«Lorsqu'on a une maladie mal connue ou difficile à diagnostiquer, la vie devient un labyrinthe.»
Il était l’un des plus grands astrophysiciens de ce siècle. Stephen Hawking, décédé le 14 mars 2018, était aussi le plus célèbre des patients atteints de la maladie de Charcot. Une maladie rare comme il en existe plus de 5.000 en France. Plus de trois millions de Français et Françaises sont concernées par ces pathologies à 97% orphelines, c’est-à-dire sans traitement curatif. Chaque année, on en découvre de nouvelles. Si Charcot ou la mucoviscidose sont les plus connues, qui a déjà entendu parler du syndrome d’Ambras –environ quarante cas dans le monde– ou de la maladie de Mowat-Wilson –171 patientes et patients concernés dans le monde– ou encore du syndrome de Marfan –qui affecte 12.000 Français et Françaises? D’autres maladies, non considérées comme rares, touchent encore plus de monde, comme la maladie de Verneuil –600.000 malades en France– ou la fibromyalgie –1,5 million de personnes en France–, mais restent tout aussi mal connues.
«Je me suis demandé si je ne devenais pas folle»
Élodie Devin a 35 ans. Elle habite dans l’Ain, avec son compagnon et la famille de ce dernier, la seule qui lui reste. Avant son arrêt maladie pour burn-out en septembre 2015, elle exerçait comme clerc de notaire et remplissait ses journées d’une multitude d’activités. Mais sa vie a bien changé. Il a fallu plus d’un an pour nommer sa maladie: la fibromyalgie. Cette pathologie associe des douleurs musculaires et articulaires diffuses, une fatigue, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs mineurs et des troubles de l'humeur d'intensité variable et d'évolution chronique. Sa cause est inconnue, même si l’on suspecte une origine liée à une anomalie de fonctionnement du système nerveux central.
Chaque jour, Élodie lutte contre les symptômes de sa maladie mais aussi contre son entourage. «Ce n’est pas évident d’avoir une pathologie qui ne se guérit pas. Il faut s’adapter, apprendre à vivre avec, changer de métier… et, en plus, on est victime du regard des autres.» Sa souffrance est niée par les médecins: «D’un côté, les “fibrosceptiques” pensent que cette maladie est une vue de l’esprit. De l’autre il y a ceux qui disent que, de toute façon, on ne peut pas diagnostiquer la fibromyalgie puisqu’elle ne se voit pas sur une IRM.»
Ce regard incrédule des proches va jusqu’à faire douter le patient. Ressent-il vraiment les douleurs qui le clouent au lit? Ou ne sont-elles que le fruit de son imagination? Christelle Petit, 48 ans, est elle aussi atteinte de fibromyalgie. Cette femme divorcée, mère d’une fille de 11 ans, habite en Ardèche, au cœur du bassin privadois. De 2009 à 2012, elle a erré de cabinet médical en cabinet médical. «Je me suis demandé si je ne devenais pas folle», relate-t-elle d’une voix tremblante.
«Je me suis retrouvée une première fois à l'hôpital, raconte-t-elle. Mes parents sont venus me voir et m’ont demandé de me secouer. Ils m’ont dit que j’avais une fille, un mari, un travail. Ils ne comprenaient pas pourquoi ça n’allait pas. Il disaient que j’avais tout pour être heureuse, que la vie est dure pour tous et que je devais arrêter d'être fatiguée.» Sa voix ne tremble plus, mais son ton traduit l’effarement devant si peu de compassion. «Ma mère a 72 ans, mon père en a 80. Ils disent qu’ils ont de l’arthrose mais que pourtant ils ne restent pas dans un fauteuil comme moi. Quand j’ai dit à mes parents que j’étais en arrêt maladie, ils m’ont répondu: “c’est n’importe quoi, tu vas perdre ton boulot!”.» Comme si elle avait le choix.
«Être cru, c’est compliqué», confirme Aurélie Buisine, vaillante Dunkerquoise de 36 ans. Elle est atteinte de la maladie de Verneuil, une maladie chronique de la peau qui se manifeste par des nodules douloureux et des abcès. Aux Esseintes, en Gironde, pour Christelle Cologni, 47 ans et atteinte de la même maladie, les doutes de l’entourage se sont transformés en accusations: «J’étais toute seule. Même ma famille disait que mes maux étaient de ma faute, que ma maladie était dans ma tête, que c’était nerveux.»
Pour dissiper le doute dans l’esprit des proches, il faudrait raconter, expliquer, détailler. Tâche anodine s’il en est. Et pourtant d’une difficulté phénoménale. Des abcès sous les bras, sous les seins, sur les fesses, sur les parties génitales… On ne parle pas de la maladie de Verneuil comme de la pluie et du beau temps. «Beaucoup de gens ont honte de cette maladie, surtout quand elle touche la partie basse du corps, on n’ose pas en parler», souligne Hélène Raynal, la présidente de Solidarité Verneuil. Cette pathologie gênante peut se déclarer n’importe quand, y compris à l’âge où le corps se transforme et où les complexes assaillent la jeunesse. «J’ai eu mes premiers symptômes à 15 ans», témoigne Charlotte Brackers de Hugo, aujourd’hui âgée de 35 ans et attachée commerciale à Lyon. «Au début, je n’ai pas demandé d’avis médical, car j’avais honte de mes abcès sur les fesses. Je n’ai rien dit. Ce genre de symptômes, ce ne sont pas des choses dont on parle en repas de famille, surtout quand on est ado.»
