Écrit par Omar Merzoug
De quelle manière les islamistes, et au premier chef, leurs penseurs considèrent-ils le monde occidental, les valeurs qui y ont cours, le régime politique qui est le sien ? Comment définissent-ils l’Occident ? Quelles implications en tirent-ils dans leurs analyses et pour leur action ? Nous avons voulu livrer une version synthétique de leurs idées en la matière avant de les soumettre à la critique.
C’est une question digne d’intérêt que de s’interroger sur la conception que l’islamisme a pu produire d’un Occident hissé à la hauteur de l’ennemi principal, cause supposée des malheurs des musulmans à travers les tentatives d’évangélisation, l’invasion coloniale, la mondialisation, « l’agression culturelle». C’est donc un Occident malveillant, immoral, impie et impérialiste qui est peint dans les textes des initiateurs de la pensée islamiste et qu’il importe de connaître pour savoir à quoi s’en tenir. Faute de savoir l’arabe, on ne peut en prendre connaissance, car les traductions des œuvres intégrales des penseurs islamistes sont rares1 (et, de surcroît, tout n’est pas traduit). Par là même, on risque d’être toujours en retard d’une guerre. C’est peu de dire que la notion d’« Occident », quel que soit le sens qu’on lui donne, fait office de repoussoir aux yeux des islamistes. S’il est vrai que l’on ne saurait s’affirmer sans s’opposer, il est non moins exact de dire que les islamistes ont fait de l’Occident l’objet de leur vindicte, un ennemi sur lequel ils ne tarissent point d’anathèmes. Et ce d’autant plus qu’à leurs yeux, répétons-le, les puissances occidentales, faisant chorus, sont, à les en croire, responsables des maux dont souffrent les sociétés musulmanes. Parmi les griefs qu’enregistre l’islamisme à l’encontre de l’Occident, il en est qui relèvent de la religion, certains autres de la politique, d’autres enfin de la morale. Assoiffé de conquêtes et de pillages, le monde occidental actuel aurait une dilection particulière pour les croisades. Seuls les méthodes et les moyens sont différents, l’esprit qui anime l’impérialisme moderne demeure similaire à celui d’hier. D’autre part, les systèmes politiques mis en œuvre en Occident, qu’ils soient du reste issus du christianisme ou inspirés par d’autres doctrines, ressortissent pour l’islamisme à une forme périlleuse d’impiété et de rébellion contre les commandements de Dieu dont seul l’islam révèle et exprime la teneur authentique. Enfin, l’Occident se voit souvent accusé d’être la terre nourricière de l’immoralité, la tanière de la licence, le fourrier du vice et du stupre. Prédicateurs, imams, essayistes religieux tonnent souvent contre la « libéralisation des mœurs » en vigueur dans les pays occidentaux. Pour ne citer que des exemples récents, la légalisation du mariage homosexuel et la procréation assistée sont souvent cités en exemple de la dénaturation imposée par l’Occident à un «ordre naturel». Ainsi, selon l’un des principaux doctrinaires de l’islamisme militant, Sayyid Qûtb2 (pendu par le régime du colonel Nasser en août 1966), l’un des crimes de l’Occident est sa propension au colonialisme qui prend selon lui deux formes, la mission évangélisatrice ou la politique de la canonnière. « Parmi tous les crimes que commet le “monde libre”, il en est qui en ébranlent la conscience humaine ». Ces crimes sont perpétrés dans le dessein « de transmettre les principes de la civilisation occidentale ». Mais si on refuse ces principes et si on ne veut point « se civiliser par le fait des missions évangélisatrices », alors “le monde libre” vous contraindra à vous civiliser par « l’épée, les canons, les chars qui sont des moyens plus aptes sans doute à transmettre les principes de la civilisation aux différents peuples » écrit-il dans son livre majeur « Repères sur la voie3 » ajoutant que le « monde libre est la formule que donnent les colonialistes en Angleterre, en France et aux USA à ce bloc colonialiste qui combat contre le temps, qui lutte contre l’humanité et la liberté et qui s’attribue, tout compte fait, ce titre de “monde libre” » Au moment où S. Qûtb rédige son opus, il a conscience que l’humanité est au bord du précipice « en raison de sa faillite dans le monde des valeurs », valeurs à l’ombre desquelles il est possible à la vie humaine de se développer sainement » et cela, ajoute-t-il, est visible avec toute la clarté désirable dans un « Occident qui n’a plus rien à offrir en termes de “valeurs” à l’humanité ». Voilà pourquoi Sayyid Qûtb rejette le monde occidental, infécond, mais il n’en repousse pas moins le monde qui était souvent présenté comme l’alternative. « Dans le bloc de l’Est lui-même, les choses se présentent de façon similaire. Car les théories collectivistes, - au premier rang desquelles prend place le marxisme qui a attiré au début un nombre considérable (de partisans) à l’Est et à l’Ouest même en tant que système portant tous les caractères d’une doctrine -, a régressé d’une manière claire du point de vue du « concept » si bien que ce bloc tend à se réduire à « l’État » et à ses institutions. Le marxisme dans l’ensemble va à l’encontre de la prime nature humaine et ses exigences et ne peut croître que dans un milieu détruit ou un milieu accoutumé depuis longtemps à un régime despotique ». En somme, ni l’Ouest avec son régime démocratique, ni l’Est, avec son despotisme, ne peuvent apporter une solution satisfaisante à la crise des valeurs qui semble préoccuper si fort S. Qûtb.
