Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump entend terrifier les migrants pour satisfaire sa base et obtenir du Congrès une loi qui finance le mur avec le Mexique promis pendant sa campagne. Mais sa dernière trouvaille, la séparation des familles à la frontière, suscite une immense indignation.
New York (États-Unis), de notre correspondant.- Donald Trump réussit parfois des miracles. Il est ainsi parvenu à ressusciter une sorte de nostalgie bizarre pour la famille Bush. Depuis qu'il est président des États-Unis, la dynastie aux deux chefs d'État apparaît, par contraste, comme un summum de distinction et de modération politique. Si bien que le célèbre clan du Texas se permet même de lui donner des leçons de morale.
Ce week-end, Laura Bush a étrillé sa politique migratoire, jugée sans pincettes « cruelle et immorale ». « J’ai le cœur brisé », a lâché dans le Washington Post l'épouse de George W. Bush, le quarante-troisième président, celui-là même qui a déclenché la guerre en Irak sur des mensonges et semé le chaos au Moyen-Orient. « Ces images, a-t-elle dit, nous rappellent de façon sinistre les camps d’internement pour les Japonais-Américains de la Seconde Guerre mondiale, un des épisodes les plus honteux de notre histoire. »
La cause de son courroux ? La politique migratoire dite de « tolérance zéro » de l'administration, partie en guerre contre l'immigration illégale, le thème favori des électeurs de Donald Trump. Et notamment, sa décision la plus contestée : la séparation arbitraire des parents et de leurs enfants.
Instaurée de façon discrète ces derniers mois, elle est désormais mise en place de façon officielle. Selon les derniers chiffres transmis au Sénat américain, 2 342 enfants, parfois des tout-petits, ont été ainsi arrachés à leurs parents entre le 5 mai et le 9 juin.
Placés dans des foyers, ils doivent en théorie être confiés à des proches et des familles d'accueil. La coordination entre les services de l'immigration et les services sociaux étant quasi inexistante, ils n'ont aucune garantie de retrouver leurs parents… incarcérés ou renvoyés à toute vitesse dans leur pays par une justice expéditive qui s'assoit, et depuis longtemps, sur les règles internationales régissant le droit d'asile.
Annoncée le 7 mai par l'attorney general (ministre fédéral de la justice) Jeff Sessions, la séparation des familles provoque un haut-le-cœur national. Et pour une fois, l'émoi est si grand que Donald Trump, maître de la contre-programmation improvisée, n'arrive pas à faire diversion.
Chaque jour, les protestations vont crescendo. Elles proviennent des associations de défense des droits humains (« torture », dit Amnesty International), de l'opposition démocrate, de simples citoyens qui twittent frénétiquement, récoltent des millions de dollars sur Facebook pour aider les associations d'aide aux migrants, participent dans tout le pays à des protestations… ou d'un ancien directeur de la CIA qui compare Trump à Hitler.
Elles émanent aussi des Nations unies, de l'association des pédiatres américains qui parle de « maltraitance infantile », des églises et même d'une partie des évangéliques protestants ultras, qui jusqu'ici ont applaudi tout ce que Trump a fait. Même des figures conservatrices comme Bill O' Reilly, l'ancienne star de la chaîne ultraconservatrice Fox News, ami de Trump limogé pour agression sexuelle, ont exprimé leur dégoût.
Donald Trump, conseillé à la Maison Blanche par son très droitier conseiller Stephen Miller – un protégé de Steve Bannon, l'ami américain des Le Pen –, imaginait que la mesure allait contraindre les démocrates à accepter au Congrès une loi très dure contre l'immigration, incluant notamment un financement massif du « mur » avec le Mexique, cette fameuse barrière promise pendant sa campagne.
Pour l'heure, il provoque surtout l'indignation. Et l'accord législatif espéré paraît bien loin : les démocrates n'entendent pas céder au chantage, et les républicains eux-mêmes sont déchirés entre les tenants de la ligne dure présidentielle et les plus modérés, qui craignent de payer le prix du fanatisme présidentiel lors des élections de mi-mandat de novembre.
La nouvelle doctrine a pour but d'enfermer et de poursuivre en justice tous les migrants qui ont franchi illégalement la frontière, quand bien même ils souhaiteraient faire une demande d'asile en raison de persécutions dans leur pays, souvent des États d'Amérique centrale comme le Honduras, le Salvador ou le Guatemala, ravagés par la violence, minés par la pauvreté.
