Fayçal Métaoui 24 Mai 2018
Piments, poivrons, tomates, aubergines, petits pois, fèves, melons, cantaloups, pastèques… À longueur d’année, Biskra alimente l’Algérie en produits maraîchers, avec une part estimée à 45%. Avec la wilaya voisine d’El Oued, la couverture des besoins nationaux en fruits et légumes dépasse 55%.
Biskra est le nouveau potager de l’Algérie. Il existe deux grands pôles agricoles à Biskra. À l’est, Sidi Okba, Ain Naga et M’Ziraa. Et, à l’ouest, El Ghrous et Doucen. « Sidi Okba était connue par le passé par la culture en champs comme les fèves, là, la plasticulture a pris le relais », dit-il.
M’Ziraa, qui est à 69 km à l’est de Biksra, les serres tunnel sont visibles de loin des deux côtés de la route. À perte de vue. La plasticulture couvre plus de 60000 hectares de superficie agricole à Biskra.
Dans son exploitation, Fateh cultive les piments, les poivrons, les aubergines et les tomates. « Vous savez, même la fraise pousse chez nous comme à Zribet El Oued. J’ai 32 serres que j’ai confiées à trois ouvriers. J’ai commencé dans l’agriculture il y a 9 ans. Pour l’instant, ça marche. Nous n’avons pas de problème d’eau puisqu’il y a un forage », dit-il.
Fateh évoque toutefois la baisse des prix sur les marchés de gros. « On n’arrive même pas à payer nos ouvriers. Ce matin, le piment était cédé à 20 dinars le kilo, le poivron à 25 dinars. Pour transporter quatre sacs, l’ouvrier demande 1.000 dinars. Cette situation dure depuis plus de vingt jours. Les commerçants nous imposent leur loi. Aujourd’hui, j’étais obligé de céder mes poivrons à 15 dinars le kilo. Même les commerçants disent qu’ils ne se retrouvent pas, eux aussi. Hier, je n’ai pas pu vendre ma cargaison », se plaint-il.
Comme beaucoup d’autres fellahs, venus du Nord du pays, Tahar Baâziz, natif de Batna, a loué des terres pour récolter du poivron et du piment à M’Ziraa. Lui aussi peine à écouler sa marchandise parfois. « Il y a une offre importante, mais les acheteurs ne sont pas aussi nombreux. Dans pareille situation, les commerçants font ce qu’ils veulent et achètent au prix qu’ils veulent. Ils prennent le poivron à 30 dinars le kilo pour le revendre à 80 dinars au détail. Pour remplir une seule caisse, l’ouvrier exige 50 dinars. Imaginez le nombre de caisses qu’il faudra remplir, sans compter le transport. On est perdant », confie-t-il.
Selon lui, à chaque période de printemps, la production agricole devient importante entraînant un effondrement des cours sur le marché du gros. « Je commence à cultiver mes terres la fin août mais je souffre d’un manque d’eau. Par le passé, on creusait à 150 mètres, on trouvait de l’eau. Là, il faut creuser plus de 250 mètres, et encore, ce n’est pas sûr de trouver de l’eau. Je ne fais pas que la plasticulture. J’ai des cultures de plein champ comme les fèves, les oignons, les petits pois et les courgettes. Je suis fellah, je ne peux pas aller au Nord vendre mes produits. Je suis pressé, je veux revendre ma cargaison localement et reprendre le chemin des champs », explique Tahar Bâaziz qui vit à Biskra depuis 1986.
« Courir chaque jour pour gagner sa croûte »
Originaire de Khenchela, le jeune Salah s’est installé dans la région de M’Ziraa, lui aussi. « J’ai loué une terre pour 140 millions de centimes l’an. J’ai planté des piments, des poivrons, des tomates, des aubergines et des melons. Ça marche plutôt bien, je m’en sors plutôt bien. Il n’y a pas de problème d’eau, ici, chacun a son propre forage », dit-il.
