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Philip Roth est mort sans prix Nobel

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  • Philip Roth est mort sans prix Nobel

    On prédisait depuis des années à l'inventeur de "Portnoy" le plus prestigieux des prix littéraires. Philip Roth a fini par mourir, ce mardi 22 mai, avant que se décide le jury du Nobel, justement reporté cette année pour cause de scandale sexuel en son sein. Nous republions ici le plaidoyer paru l'an dernier en son nom dans "Marianne".

    hilippe Roth est mort ce mardi 22 mai - d'une défaillance cardiaque, selon son amie Judith Thurman dans le New York Times - à l'âge de 85 ans, six ans après avoir arrêté l'écriture et sans jamais avoir obtenu le Prix Nobel pour lequel il avait été si souvent cité. Ironie du sort, l'écrivain américain disparaît l'année du report du prestigieux prix littéraire, pour cause de scandale sexuel en son sein. L'article ci-dessous est initialement paru en novembre 2017 dans le numéro de Marianne 1077.

    Messieurs les Jurés du Nobel, apprenez que Philip Roth a désormais sa place dans la Pléiade à côté de William Faulkner, Ernest Hemingway et Francis Scott Fitzgerald. Mais aussi - et surtout - de Franz Kafka et de Milan Kundera auxquels le lient le rire et l'angoisse. Bob Dylan ne peut pas en dire autant. Certes, un peu avare de son papier bible, comme c'est désormais l'usage, la maison Gallimard n'a retenu que cinq livres pour ce premier volume couvrant les années 1959 à 1977. Mais ne boudons pas notre plaisir, la lecture suivie de Goodbye, Colombus, la Plainte de Portnoy, le Sein, Ma vie d'homme et Professeur de désir permet de nous souvenir du choc que fut la révélation d'un écrivain dans l'Amérique du président Nixon. C'était en 1969, lorsque a paru Portnoy's Complaint, dont les éditeurs ont revu la traduction et changé le titre français.

    « J'avais soif de me libérer dans un livre franchement comique. Il ne m'était pas arrivé de rire depuis longtemps », se souviendra plus tard l'écrivain américain. Près d'un demi-siècle après sa publication, cette peinture de la petite bourgeoisie juive américaine et la mise en scène de l'obsession sexuelle en terre puritaine demeure hilarante. Long monologue d'un homme assis en face de son psychiatre, c'est un livre envoûtant, jubilatoire, provocateur, excentrique, tendre et méchant à la fois, qui désacralise la culture hébraïque en exaltant ce que le critique russe Mikhaïl Bakhtine a nommé « le bas corporel » à propos de l'œuvre de Rabelais. Dans une Amérique qui écrasait dans le sang les émeutes raciales et pulvérisait le Vietnam à coups de bombes incendiaires, refusant toute dénonciation militante, Philip Roth a repris la vieille opposition entre Héraclite et Démocrite, combattant la colère, l'un en pleurant, l'autre en riant. A partir de ce monde atroce, il avait choisi de rire en pleurs.

    "COMÉDIE HUMAINE" YANKEE
    Les lecteurs qui découvriront la Plainte de Portnoy à l'occasion de sa publication dans La Pléiade conviendront de son caractère hypnotique. Allongé sur le divan, le truculent Alex Portnoy parle, parle, parle, sans s'arrêter. De sa mère castratrice, de son père sans caractère, de sa sœur angoissée, des interdits sexuels, de l'Amérique Wasp, de la lourde mémoire de la Shoah, de ses branlettes frénétiques, d'un cousin mort à la guerre dans le Pacifique, des majorettes lubriques, des filles qui sucent et de celles qui ne sucent pas, de ses tentatives avortées de faire un petit-enfant juif à ses parents, des maladies vénériennes et de son travail à la mairie de New York où il est « commissaire adjoint à la promotion de l'homme ». Incapable de se libérer de l'emprise psychologique de sa mère, Portnoy est prisonnier du sexe. Et le proclame sans apprêt.

    « Ai-je mentionné que, lorsque j'avais 15 ans, je l'avais sortie de mon pantalon et m'étais branlé dans l'autobus 107 en revenant de New York ? » Mais le caractère érotique du roman, qui a charmé ou scandalisé la critique de part et d'autre de l'Atlantique lors de sa sortie, ne doit pas occulter ses nombreuses autres énergies de sens. Malgré des titres de chapitre volontairement provocateurs - « La Branlette », « Fou de la chatte » -, les passages hilarants du roman ne concernent pas la seule activité subabdominale du narrateur. On songe au fantasme que constitue pour lui la dégustation d'un crustacé invertébré depuis que sa mère l'a mise en garde : « Le monde est plein de choses qui sont bonnes à manger, Alex, sans toucher une horreur comme un homard et risquer de garder les mains paralysées pour le reste de son existence.»

