Tissus, vêtements et chaussures : les produits chinois ne semblent plus avoir la cote. A Derb Omar et Hay Farah, les clients préfèrent les produits turcs même s’ils sont un peu plus chers. Les commerçants de l’Empire du Milieu se sont orientés vers le gros et démarchent l’Afrique subsaharienne à partir du Maroc.
Arrivés massivement au début des années 2000, les commerçants chinois s’étaient alors installés dans des quartiers commerçants, notamment à Derb Omar, Casablanca. Les prix des locaux avaient flambé et ces nouveaux arrivants n’hésitaient pas à louer des kissariates toutes entières. Le made in China avait alors inondé le marché local. Textiles, chaussures, petit électroménager, vaisselle, produits plastiques, sacs, valises et autres cosmétiques : ils offraient une panoplie de produits à des prix défiant toute concurrence, au grand dam des commerçants marocains et des industriels locaux dont certains ont même mis la clé sous le paillasson.
Dix ans plus tard, ils sont toujours dans les kissariates de Derb Omar et de la rue de Khouribga. Ils ont même pris possession de quelques magasins sur le boulevard de la Résistance (Moukawama). Cependant, le vent semble avoir tourné en leur défaveur.
Globalement, la Chine exporte au Maroc beaucoup plus que la Turquie (37,3 milliards de DH en 2016 contre 18,1 milliards). Mais sur certains produits manufacturiers, sa cote est en baisse sur le marché domestique. Selon plusieurs sources concordantes parmi les revendeurs, les Turcs leur mènent la vie dure sur le créneau de l’habillement et autres accessoires comme les châles et foulards. Affirmation confirmée par la gérante d’une boutique au Maârif spécialisée dans les articles turcs. «Nous avons beaucoup de clientes qui disent préférer les produits turcs car de meilleure qualité, même si leurs prix sont un peu plus élevés que ceux des produits chinois. Plusieurs d’entre elles ont cessé d’acheter les foulards, les tuniques ou encore les pyjamas provenant de Chine». On constate, en effet, à Derb Omar, que dans les quelques boutiques qui vendent encore des articles d’habillement l’offre porte essentiellement sur des T-shirts et des jean’s pour enfants.
Changement de stratégie
Face à un nouveau contexte, une nouvelle stratégie. Une petite tournée dans la Kissariat de la rue Khouribga permet de s’en apercevoir. Les murs des petites échoppes sont tapissés de draps de lit, des nappes, des housses de couettes, des taies d’oreillers et de couvertures. «Actuellement, les Chinois ramènent beaucoup plus du linge de maison et de couvertures et de moins en moins d’articles de prêt-à-porter. Certains vendent encore des chaussures de sport et des sandales. Et même les boutiques qui proposaient de la vaisselle ou des articles en plastique ont changé leurs références», indique un jeune vendeur.
Deuxième changement noté : les commerçants chinois se sont orientés vers la vente en gros. Dès qu’un client se pointe devant une boutique ou en franchit le seuil, le gérant lui signale que la vente se fait au gros.
Le monde rural reste demandeur de produits chinois
Toutefois, il est possible d’acheter au détail, à un prix un peu plus élevé, si la demande porte sur plusieurs pièces. C’est ainsi qu’un drap de lit affiché à 70 DH au gros peut être cédé à 100 DH.
Interrogés sur les effets de l’offensive turque, des commerçants chinois restent plutôt réservés, disant en substance que le marché local marocain a évolué et qu’il y a de la place pour tout le monde. Bien sûr, en éludant l’origine de leurs concurrents. Pourtant, selon les commerçants marocains, «cela fait mal aussi bien au Chinois qu’aux Marocains». Ils poursuivent: «Au quartier Hay El Farah, le marché des tissus d’habillement est dominé par les produits turcs, alors qu’il y a une dizaine d’années l’offre était variée. Il y avait des articles chinois, espagnols et d’autres pays». En effet, un tour dans les ruelles de Hay El Farah laisse apparaître la prédominance de l’offre turque «très appréciée», selon les commerçants, par les femmes car les tissus sont de meilleure qualité. Le coton est introduit dans leur composition, alors que les tissus chinois sont confectionnés en grande partie en nylon. Cette matière, explique un commerçant, capte la chaleur et se détériore facilement au lavage.
C’est cette qualité qui confère un avantage conséquent aux Turcs car du point de vue des prix, leurs produits ne sont pas toujours plus compétitifs. Ainsi, on trouvera un coupon de 2,5 à 3 mètres à 50 ou 70 DH. Alors que pour les tissus importés de Chine, les prix étaient dans une fourchette de 20 à 80 DH. Mais à Hay El Farah, les clientes semblent avoir fait leur choix. Elles préfèrent payer quelques dirhams de plus pour éviter les mauvaises surprises. Tout comme elles se sont détournées des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle chinois, également en raison de la qualité.
