émis par les roches, l'instrument, développé par l'Institut d'astrophysique spatiale (IAS) d'Orsay en coopération avec des laboratoires de l'Observatoire de Paris (Lesia), de Moscou et de Rome, peut en analyser la composition et les cartographier. "Pour un grand nombre d'entre eux, les minéraux reflètent les conditions environnementales qui ont existé sur de longues durées, au moment de leur formation, explique Jean-Pierre Bibring (IAS), responsable de l'expérience. Pouvoir les identifier et les répartir à la surface de la planète donne accès aux grandes périodes qui caractérisent l'histoire de Mars." Jusqu'à présent, ces grandes ères n'étaient déduites que de l'interprétation que tiraient les astronomes de ce qu'ils voyaient à la surface. L'aspect des reliefs les guidait, mais ils tenaient surtout compte du nombre de cratères d'impact laissés par les météorites : plus ils sont nombreux, plus le terrain a été exposé longtemps, et, donc, plus il est ancien.
A côté des trois périodes déterminées par cette technique, l'équipe d'Omega en propose aujourd'hui trois autres, fondées chacune sur un minéral identifié par l'appareil. Cette réécriture de l'histoire géologique de Mars n'est encore que relative : il demeure impossible de dater précisément le début et la fin de chaque ère. Mais elle présente deux avantages sur la méthode classique. D'abord, elle permet de mieux situer, à défaut de mieux comprendre, le moment, très précoce, où le destin de Mars s'est éloigné de celui de notre Terre. Ensuite, elle ouvre une fenêtre où, l'eau liquide ayant été abondante, et le climat peut-être tempéré, la vie a pu trouver des conditions favorables pour apparaître.
Cette fenêtre s'est ouverte très tôt dans l'histoire de Mars, après la formation de la planète, il y a 4,5 milliards d'années, et s'est sans doute refermée assez vite. Elle s'inscrit dans la première ère proposée, correspondant au minéral le plus précieux qu'Oméga ait détecté : des phyllosilicates hydratés, des argiles d'un type particulier qui "exigent que d'abondantes quantités d'eau restent en contact avec des silicates durant de longues périodes pour se former", indique M. Bibring.
Ces minéraux ne sont pas seulement cruciaux parce qu'ils témoignent, pour la première fois, d'une période où l'eau liquide est demeurée stable sur une assez longue durée. Ils valent aussi pour leur emplacement. Omega les a détectés dans des terrains considérés comme les plus "cratérisés", donc les plus anciens de la planète. Dans ces régions, ils ne se situent pas du tout là où la logique aurait pu les placer : au fond des vallées qui paraissent avoir été formées par des écoulements de liquides. Ils se trouvent au contraire sur les plateaux qui dominent ces dépressions, et semblent avoir été mis au jour soit par des impacts de météorites des tout premiers âges, soit par l'érosion. Cette situation permet de mieux comprendre les désillusions, ces dernières années, de ceux qui cherchaient les preuves de l'eau là où elles ne se trouvaient pas.
Elle confirme surtout une excellente nouvelle pour les historiens du système solaire. "Les terrains les plus anciens portent toujours la signature de leurs minéraux d'origine, dit M. Bibring. Sur Mars, il existe encore des sites datant de l'époque où sur Terre la vie apparaissait." La pression atmosphérique, très faible en altitude, n'a pas altéré les roches de l'hémisphère Sud, beaucoup plus élevées qu'au nord.
Il est toutefois loin d'être certain que les argiles se soient formées au contact d'une masse d'eau liquide en surface. Pour qu'une telle étendue aquatique soit possible en ces temps reculés, il aurait fallu qu'un climat tempéré soit entretenu par l'effet de serre d'une épaisse couche de dioxyde de carbone. Dans ce cas, ce gaz aurait été en grande partie absorbé, comme sur Terre, par l'océan primordial, l'étendue d'eau des origines. Sur notre planète, ce CO2 a laissé une trace bien visible puisqu'une fois dissous dans l'eau il s'est transformé en carbonates, qui composent aussi bien les falaises d'Etretat que les monts des Alpilles. Sur Mars, il demeure introuvable, alors que toutes les sondes l'ont recherché en priorité. Bien adapté à sa détection, Omega n'a vu aucun massif de ce type.
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Les indices partout, des preuves nulle part. Longtemps, l'eau a nargué les astronomes qui s'étaient lancés à sa poursuite sur la planète Mars. Réseaux fluviaux, lacs asséchés, fonds d'océans : les images envoyées par les sondes américaines des années 1970 pouvaient tout laisser imaginer à la surface d'un astre dont la couleur rouge était assimilée à de la rouille sur des roches imbibées. Les soupçons abondaient, mais rien ne venait jamais les étayer. Au fond des immenses deltas ou des lits de rivières, visiblement sculptés par les flots, aucun instrument dépêché sur place, au sol ou en orbite, n'avait détecté le moindre caillou dont la composition aurait été altérée par l'exposition à l'eau. Invisible, en dehors des glaces des pôles, celle-ci semblait avoir disparu en effaçant ses empreintes chimiques, en ne laissant que ses traces sur les paysages.
