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« Les pays africains doivent éviter le piège de l'illusion de la rente pétrolière »

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  • « Les pays africains doivent éviter le piège de l'illusion de la rente pétrolière »

    L’Afrique peut-elle parvenir à une croissance économique durable et inclusive grâce à une gestion plus efficiente de ses ressources en hydrocarbures ? Comment nos pays peuvent-ils peser davantage dans la fixation des prix du pétrole à l’international, créer des compagnies pétrolières locales fortes, maîtrisant toute la chaîne de production et de distribution, ou encore créer une organisation panafricaine solide regroupant les pays producteurs, voire organiser un marché local du pétrole ? Ces questions taraudent beaucoup d’esprits sur le Continent où les scandales liés à la gestion des ressources en hydrocarbures sont récurrents. Dans cette interview, Philippe Sébille-Lopez, docteur en géopolitique, directeur-fondateur de consulting Géopolia, et auteur de «Géopolitiques du pétrole» (Armand Colin, 2006), nous livre son analyse de la réalité et des enjeux liés à l'exploitation des hydrocarbures sur le Continent.

    LTA : L'Afrique totaliserait près 12% de la production pétrolière mondiale et ce chiffre est appelé à augmenter...

    Philippe Sébille-Lopez : Entre 2000 et 2010, l'Afrique, avec une production pétrolière autour de 10 millions de barils par jour (Mb/j, NDLR), assurait effectivement environ 12% de la production mondiale. Mais suite notamment à l'évolution de la situation intérieure dans deux de ses principaux pays producteurs, le Nigeria et la Libye, la part de la production pétrolière africaine a baissé depuis 2010. A cela s'ajoutait au niveau de la production mondiale, l'arrivée sur le marché de la production des pétroles de schiste aux Etats-Unis, qui a fortement augmenté, surtout à partir de 2010.

    Au niveau africain, la baisse de la production pétrolière, notamment en Libye, n'a pas été compensée par la montée en puissance de nouveaux pays producteurs comme le Ghana. Aujourd'hui, la production pétrolière africaine s'établit autour de 8 Mb/j et ne représente plus qu'environ 8,7% de la production mondiale, contre 10,7% en 2012. Mais en plus du pétrole, de nouvelles perspectives émergent pour l'Afrique, avec le gaz naturel, suite à la découverte de gisements gaziers très prometteurs en mer, notamment en Afrique de l'Ouest et au large de l'Afrique de l'Est, comme au Mozambique.

    Quels sont les moyens dont disposent actuellement les pays africains pour en faire un puissant levier de croissance durable ?

    Cette question est importante et délicate. La réponse nécessite quelques développements. Je crois que les pays africains producteurs de pétrole devraient utiliser les revenus pétroliers et/ou demain ceux du gaz naturel, pour financer des politiques de développement à long terme en privilégiant les investissements productifs durables et non une redistribution clientéliste à court terme, année après année, comme cela a été trop souvent le cas par le passé.

    Les recettes pétrolières devraient être perçues politiquement et utilisées économiquement comme des ressources "extraordinaires". Surtout chez les nouveaux producteurs de pétrole ou de gaz, ces recettes des hydrocarbures ne devraient servir que partiellement d'élément structurant du budget courant des Etats.

    Trop de pays pétroliers, et pas seulement africains, élaborent leur budget sur la seule base d'une prévision du cours du baril pour l'année à venir. Même si cela peut se comprendre pour des pays qui disposent d'hydrocarbures en abondance et d'aucune autre ressource, comme certaines pétromonarchies du golfe arabo-persique, cette règle simpliste peut devenir rapidement très perverse économiquement pour d'autres pays producteurs de brut. Le cas du Nigeria, premier producteur de pétrole d'Afrique depuis des décennies, est emblématique à cet égard. (...). L'arrivée des recettes pétrolières a bouleversé l'économie nigériane, et ceci d'autant plus qu'elles ont été utilisées pour encadrer et structurer l'évolution politique et géopolitique de la Fédération nigériane. Dans le système fédéral nigérian, chaque Etat fédéré a droit, par sa seule existence, à une part des recettes pétrolières. Résultat, la Fédération nigériane, qui comprenait 12 Etats fédérés, lors de l'adoption du système fédéral en 1967, en comptait déjà 36 en 1996, au terme d'une énième révision constitutionnelle réalisée par les régimes militaires successifs, jusqu'au retour de la démocratie en 1999.