Jusqu'ici, ils étaient le plus souvent relâchés dans l'attente d'un examen de leur statut. Désormais, le but explicite est de les juger au plus vite et de les renvoyer dans leur pays. Un millier de migrants passent devant les tribunaux chaque semaine. Un rythme infernal qui, selon l'ONG WOLA, risque de rapidement entraîner la thrombose dans les tribunaux, les prisons et les « ports d'entrée » où les migrants peuvent théoriquement demander le droit d'asile.
C'est là que la séparation des familles intervient. D'après la loi, les enfants ne peuvent en effet être incarcérés dans les centres de rétention, voire les prisons fédérales où sont détenus les adultes. Alors qu'ils sont venus avec leur famille, l'administration a donc décidé de les placer dans les centres de rétention spéciaux pour mineurs isolés, des centres gérés par les services sociaux. Concrètement, et malgré les dénégations têtues de l'administration Trump, il s'agit bien d'une politique délibérée.
Selon les groupes de soutien aux immigrés, la séparation s'opère dans des conditions terribles. « Parfois les gardes-frontières disent aux parents “On prend votre enfant”, et lorsqu’ils demandent “Quand revient-il ?”, on leur répond “On ne peut pas vous dire”. La justification n’est jamais claire », raconte dans le Texas Monthly Anne Chandler, directrice à Houston (Texas) de l'ONG Tahirih Justice Center.
« Parfois on ne leur dit rien du tout. Ou bien, assez souvent, des officiers leur disent “votre enfant va aller prendre un bain”. L’enfant s’en va, une demi-heure plus tard, le parent demande “Où est mon petit ?” de cinq ans, de sept ans… “Le bain est long”… et là, on leur dit “vous ne verrez plus votre enfant”. Parfois des mères pleurent, des enfants hurlent et vomissent, on interdit à leur père de les consoler (...) L'officier leur dit : “Vous devez les laisser partir, si vous ne le faites pas, je rajoute des charges contre vous”. (...) Les parents ne reçoivent pas d’information sur leurs droits pour communiquer avec leurs enfants, on ne leur dit pas comment ils les retrouveront. »
La Bible en renfort
Depuis une semaine, les médias publient des récits déchirants de familles séparées, de mères éplorées, ou la tragédie de ce père, Marco Antonio Muñoz, demandeur d'asile du Honduras, qui s'est suicidé de désespoir après avoir été séparé de son garçon de trois ans.
Le site d'investigation ProPublica a publié lundi soir un enregistrement capté récemment dans un bâtiment du Customs and Border Protection (CBP), l'agence des douanes américaines. On y entend de petits enfants juste séparés de leurs parents crier, pleurer, réclamer leurs parents. « Nous avons un orchestre, là », plaisante un garde-frontière…
Dans un centre des douanes américain près de la frontière américaine. © Enregistrement obtenu par ProPublica
Les journalistes et les parlementaires qui ont reçu l'autorisation de visiter certains de ces centres pour mineurs, à McAllen ou Brownsville, deux villes situées à extrémité méridionale du Texas, décrivent des centaines d'enfants, certains traumatisés ou en pleurs, détenus derrière des barrières qui ressemblent à des cages, enroulés dans des couvertures de survie, sous une lumière constante, retenus à l'intérieur l'essentiel du temps (lire les comptes-rendus, concordants, d’Associated Press, du New York Times, du Washington Post ou de The Nation).
Les témoins n'ont pas pu prendre de photos, filmer, ni parler très longtemps aux détenus. Mais le CBP a publié des clichés officiels qui confirment leurs récits :
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David Begnaud
✔
@DavidBegnaud
These images were just released by border patrol @CBP showing the McAllen, Texas detention facility that we were allowed to tour today. For now, we can only rely on what they give us. They will not allow us inside to film on our own. Why? “Privacy”; they don’t want faces shown
Photos officielles transmises par les autorités, sur le compte Twitter d'un journaliste de la chaîne CBS.
À 1 200 kilomètres de là, dans la ville texane de Tornillo, près d'El Paso, dans le désert où la température atteint 40 degrés en ce mois de juin, un nouveau camp de tentes (climatisées) pour adolescents est en train d'être construit. Ils seront d'ici quelques jours un peu plus de 400. Le camp pourrait à terme en accueillir dix fois plus.
