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Qui audite les auditeurs ?

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  • Qui audite les auditeurs ?

    Le livre ‘The triumph of the accountants and how they broke capitalism’ dresse un constat sévère des carences des cabinets d'audits et dénonce “l’oligopole monstrueux’ des big four

    Depuis l’ère victorienne, qui a inventé l’audit moderne pour contrôler financièrement les entrepreneurs aventureux qui avaient créé le système ferroviaire britannique, des observateurs inquiets se sont demandé quels intérêts servent vraiment ces longues colonnes de chiffres. Ceux de l’investisseur, qui doit s’en remettre à eux pour surveiller son précieux capital ? Ou ceux de l’entreprise et ses patrons, qui nomment et rémunèrent le comptable ? C’est un conflit qui aurait plu au poète satirique romain Juvenal. Car cela pose sa vieille question “Quis custodiet ipsos custodes ?” (Qui surveille les surveillants ?).

    Les tentatives de réponse à cette question n’ont abouti qu’à d’élégants faux-fuyants, et pas grand-chose de plus. Des erreurs comptables ont été fatales à de grandes fortunes et ont montré que des entreprises en apparence colossales n’étaient en fait que des fictions validées par des audits. Mais la profession continue sereinement son chemin, en jetant rarement un regard en arrière. Quand les comptables ont été mis en cause par le Congrès américain après les pertes énormes et les documents comptables incohérents qui ont marqué l’implosion de Wall Street en 1929, Arthur Carter, associé chez Haskins & Sells, s’est vu demander par un sénateur en colère qui avait contrôlé le travail de sa profession. “Notre conscience” répondit le bureaucrate comptable sans rougir.

    Neuf décennies plus tard, Richard Brooks, journaliste du magazine britannique ‘Private Eye’ et ancien inspecteur des impôts, fait face à la même énigme dans son livre ‘Bean Counters’. La nouvelle crise financière de 2007 a révélé les fautes de notre génération de professionnels du chiffre. La vente à découvert des hedge funds a rapporté des milliards en s’appuyant sur des actifs toxiques dans les bilans des banques, mais les auditeurs ont continué à signer allègrement les certificats d’audit de ces mêmes institutions. La fameuse “conscience” citée par Arthur Carter semble avoir été enterrée sous de gros chèques. En 2008, la Royal Bank of Scotland s’est effondrée dans les bras des contribuables malgré des comptes toujours impeccables : ses auditeurs, du cabinet Deloitte, ont touché 59 millions de livres sterling d’honoraires versés par cette banque en difficulté.

    Pourquoi les auditeurs ont-ils tant de mal à servir leurs maîtres ? Richard Brooks retrace le conflit depuis les débuts de la comptabilité à double entrée. Dans son texte fondateur, ‘Particularis de Computis et Scripturis’, le “père de la comptabilité” Luca Bartolomeo de Pacioli, un mathématicien florentin de la Renaissance, a peut-être inventé le premier trucage comptable. Considérant comment un commerçant pourrait évaluer les marchandises invendues, il a conseillé d’augmenter les prix plutôt que de les baisser. Par exemple, “s’il vous semble que [les objets] valent 20, vous mettez 24 pour faire un plus grand profit”. C’est ainsi que les tentations de la comptabilité “mark-to-model” sont apparues en 1494.

    Tous les comptables n’ont pas été la proie de ces pulsions. Richard Brooks consacre plus de temps aux premiers auditeurs modernes : les grands comptables moustachus de l’ère victorienne qui ont donné naissance aux géants actuels de la comptabilité. Ils avaient construit leurs pratiques sur fond de résistance aux grandes escroqueries boursières au XIXe siècle, aux promotions douteuses du chemin de fer et aux spéculations outre-mer, évoquées dans le roman satirique ‘The Way We Live Now’ (‘Quelle époque !’) d’Anthony Trollope en 1875.