    Dans Portnoy, on retrouve ainsi ce que Philip Roth a commencé à mettre en place dès Goobye, Colombus, recueil de nouvelles paru l'année de ses 26 ans : un petit monde cohérent, une façon de Comédie humaine américaine écrite par un prince de la bohème ne rechignant jamais à en rajouter dans le comique. Dès son premier livre, Roth a choqué les juifs conservateurs et les chaisières bien-pensantes, mais, immédiatement, il a été reconnu par ses aînés Saul Bellow et William Styron comme un écrivain « du bâtiment ». C'est d'ailleurs chez Styron que l'a rencontré le romancier français Michel Mohrt qui l'a fait publier à Paris, comme il avait auparavant fait publier Robert Penn Warren et Jack Kerouac. Avec Goobye, Colombus,

    Roth avait prouvé en cinq longues histoires qu'il avait le don de tout : des dialogues, des décors, des personnages. Et des obsessions intimes par lesquelles se manifestent les grands : non seulement du sexe, mais aussi de la médecine, de la religion, de la famille, de la classe moyenne, du travail aliéné et aliénant.

    DAVID KEPESH, C'EST LUI ?
    Il y a beaucoup de juifs ridicules et de femmes stupides et désirables dans l'œuvre de Philip Roth. Pour les juifs, ceux qu'il met en scène dans Goobye, Colombus ne sont pas à leur avantage. Pour les femmes, il n'y a que Claire qui soit en pleine lumière dans Professeur de désir. Dès l'origine, cet art qu'il a de forcer dans l'épouvante a suscité des malentendus. Après la parution de Portnoy's Complaint, les coups les plus durs sont venus des milieux juifs. Un critique du magazine Midstream a ainsi accusé le romancier d'avoir repris les clichés de Goebbels sur le juif prédateur sexuel désireux de souiller l'univers des gentils. C'est toujours et partout la même histoire : on n'est jamais moins bien servi que par les siens.

    Roth affectionne les personnages principaux qui sont les narrateurs et qui lui ressemblent comme des frères. Après Portnoy, il a repris ce procédé dans le Sein et Professeur de désir, avec David Kepesh, un professeur de littérature comparée à l'université de Stony Brook, dans l'Etat de New York. De toute évidence, Kepesh parle et pense comme lui : « Et puis il y a mes rêves éveillés en plein cours, aussi riches qu'ils sont irrépressibles, et si manifestement inspirés par le désir d'une miraculeuse rédemption - retour à des existences lointaines, réincarnation sous la forme d'un être totalement différent - que je me félicite presque d'être à ce point déprimé et incapable de susciter en moi le plus anodin fantasme. » Reste que dans le Sein, variation sur la Métamorphose de Kafka, le narrateur se retrouve métabolisé non pas en cloporte mais en… glande mammaire.

    Dans l'œuvre de Roth, les situations d'énonciation sont plus subtiles que ne l'ont cru ceux qui, à l'époque de ses premiers livres, l'ont trop rapidement taxé d'antisémitisme et de misogynie. Il ne faut pas oublier que parmi ses saints patrons figure Gustave Flaubert, ce même Flaubert qui jurait : « Madame Bovary, c'est moi. » De même que William Faulkner n'est pas seulement dans les petits Blancs racistes mis en scène dans ses romans, mais aussi dans le corps et l'âme de Lena Grove de Lumière d'août, dans le corps et l'âme des Noirs du comté de Yoknapatawpha qui ont duré et enduré, durent et endurent encore, Philip Roth n'est pas tout entier dans l'ironie grinçante de ses narrateurs. Il est dans chacun de ses personnages, hommes et femmes, juifs et gentils, en marche à travers les contrariétés et les insuffisances de la vie vers un lieu de repos, un royaume de lumière et de paix qui ressemblerait à l'enfance. Alors, messieurs les Jurés du Nobel, convaincus ?

    Marianne

  • #2
    Paix à son âme .
    c'était un grand de la littérature américaine .
    ارحم من في الارض يرحمك من في السماء
    On se fatigue de voir la bêtise triompher sans combat.(Albert Camus)

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