Pour trouver une éventuelle indication sur l'apparition de la vie sur Mars, la NASA pensait avoir donné à son programme d'exploration une direction simple et efficace : "Suivez l'eau !" Mais la piste s'avérait de plus en plus sinueuse et ceux qui la suivaient de plus en plus hésitants ou divisés entre une vision de Mars encore récemment chaude et humide et une version de la planète depuis longtemps froide et sèche.
Tout a changé, depuis trois ans, grâce à deux robots américains, Spirit et Opportunity, et à la toute première sonde envoyée par l'Agence spatiale européenne (ESA) en orbite martienne. Arrivée sur place à la fin 2003, quelques jours avant les jumeaux explorateurs de la NASA, Mars Express a, depuis, accumulé des données qui bouleversent les manières de concevoir l'évolution de la planète. Parmi les sept instruments embarqués, le spectromètre-imageur Omega a réussi, pour la première fois, à identifier et à localiser deux familles de minéraux dont la formation requiert la présence d'eau liquide.
En jouant à la fois sur la lumière visible et sur le rayonnement infrarouge émis par les roches, l'instrument, développé par l'Institut d'astrophysique spatiale (IAS) d'Orsay en coopération avec des laboratoires de l'Observatoire de Paris (Lesia), de Moscou et de Rome, peut en analyser la composition et les cartographier. "Pour un grand nombre d'entre eux, les minéraux reflètent les conditions environnementales qui ont existé sur de longues durées, au moment de leur formation, explique Jean-Pierre Bibring (IAS), responsable de l'expérience. Pouvoir les identifier et les répartir à la surface de la planète donne accès aux grandes périodes qui caractérisent l'histoire de Mars." Jusqu'à présent, ces grandes ères n'étaient déduites que de l'interprétation que tiraient les astronomes de ce qu'ils voyaient à la surface. L'aspect des reliefs les guidait, mais ils tenaient surtout compte du nombre de cratères d'impact laissés par les météorites : plus ils sont nombreux, plus le terrain a été exposé longtemps, et, donc, plus il est ancien.
A côté des trois périodes déterminées par cette technique, l'équipe d'Omega en propose aujourd'hui trois autres, fondées chacune sur un minéral identifié par l'appareil. Cette réécriture de l'histoire géologique de Mars n'est encore que relative : il demeure impossible de dater précisément le début et la fin de chaque ère. Mais elle présente deux avantages sur la méthode classique. D'abord, elle permet de mieux situer, à défaut de mieux comprendre, le moment, très précoce, où le destin de Mars s'est éloigné de celui de notre Terre. Ensuite, elle ouvre une fenêtre où, l'eau liquide ayant été abondante, et le climat peut-être tempéré, la vie a pu trouver des conditions favorables pour apparaître.
Cette fenêtre s'est ouverte très tôt dans l'histoire de Mars, après la formation de la planète, il y a 4,5 milliards d'années, et s'est sans doute refermée assez vite. Elle s'inscrit dans la première ère proposée, correspondant au minéral le plus précieux qu'Oméga ait détecté : des phyllosilicates hydratés, des argiles d'un type particulier qui "exigent que d'abondantes quantités d'eau restent en contact avec des silicates durant de longues périodes pour se former", indique M. Bibring.
Ces minéraux ne sont pas seulement cruciaux parce qu'ils témoignent, pour la première fois, d'une période où l'eau liquide est demeurée stable sur une assez longue durée. Ils valent aussi pour leur emplacement. Omega les a détectés dans des terrains considérés comme les plus "cratérisés", donc les plus anciens de la planète. Dans ces régions, ils ne se situent pas du tout là où la logique aurait pu les placer : au fond des vallées qui paraissent avoir été formées par des écoulements de liquides. Ils se trouvent au contraire sur les plateaux qui dominent ces dépressions, et semblent avoir été mis au jour soit par des impacts de météorites des tout premiers âges, soit par l'érosion. Cette situation permet de mieux comprendre les désillusions, ces dernières années, de ceux qui cherchaient les preuves de l'eau là où elles ne se trouvaient pas.
Elle confirme surtout une excellente nouvelle pour les historiens du système solaire. "Les terrains les plus anciens portent toujours la signature de leurs minéraux d'origine, dit M. Bibring. Sur Mars, il existe encore des sites datant de l'époque où sur Terre la vie apparaissait." La pression atmosphérique, très faible en altitude, n'a pas altéré les roches de l'hémisphère Sud, beaucoup plus élevées qu'au nord.
Il est toutefois loin d'être certain que les argiles se soient formées au contact d'une masse d'eau liquide en surface. Pour qu'une telle étendue aquatique soit possible en ces temps reculés, il aurait fallu qu'un climat tempéré soit entretenu par l'effet de serre d'une épaisse couche de dioxyde de carbone. Dans ce cas, ce gaz aurait été en grande partie absorbé, comme sur Terre, par l'océan primordial, l'étendue d'eau des origines. Sur notre planète, ce CO2 a laissé une trace bien visible puisqu'une fois dissous dans l'eau il s'est transformé en carbonates, qui composent aussi bien les falaises d'Etretat que les monts des Alpilles. Sur Mars, il demeure introuvable, alors que toutes les sondes l'ont recherché en priorité. Bien adapté à sa détection, Omega n'a vu aucun massif de ce type.
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