Pour les jeunes vendeurs, employés par les Chinois, «les clientes vont maintenant acheter ces produits de maquillage et autres chez BIM. Là-bas, elles achètent aussi des chaussettes ou des sous-vêtements en coton bon marché. Et même les articles ménagers et les ustensiles de cuisine». Cette concurrence inquiète ces jeunes vendeurs qui estiment que les Chinois ont quand même créé des emplois à Derb Omar. En effet, dans chaque boutique, travaillent trois à quatre jeunes en tant que vendeurs, livreurs et font parfois office d’interprètes. Toutefois, ils restent confiants car, disent-ils, «l’offre chinoise intéresse une certaine catégorie de clientèle, notamment celle à pouvoir d’achat limité ou encore le milieu rural». Et d’ajouter: «Plusieurs magasins ont des points de vente dans de petites localités».
L’industrie locale de couvertures, un des gros perdants
Afin d’atténuer l’impact de la concurrence turque, plusieurs importateurs chinois n’ont pas hésité, selon des commerçants à Derb Omar, à ouvrir des bureaux pour faire des affaires en Afrique subsaharienne à partir du Maroc. «Ils démarchent les clients, prennent les commandes qui sont traitées en Chine et s’occupent du transfert vers ces pays», explique un commerçant associé à un couple de Chinois installé au Maroc depuis 2006. Importateurs de couvertures depuis les douze dernières années, ses associés ont décidé de travailler sur les marchés africains où ils proposent du linge de maison et du prêt-à-porter pour enfants. «Nous avons réalisé depuis janvier quelques opérations et sommes satisfaits du résultat. Mais nous n’abandonnons pas le marché marocain où nos produits sont très demandés».
Et la concurrence turque? Notre source explique que «pour les couvertures, nous avons nos clients, aussi bien à Derb Omar que dans les villes du Nord. Nous ne sommes pas du tout gênés par les Turcs. Mais sur l’habillement, nous ne tiendrons pas le coup…».
A chacun ses soucis. Plusieurs unités industrielles marocaines spécialisées dans les couvertures ont ainsi été mises à mal par les produits chinois et certaines ont dû se résoudre à baisser le rideau. Il y en a qui disent que toute la filière a été détruite puisque sur une vingtaine d’opérateurs, il n’en reste plus que quatre ! Comme quoi la libéralisation ne peut être bénéfique que si on est compétitif en termes de prix et de qualité et si l’on s’efforce de le rester par la recherche et l’investissement. A condition, bien évidemment, que les pays concurrents respectent les règles du jeu. Et dans le commerce international, ce n’est pas toujours le cas.
La vie eco
Arrivés massivement au début des années 2000, les commerçants chinois s’étaient alors installés dans des quartiers commerçants, notamment à Derb Omar, Casablanca. Les prix des locaux avaient flambé et ces nouveaux arrivants n’hésitaient pas à louer des kissariates toutes entières. Le made in China avait alors inondé le marché local. Textiles, chaussures, petit électroménager, vaisselle, produits plastiques, sacs, valises et autres cosmétiques : ils offraient une panoplie de produits à des prix défiant toute concurrence, au grand dam des commerçants marocains et des industriels locaux dont certains ont même mis la clé sous le paillasson.
Dix ans plus tard, ils sont toujours dans les kissariates de Derb Omar et de la rue de Khouribga. Ils ont même pris possession de quelques magasins sur le boulevard de la Résistance (Moukawama). Cependant, le vent semble avoir tourné en leur défaveur.
Globalement, la Chine exporte au Maroc beaucoup plus que la Turquie (37,3 milliards de DH en 2016 contre 18,1 milliards). Mais sur certains produits manufacturiers, sa cote est en baisse sur le marché domestique. Selon plusieurs sources concordantes parmi les revendeurs, les Turcs leur mènent la vie dure sur le créneau de l’habillement et autres accessoires comme les châles et foulards. Affirmation confirmée par la gérante d’une boutique au Maârif spécialisée dans les articles turcs. «Nous avons beaucoup de clientes qui disent préférer les produits turcs car de meilleure qualité, même si leurs prix sont un peu plus élevés que ceux des produits chinois. Plusieurs d’entre elles ont cessé d’acheter les foulards, les tuniques ou encore les pyjamas provenant de Chine». On constate, en effet, à Derb Omar, que dans les quelques boutiques qui vendent encore des articles d’habillement l’offre porte essentiellement sur des T-shirts et des jean’s pour enfants.
Changement de stratégie
Face à un nouveau contexte, une nouvelle stratégie. Une petite tournée dans la Kissariat de la rue Khouribga permet de s’en apercevoir. Les murs des petites échoppes sont tapissés de draps de lit, des nappes, des housses de couettes, des taies d’oreillers et de couvertures. «Actuellement, les Chinois ramènent beaucoup plus du linge de maison et de couvertures et de moins en moins d’articles de prêt-à-porter. Certains vendent encore des chaussures de sport et des sandales. Et même les boutiques qui proposaient de la vaisselle ou des articles en plastique ont changé leurs références», indique un jeune vendeur.