Tahar Baâziz a introduit une demande pour installer un forage après avoir acheté un lopin de terre. « Mais l’administration a refusé. Il y a beaucoup de fellahs qui veulent travailler mais l’État ne les aide pas comme il le faut. Aujourd’hui, il faut courir chaque jour pour gagner sa croûte », dit-il. Selon lui, il n’y a que les paresseux qui ne peuvent pas gagner de l’argent dans le travail agricole actuellement à Biskra.
Khamis et El Ayech, avec d’autres amis, ont quitté Batna pour cultiver les terres à M’Ziraa. Ils y sont installés depuis quinze ans. « Nous avons loué la terre. Nous devons varier notre production pour pouvoir vendre. Nous ne prenons pas de risque. Nous cultivons les piments, les poivrons, les aubergines, les cantaloups et les melons », souligne El Ayech.
« Le vendredi, je ne me repose pas »
Il se plaint de la mauvaise qualité de certains phytosanitaires « qui n’ont pas beaucoup d’effet ». « C’est devenu un véritable commerce ici. Ces produits (appelés dwa) sont chers et sans efficacité. Nous les avons utilisés par exemple à quatre reprises pour traiter nos tomates, mais le problème n’a pas été réglé », relève Khamis.
Autre souci : Khamis et El Ayech peinent à trouver des ouvriers lors des récoltes. Ils terminent la saison de récolte des piments et des poivrons en juin. « Maintenant, ces légumes vont être récoltés au Nord du pays, sur la côte. Nous, on se prépare pour la prochaine saison. On ne plante pas de pomme de terre parce qu’elle n’est pas rentable ici. C’est plutôt une spécialité d’El Oued où la pomme de terre pousse même dans le sable (la spunta notamment) », explique Khamis.
Azzeddine est lui présent dans la région de Ain Naga, à 53 km de Biskra et à 21 km de M’Ziraa, depuis dix ans. Il y cultive des pastèques, des melons, des poivrons et de l’ail. « J’ai 14 serres. Je suis aidé par mon épouse. Je commence à 6h du matin pour suivre mes récoltes. Le vendredi, je ne me repose pas. Je viens au marché chaque jour pour vendre mes produits. L’ail est cédé entre 25 et 30 dinars el kilo. Le prix réel, en cette période de printemps, doit être de 50 dinars », dit-il.
Moussa et son cousin Mohamed sont de simples agriculteurs à Ain Naga également. Sur des terres qui paraissent arides et sans vie pousse, sous serres, tout type de maraîchers à Ain Naga, connue aussi par être un grand marché national de fruits et légumes.
Le marché d’Ain Naga est situé sur un terrain vague, sans clôture, sans éclairage et sans structures dignes d’un marché de gros. « C’est un marché saisonnier qui commence en janvier pour se terminer en juillet. Durant le Ramadan, le marché ouvre la nuit malgré le manque d’éclairage. Nous utilisons les lumières de nos portables pour vendre nos produits », précise Mohamed.
Moussa, un autre fellah, natif de Khenchela, est présent sur les lieux depuis très tôt le matin. « Aujourd’hui, j’ai vendu les piments à 30 dinars. Chaque jour, je fais deux déplacements à Ain Naga pour écouler la marchandise. Je viens de Zemmoura où la terre est de bonne qualité », dit-il. À Zemmoura, à côté de M’Ziraa, Moussa cultive la terre avec ses enfants après avoir travaillé chez d’autres exploitants. « Aujourd’hui, j’ai vendu les aubergines à 35 dinars. C’est peu pour moi. Tout est cher. Les engrais coûteent entre 1.000 et 10.000 dinars la bouteille », se désole-t-il.
Au marché d’Ain Naga, les commerçants, entre grossistes et détaillants, viennent de partout : Constantine, Annaba, Batna, Béjaïa, Bouira, Oran, Blida, Chlef, Mostaganem… « Il n’y a que les commerçants des wilayas lointaines du Sud qui ne viennent pas. Les commerçants sont les maîtres du marché. Ils ont toujours tendance à baisser de moitié les prix dès l’ouverture des transactions. Nous travaillons parfois à perte. Malgré cela, je continue à travailler. Je n’ai pas un autre métier », lâche Fateh qui connait parfaitement les rouages du marché.