Des maladies épuisantes
La vie de famille résiste plus ou moins bien à l’irruption de cette maladie sans nom. «J’ai connu des malades abandonnés par leur conjoint. Lorsque la maladie de Verneuil touche les parties sexuelles, cela empêche d’avoir des relations», confie Aurélie Buisine, la voix à demi-brisée. Pour Christelle Petit, la fibromyalgie se dressait constamment entre elle et des tâches ménagères courantes. «Il a fallu que j'apprenne à dire à mon entourage “non, ça, je ne peux pas le faire”. Ça m’a coûté mon mariage. Mon mari se mettait dans une colère folle parce que je ne pouvais pas passer l’aspirateur ou laver le linge.»
Fainéante, geignarde, jamais contente… Les qualificatifs négatifs pleuvent et coupent de toute vie sociale. «Vous n’arrivez pas à avoir de vrais moments joyeux quand vous avez une fibromyalgie, regrette Christelle Petit. Moi, j’aime rencontrer du monde. Mais à partir de 22 heures, les douleurs deviennent insupportables, je n’ai plus envie de parler à personne!»
«Avec des douleurs 24 heures sur 24, on perd son énergie, son sommeil, sa clarté de pensée», remarque Frida Spagnol, 50 ans, atteinte de la même maladie. Cette Américaine installée en France limite ses journées à sa vie de famille. Mais les patients et patientes doivent se débrouiller pour mener une vie la plus ordinaire possible. Beaucoup de pathologies mal connues ou rares sont invalidantes. «Dès que je fais quelque chose, même des activités anodines comme aller au restaurant ou voir des proches, il me faut une semaine pour récupérer», raconte Elodie Devin. En écho, Frida Spagnol ajoute: «Ma journée dure quatre ou cinq heures, au-delà je ne peux plus rien faire.»
De son côté, Christelle Petit a dû adapter son quotidien. «Vous pouvez avoir une vie presque normale avec la fibromyalgie, mais vous ne pouvez plus dire “aujourd’hui, je nettoie ma maison du sol au plafond toute la journée”. Si je fais ça, je ne bouge plus pendant deux semaines! Il faut apprendre à doser ses efforts, prendre les choses petits bouts par petits bouts. C’est très dur.»
Il était l’un des plus grands astrophysiciens de ce siècle. Stephen Hawking, décédé le 14 mars 2018, était aussi le plus célèbre des patients atteints de la maladie de Charcot. Une maladie rare comme il en existe plus de 5.000 en France. Plus de trois millions de Français et Françaises sont concernées par ces pathologies à 97% orphelines, c’est-à-dire sans traitement curatif. Chaque année, on en découvre de nouvelles. Si Charcot ou la mucoviscidose sont les plus connues, qui a déjà entendu parler du syndrome d’Ambras –environ quarante cas dans le monde– ou de la maladie de Mowat-Wilson –171 patientes et patients concernés dans le monde– ou encore du syndrome de Marfan –qui affecte 12.000 Français et Françaises? D’autres maladies, non considérées comme rares, touchent encore plus de monde, comme la maladie de Verneuil –600.000 malades en France– ou la fibromyalgie –1,5 million de personnes en France–, mais restent tout aussi mal connues.
«Je me suis demandé si je ne devenais pas folle»
Élodie Devin a 35 ans. Elle habite dans l’Ain, avec son compagnon et la famille de ce dernier, la seule qui lui reste. Avant son arrêt maladie pour burn-out en septembre 2015, elle exerçait comme clerc de notaire et remplissait ses journées d’une multitude d’activités. Mais sa vie a bien changé. Il a fallu plus d’un an pour nommer sa maladie: la fibromyalgie. Cette pathologie associe des douleurs musculaires et articulaires diffuses, une fatigue, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs mineurs et des troubles de l'humeur d'intensité variable et d'évolution chronique. Sa cause est inconnue, même si l’on suspecte une origine liée à une anomalie de fonctionnement du système nerveux central.
Chaque jour, Élodie lutte contre les symptômes de sa maladie mais aussi contre son entourage. «Ce n’est pas évident d’avoir une pathologie qui ne se guérit pas. Il faut s’adapter, apprendre à vivre avec, changer de métier… et, en plus, on est victime du regard des autres.» Sa souffrance est niée par les médecins: «D’un côté, les “fibrosceptiques” pensent que cette maladie est une vue de l’esprit. De l’autre il y a ceux qui disent que, de toute façon, on ne peut pas diagnostiquer la fibromyalgie puisqu’elle ne se voit pas sur une IRM.»