Guidance de Dieu
C’est ainsi que le rôle historique de la civilisation occidentale est terminé. Non pas parce que cette civilisation aurait matériellement fait faillite ou parce que sa puissance économique et militaire connaîtrait un affaiblissement, mais parce qu’il ne lui reste rien à proposer dans le champ des valeurs qui lui permettrait de jouer le rôle de guide de l’humanité. D’où la conclusion de Qûtb, il faut à l’humanité une nouvelle guidance, et cette guidance, le mieux à même de l’incarner, c’est la religion musulmane. Pour deux raisons principales, d’abord contrairement à un régime djahilite, en islam, la souveraineté appartient à Dieu et à lui seul et non pas à la raison humaine, faillible et misérable, « nécessairement mauvaise lorsqu’elle contrevient aux commandements divins », et secondement, parce en islam, la source de toute souveraineté n’est pas le peuple, mais Dieu. Tout le mal, selon S. Qûtb, vient de ce que l’homme a usurpé des pouvoirs qui ne lui reviennent pas. C’est d’une forme d’hybris, de démesure, que naît la Djahiliya. « Cette Djâhiliyya se fonde sur un attentat contre le pouvoir de Dieu sur terre et contre ce qui définit le plus proprement parlant le caractère théologique de ce pouvoir, qui est la souveraineté. Cette Djâhiliya attribue cette souveraineté aux hommes, faisant de certains d’entre eux des seigneurs » et cet attentat contre la souveraineté divine ouvre la voie à un attentat contre les hommes. L’avilissement de l’homme dans les systèmes totalitaires et les ravages de la domination du capital « ne sont que des effets de cet attentat contre les pouvoirs de Dieu » et une conséquence de « la négation de la dignité accordée par Dieu aux hommes ». L’homme musulman ne peut que rejeter tout à la fois le capitalisme pour qui seul le critère marchand est opératoire et le système communiste qui réifie et écrase les hommes. En fait, le choix est entre l’islam et la Djâhiliyya, la société musulmane avec ses lois, ses valeurs, ses institutions et la société djahilite avec les siennes. Cette dernière peut se présenter sous l’aspect d’une société athée, qui propose par exemple une grille de lecture inspirée du matérialisme dialectique et se réclamant du « socialisme scientifique », elle peut tout aussi bien apparaître sous la forme d’une société religieuse, mais tendant à cantonner Dieu dans le royaume des cieux et le privant du gouvernement du monde. Par cela même qu’elle exclut Dieu de la direction du monde terrestre, qu’elle dissocie le ciel et la terre, cette société demeure djahilite, même si elle confesse l’existence de Dieu.
Ce n’est donc ni dans les sociétés capitalistes ni dans les sociétés socialistes que l’on trouvera la civilisation. De telles sociétés sont barbares et, du reste, on le voit à leurs effets, abaissement de l’homme, démesure scientifique et technologique, généralisation de la servitude, primat à la part animale de l’homme par le dérèglement des mœurs. « Les sociétés, écrit Qûtb, où dominent les valeurs, la morale et les tendances animales ne peuvent être des sociétés civilisées, quelle que soit leur supériorité industrielle, économique et scientifique ». C’est dans la société musulmane, antithèse de la société djahilite, que l’on trouvera la civilisation. C’est dans une société qui répudiant les idoles, les fameux tawaghît, et confessant la souveraineté de Dieu que les hommes pourront jouir de la véritable liberté, car cette société exclut la division entre les maîtres et les esclaves
De quelle manière les islamistes, et au premier chef, leurs penseurs considèrent-ils le monde occidental, les valeurs qui y ont cours, le régime politique qui est le sien ? Comment définissent-ils l’Occident ? Quelles implications en tirent-ils dans leurs analyses et pour leur action ? Nous avons voulu livrer une version synthétique de leurs idées en la matière avant de les soumettre à la critique.