« À Biskra, il existe trois marchés nationaux : El ghrous, Ain Naga et M’Ziraa. Ces marchés sont fréquentés par des marchands d’une quarantaine de wilayas qui s’approvisionnent en tomates, piments, poivrons, courgettes, petits pois, melons. Lors des grandes campagnes, ces marchés restent ouverts 24h sur 24 », souligne le secrétaire général de la Chambre d’agriculture de Biskra.
Mohamed Tayeb est commerçant de Tébessa. Une fois par semaine, il parcourt les 270 km qui séparent Tébessa de M’Ziraa. Il se déplace ensuite à Ain Naga pour s’approvisionner en produits maraîchers. « À chaque fois, le marché offre une autre image. C’est plutôt les fellahs qui imposent leur loi. Ils nous font voir des vertes et des pas mûres avant de nous vendre. Savez-vous qu’il existe des mandataires cachés qui fixent les prix dès l’entrée du marché. Nous devons surenchérir pour que nous puissions acheter à partir du prix fixé par le mandataire. C’est comme ça », dénonce-t-il.
Mustapha, lui, se déplace un jour sur deux de Souk Ahras, située à 400 km au nord, aux marchés de M’Ziraa et de Ain Naga. « Je démarre vers 22h de Souk Ahras pour arriver vers 3h du matin pour être au rendez-vous à 4h au marché de M’Zirâa. Chaque jour, le prix change. À Souk Ahras, nous vendons la tomate entre 80 et 100 dinars. Aujourd’hui, j’ai acheté les poivrons à 30 dinars le kilo, je vais le revendre à Souk Ahras à 60 dinars. Je prends en compte les frais de transport. Je n’achète que les tomates, les piments et les poivrons. Les melons sont bons ici, mais trop chers pour moi », lâche-t-il.
À M’Ziraa, au milieu d’une forêt de serres tunnel se trouve l’exploitation agricole Tahraoui Ali qui s’étale sur 9 hectares. On y cultive des tomates en sol et en hors sol (sur des supports). L’exploitation emploie 115 salariés dont six ingénieurs agronomes et trois techniciens agricoles.
« Notre objectif est de récolter des produits de qualité supérieure. Nous sommes parmi les premiers à avoir investi dans la région de M’Ziraa et à cultiver les tomates. Nous couvrons le marché local et exportons selon les normes internationales. D’ici, nous avons exporté nos tomates une trentaine de fois. Les cargaisons ont été expédiées par avion-cargo », détaille Chawki Benamar, gérant de l’exploitation.
Souvent, les marchands viennent s’approvisionner directement au niveau de l’exploitation. Selon Adil Zaouche, ingénieur agronome, douze variétés de tomates sont cultivées « pour répondre à tous les besoins et pour enrichir l’offre ». Il s’agit, entre autres, des tomates-cerises et de la tomate cœur de bœuf. La variation de la production permet, selon lui, d’élargir les réseaux de commercialisation. « La tomate ronde est celle qui est commercialisée localement parce que très consommée par les Algériens. Nous proposons aussi des tomates de qualité gastronomique en étudiant même le taux de sucre. L’emballage est étudié aussi. La tomate est pour nous de l’or rouge », souligne-t-il.
Plus résistantes aux vents, les serres canariennes, qui sont de grande dimension et qui permettent de doubler la production, sont utilisées au niveau de l’exploitation Tahraoui Ali. « Nous avons introduit la technique du chauffage sous serre. Ici, en hiver, la température baisse sensiblement pendant la nuit. Il y a une différence de température entre le jour et la nuit qui peut nuire aux produits. Le chauffage permet à la plante de pousser dans de bonnes conditions. Cela nous facilite l’entrée dans les marchés assez tôt. Cette saison, nous avons mis sur le marché nos tomates, lors de la première semaine de décembre. Cela n’existait pas auparavant dans cette région », relève-t-il.