Deuxième changement noté : les commerçants chinois se sont orientés vers la vente en gros. Dès qu’un client se pointe devant une boutique ou en franchit le seuil, le gérant lui signale que la vente se fait au gros.
Le monde rural reste demandeur de produits chinois
Toutefois, il est possible d’acheter au détail, à un prix un peu plus élevé, si la demande porte sur plusieurs pièces. C’est ainsi qu’un drap de lit affiché à 70 DH au gros peut être cédé à 100 DH.
Interrogés sur les effets de l’offensive turque, des commerçants chinois restent plutôt réservés, disant en substance que le marché local marocain a évolué et qu’il y a de la place pour tout le monde. Bien sûr, en éludant l’origine de leurs concurrents. Pourtant, selon les commerçants marocains, «cela fait mal aussi bien au Chinois qu’aux Marocains». Ils poursuivent: «Au quartier Hay El Farah, le marché des tissus d’habillement est dominé par les produits turcs, alors qu’il y a une dizaine d’années l’offre était variée. Il y avait des articles chinois, espagnols et d’autres pays». En effet, un tour dans les ruelles de Hay El Farah laisse apparaître la prédominance de l’offre turque «très appréciée», selon les commerçants, par les femmes car les tissus sont de meilleure qualité. Le coton est introduit dans leur composition, alors que les tissus chinois sont confectionnés en grande partie en nylon. Cette matière, explique un commerçant, capte la chaleur et se détériore facilement au lavage.
C’est cette qualité qui confère un avantage conséquent aux Turcs car du point de vue des prix, leurs produits ne sont pas toujours plus compétitifs. Ainsi, on trouvera un coupon de 2,5 à 3 mètres à 50 ou 70 DH. Alors que pour les tissus importés de Chine, les prix étaient dans une fourchette de 20 à 80 DH. Mais à Hay El Farah, les clientes semblent avoir fait leur choix. Elles préfèrent payer quelques dirhams de plus pour éviter les mauvaises surprises. Tout comme elles se sont détournées des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle chinois, également en raison de la qualité.
Pour les jeunes vendeurs, employés par les Chinois, «les clientes vont maintenant acheter ces produits de maquillage et autres chez BIM. Là-bas, elles achètent aussi des chaussettes ou des sous-vêtements en coton bon marché. Et même les articles ménagers et les ustensiles de cuisine». Cette concurrence inquiète ces jeunes vendeurs qui estiment que les Chinois ont quand même créé des emplois à Derb Omar. En effet, dans chaque boutique, travaillent trois à quatre jeunes en tant que vendeurs, livreurs et font parfois office d’interprètes. Toutefois, ils restent confiants car, disent-ils, «l’offre chinoise intéresse une certaine catégorie de clientèle, notamment celle à pouvoir d’achat limité ou encore le milieu rural». Et d’ajouter: «Plusieurs magasins ont des points de vente dans de petites localités».
L’industrie locale de couvertures, un des gros perdants
Afin d’atténuer l’impact de la concurrence turque, plusieurs importateurs chinois n’ont pas hésité, selon des commerçants à Derb Omar, à ouvrir des bureaux pour faire des affaires en Afrique subsaharienne à partir du Maroc. «Ils démarchent les clients, prennent les commandes qui sont traitées en Chine et s’occupent du transfert vers ces pays», explique un commerçant associé à un couple de Chinois installé au Maroc depuis 2006. Importateurs de couvertures depuis les douze dernières années, ses associés ont décidé de travailler sur les marchés africains où ils proposent du linge de maison et du prêt-à-porter pour enfants. «Nous avons réalisé depuis janvier quelques opérations et sommes satisfaits du résultat. Mais nous n’abandonnons pas le marché marocain où nos produits sont très demandés».
Et la concurrence turque? Notre source explique que «pour les couvertures, nous avons nos clients, aussi bien à Derb Omar que dans les villes du Nord. Nous ne sommes pas du tout gênés par les Turcs. Mais sur l’habillement, nous ne tiendrons pas le coup…».
A chacun ses soucis. Plusieurs unités industrielles marocaines spécialisées dans les couvertures ont ainsi été mises à mal par les produits chinois et certaines ont dû se résoudre à baisser le rideau. Il y en a qui disent que toute la filière a été détruite puisque sur une vingtaine d’opérateurs, il n’en reste plus que quatre ! Comme quoi la libéralisation ne peut être bénéfique que si on est compétitif en termes de prix et de qualité et si l’on s’efforce de le rester par la recherche et l’investissement. A condition, bien évidemment, que les pays concurrents respectent les règles du jeu. Et dans le commerce international, ce n’est pas toujours le cas.
La vie eco
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