C’est une question digne d’intérêt que de s’interroger sur la conception que l’islamisme a pu produire d’un Occident hissé à la hauteur de l’ennemi principal, cause supposée des malheurs des musulmans à travers les tentatives d’évangélisation, l’invasion coloniale, la mondialisation, « l’agression culturelle». C’est donc un Occident malveillant, immoral, impie et impérialiste qui est peint dans les textes des initiateurs de la pensée islamiste et qu’il importe de connaître pour savoir à quoi s’en tenir. Faute de savoir l’arabe, on ne peut en prendre connaissance, car les traductions des œuvres intégrales des penseurs islamistes sont rares1 (et, de surcroît, tout n’est pas traduit). Par là même, on risque d’être toujours en retard d’une guerre. C’est peu de dire que la notion d’« Occident », quel que soit le sens qu’on lui donne, fait office de repoussoir aux yeux des islamistes. S’il est vrai que l’on ne saurait s’affirmer sans s’opposer, il est non moins exact de dire que les islamistes ont fait de l’Occident l’objet de leur vindicte, un ennemi sur lequel ils ne tarissent point d’anathèmes. Et ce d’autant plus qu’à leurs yeux, répétons-le, les puissances occidentales, faisant chorus, sont, à les en croire, responsables des maux dont souffrent les sociétés musulmanes. Parmi les griefs qu’enregistre l’islamisme à l’encontre de l’Occident, il en est qui relèvent de la religion, certains autres de la politique, d’autres enfin de la morale. Assoiffé de conquêtes et de pillages, le monde occidental actuel aurait une dilection particulière pour les croisades. Seuls les méthodes et les moyens sont différents, l’esprit qui anime l’impérialisme moderne demeure similaire à celui d’hier. D’autre part, les systèmes politiques mis en œuvre en Occident, qu’ils soient du reste issus du christianisme ou inspirés par d’autres doctrines, ressortissent pour l’islamisme à une forme périlleuse d’impiété et de rébellion contre les commandements de Dieu dont seul l’islam révèle et exprime la teneur authentique. Enfin, l’Occident se voit souvent accusé d’être la terre nourricière de l’immoralité, la tanière de la licence, le fourrier du vice et du stupre. Prédicateurs, imams, essayistes religieux tonnent souvent contre la « libéralisation des mœurs » en vigueur dans les pays occidentaux. Pour ne citer que des exemples récents, la légalisation du mariage homosexuel et la procréation assistée sont souvent cités en exemple de la dénaturation imposée par l’Occident à un «ordre naturel». Ainsi, selon l’un des principaux doctrinaires de l’islamisme militant, Sayyid Qûtb2 (pendu par le régime du colonel Nasser en août 1966), l’un des crimes de l’Occident est sa propension au colonialisme qui prend selon lui deux formes, la mission évangélisatrice ou la politique de la canonnière. « Parmi tous les crimes que commet le “monde libre”, il en est qui en ébranlent la conscience humaine ». Ces crimes sont perpétrés dans le dessein « de transmettre les principes de la civilisation occidentale ». Mais si on refuse ces principes et si on ne veut point « se civiliser par le fait des missions évangélisatrices », alors “le monde libre” vous contraindra à vous civiliser par « l’épée, les canons, les chars qui sont des moyens plus aptes sans doute à transmettre les principes de la civilisation aux différents peuples » écrit-il dans son livre majeur « Repères sur la voie3 » ajoutant que le « monde libre est la formule que donnent les colonialistes en Angleterre, en France et aux USA à ce bloc colonialiste qui combat contre le temps, qui lutte contre l’humanité et la liberté et qui s’attribue, tout compte fait, ce titre de “monde libre” » Au moment où S. Qûtb rédige son opus, il a conscience que l’humanité est au bord du précipice « en raison de sa faillite dans le monde des valeurs », valeurs à l’ombre desquelles il est possible à la vie humaine de se développer sainement » et cela, ajoute-t-il, est visible avec toute la clarté désirable dans un « Occident qui n’a plus rien à offrir en termes de “valeurs” à l’humanité ». Voilà pourquoi Sayyid Qûtb rejette le monde occidental, infécond, mais il n’en repousse pas moins le monde qui était souvent présenté comme l’alternative. « Dans le bloc de l’Est lui-même, les choses se présentent de façon similaire. Car les théories collectivistes, - au premier rang desquelles prend place le marxisme qui a attiré au début un nombre considérable (de partisans) à l’Est et à l’Ouest même en tant que système portant tous les caractères d’une doctrine -, a régressé d’une manière claire du point de vue du « concept » si bien que ce bloc tend à se réduire à « l’État » et à ses institutions. Le marxisme dans l’ensemble va à l’encontre de la prime nature humaine et ses exigences et ne peut croître que dans un milieu détruit ou un milieu accoutumé depuis longtemps à un régime despotique ». En somme, ni l’Ouest avec son régime démocratique, ni l’Est, avec son despotisme, ne peuvent apporter une solution satisfaisante à la crise des valeurs qui semble préoccuper si fort S. Qûtb.