Des logiciels adaptés pour l’arrosage des plantes
L’exploitation est équipée d’une station d’arrosage automatique. « C’est la première du genre en Algérie. Des ingénieurs élaborent et adaptent des logiciels pour cette station, selon les étapes d’évolution de la plante et selon les conditions climatiques. Nous avons introduit également la technique de brumisation qui aide à réduire la température en été et à augmenter le taux d’humidité nécessaire à la plante. Parfois en été, la température dépasse les 44 degrés sous serre », indique Adil Zaouche, natif d’Arris (Batna).
Il relève que la culture de la tomate est plus compliquée que les autres légumes ou fruits comme les piments ou les melons. « La plante de tomate, qui a un cycle de vie plus long, a besoin de beaucoup d’entretien », dit-t-il. Venu de Béjaia, Soufiane Djouder, ingénieur agronome, s’occupe des serres. « Je suis chaque jour l’évolution des plantes sous serre pour éviter les maladies. La prévention est nécessaire. Nous utilisons des techniques modernes comme la culture hors sol pour réduire de l’utilisation des traitements phytosanitaires. Pour pénétrer le marché international, il faut avoir une certaine norme de phytosanitaire en plus de qualité », dit-il.
Il rappelle que les pays européens sont exigeants. « Les produits doivent donc être homologués. Aussi, devons-nous éviter qu’il ait des maladies pour ne pas recourir aux traitements phytosanitaires. Pour l’arrosage, nous utilisons les eaux souterraines en ajoutant quelques compléments alimentaires », enchaîne Adil Zaouche. Les deux jeunes ingénieurs sont de grands défenseurs de l’agriculture. « L’important est d’aller là où il y a le travail. Le développement de l’agriculture est la seule alternative qui nous reste pour faire évoluer l’économie nationale », appuie Sofiane Djouder.
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Piments, poivrons, tomates, aubergines, petits pois, fèves, melons, cantaloups, pastèques… À longueur d’année, Biskra alimente l’Algérie en produits maraîchers, avec une part estimée à 45%. Avec la wilaya voisine d’El Oued, la couverture des besoins nationaux en fruits et légumes dépasse 55%.
Biskra est le nouveau potager de l’Algérie. Il existe deux grands pôles agricoles à Biskra. À l’est, Sidi Okba, Ain Naga et M’Ziraa. Et, à l’ouest, El Ghrous et Doucen. « Sidi Okba était connue par le passé par la culture en champs comme les fèves, là, la plasticulture a pris le relais », dit-il.
M’Ziraa, qui est à 69 km à l’est de Biksra, les serres tunnel sont visibles de loin des deux côtés de la route. À perte de vue. La plasticulture couvre plus de 60000 hectares de superficie agricole à Biskra.
Dans son exploitation, Fateh cultive les piments, les poivrons, les aubergines et les tomates. « Vous savez, même la fraise pousse chez nous comme à Zribet El Oued. J’ai 32 serres que j’ai confiées à trois ouvriers. J’ai commencé dans l’agriculture il y a 9 ans. Pour l’instant, ça marche. Nous n’avons pas de problème d’eau puisqu’il y a un forage », dit-il.
Fateh évoque toutefois la baisse des prix sur les marchés de gros. « On n’arrive même pas à payer nos ouvriers. Ce matin, le piment était cédé à 20 dinars le kilo, le poivron à 25 dinars. Pour transporter quatre sacs, l’ouvrier demande 1.000 dinars. Cette situation dure depuis plus de vingt jours. Les commerçants nous imposent leur loi. Aujourd’hui, j’étais obligé de céder mes poivrons à 15 dinars le kilo. Même les commerçants disent qu’ils ne se retrouvent pas, eux aussi. Hier, je n’ai pas pu vendre ma cargaison », se plaint-il.
