Annonce

Réduire
Aucune annonce.

«L’économie tunisienne ne produit que des petits boulots précaires»

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • «L’économie tunisienne ne produit que des petits boulots précaires»

    Pour l’économiste Edwin Le Héron, le pays a gardé, malgré la révolution, le même modèle de développement, inefficace.

    L’économiste Edwin Le Héron, professeur à Sciences-Po Bordeaux, a enseigné pendant plusieurs années à l’université de Sfax. Il estime que le modèle économique tunisien, à la différence de son système politique, est resté figé après la révolution.

    Quelle trajectoire a connu le pays depuis 2011 ?

    L’instabilité régionale a eu un impact catastrophique. La Libye était un partenaire important. Sa déstabilisation a réduit les flux d’argent vers la Tunisie. Les attentats du Bardo puis de Sousse, fomentés depuis la Libye, ont eu un effet dévastateur. La pression religieuse, insidieuse, qui s’est libérée après la révolution, a également pénalisé le tourisme. Or la dépendance du pays à ce secteur est énorme. Mais surtout, le modèle économique national n’a pas été remis en cause après la révolution. Or il entrave le développement du pays.

    Quel est ce modèle ?

    C’est une économie de rente, comme dans beaucoup de pays de la région. Il n’y a pas de classe d’entrepreneurs innovants en Tunisie. Les businessmen ont bien plus intérêt à négocier l’importation de voitures Renault qu’à essayer d’imaginer la production de ces voitures, par exemple. Or cette logique d’importation va souvent de pair avec une logique de corruption. C’est un cercle vicieux. Les rentes de situation s’obtiennent en payant le pouvoir politique. Les réseaux ne sont certes plus liés aux proches de Ben Ali, mais ils n’ont pas vraiment changé. Le gâteau n’est pas extensible. On se partage toujours les mêmes mannes : le tourisme, la téléphonie, le phosphate, etc. L’Etat lui-même capte une partie de cette rente, ce qui entretient un système peu productif. Il protège ce modèle prédateur qui le fait vivre.

    Pourquoi la Tunisie n’attire-t-elle pas les investisseurs ?

    Le pays souffre de sa petite taille, peu attirante en termes de marché. On lui préférera la Turquie, par exemple. Après la révolution, il y a eu des investissements en provenance des pays du Golfe, mais dans des secteurs non productifs, comme l’immobilier.

    Le secteur informel est-il un obstacle ou une béquille pour l’économie ?
    Ni bon ni mauvais, il est inévitable. La révolution ne l’a pas réduit, elle l’a même parfois développé. Une bonne partie de la population est très diplômée. Or l’économie tunisienne ne produit que des petits boulots précaires dans l’agriculture, les call-centers, etc. Ce qui provoque une frustration énorme pour tous ces jeunes qui ont fait des études. De plus, une fois éduqués, les gens ne supportent pas la prédation économique d’une partie de l’élite, et cela crée une forte tension sociale. La révolution est née de ce sentiment d’injustice.

    En janvier 2018, des émeutes sociales ont éclaté après le vote de la loi de finance. Les gouvernements successifs ont-ils échoué à réformer le pays ?
    Les islamistes ont essayé, à un moment, de copier ce qu’a fait Erdogan en Turquie au début de sa présidence. Ennahdha a annoncé vouloir lutter contre la corruption et libéraliser le système, en particulier pour les petits entrepreneurs. Mais ils n’ont pas réussi, et ont privilégié un agenda sociétal. Quant aux cercles de l’ancien régime, leur intérêt est de maintenir le statu quo. L’inertie a fini par l’emporter. En vérité, le gouvernement manque d’idées.

    A sa décharge, la Tunisie n’a pas beaucoup d’options. Elle est écrasée entre deux sphères économiques : elle ne peut pas concurrencer la France, ou l’Europe, sur toute une gamme de biens ou de services, ni rivaliser avec la Chine, qui inonde les marchés mondiaux à des coûts imbattables. Que reste-t-il ? Certains produits, comme l’huile d’olive, par exemple. Mais l’huile est vendue en gros au lieu d’être valorisée, marketée, etc. Il y a là une marge de progression pour l’économie. Et peut-être une source d’emploi pour les jeunes laissés sur le bord de la route.

    libération fr
Chargement...
X