En plein désert qatari, l'émirat a bâti un véritable empire laitier. Face au blocus imposé depuis un an par ses voisins, Doha mise sur le made in Qatar.
La ferme Baladna est située à une soixantaine de kilomètres au nord de Doha, la capitale du Qatar. Pour y accéder, il faut emprunter une longue et impeccable route droite qui traverse un paysage désertique. Sur le chemin, ce désert est en pleine transformation. À droite, on distingue l'un des huit terrains de la Coupe du monde 2022, le futur stade Al Beit, en train d'être construit à vitesse grand V. Ici et là, plus curieusement, il y a des coins de verdure. Ce sont des serres, qui surgissent du paysage depuis un an. Elles abritent des fruits et des légumes, des cultures a priori peu compatibles avec le climat de la péninsule arabique. Avec une pluviométrie de moins de 100 millimètres d'eau par an et une température de 45 degrés l'été, le Qatar offre un spectacle de fin du monde... et de démesure. Encore un peu plus loin, la ferme laitière Baladna s'étend sur 240 hectares. C'est un grand portrait de l'émir, taillé dans de la verdure, qui accueille les visiteurs
Il fait une chaleur étouffante ce matin-là. 42 degrés à l'ombre. Comment des vaches survivent-elles dans un tel environnement ? « Vous allez vite comprendre », sourit Mark Denes Somogyi, directeur marketing de la ferme, en charge de la visite guidée. Direction « Farm 2 », l'extension de la première ferme, construite en quelques mois. Ici, on se déplace en minivan. Avant d'entrer dans chaque endroit, des mesures d'hygiène sont soigneusement appliquées. Les véhicules sont nettoyés à l'eau et les personnes autorisées doivent se recouvrir de la tête aux pieds d'un vêtement protecteur. Youssef Burucu, le manager, nous attend. À l'intérieur, le bruit est assourdissant. De l'eau, directement pompée du sol, asperge les vaches 24 heures sur 24. « Les vaches ont une capacité de transpiration très limitée. Donc, l'eau leur permet de rester à une température fraîche, explique Youssef. Ici, on doit gérer la nature et le climat. » La ferme, toujours en construction, a pour objectif une capacité d'accueil de 20 000 vaches.
Cour de récréation
Baladna, avant la crise déclenchée par l'embargo, était une ferme d'élevage de chèvres, de taille normale. Du jour au lendemain, elle s'est transformée en empire laitier. Sa mission : donner au Qatar son indépendance en lait. Tout s'est joué le 5 juin dernier, quand l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et l'Égypte ont brusquement tourné le dos au Qatar et cessé leurs exportations, de lait saoudien notamment. C'est la panique. Les trois premiers jours, les Qataris se ruent dans les supermarchés et vident les rayons. Le Qatar trouve vite d'autres fournisseurs, comme la Turquie. Le lait, un produit de base, se retrouve au cœur de l'attention. Trente-six jours après le début du blocus, Baladna fait venir 165 vaches Holstein de Hongrie, par voie aérienne. Aujourd'hui, elles sont 10 000 et viennent principalement des États-Unis : « le seul pays où les vaches sont très nombreuses », selon Youssef.
Avec le blocus, qui a provoqué un sursaut national, le made in Qatar est devenu un argument marketing. L'argent n'est pas un problème pour le premier exportateur de gaz dans le monde. Une technologie de pointe a été importée, et tout a été imaginé pour assurer une production qui atteint aujourd'hui 130 000 litres de lait par jour. Dans la salle de traite, les vaches arrivent à la queue leu leu sur un plateau rotatif. « Cette machine vient d'Irlande. On a eu recours à l'un des plus gros avions russes pour la transporter. Les machines à traire sont équipées d'un système d'ajustement aux mamelles des vaches, elles s'adaptent à leur sensibilité. Vous ne pouvez pas être plus high-tech qu'avec cet équipement », se félicite Mark. À côté de chaque vache, on peut lire la quantité de lait produite par session et la conductivité du lait, qui indique si la vache est malade ou pas. Il y a même une application capable de dire si la vache est en chaleur. Privées de sortie en raison du climat, elles sont cantonnées à l'intérieur. Derrière la salle de traite, un immense hangar abrite une sorte de cour de récréation pour bovins. « Entre chaque session, on les laisse se relaxer entre elles pendant six heures. Ici, elles ont une alimentation qui a été recommandée par les meilleurs nutritionnistes et qui s'adapte aux besoins de chaque vache », indique Youssef.
