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Espagne: après la chute de Rajoy, la «réhabilitation» du juge Garzón

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  • Espagne: après la chute de Rajoy, la «réhabilitation» du juge Garzón

    4 JUIN 2018 PAR ALICIA GUTIÉRREZ (INFOLIBRE)
    Il fut le premier des condamnés de l'affaire Gürtel, ce vaste réseau de corruption politique qui a entraîné la chute de Mariano Rajoy en Espagne. Le juge Baltasar Garzón avait été interdit d'exercer en 2012, pour avoir mené des écoutes illégales. Dans un entretien avec notre partenaire InfoLibre, il explique en quoi ce verdict a valeur de « réhabilitation ».


    Le coup était tombé en 2012 : la justice espagnole condamnait Baltasar Garzón à 11 ans d’interdiction d’exercer. Le juge, connu pour avoir tenté d’enquêter sur les disparus du franquisme en Espagne, était reconnu coupable d’avoir ordonné des écoutes de conversations entre des suspects incarcérés et leurs avocats, en violation des droits de la défense, dans le cadre d’une enquête sur un vaste réseau de corruption politique éclaboussant le Parti populaire (droite), el caso Gürtel.

    Dans leur verdict, les juges avaient comparé les méthodes de Garzón à celles de « régimes totalitaires où tout est considéré comme valable pour obtenir l’information recherchée ». Le juge vedette, lui, s’était défendu en expliquant qu’il soupçonnait les avocats en question d’aider leurs clients à blanchir des capitaux. Cette décision de la justice mettait à mal, d’après lui, « toute possibilité d’enquêter sur la corruption ».

    Six ans plus tard, le verdict du caso Gürtel, prononcé le 24 mai, a provoqué un séisme dans la politique espagnole. Il décrit un « système authentique et efficace de corruption institutionnalisée » sur la période 1999-2005 et prononce des peines cumulant 351 années de prison à l’encontre de vingt-neuf des trente-sept accusés. Outre les anciens cadres du PP sanctionnés, le parti de droite, en tant que personne morale, a lui aussi été condamné, considéré par les juges comme un bénéficiaire du réseau Gürtel. Quant à Mariano Rajoy, les juges ont émis des doutes sur la « crédibilité » de son témoignage. Pour le PP et Rajoy en particulier (qui préside le parti depuis 2004), la claque fut si forte qu’il en a perdu son poste, en fin de semaine dernière.

    Le juge Garzón, qui fut donc le premier condamné de l’affaire Gürtel, tient-il sa revanche ? Dans les 1 586 pages du verdict, les juges exonèrent leur ancien collègue, validant a posteriori les écoutes qu'il a menées. Garzón a accordé un long entretien au journal en ligne InfoLibre – partenaire de Mediapart en Espagne – publié dimanche 3 juin, et dont nous donnons ce lundi de larges extraits en français. « Après le verdict du caso Gürtel, l’Espagne est un autre pays », veut croire Garzón, qui voit dans ce verdict une forme de « réhabilitation » personnelle.

    Y a-t-il une forme de justice symbolique pour vous, dans le verdict de l’affaire Gürtel ?
    Il existe une sorte de compensation morale, d’une certaine manière. Je m’en rends compte lorsque des gens m’arrêtent dans la rue pour me féliciter, me dire qu’ils sont heureux pour moi aujourd’hui : « Mieux vaut tard que jamais », me disent-ils. Ils sous-entendent que le verdict de Gürtel compense l’injustice qu'à leurs yeux j’ai subie.
    […]

    Vous diriez que vous étiez l’homme à abattre, au début de l’enquête ?
    Sans aucun doute ! Vous en doutez encore ? […] Tout a commencé quand nous, les enquêteurs, avions l’intuition que certains faits étaient graves – sans être capables, à ce stade, de le démontrer. À partir de là, la machine s’est emballée, avec la complicité de certains médias qui ont rédigé des titres effroyables. Ma vie a fait l’objet d’une enquête intégrale, sur absolument tout : mes allers, mes retours... Des articles dégueulasses, que j’aurais eu honte d’avoir écrits, ont sali ma personne. Ils cherchaient à en finir avec le juge, mais aussi avec ma propre personne et ma capacité de résistance. Mais ils n’y sont pas arrivés.

    Parce que finalement, d’une certaine manière, on finit par s’y habituer. C’est à ce moment-là que le Parti populaire convoqua la fameuse réunion de toute la direction du PP pour mettre en place leur élément de langage : Gürtel n’est pas une affaire du PP mais un complot dirigé contre lui. Je ne veux pas tomber dans la facilité, mais regardez où nous en sommes aujourd’hui…

    À l’époque, vous soupçonniez déjà l’existence d’un « véritable système efficace de corruption institutionnelle », comme l’établit aujourd’hui le verdict ?
    À ce stade de l’enquête, nous déduisions déjà des faits très graves qui touchaient directement la hiérarchie du parti, les personnes comme les structures du PP.
    […]

    Pensez-vous que Mariano Rajoy avait connaissance dès cette époque de l’étendue de la corruption ?
    Il faudrait le demander directement à Mariano Rajoy. Mais, si l’on s’en tient aux éléments dont nous disposions à l’époque – et j’imagine que d’autres éléments vont encore faire surface [l’affaire connexe liée à l’ex-trésorier du PP Luis Bárcenas doit encore être jugée – ndlr] –, mais aussi à ce que dit le verdict aujourd’hui, oui, il avait connaissance de quelque chose. La question, c’est de savoir à quel niveau. […]

    Ce que dit le verdict, c’est que depuis 1989, il existait une comptabilité parallèle au sein du PP, et qu’il y avait aussi un système de corruption institutionnalisé. C’est ainsi que cela fonctionne en 1989, l’année de création du PP, parce qu’avant c’était encore l’Alliance populaire. On peut donc dire qu’il y a, depuis la fondation du PP, une séquence, un modus operandi, que le verdict met au jour.

