Depuis sa création, la Coupe du monde a témoigné de son allégeance à l’égard des systèmes politiques dominants.
par Patrick Vassort
Le Monde diplomatiqueHistoire politique de la Coupe↑
En tant que fait social total, la Coupe du monde relève du politique (1). Pour les raisons suivantes :
1. Tout spectacle produit un effet de masse qui est l’un des paramètres de la manipulation des foules. Les totémisations, les ritualisations, l’existence de cérémonies de forme « sacrificielle », la reconstitution d’émotions « primitives » de masse, entraînent la reconnaissance institutionnelle et la réalisation de sentiments nationalistes, par la création d’une « masse-meute sportive » (2) dont l’imaginaire se rallie à un nous générique factice qui peut devenir violent et dangereux ;
2. Le spectacle sportif possède une fonction d’appareil idéologique d’Etat. Il détourne les populations dominées de leurs propres intérêts de classe ;
3. Il possède une fonction de désidéologisation. Le temps de la Coupe du monde est un temps qui se désire apolitique ;
4. Le spectacle sportif possède une fonction de légitimation de l’ordre existant. Celle-ci trouve sa réalité au sein même de la philosophie sportive, de la lutte de « tous contre tous », réglée par la notion de fair-play c’est-à-dire l’acceptation de la loi du plus fort et du progrès physique sportif.
L’histoire de la Coupe montre l’efficience de ces quatre fonctions. Les compétitions de 1934, 1938 et 1978, démontrent l’existence de liens réels entre la pratique footballistique et les systèmes politiques dictatoriaux. En 1934, la Coupe du monde a lieu en Italie, Benito Mussolini est premier ministre depuis 1921 et exerce sa dictature depuis 1925. La désignation de ce pays en tant qu’organisateur n’est pas un hasard. Cette compétition va permettre au parti fasciste d’organiser sa propagande. Le général Vaccaro, président de la Fédération italienne de football, affirmera : « Le but ultime de la manifestation sera de montrer à l’univers ce qu’est l’idéal fasciste du sport (3). » Les matches se joueront dans un climat fanatisé et politisé. Jacques de Ryswick note que « par la victoire finale de la Squadra azzura, c’est le triomphe de l’Italie fasciste qui doit être magnifié (4) » !
On voit alors le double lien existant entre fascisme et football, d’une part l’utilisation du football par le fascisme afin de légitimer le régime, d’autre part l’utilisation du fascisme par le football afin de démontrer l’efficience de la formation sportive au service d’une société d’ordre.
« Des temples sortis du sol »
Ainsi les matches sont disputés dans, des stades qui, pour deux d’entre eux, portent les noms symptomatiques de Stade du parti fasciste (Rome) et Stade Mussolini (Turin, où s’entraîne toujours la Juventus). Maurice Pefferkorn note que « ces temples sont sortis du sol comme par enchantement et témoignent de l’ardente foi du peuple entier pour la religion nouvelle (5) ». De quelle religion s’agit-il ? Du football ou du fascisme ? Les affiches officielles ne montrent-elles pas un footballeur effectuant le salut fasciste ? La mise en scène footballistique se double de la mise en scène fasciste dans une imbrication idéologique puisque toutes deux veulent former une surhumanité, un uomo fascista (6).
La Coupe du monde redouble la propagande fasciste au point que le Corriere della Sera du 9 juin 1934 écrira : « Toute une Nation s’exalte pour l’équipe nationale qui descend sur le terrain ; ce sont les couleurs du drapeau qui font tressaillir les cœurs et briller les yeux (7). » Faisant écho à Serge Tchakhotine qui, note à propos de la propagande nationale-socialiste : « Lorsqu’il s’agissait d’intimider les adversaires et les passifs, et de remplir de courage ses propres partisans, on devait surtout avoir recours à la guérilla par symboles, à la guerre des drapeaux, aux affiches, aux manifestations, aux défilés avec des chars symboliques... (8). » Jules Rimet témoigne ainsi de la philosophie de la victoire italienne : « Sortir premier d’une épreuve où sont en concurrence les meilleurs parmi les joueurs de balle de tous les pays, c ’est prouver son courage et honorer sa Patrie. La Fédération italienne du jeu de balle et son équipe nationale ont donné cet exemple, si ce n’est cette leçon, en organisant et en gagnant la Coupe du monde de 1934. Je les en félicite et j’admire la foi capable de susciter de telles vertus (9). » Le football légitime le pouvoir mussolinien.