Fierté nationale
Pour faire vite, grand et bien, le Qatar a toujours misé sur une stratégie : réunir les meilleurs talents du monde entier. Youssef Burucu vient de Turquie, il a été recruté il y a trois mois. Il est spécialiste du domaine laitier depuis plus de vingt ans. « J'ai eu deux semaines pour prendre ma décision. Franchement, je n'ai pas hésité. J'ai tout quitté chez moi, et je suis venu. C'est un énorme challenge, vraiment ! Comme si j'avais attendu toute ma vie une telle occasion. Vous imaginez ? La semaine dernière, j'ai reçu 500 vaches, la semaine prochaine j'en reçois 200 de plus ! » Ce qui le surprend le plus, c'est la rapidité à laquelle les choses se passent dans la ferme. « C'est dingue, tout va tellement vite ici. Quand je suis arrivé, toute cette extension n'existait pas. Il y avait 400 ouvriers sur le terrain pour la construction. Et aujourd'hui, tout est en place. » En plus de s'occuper des vaches, il entraîne les employés. Ils sont 800 à avoir rejoint Baladna depuis un an. Appelés des pays voisins d'Asie, et aussi d'Europe, ils font tourner la ferme jour et nuit.
La dernière étape de la visite se situe dans la laiterie. Une douce odeur de lait caramélisé chatouille les narines. Les machines pour la mise en bouteille sont immenses. Encore une fois, la voie aérienne a été privilégiée. « On n'a pas eu le temps d'attendre six à huit semaines les équipements », dit Mark. Ici, 10 000 bouteilles de lait sont produites toutes les heures. Mark poursuit : « On a atteint nos objectifs d'être autosuffisants en lait, en un an. D'ici la fin de l'année, on essaie d'être indépendants en produits laitiers d'au moins 70 %. » Car l'empire Baladna ne s'arrête pas au lait, il fabrique également des yaourts et du fromage, vendus dans le restaurant de la ferme
Non loin a été construit un parc d'attractions destiné à attirer locaux et expatriés. En partant, on ne peut pas ne pas voir une affiche placardée sur les murs. Trois athlètes sont sur les starting-blocks : « Ceux qui commencent et ceux qui terminent. Chaque homme peut commencer un travail, mais seulement le bon type d'homme le terminera de la bonne façon. » L'histoire de Baladna est devenue une fierté nationale. À elle seule, elle raconte comment le Qatar est sorti renforcé du blocus. Le prochain défi du Qatar, c'est la préparation de la Coupe du monde 2022. Une occasion de plus pour prouver au monde entier que l'ambition n'a pas de limites quand la volonté et surtout les moyens sont là
le Point fr
La ferme Baladna est située à une soixantaine de kilomètres au nord de Doha, la capitale du Qatar. Pour y accéder, il faut emprunter une longue et impeccable route droite qui traverse un paysage désertique. Sur le chemin, ce désert est en pleine transformation. À droite, on distingue l'un des huit terrains de la Coupe du monde 2022, le futur stade Al Beit, en train d'être construit à vitesse grand V. Ici et là, plus curieusement, il y a des coins de verdure. Ce sont des serres, qui surgissent du paysage depuis un an. Elles abritent des fruits et des légumes, des cultures a priori peu compatibles avec le climat de la péninsule arabique. Avec une pluviométrie de moins de 100 millimètres d'eau par an et une température de 45 degrés l'été, le Qatar offre un spectacle de fin du monde... et de démesure. Encore un peu plus loin, la ferme laitière Baladna s'étend sur 240 hectares. C'est un grand portrait de l'émir, taillé dans de la verdure, qui accueille les visiteurs
Il fait une chaleur étouffante ce matin-là. 42 degrés à l'ombre. Comment des vaches survivent-elles dans un tel environnement ? « Vous allez vite comprendre », sourit Mark Denes Somogyi, directeur marketing de la ferme, en charge de la visite guidée. Direction « Farm 2 », l'extension de la première ferme, construite en quelques mois. Ici, on se déplace en minivan. Avant d'entrer dans chaque endroit, des mesures d'hygiène sont soigneusement appliquées. Les véhicules sont nettoyés à l'eau et les personnes autorisées doivent se recouvrir de la tête aux pieds d'un vêtement protecteur. Youssef Burucu, le manager, nous attend. À l'intérieur, le bruit est assourdissant. De l'eau, directement pompée du sol, asperge les vaches 24 heures sur 24. « Les vaches ont une capacité de transpiration très limitée. Donc, l'eau leur permet de rester à une température fraîche, explique Youssef. Ici, on doit gérer la nature et le climat. » La ferme, toujours en construction, a pour objectif une capacité d'accueil de 20 000 vaches.