Comme beaucoup d’autres fellahs, venus du Nord du pays, Tahar Baâziz, natif de Batna, a loué des terres pour récolter du poivron et du piment à M’Ziraa. Lui aussi peine à écouler sa marchandise parfois. « Il y a une offre importante, mais les acheteurs ne sont pas aussi nombreux. Dans pareille situation, les commerçants font ce qu’ils veulent et achètent au prix qu’ils veulent. Ils prennent le poivron à 30 dinars le kilo pour le revendre à 80 dinars au détail. Pour remplir une seule caisse, l’ouvrier exige 50 dinars. Imaginez le nombre de caisses qu’il faudra remplir, sans compter le transport. On est perdant », confie-t-il.
Selon lui, à chaque période de printemps, la production agricole devient importante entraînant un effondrement des cours sur le marché du gros. « Je commence à cultiver mes terres la fin août mais je souffre d’un manque d’eau. Par le passé, on creusait à 150 mètres, on trouvait de l’eau. Là, il faut creuser plus de 250 mètres, et encore, ce n’est pas sûr de trouver de l’eau. Je ne fais pas que la plasticulture. J’ai des cultures de plein champ comme les fèves, les oignons, les petits pois et les courgettes. Je suis fellah, je ne peux pas aller au Nord vendre mes produits. Je suis pressé, je veux revendre ma cargaison localement et reprendre le chemin des champs », explique Tahar Bâaziz qui vit à Biskra depuis 1986.
« Courir chaque jour pour gagner sa croûte »
Originaire de Khenchela, le jeune Salah s’est installé dans la région de M’Ziraa, lui aussi. « J’ai loué une terre pour 140 millions de centimes l’an. J’ai planté des piments, des poivrons, des tomates, des aubergines et des melons. Ça marche plutôt bien, je m’en sors plutôt bien. Il n’y a pas de problème d’eau, ici, chacun a son propre forage », dit-il.
Tahar Baâziz a introduit une demande pour installer un forage après avoir acheté un lopin de terre. « Mais l’administration a refusé. Il y a beaucoup de fellahs qui veulent travailler mais l’État ne les aide pas comme il le faut. Aujourd’hui, il faut courir chaque jour pour gagner sa croûte », dit-il. Selon lui, il n’y a que les paresseux qui ne peuvent pas gagner de l’argent dans le travail agricole actuellement à Biskra.
Khamis et El Ayech, avec d’autres amis, ont quitté Batna pour cultiver les terres à M’Ziraa. Ils y sont installés depuis quinze ans. « Nous avons loué la terre. Nous devons varier notre production pour pouvoir vendre. Nous ne prenons pas de risque. Nous cultivons les piments, les poivrons, les aubergines, les cantaloups et les melons », souligne El Ayech.
« Le vendredi, je ne me repose pas »
Il se plaint de la mauvaise qualité de certains phytosanitaires « qui n’ont pas beaucoup d’effet ». « C’est devenu un véritable commerce ici. Ces produits (appelés dwa) sont chers et sans efficacité. Nous les avons utilisés par exemple à quatre reprises pour traiter nos tomates, mais le problème n’a pas été réglé », relève Khamis.
Autre souci : Khamis et El Ayech peinent à trouver des ouvriers lors des récoltes. Ils terminent la saison de récolte des piments et des poivrons en juin. « Maintenant, ces légumes vont être récoltés au Nord du pays, sur la côte. Nous, on se prépare pour la prochaine saison. On ne plante pas de pomme de terre parce qu’elle n’est pas rentable ici. C’est plutôt une spécialité d’El Oued où la pomme de terre pousse même dans le sable (la spunta notamment) », explique Khamis.
Azzeddine est lui présent dans la région de Ain Naga, à 53 km de Biskra et à 21 km de M’Ziraa, depuis dix ans. Il y cultive des pastèques, des melons, des poivrons et de l’ail. « J’ai 14 serres. Je suis aidé par mon épouse. Je commence à 6h du matin pour suivre mes récoltes. Le vendredi, je ne me repose pas. Je viens au marché chaque jour pour vendre mes produits. L’ail est cédé entre 25 et 30 dinars el kilo. Le prix réel, en cette période de printemps, doit être de 50 dinars », dit-il.