La Coupe du monde de 1938 se déroulera en France. Le pouvoir footballistique va montrer à cette occasion toute sa sympathie pour les régimes totalitaires. L’Italie est toujours fasciste, la guerre d’Espagne poursuit son cours et, le 11 mars 1938, Hitler, à la tête de ses troupes, occupe Vienne. L’équipe nationale d’Allemagne incorpore cinq joueurs autrichiens mais, en revanche, les joueurs juifs en sont exclus. La Fédération internationale de football association (FIFA) entérine officiellement l’annexion de l’Autriche et admet la politique antisémite en autorisant la participation allemande.
Critique anesthésiée
Jules Rimet estimera que cette compétition est « un excellent moyen de dissiper entre les pays les antipathies et les incompréhensions (10) ». C’est, en fait, un excellent narcotique, banalisant la perversité des régimes autoritaires et leur donnant une respectabilité de façade. Pourtant, Jules Rimet reconnaîtra clairement que « certains dirigeants de la Fédération étaient un peu mieux informés (11) » que l’opinion publique sur la vraie nature de ces régimes.
L’Argentine organise la Coupe du monde en 1978. Lorsque ce pays est désigné, la junte militaire n’est pas encore au pouvoir puisque le général Jorge Rafael Videla est porté à la présidence après le coup d’Etat de mars 1976. Le Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe (COBA) va s’élever contre ce projet et tenter d’informer le monde (12). En effet, « au moins 8 000 personnes ont été emprisonnées, le plus souvent sans aucune procédure judiciaire, et 15 000 ont disparu » selon les chiffres d’Amnesty International, qui estime, d’autre part, de 8 000 à 10 000 le nombre de personnes assassinées par les forces de l’ordre dans la même période (13). La pratique de la torture et les exécutions sommaires sont quotidiennes. Le football n’a que faire de cela, et Michel Hidalgo, sélectionneur français, déclarera qu’il allait « en Argentine au contact d’un peuple, pour y faire du sport, et non pas de la politique (14) ».
Les dictateurs savent que le football est politique. La Coupe permet au régime argentin de montrer une autre image et de prouver sa maîtrise de la situation interne au regard de la diplomatie internationale. De ce point de vue, l’organisation est un succès (15). Sur le plan de la politique intérieure, le temps de la Coupe du monde est un temps de répit. Tout a été fait pour que l’équipe nationale soit dans des conditions optimales pour la victoire (16). Cette victoire anesthésie la critique. Le général-président, détesté, se fait acclamer. Le football a ainsi, nolens volens muselé les opposants et permis à la dictature d’améliorer son image à l’extérieur.
D’autres compétitions mondiales ont souligné les relations avec le politique. Un survol de ces relations n’est pas inutile. La première compétition eut lieu en Uruguay. Le pays fêtait en 1930 le centenaire de son indépendance (17). Festivités politiques et sportives sont souvent liées. Le 31 juillet, lendemain de la victoire uruguayenne, sera décrété fête nationale.
La Coupe du monde de 1950, au Brésil, se disputa sans la participation des pays de l’Est. Les vainqueurs - l’Uruguay - faillirent se faire lyncher par la foule brésilienne, mécontente. La police évita le pire.