Ce regard incrédule des proches va jusqu’à faire douter le patient. Ressent-il vraiment les douleurs qui le clouent au lit? Ou ne sont-elles que le fruit de son imagination? Christelle Petit, 48 ans, est elle aussi atteinte de fibromyalgie. Cette femme divorcée, mère d’une fille de 11 ans, habite en Ardèche, au cœur du bassin privadois. De 2009 à 2012, elle a erré de cabinet médical en cabinet médical. «Je me suis demandé si je ne devenais pas folle», relate-t-elle d’une voix tremblante.
«Je me suis retrouvée une première fois à l'hôpital, raconte-t-elle. Mes parents sont venus me voir et m’ont demandé de me secouer. Ils m’ont dit que j’avais une fille, un mari, un travail. Ils ne comprenaient pas pourquoi ça n’allait pas. Il disaient que j’avais tout pour être heureuse, que la vie est dure pour tous et que je devais arrêter d'être fatiguée.» Sa voix ne tremble plus, mais son ton traduit l’effarement devant si peu de compassion. «Ma mère a 72 ans, mon père en a 80. Ils disent qu’ils ont de l’arthrose mais que pourtant ils ne restent pas dans un fauteuil comme moi. Quand j’ai dit à mes parents que j’étais en arrêt maladie, ils m’ont répondu: “c’est n’importe quoi, tu vas perdre ton boulot!”.» Comme si elle avait le choix.
«Être cru, c’est compliqué», confirme Aurélie Buisine, vaillante Dunkerquoise de 36 ans. Elle est atteinte de la maladie de Verneuil, une maladie chronique de la peau qui se manifeste par des nodules douloureux et des abcès. Aux Esseintes, en Gironde, pour Christelle Cologni, 47 ans et atteinte de la même maladie, les doutes de l’entourage se sont transformés en accusations: «J’étais toute seule. Même ma famille disait que mes maux étaient de ma faute, que ma maladie était dans ma tête, que c’était nerveux.»
Pour dissiper le doute dans l’esprit des proches, il faudrait raconter, expliquer, détailler. Tâche anodine s’il en est. Et pourtant d’une difficulté phénoménale. Des abcès sous les bras, sous les seins, sur les fesses, sur les parties génitales… On ne parle pas de la maladie de Verneuil comme de la pluie et du beau temps. «Beaucoup de gens ont honte de cette maladie, surtout quand elle touche la partie basse du corps, on n’ose pas en parler», souligne Hélène Raynal, la présidente de Solidarité Verneuil. Cette pathologie gênante peut se déclarer n’importe quand, y compris à l’âge où le corps se transforme et où les complexes assaillent la jeunesse. «J’ai eu mes premiers symptômes à 15 ans», témoigne Charlotte Brackers de Hugo, aujourd’hui âgée de 35 ans et attachée commerciale à Lyon. «Au début, je n’ai pas demandé d’avis médical, car j’avais honte de mes abcès sur les fesses. Je n’ai rien dit. Ce genre de symptômes, ce ne sont pas des choses dont on parle en repas de famille, surtout quand on est ado.»
Des maladies épuisantes
La vie de famille résiste plus ou moins bien à l’irruption de cette maladie sans nom. «J’ai connu des malades abandonnés par leur conjoint. Lorsque la maladie de Verneuil touche les parties sexuelles, cela empêche d’avoir des relations», confie Aurélie Buisine, la voix à demi-brisée. Pour Christelle Petit, la fibromyalgie se dressait constamment entre elle et des tâches ménagères courantes. «Il a fallu que j'apprenne à dire à mon entourage “non, ça, je ne peux pas le faire”. Ça m’a coûté mon mariage. Mon mari se mettait dans une colère folle parce que je ne pouvais pas passer l’aspirateur ou laver le linge.»
Fainéante, geignarde, jamais contente… Les qualificatifs négatifs pleuvent et coupent de toute vie sociale. «Vous n’arrivez pas à avoir de vrais moments joyeux quand vous avez une fibromyalgie, regrette Christelle Petit. Moi, j’aime rencontrer du monde. Mais à partir de 22 heures, les douleurs deviennent insupportables, je n’ai plus envie de parler à personne!»
«Avec des douleurs 24 heures sur 24, on perd son énergie, son sommeil, sa clarté de pensée», remarque Frida Spagnol, 50 ans, atteinte de la même maladie. Cette Américaine installée en France limite ses journées à sa vie de famille. Mais les patients et patientes doivent se débrouiller pour mener une vie la plus ordinaire possible. Beaucoup de pathologies mal connues ou rares sont invalidantes. «Dès que je fais quelque chose, même des activités anodines comme aller au restaurant ou voir des proches, il me faut une semaine pour récupérer», raconte Elodie Devin. En écho, Frida Spagnol ajoute: «Ma journée dure quatre ou cinq heures, au-delà je ne peux plus rien faire.»
De son côté, Christelle Petit a dû adapter son quotidien. «Vous pouvez avoir une vie presque normale avec la fibromyalgie, mais vous ne pouvez plus dire “aujourd’hui, je nettoie ma maison du sol au plafond toute la journée”. Si je fais ça, je ne bouge plus pendant deux semaines! Il faut apprendre à doser ses efforts, prendre les choses petits bouts par petits bouts. C’est très dur.»
Commentaire