Moussa et son cousin Mohamed sont de simples agriculteurs à Ain Naga également. Sur des terres qui paraissent arides et sans vie pousse, sous serres, tout type de maraîchers à Ain Naga, connue aussi par être un grand marché national de fruits et légumes.
Le marché d’Ain Naga est situé sur un terrain vague, sans clôture, sans éclairage et sans structures dignes d’un marché de gros. « C’est un marché saisonnier qui commence en janvier pour se terminer en juillet. Durant le Ramadan, le marché ouvre la nuit malgré le manque d’éclairage. Nous utilisons les lumières de nos portables pour vendre nos produits », précise Mohamed.
Moussa, un autre fellah, natif de Khenchela, est présent sur les lieux depuis très tôt le matin. « Aujourd’hui, j’ai vendu les piments à 30 dinars. Chaque jour, je fais deux déplacements à Ain Naga pour écouler la marchandise. Je viens de Zemmoura où la terre est de bonne qualité », dit-il. À Zemmoura, à côté de M’Ziraa, Moussa cultive la terre avec ses enfants après avoir travaillé chez d’autres exploitants. « Aujourd’hui, j’ai vendu les aubergines à 35 dinars. C’est peu pour moi. Tout est cher. Les engrais coûteent entre 1.000 et 10.000 dinars la bouteille », se désole-t-il.
Au marché d’Ain Naga, les commerçants, entre grossistes et détaillants, viennent de partout : Constantine, Annaba, Batna, Béjaïa, Bouira, Oran, Blida, Chlef, Mostaganem… « Il n’y a que les commerçants des wilayas lointaines du Sud qui ne viennent pas. Les commerçants sont les maîtres du marché. Ils ont toujours tendance à baisser de moitié les prix dès l’ouverture des transactions. Nous travaillons parfois à perte. Malgré cela, je continue à travailler. Je n’ai pas un autre métier », lâche Fateh qui connait parfaitement les rouages du marché.
« À Biskra, il existe trois marchés nationaux : El ghrous, Ain Naga et M’Ziraa. Ces marchés sont fréquentés par des marchands d’une quarantaine de wilayas qui s’approvisionnent en tomates, piments, poivrons, courgettes, petits pois, melons. Lors des grandes campagnes, ces marchés restent ouverts 24h sur 24 », souligne le secrétaire général de la Chambre d’agriculture de Biskra.
Mohamed Tayeb est commerçant de Tébessa. Une fois par semaine, il parcourt les 270 km qui séparent Tébessa de M’Ziraa. Il se déplace ensuite à Ain Naga pour s’approvisionner en produits maraîchers. « À chaque fois, le marché offre une autre image. C’est plutôt les fellahs qui imposent leur loi. Ils nous font voir des vertes et des pas mûres avant de nous vendre. Savez-vous qu’il existe des mandataires cachés qui fixent les prix dès l’entrée du marché. Nous devons surenchérir pour que nous puissions acheter à partir du prix fixé par le mandataire. C’est comme ça », dénonce-t-il.
Mustapha, lui, se déplace un jour sur deux de Souk Ahras, située à 400 km au nord, aux marchés de M’Ziraa et de Ain Naga. « Je démarre vers 22h de Souk Ahras pour arriver vers 3h du matin pour être au rendez-vous à 4h au marché de M’Zirâa. Chaque jour, le prix change. À Souk Ahras, nous vendons la tomate entre 80 et 100 dinars. Aujourd’hui, j’ai acheté les poivrons à 30 dinars le kilo, je vais le revendre à Souk Ahras à 60 dinars. Je prends en compte les frais de transport. Je n’achète que les tomates, les piments et les poivrons. Les melons sont bons ici, mais trop chers pour moi », lâche-t-il.