La Coupe de 1958 sera l’occasion, dès les éliminatoires, de manifestations politiques. Le groupe Afrique-Asie connaît une série de forfaits, aucun pays ne voulant rencontrer Israël. L’Indonésie refusera d’aller jouer à Tel-Aviv.
par Patrick Vassort
Le Monde diplomatiqueHistoire politique de la Coupe↑
En tant que fait social total, la Coupe du monde relève du politique (1). Pour les raisons suivantes :
1. Tout spectacle produit un effet de masse qui est l’un des paramètres de la manipulation des foules. Les totémisations, les ritualisations, l’existence de cérémonies de forme « sacrificielle », la reconstitution d’émotions « primitives » de masse, entraînent la reconnaissance institutionnelle et la réalisation de sentiments nationalistes, par la création d’une « masse-meute sportive » (2) dont l’imaginaire se rallie à un nous générique factice qui peut devenir violent et dangereux ;
2. Le spectacle sportif possède une fonction d’appareil idéologique d’Etat. Il détourne les populations dominées de leurs propres intérêts de classe ;
3. Il possède une fonction de désidéologisation. Le temps de la Coupe du monde est un temps qui se désire apolitique ;
4. Le spectacle sportif possède une fonction de légitimation de l’ordre existant. Celle-ci trouve sa réalité au sein même de la philosophie sportive, de la lutte de « tous contre tous », réglée par la notion de fair-play c’est-à-dire l’acceptation de la loi du plus fort et du progrès physique sportif.
L’histoire de la Coupe montre l’efficience de ces quatre fonctions. Les compétitions de 1934, 1938 et 1978, démontrent l’existence de liens réels entre la pratique footballistique et les systèmes politiques dictatoriaux. En 1934, la Coupe du monde a lieu en Italie, Benito Mussolini est premier ministre depuis 1921 et exerce sa dictature depuis 1925. La désignation de ce pays en tant qu’organisateur n’est pas un hasard. Cette compétition va permettre au parti fasciste d’organiser sa propagande. Le général Vaccaro, président de la Fédération italienne de football, affirmera : « Le but ultime de la manifestation sera de montrer à l’univers ce qu’est l’idéal fasciste du sport (3). » Les matches se joueront dans un climat fanatisé et politisé. Jacques de Ryswick note que « par la victoire finale de la Squadra azzura, c’est le triomphe de l’Italie fasciste qui doit être magnifié (4) » !
On voit alors le double lien existant entre fascisme et football, d’une part l’utilisation du football par le fascisme afin de légitimer le régime, d’autre part l’utilisation du fascisme par le football afin de démontrer l’efficience de la formation sportive au service d’une société d’ordre.
« Des temples sortis du sol »
Ainsi les matches sont disputés dans, des stades qui, pour deux d’entre eux, portent les noms symptomatiques de Stade du parti fasciste (Rome) et Stade Mussolini (Turin, où s’entraîne toujours la Juventus). Maurice Pefferkorn note que « ces temples sont sortis du sol comme par enchantement et témoignent de l’ardente foi du peuple entier pour la religion nouvelle (5) ». De quelle religion s’agit-il ? Du football ou du fascisme ? Les affiches officielles ne montrent-elles pas un footballeur effectuant le salut fasciste ? La mise en scène footballistique se double de la mise en scène fasciste dans une imbrication idéologique puisque toutes deux veulent former une surhumanité, un uomo fascista (6).
La Coupe du monde redouble la propagande fasciste au point que le Corriere della Sera du 9 juin 1934 écrira : « Toute une Nation s’exalte pour l’équipe nationale qui descend sur le terrain ; ce sont les couleurs du drapeau qui font tressaillir les cœurs et briller les yeux (7). » Faisant écho à Serge Tchakhotine qui, note à propos de la propagande nationale-socialiste : « Lorsqu’il s’agissait d’intimider les adversaires et les passifs, et de remplir de courage ses propres partisans, on devait surtout avoir recours à la guérilla par symboles, à la guerre des drapeaux, aux affiches, aux manifestations, aux défilés avec des chars symboliques... (8). » Jules Rimet témoigne ainsi de la philosophie de la victoire italienne : « Sortir premier d’une épreuve où sont en concurrence les meilleurs parmi les joueurs de balle de tous les pays, c ’est prouver son courage et honorer sa Patrie. La Fédération italienne du jeu de balle et son équipe nationale ont donné cet exemple, si ce n’est cette leçon, en organisant et en gagnant la Coupe du monde de 1934. Je les en félicite et j’admire la foi capable de susciter de telles vertus (9). » Le football légitime le pouvoir mussolinien.