Cour de récréation
Baladna, avant la crise déclenchée par l'embargo, était une ferme d'élevage de chèvres, de taille normale. Du jour au lendemain, elle s'est transformée en empire laitier. Sa mission : donner au Qatar son indépendance en lait. Tout s'est joué le 5 juin dernier, quand l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et l'Égypte ont brusquement tourné le dos au Qatar et cessé leurs exportations, de lait saoudien notamment. C'est la panique. Les trois premiers jours, les Qataris se ruent dans les supermarchés et vident les rayons. Le Qatar trouve vite d'autres fournisseurs, comme la Turquie. Le lait, un produit de base, se retrouve au cœur de l'attention. Trente-six jours après le début du blocus, Baladna fait venir 165 vaches Holstein de Hongrie, par voie aérienne. Aujourd'hui, elles sont 10 000 et viennent principalement des États-Unis : « le seul pays où les vaches sont très nombreuses », selon Youssef.
Avec le blocus, qui a provoqué un sursaut national, le made in Qatar est devenu un argument marketing. L'argent n'est pas un problème pour le premier exportateur de gaz dans le monde. Une technologie de pointe a été importée, et tout a été imaginé pour assurer une production qui atteint aujourd'hui 130 000 litres de lait par jour. Dans la salle de traite, les vaches arrivent à la queue leu leu sur un plateau rotatif. « Cette machine vient d'Irlande. On a eu recours à l'un des plus gros avions russes pour la transporter. Les machines à traire sont équipées d'un système d'ajustement aux mamelles des vaches, elles s'adaptent à leur sensibilité. Vous ne pouvez pas être plus high-tech qu'avec cet équipement », se félicite Mark. À côté de chaque vache, on peut lire la quantité de lait produite par session et la conductivité du lait, qui indique si la vache est malade ou pas. Il y a même une application capable de dire si la vache est en chaleur. Privées de sortie en raison du climat, elles sont cantonnées à l'intérieur. Derrière la salle de traite, un immense hangar abrite une sorte de cour de récréation pour bovins. « Entre chaque session, on les laisse se relaxer entre elles pendant six heures. Ici, elles ont une alimentation qui a été recommandée par les meilleurs nutritionnistes et qui s'adapte aux besoins de chaque vache », indique Youssef.
Fierté nationale
Pour faire vite, grand et bien, le Qatar a toujours misé sur une stratégie : réunir les meilleurs talents du monde entier. Youssef Burucu vient de Turquie, il a été recruté il y a trois mois. Il est spécialiste du domaine laitier depuis plus de vingt ans. « J'ai eu deux semaines pour prendre ma décision. Franchement, je n'ai pas hésité. J'ai tout quitté chez moi, et je suis venu. C'est un énorme challenge, vraiment ! Comme si j'avais attendu toute ma vie une telle occasion. Vous imaginez ? La semaine dernière, j'ai reçu 500 vaches, la semaine prochaine j'en reçois 200 de plus ! » Ce qui le surprend le plus, c'est la rapidité à laquelle les choses se passent dans la ferme. « C'est dingue, tout va tellement vite ici. Quand je suis arrivé, toute cette extension n'existait pas. Il y avait 400 ouvriers sur le terrain pour la construction. Et aujourd'hui, tout est en place. » En plus de s'occuper des vaches, il entraîne les employés. Ils sont 800 à avoir rejoint Baladna depuis un an. Appelés des pays voisins d'Asie, et aussi d'Europe, ils font tourner la ferme jour et nuit.
La dernière étape de la visite se situe dans la laiterie. Une douce odeur de lait caramélisé chatouille les narines. Les machines pour la mise en bouteille sont immenses. Encore une fois, la voie aérienne a été privilégiée. « On n'a pas eu le temps d'attendre six à huit semaines les équipements », dit Mark. Ici, 10 000 bouteilles de lait sont produites toutes les heures. Mark poursuit : « On a atteint nos objectifs d'être autosuffisants en lait, en un an. D'ici la fin de l'année, on essaie d'être indépendants en produits laitiers d'au moins 70 %. » Car l'empire Baladna ne s'arrête pas au lait, il fabrique également des yaourts et du fromage, vendus dans le restaurant de la ferme
Non loin a été construit un parc d'attractions destiné à attirer locaux et expatriés. En partant, on ne peut pas ne pas voir une affiche placardée sur les murs. Trois athlètes sont sur les starting-blocks : « Ceux qui commencent et ceux qui terminent. Chaque homme peut commencer un travail, mais seulement le bon type d'homme le terminera de la bonne façon. » L'histoire de Baladna est devenue une fierté nationale. À elle seule, elle raconte comment le Qatar est sorti renforcé du blocus. Le prochain défi du Qatar, c'est la préparation de la Coupe du monde 2022. Une occasion de plus pour prouver au monde entier que l'ambition n'a pas de limites quand la volonté et surtout les moyens sont là
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