À M’Ziraa, au milieu d’une forêt de serres tunnel se trouve l’exploitation agricole Tahraoui Ali qui s’étale sur 9 hectares. On y cultive des tomates en sol et en hors sol (sur des supports). L’exploitation emploie 115 salariés dont six ingénieurs agronomes et trois techniciens agricoles.
« Notre objectif est de récolter des produits de qualité supérieure. Nous sommes parmi les premiers à avoir investi dans la région de M’Ziraa et à cultiver les tomates. Nous couvrons le marché local et exportons selon les normes internationales. D’ici, nous avons exporté nos tomates une trentaine de fois. Les cargaisons ont été expédiées par avion-cargo », détaille Chawki Benamar, gérant de l’exploitation.
Souvent, les marchands viennent s’approvisionner directement au niveau de l’exploitation. Selon Adil Zaouche, ingénieur agronome, douze variétés de tomates sont cultivées « pour répondre à tous les besoins et pour enrichir l’offre ». Il s’agit, entre autres, des tomates-cerises et de la tomate cœur de bœuf. La variation de la production permet, selon lui, d’élargir les réseaux de commercialisation. « La tomate ronde est celle qui est commercialisée localement parce que très consommée par les Algériens. Nous proposons aussi des tomates de qualité gastronomique en étudiant même le taux de sucre. L’emballage est étudié aussi. La tomate est pour nous de l’or rouge », souligne-t-il.
Plus résistantes aux vents, les serres canariennes, qui sont de grande dimension et qui permettent de doubler la production, sont utilisées au niveau de l’exploitation Tahraoui Ali. « Nous avons introduit la technique du chauffage sous serre. Ici, en hiver, la température baisse sensiblement pendant la nuit. Il y a une différence de température entre le jour et la nuit qui peut nuire aux produits. Le chauffage permet à la plante de pousser dans de bonnes conditions. Cela nous facilite l’entrée dans les marchés assez tôt. Cette saison, nous avons mis sur le marché nos tomates, lors de la première semaine de décembre. Cela n’existait pas auparavant dans cette région », relève-t-il.
Des logiciels adaptés pour l’arrosage des plantes
L’exploitation est équipée d’une station d’arrosage automatique. « C’est la première du genre en Algérie. Des ingénieurs élaborent et adaptent des logiciels pour cette station, selon les étapes d’évolution de la plante et selon les conditions climatiques. Nous avons introduit également la technique de brumisation qui aide à réduire la température en été et à augmenter le taux d’humidité nécessaire à la plante. Parfois en été, la température dépasse les 44 degrés sous serre », indique Adil Zaouche, natif d’Arris (Batna).
Il relève que la culture de la tomate est plus compliquée que les autres légumes ou fruits comme les piments ou les melons. « La plante de tomate, qui a un cycle de vie plus long, a besoin de beaucoup d’entretien », dit-t-il. Venu de Béjaia, Soufiane Djouder, ingénieur agronome, s’occupe des serres. « Je suis chaque jour l’évolution des plantes sous serre pour éviter les maladies. La prévention est nécessaire. Nous utilisons des techniques modernes comme la culture hors sol pour réduire de l’utilisation des traitements phytosanitaires. Pour pénétrer le marché international, il faut avoir une certaine norme de phytosanitaire en plus de qualité », dit-il.
Il rappelle que les pays européens sont exigeants. « Les produits doivent donc être homologués. Aussi, devons-nous éviter qu’il ait des maladies pour ne pas recourir aux traitements phytosanitaires. Pour l’arrosage, nous utilisons les eaux souterraines en ajoutant quelques compléments alimentaires », enchaîne Adil Zaouche. Les deux jeunes ingénieurs sont de grands défenseurs de l’agriculture. « L’important est d’aller là où il y a le travail. Le développement de l’agriculture est la seule alternative qui nous reste pour faire évoluer l’économie nationale », appuie Sofiane Djouder.
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