    Au Nigeria, les ressources pétrolières ont été largement utilisées comme un instrument économique au service d'objectifs de politique intérieure. Ce fédéralisme fiscal a donné lieu après pratiquement chaque coup d'Etat, à la création de nouveaux Etats fédérés sur des bases le plus souvent clientélistes. C'est ce qui explique pourquoi et comment, alors que le pays, lors de son indépendance en 1960, était un Etat unitaire regroupant 3 régions -le nord, le sud-ouest et le sud-est- le Nigeria compte aujourd'hui 36 Etats fédérés encadrés désormais dans 6 zones géopolitiques, ceci pour tenter de limiter définitivement le nombre d'Etats fédérés. Car dans chaque Etat nouvellement créé, des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que leurs propres administrations, ont été mis en place, dans l'intérêt bien compris des "élites" politiques locales et de leurs cercles d'affidés.

    Ce fédéralisme scissipare fondé sur la redistribution des revenus pétroliers est assez unique en son genre. Il a certes très fortement contribué à maintenir dans une même communauté de destin, le nord sans pétrole et majoritairement musulman avec le sud majoritairement chrétien, qui abrite la région pétrolière du Delta du Niger, alors que nombre d'analystes brandissaient régulièrement le spectre de l'éclatement de la Fédération. Mais dans le même temps, il a aussi favorisé l'émergence d'une caste politico-administrative surnuméraire, coûteuse et pas toujours indispensable, parallèlement à un émiettement des ressources financières disponibles vers de nombreux projets de surcroît non essentiels, au seul profit des décideurs de ces projets et de leurs proches. Dans ce système, même le gouvernement fédéral n'était pas en mesure de financer un vrai programme national de développement, s'en remettant notamment aux Etats fédérés pour une approche plus régionale. A cela s'ajoute bien sûr, une mauvaise gestion structurelle des ressources financières et certaines pratiques pour le moins récurrentes, voire parfois systémiques, en matière de détournements de fonds publics et de corruption. Autre question problématique: celle de la part des revenus pétroliers attribuée aux communautés présentes à proximité ou sur les zones de production.

    Ce processus décrit ici sommairement ce que certains appellent au Nigeria l'évaporation de la rente pétrolière... Il explique comment, malgré les centaines de milliards de dollars collectés par les gouvernements nigérians successifs grâce aux exportations pétrolières depuis bientôt 60 ans, le pays ne dispose encore aujourd'hui que d'une production d'électricité effective oscillant au mieux entre 4 500 et 5 000 mégawatts (MW), autant qu'au début des années 2000, et ceci pour une population estimée à plus de 160 millions d'habitants. Alors que la production d'électricité est déclarée priorité nationale avec plusieurs dizaines de milliards de dollars investis depuis le retour de la démocratie il y a maintenant une vingtaine d'années, le Nigeria dispose -certes en théorie- de capacités de production installée qui augmentent lentement pour atteindre en 2018 environ 12 500 MW. Mais dommage que la production effective ne suive pas et que le réseau reste dans un état chaotique. Ces chiffres nigérians sont à rapprocher de ceux du Ghana, qui dispose début 2018 d'une capacité de production installée de 4 500 MW pour une production effective autour de 2 400 MW, ceci pour 29 millions d'habitants. Il convient de rappeler que le Ghana ne produit du pétrole que depuis 2010 et que ses ressources gazières offshore pourraient lui permettre d'améliorer assez rapidement les performances de son secteur électrique. Le Nigeria dispose lui de réserves pétrolières conséquentes, mais surtout d'un énorme potentiel gazier. Pourtant, bien que le Nigeria soit devenu progressivement un exportateur significatif de gaz naturel liquéfié (GNL) avec aujourd'hui environ 22 Mt/an, il ne produit pas suffisamment de gaz pour alimenter ses propres centrales électriques thermiques. Là encore, les choix ne sont pas simples.

    Cette description de l'utilisation calamiteuse des recettes pétrolières au Nigeria durant au moins trois décennies, si l'on exclut les aspects liés au fédéralisme scissipare, ne concerne pas que le Nigeria, loin de là ! On retrouve malheureusement cette gestion catastrophique des recettes pétrolières dans de nombreux pays un peu partout dans le monde. (...)

    Aujourd'hui, les pays africains producteurs de pétrole ont-ils les moyens d'influer davantage sur les prix du baril à l'international ?