À Tornillo (Texas), un nouveau camp de tentes en plein désert pour accueillir des adolescents séparés de leurs familles. © Reuters
New York (États-Unis), de notre correspondant.- Donald Trump réussit parfois des miracles. Il est ainsi parvenu à ressusciter une sorte de nostalgie bizarre pour la famille Bush. Depuis qu'il est président des États-Unis, la dynastie aux deux chefs d'État apparaît, par contraste, comme un summum de distinction et de modération politique. Si bien que le célèbre clan du Texas se permet même de lui donner des leçons de morale.
Ce week-end, Laura Bush a étrillé sa politique migratoire, jugée sans pincettes « cruelle et immorale ». « J’ai le cœur brisé », a lâché dans le Washington Post l'épouse de George W. Bush, le quarante-troisième président, celui-là même qui a déclenché la guerre en Irak sur des mensonges et semé le chaos au Moyen-Orient. « Ces images, a-t-elle dit, nous rappellent de façon sinistre les camps d’internement pour les Japonais-Américains de la Seconde Guerre mondiale, un des épisodes les plus honteux de notre histoire. »
La cause de son courroux ? La politique migratoire dite de « tolérance zéro » de l'administration, partie en guerre contre l'immigration illégale, le thème favori des électeurs de Donald Trump. Et notamment, sa décision la plus contestée : la séparation arbitraire des parents et de leurs enfants.
Instaurée de façon discrète ces derniers mois, elle est désormais mise en place de façon officielle. Selon les derniers chiffres transmis au Sénat américain, 2 342 enfants, parfois des tout-petits, ont été ainsi arrachés à leurs parents entre le 5 mai et le 9 juin.
Placés dans des foyers, ils doivent en théorie être confiés à des proches et des familles d'accueil. La coordination entre les services de l'immigration et les services sociaux étant quasi inexistante, ils n'ont aucune garantie de retrouver leurs parents… incarcérés ou renvoyés à toute vitesse dans leur pays par une justice expéditive qui s'assoit, et depuis longtemps, sur les règles internationales régissant le droit d'asile.
Annoncée le 7 mai par l'attorney general (ministre fédéral de la justice) Jeff Sessions, la séparation des familles provoque un haut-le-cœur national. Et pour une fois, l'émoi est si grand que Donald Trump, maître de la contre-programmation improvisée, n'arrive pas à faire diversion.
Chaque jour, les protestations vont crescendo. Elles proviennent des associations de défense des droits humains (« torture », dit Amnesty International), de l'opposition démocrate, de simples citoyens qui twittent frénétiquement, récoltent des millions de dollars sur Facebook pour aider les associations d'aide aux migrants, participent dans tout le pays à des protestations… ou d'un ancien directeur de la CIA qui compare Trump à Hitler.
Elles émanent aussi des Nations unies, de l'association des pédiatres américains qui parle de « maltraitance infantile », des églises et même d'une partie des évangéliques protestants ultras, qui jusqu'ici ont applaudi tout ce que Trump a fait. Même des figures conservatrices comme Bill O' Reilly, l'ancienne star de la chaîne ultraconservatrice Fox News, ami de Trump limogé pour agression sexuelle, ont exprimé leur dégoût.
Donald Trump, conseillé à la Maison Blanche par son très droitier conseiller Stephen Miller – un protégé de Steve Bannon, l'ami américain des Le Pen –, imaginait que la mesure allait contraindre les démocrates à accepter au Congrès une loi très dure contre l'immigration, incluant notamment un financement massif du « mur » avec le Mexique, cette fameuse barrière promise pendant sa campagne.
Pour l'heure, il provoque surtout l'indignation. Et l'accord législatif espéré paraît bien loin : les démocrates n'entendent pas céder au chantage, et les républicains eux-mêmes sont déchirés entre les tenants de la ligne dure présidentielle et les plus modérés, qui craignent de payer le prix du fanatisme présidentiel lors des élections de mi-mandat de novembre.
La nouvelle doctrine a pour but d'enfermer et de poursuivre en justice tous les migrants qui ont franchi illégalement la frontière, quand bien même ils souhaiteraient faire une demande d'asile en raison de persécutions dans leur pays, souvent des États d'Amérique centrale comme le Honduras, le Salvador ou le Guatemala, ravagés par la violence, minés par la pauvreté.