    « La motion de censure à Rajoy était une question de dignité »
    Pourquoi José María Aznar [ex-président du gouvernement et ancien président du PP] et Rajoy n'ont-ils jamais fait l'objet d'une enquête propre ?
    C’est facile à expliquer. Dans une procédure pénale, ce qui compte avant tout, ce sont les indices et les preuves. Vous ne pouvez pas les inventer. Au cours de l'enquête, il n'y a pas eu suffisamment d’indices ni de preuves collectés pour établir leur responsabilité. Je dirai même plus : à l'époque où j'étais juge d’instruction, aucun indice n’allait en ce sens.

    Ce n’est que plus tard, lorsque ont été publiés ce qu’on a appelé les “documents de Bárcenas” [les cahiers de comptabilité de l’ancien trésorier du PP, qui prouvent des financements parallèles du PP – ndlr], que de nouveaux indices ont émergé et que des personnes mises en examen ont produit certaines déclarations, qui ont permis d'effectuer des déductions qui auraient pu déboucher sur une enquête [visant Aznar et/ou Rajoy]. Mais la personne chargée, à l’époque, d’évaluer ces documents n’a pas non plus jugé ces éléments suffisants pour déclencher cette enquête.
    […]

    Que pensez-vous de la polémique autour de la déclaration de Rajoy en tant que témoin [qui avait été autorisé à témoigner en 2017 assis à une table, plutôt que comme un témoin ordinaire]?
    Si un tribunal décide à la majorité de faire comparaître comme témoin qualifié le président du gouvernement, qui n'occupait pas ce poste au moment des faits incriminés, je ne vois vraiment pas en quoi il y a matière à polémique.

    Mais on prend forcément le risque qu’il se passe ce qu’il s’est passé : certains ont émis des doutes face à ce traitement de faveur qui laisse penser que nous ne sommes pas tous égaux devant la loi. D’un point de vue politique, ce fut aussi une maladresse de la part des conseillers de Rajoy. Il aurait dû déclarer dans la même position que n’importe quel témoin, ce qui lui aurait évité beaucoup de critiques.
    Et maintenant, les juges mettent en cause la ‘crédibilité’ de son témoignage. C’est grave, certes, mais c’est aussi logique. Est-ce que cela veut dire qu’il a livré un faux témoignage ? Non, cela n’a rien à voir. Les juges disent simplement qu’ils n’ont pas cru ce qu’il disait. Et ils ne l’ont pas cru soit parce qu’il n’a pas su s’expliquer, soit parce qu’il n’a pas été suffisamment explicite, soit parce qu’il n’a pas pu aborder certains sujets qui l’auraient peut-être amené à être interrogé par les juges sous une autre qualité que celle de témoin.

    En tant qu’accusé ?
    Oui.

    Ce risque a existé ?
    Non, je donnais un exemple à titre général.

    Quant à vous, allez-vous enclencher un mécanisme pour…
    Non…

    Je n’ai pas terminé la question.
    Mon métier de juge fait que j’ai compris : nous, les juges, nous déduisons.

    Vous n’allez rien entreprendre pour récupérer votre robe ?
    Il n’est plus possible de faire appel d’aucune décision. Les voies judiciaires sont épuisées.

    Il n’y a pas de réhabilitation possible ?
    Non. Je m’acquitte de ma condamnation.

    Je faisais référence à une réhabilitation morale, personnelle.
    Ce verdit est ma réhabilitation. Je m’y attendais parce que les juges devaient se prononcer sur l’instruction. Et ils se prononcent en effet : ils disent que les arrestations étaient fondées, tout comme la prison, les enregistrements et l’interception des communications. Ils disent aussi que si certaines de ces communications, celles qui ont été enregistrées à l’intérieur de la prison, avaient pu affaiblir les droits de la défense, elles auraient été expurgées par le juge d’instruction. Sur ce point, le verdict est unanime. Il n’y a eu aucun désaccord entre les juges. Donc, si nous avions attendu le verdict définitif de l’affaire Gürtel avant d’organiser mon procès par le Tribunal suprême, ce procès aurait abouti à un non-lieu.

    Nous avons réalisé cet entretien avant le vote de la motion de censure vendredi 1er juin [qui a abouti à la chute du gouvernement Rajoy]. Est-ce que vous pensez que l’Espagne sera un pays différent après le vote ?
    L’Espagne est déjà un pays différent après le verdict du caso Gürtel et la vague d’indignation généralisée qu’il a provoquée au sein de la population et de la classe politique. Indépendamment du parti qui l'a portée, cette motion de censure était une question de dignité, de qualité démocratique et d’éthique. Il n’y avait rien d’autre à faire. Dire oui ou non à la corruption.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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