    Peat, Price et Waterhouse se présentaient comme étant du côté de l’investisseur honnête. James Marwick, l’un des fondateurs du cabinet qui allait devenir KPMG, a fait sa réputation en découvrant une fraude hypothécaire dans les années 1890 à New York (Richard Brooks relève l’ironie : un siècle plus tard, KPMG a été accusé d’avoir contribué à la catastrophe des subprimes aux États-Unis).
    Après avoir hésité, le gouvernement britannique a réagi en rendant les audits obligatoires. Comme les médecins et les avocats, les comptables ont pu créer leurs propres organismes professionnels de part et d’autre de l’Atlantique. Bien à l’abri dans leurs places fortes, les comptables ont continué à dominer le monde des nombres.

    Mais comment les choses ont-elles dégénéré ? La première accusation de Richard Brooks est que cette génération de professionnels a oublié la morale qui lui servait de boussole à l’époque victorienne. Tout en se faisant passer pour des professionnels, ils se sont mis à rechercher de nouvelles sources de profit, poussés par des impératifs commerciaux. Les comptables se sont transformés en “fournisseurs de services professionnels dans le monde entier”. Cela les a rendus de plus en plus dépendants d’un groupe unique de clients. Simon Collins, directeur de KPMG au Royaume-Uni, pourrait encore dire, comme il l’a fait en 2015, qu’il “préfère rompre n’importe quelle relation de conseil si cela nous épargne de faire un mauvais audit”, mais les chiffres le contredisent. Les quatre plus grands cabinets de comptabilité ne tirent plus que 39 % de leurs revenus globaux de l’audit. Au Royaume-Uni, le pourcentage n’est plus que de 21 %.

    Les comptables n’ont jamais hésité à contourner les règles pour gagner de l’argent. Brooks note comment, dans les années 1950, ils ont assoupli les règles de prudence qui obligeaient les entreprises à imputer sur leurs bénéfices l’écart d’acquisition (la différence entre le prix payé et la valeur nette des immobilisations corporelles achetées). Les changements apportés aux transactions font apparaître ces opérations comme plus rentables, ce qui encourage le business lucratif des prises de contrôle.

    La gymnastique morale et réglementaire d’aujourd’hui est beaucoup plus insidieuse. La généralisation des pratiques comptables a amené la profession à fusionner pour devenir les “Big Four”, et à créer ainsi une situation de domination malsaine qui les voient étendre leurs tentacules non seulement dans les grandes entreprises, mais aussi au gouvernement et dans les organismes de réglementation, de plus en plus naïfs. “Leurs anciens employés contrôlent les organismes de contrôle internationaux et nationaux, ils s’assurent que les règles du jeu conviennent aux grands cabinets comptables et à leurs clients”, écrit Brooks.

    Il en résulte une épidémie d’assouplissements des règles, d’irresponsabilité et d’arbitrages réglementaires manifestes qui empeste l’impunité. L’idée que les auditeurs doivent faire preuve de prudence et de conservatisme a été commodément diluée dans une mentalité de cases à cocher, pour réduire l’éventualité de litiges indésirables.

    Des innovations telles que la “juste valeur” (qui consiste en une version informatisée du trucage de Luca Pacioli) conduisent à abandonner des disciplines prudentielles traditionnelles qui sous-tendent la valeur du bilan. Elles donnent trop de latitude aux entreprises qui sont de gros clients pour choisir les chiffres qui conviennent à leur bilan, ou pour assurer la meilleure rémunération possible à leur patron dans le cadre du système de bonus à long terme.

    L’effondrement récent du groupe Carillion montre à quel point certaines comptabilités modernes peuvent être fantaisistes. Quelques semaines seulement après avoir annoncé des bénéfices de 150 millions de livres sterling, la société britannique d’info-gérance a réduit la valeur de ses contrats de BTP d’1,2 milliard de livres sterling, effaçant non seulement le bénéfice de cette année-là, mais aussi celui des cinq années précédentes.