La Coupe du monde de 1938 se déroulera en France. Le pouvoir footballistique va montrer à cette occasion toute sa sympathie pour les régimes totalitaires. L’Italie est toujours fasciste, la guerre d’Espagne poursuit son cours et, le 11 mars 1938, Hitler, à la tête de ses troupes, occupe Vienne. L’équipe nationale d’Allemagne incorpore cinq joueurs autrichiens mais, en revanche, les joueurs juifs en sont exclus. La Fédération internationale de football association (FIFA) entérine officiellement l’annexion de l’Autriche et admet la politique antisémite en autorisant la participation allemande.
Critique anesthésiée
Jules Rimet estimera que cette compétition est « un excellent moyen de dissiper entre les pays les antipathies et les incompréhensions (10) ». C’est, en fait, un excellent narcotique, banalisant la perversité des régimes autoritaires et leur donnant une respectabilité de façade. Pourtant, Jules Rimet reconnaîtra clairement que « certains dirigeants de la Fédération étaient un peu mieux informés (11) » que l’opinion publique sur la vraie nature de ces régimes.
L’Argentine organise la Coupe du monde en 1978. Lorsque ce pays est désigné, la junte militaire n’est pas encore au pouvoir puisque le général Jorge Rafael Videla est porté à la présidence après le coup d’Etat de mars 1976. Le Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe (COBA) va s’élever contre ce projet et tenter d’informer le monde (12). En effet, « au moins 8 000 personnes ont été emprisonnées, le plus souvent sans aucune procédure judiciaire, et 15 000 ont disparu » selon les chiffres d’Amnesty International, qui estime, d’autre part, de 8 000 à 10 000 le nombre de personnes assassinées par les forces de l’ordre dans la même période (13). La pratique de la torture et les exécutions sommaires sont quotidiennes. Le football n’a que faire de cela, et Michel Hidalgo, sélectionneur français, déclarera qu’il allait « en Argentine au contact d’un peuple, pour y faire du sport, et non pas de la politique (14) ».
Les dictateurs savent que le football est politique. La Coupe permet au régime argentin de montrer une autre image et de prouver sa maîtrise de la situation interne au regard de la diplomatie internationale. De ce point de vue, l’organisation est un succès (15). Sur le plan de la politique intérieure, le temps de la Coupe du monde est un temps de répit. Tout a été fait pour que l’équipe nationale soit dans des conditions optimales pour la victoire (16). Cette victoire anesthésie la critique. Le général-président, détesté, se fait acclamer. Le football a ainsi, nolens volens muselé les opposants et permis à la dictature d’améliorer son image à l’extérieur.
D’autres compétitions mondiales ont souligné les relations avec le politique. Un survol de ces relations n’est pas inutile. La première compétition eut lieu en Uruguay. Le pays fêtait en 1930 le centenaire de son indépendance (17). Festivités politiques et sportives sont souvent liées. Le 31 juillet, lendemain de la victoire uruguayenne, sera décrété fête nationale.
La Coupe du monde de 1950, au Brésil, se disputa sans la participation des pays de l’Est. Les vainqueurs - l’Uruguay - faillirent se faire lyncher par la foule brésilienne, mécontente. La police évita le pire.
La Coupe de 1958 sera l’occasion, dès les éliminatoires, de manifestations politiques. Le groupe Afrique-Asie connaît une série de forfaits, aucun pays ne voulant rencontrer Israël. L’Indonésie refusera d’aller jouer à Tel-Aviv.
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