Jusqu'ici, ils étaient le plus souvent relâchés dans l'attente d'un examen de leur statut. Désormais, le but explicite est de les juger au plus vite et de les renvoyer dans leur pays. Un millier de migrants passent devant les tribunaux chaque semaine. Un rythme infernal qui, selon l'ONG WOLA, risque de rapidement entraîner la thrombose dans les tribunaux, les prisons et les « ports d'entrée » où les migrants peuvent théoriquement demander le droit d'asile.
C'est là que la séparation des familles intervient. D'après la loi, les enfants ne peuvent en effet être incarcérés dans les centres de rétention, voire les prisons fédérales où sont détenus les adultes. Alors qu'ils sont venus avec leur famille, l'administration a donc décidé de les placer dans les centres de rétention spéciaux pour mineurs isolés, des centres gérés par les services sociaux. Concrètement, et malgré les dénégations têtues de l'administration Trump, il s'agit bien d'une politique délibérée.
Selon les groupes de soutien aux immigrés, la séparation s'opère dans des conditions terribles. « Parfois les gardes-frontières disent aux parents “On prend votre enfant”, et lorsqu’ils demandent “Quand revient-il ?”, on leur répond “On ne peut pas vous dire”. La justification n’est jamais claire », raconte dans le Texas Monthly Anne Chandler, directrice à Houston (Texas) de l'ONG Tahirih Justice Center.
« Parfois on ne leur dit rien du tout. Ou bien, assez souvent, des officiers leur disent “votre enfant va aller prendre un bain”. L’enfant s’en va, une demi-heure plus tard, le parent demande “Où est mon petit ?” de cinq ans, de sept ans… “Le bain est long”… et là, on leur dit “vous ne verrez plus votre enfant”. Parfois des mères pleurent, des enfants hurlent et vomissent, on interdit à leur père de les consoler (...) L'officier leur dit : “Vous devez les laisser partir, si vous ne le faites pas, je rajoute des charges contre vous”. (...) Les parents ne reçoivent pas d’information sur leurs droits pour communiquer avec leurs enfants, on ne leur dit pas comment ils les retrouveront. »
La Bible en renfort
Depuis une semaine, les médias publient des récits déchirants de familles séparées, de mères éplorées, ou la tragédie de ce père, Marco Antonio Muñoz, demandeur d'asile du Honduras, qui s'est suicidé de désespoir après avoir été séparé de son garçon de trois ans.
Le site d'investigation ProPublica a publié lundi soir un enregistrement capté récemment dans un bâtiment du Customs and Border Protection (CBP), l'agence des douanes américaines. On y entend de petits enfants juste séparés de leurs parents crier, pleurer, réclamer leurs parents. « Nous avons un orchestre, là », plaisante un garde-frontière…
Dans un centre des douanes américain près de la frontière américaine. © Enregistrement obtenu par ProPublica
Les journalistes et les parlementaires qui ont reçu l'autorisation de visiter certains de ces centres pour mineurs, à McAllen ou Brownsville, deux villes situées à extrémité méridionale du Texas, décrivent des centaines d'enfants, certains traumatisés ou en pleurs, détenus derrière des barrières qui ressemblent à des cages, enroulés dans des couvertures de survie, sous une lumière constante, retenus à l'intérieur l'essentiel du temps (lire les comptes-rendus, concordants, d’Associated Press, du New York Times, du Washington Post ou de The Nation).
Les témoins n'ont pas pu prendre de photos, filmer, ni parler très longtemps aux détenus. Mais le CBP a publié des clichés officiels qui confirment leurs récits :
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David Begnaud
✔
@DavidBegnaud
These images were just released by border patrol @CBP showing the McAllen, Texas detention facility that we were allowed to tour today. For now, we can only rely on what they give us. They will not allow us inside to film on our own. Why? “Privacy”; they don’t want faces shown
Photos officielles transmises par les autorités, sur le compte Twitter d'un journaliste de la chaîne CBS.
À 1 200 kilomètres de là, dans la ville texane de Tornillo, près d'El Paso, dans le désert où la température atteint 40 degrés en ce mois de juin, un nouveau camp de tentes (climatisées) pour adolescents est en train d'être construit. Ils seront d'ici quelques jours un peu plus de 400. Le camp pourrait à terme en accueillir dix fois plus.
À Tornillo (Texas), un nouveau camp de tentes en plein désert pour accueillir des adolescents séparés de leurs familles. © Reuters
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