    Brooks souligne également que les “Big four” se sont lancés dans de nouveaux secteurs, avec ce que cela comporte de conflits d’intérêts. Par exemple, ils sont devenus des conseillers clés auprès des gouvernements sur des questions telles que l’externalisation et la privatisation des services. Alors que les principaux soumissionnaires sont aussi leurs plus gros clients. “La proximité constante avec leurs clients ayant des intérêts particuliers… ne peut que biaiser leur réflexion” souligne Richard Brooks. La taille gigantesque des Big four fait que cela n’est pas seulement mauvais pour la profession. En fin de compte, cela fausse des décisions qui affectent également des économies entières.

    Bien sûr, Brooks n’est pas un témoin totalement impartial. De temps en temps, ses préférences politiques apparaissent, par exemple lorsqu’il dénonce la façon dont les comptables ont répandu la pensée “néo-libérale” dans le monde. La situation n’est pas non plus toujours aussi désespérée que son livre le dit. Comme il le souligne lui-même, la qualité de l’audit s’est légèrement améliorée au Royaume-Uni. Le régulateur a noté 67 % des audits d’entreprises du FTSE350 comme “bons” ou “nécessitant seulement des améliorations limitées”. C’était 48 % il y a cinq ans. En revanche, il n’aborde jamais vraiment la question de savoir pourquoi les actionnaires n’insistent pas pour obtenir des audits de meilleure qualité – c’est certainement une partie du problème.

    Mais le ton général du livre est sobre, et les remèdes suggérés, bien que sévères, ne sont pas totalement disproportionnés. Après tout, la débâcle de Carillion a déjà déclenché de vigoureux appels en faveur d’une mise au pas des Big four par les politiques et les régulateurs. En fin de compte, Richard Brooks pense que la comptabilité est beaucoup trop importante pour être laissée aux comptables. Leurs tentations devraient être réduites en séparant les revenus des missions de conseil des revenus de l’audit financier, et les Big Four devraient être démantelés pour limiter leur pouvoir. Enfin, un organisme de réglementation plus sévère et plus indépendant devrait être mis en place.

    Sa proposition la plus radicale est que leurs clients les plus puissants et les plus importants sur le plan systémique, les grandes banques, ne devraient pas faire certifier leurs comptes par des sociétés privées, mais par un organisme public. Cela rendrait la procédure comptable la plus importante de toutes “démocratiquement responsable, en veillant à ce qu’elle soit effectuée dans l’intérêt public plutôt que dans l’intérêt privé”.

    ‘Bean Counters’ n’est pas une entreprise de démolition. “L’histoire [des comptables] montre que lorsqu’ils sont objectifs et courageux, ils rendent le monde meilleur”, écrit l’auteur. La question est donc de savoir comment faire pour qu’ils restent impartiaux.

    Jusque-là, nous avons essayé le “laissez-faire” avec des résultats sans doute prévisibles : un oligopole monstrueux en est sorti. Pour arriver à le dompter, il faudra plus que de l’espoir et des bonnes intentions. Il est peut-être temps de mettre fin aux manoeuvres et faux-fuyants de la profession et de trouver enfin un moyen pérenne de surveiller ceux qui sont chargés de surveiller les comptes.

    ‘Bean Counters. The Triumph of the Accountants and How They Broke Capitalism’ par Richard Brooks, Atlantic Books, 342 pages

    le NE

  • #2
    Merci pour l'article , c'est super intéressant



    J'ai jamais compris pourquoi c'est pas une activité limité à l'état. je pense qu'il y a eu des amélioration avec la séparation des activité entre conseillé et auditeur mais je continue a croire que c'est une acivite qui doit être dans les mains de l'etat.
    شبابنا ساهي متزنك في المقاهي مبنك

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    • #3
      L'affaire Enron a levé le voile sur ces compromissions plus que condamnables
      .
      .
      ''La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l'opulence ne sera plus oppressive''
      Napoléon III

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