Guidance de Dieu
C’est ainsi que le rôle historique de la civilisation occidentale est terminé. Non pas parce que cette civilisation aurait matériellement fait faillite ou parce que sa puissance économique et militaire connaîtrait un affaiblissement, mais parce qu’il ne lui reste rien à proposer dans le champ des valeurs qui lui permettrait de jouer le rôle de guide de l’humanité. D’où la conclusion de Qûtb, il faut à l’humanité une nouvelle guidance, et cette guidance, le mieux à même de l’incarner, c’est la religion musulmane. Pour deux raisons principales, d’abord contrairement à un régime djahilite, en islam, la souveraineté appartient à Dieu et à lui seul et non pas à la raison humaine, faillible et misérable, « nécessairement mauvaise lorsqu’elle contrevient aux commandements divins », et secondement, parce en islam, la source de toute souveraineté n’est pas le peuple, mais Dieu. Tout le mal, selon S. Qûtb, vient de ce que l’homme a usurpé des pouvoirs qui ne lui reviennent pas. C’est d’une forme d’hybris, de démesure, que naît la Djahiliya. « Cette Djâhiliyya se fonde sur un attentat contre le pouvoir de Dieu sur terre et contre ce qui définit le plus proprement parlant le caractère théologique de ce pouvoir, qui est la souveraineté. Cette Djâhiliya attribue cette souveraineté aux hommes, faisant de certains d’entre eux des seigneurs » et cet attentat contre la souveraineté divine ouvre la voie à un attentat contre les hommes. L’avilissement de l’homme dans les systèmes totalitaires et les ravages de la domination du capital « ne sont que des effets de cet attentat contre les pouvoirs de Dieu » et une conséquence de « la négation de la dignité accordée par Dieu aux hommes ». L’homme musulman ne peut que rejeter tout à la fois le capitalisme pour qui seul le critère marchand est opératoire et le système communiste qui réifie et écrase les hommes. En fait, le choix est entre l’islam et la Djâhiliyya, la société musulmane avec ses lois, ses valeurs, ses institutions et la société djahilite avec les siennes. Cette dernière peut se présenter sous l’aspect d’une société athée, qui propose par exemple une grille de lecture inspirée du matérialisme dialectique et se réclamant du « socialisme scientifique », elle peut tout aussi bien apparaître sous la forme d’une société religieuse, mais tendant à cantonner Dieu dans le royaume des cieux et le privant du gouvernement du monde. Par cela même qu’elle exclut Dieu de la direction du monde terrestre, qu’elle dissocie le ciel et la terre, cette société demeure djahilite, même si elle confesse l’existence de Dieu.
Ce n’est donc ni dans les sociétés capitalistes ni dans les sociétés socialistes que l’on trouvera la civilisation. De telles sociétés sont barbares et, du reste, on le voit à leurs effets, abaissement de l’homme, démesure scientifique et technologique, généralisation de la servitude, primat à la part animale de l’homme par le dérèglement des mœurs. « Les sociétés, écrit Qûtb, où dominent les valeurs, la morale et les tendances animales ne peuvent être des sociétés civilisées, quelle que soit leur supériorité industrielle, économique et scientifique ». C’est dans la société musulmane, antithèse de la société djahilite, que l’on trouvera la civilisation. C’est dans une société qui répudiant les idoles, les fameux tawaghît, et confessant la souveraineté de Dieu que les hommes pourront jouir de la véritable liberté, car cette société exclut la division entre les maîtres et les esclaves
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