    Non ! Car les cours sont avant tout mondiaux. De plus, les 4 premiers pays producteurs africains de pétrole (Nigeria, Angola, Algérie et Libye), indépendamment des aléas de leur production liés à l'évolution de leur situation politique intérieure, sont déjà membres de l'OPEP et à ce titre doivent respecter la stratégie politico-économique de l'organisation. De plus, ces 4 pays représentent aujourd'hui environ 75% de la production pétrolière africaine. C'était même encore davantage à d'autres époques.

    Par ailleurs, une organisation pétrolière continentale existe bien. C'est l'APPA (Association des producteurs de pétrole africains), renommée en mars 2017, OPPA pour Organisation des producteurs africains de pétrole (APPO pour l'acronyme anglais). Cette organisation, créée à Lagos en 1987, a son siège depuis lors à Brazzaville. Ses objectifs visent à renforcer la collaboration entre les compagnies nationales des pays membres et la stabilité des cours du pétrole. Malgré ses 18 pays membres, elle est surtout un lieu d'échange d'informations, d'analyse et de réflexion. Les mesures concrètes, notamment entre Etats africains producteurs et non producteurs, sont évidemment prises ailleurs et le plus souvent de façon bilatérale.

    Comment les pays africains peuvent-ils procéder pour essayer d'organiser un véritable marché pétrolier sur le continent ?

    Le marché pétrolier est mondial et non continental, même s'il y a des marchés régionaux au niveau mondial. Il fonctionne notamment sur la base de l'offre et de la demande au niveau mondial. Il y a bien des accords de fourniture de pétrole passés entre des Etats africains exportateurs et importateurs. Mais cela ne fait aucune différence, que ces accords soient passés entre des compagnies pétrolières nationales et/ou des compagnies privées. Lorsque les cours du pétrole flambent, les pays importateurs doivent, quels que soient leurs fournisseurs, pouvoir payer les factures. A plusieurs reprises au fil du temps, le Nigeria, via la compagnie pétrolière nationale nigériane NNPC, fournisseur essentiel de la raffinerie de la SAR au Sénégal, a ainsi du interrompre ses livraisons de brut, lorsque Dakar n'était plus en mesure d'honorer les paiements.

    Le Gabon a rejoint l'OPEP en 2016, les pays Africains producteurs ne devraient-ils pas plutôt se regrouper au sein d'une instance africaine forte pour mieux défendre leurs intérêts ?

    Le Gabon avait déjà été membre de l'OPEP de 1975 à 1995, jusqu'à ce que le président Omar Bongo (...), décide que l'adhésion à l'OPEP revenait trop chère. C'est en effet une question à la fois politique et économique. Pour un pays africain, rejoindre l'OPEP lui confère immédiatement un statut international d'envergure planétaire, ce que ne lui apporterait pas une organisation pétrolière africaine. C'est aussi la raison pour laquelle l'Angola, qui produit aujourd'hui plus de huit fois plus de pétrole que le Gabon, avait aussi rejoint l'OPEP début 2007, après 27 ans de guerre civile de 1975 à 2002. Un excellent moyen pour Luanda de prendre une place d'importance sur la scène internationale. Vu les rares contraintes de l'organisation, de surcroît souvent très relatives selon les capacités de production des pays s'agissant des quotas de production et de leur respect, c'est le prix à payer pour ce statut de prestige, avec celui de l'adhésion annuelle et les frais de représentation.

    Des compagnies africaines telles que la Sonatrach en Algérie, la NNPC au Nigeria et la Sonangol en Angola ne sont-elles pas désormais en mesure de faire de la prospection et de casser le monopole des multinationales étrangères sur ce créneau ?

  • #2
    suite

    Les cas de figure sont différents. La Sonatrach est une vraie compagnie pétro-gazière avec une expertise propre. Elle peut conduire ses projets et notamment l'exploration, mais aussi la production de façon autonome. Mais la Sonatrach, comme la NNPC et la Sonangol, n'a pas toujours les moyens de financer seule tous ses projets, raison pour laquelle ces compagnies nationales déjà anciennes sont contraintes de recourir aux services et/ou à la participation financière de compagnies étrangères, quelles qu'elles soient, européennes, américaines ou asiatiques. En outre, les compagnies privées, pression des actionnaires oblige, sont très exigeantes sur la gestion, les coûts et le timing des projets, de l'exploration à la production en passant par le développement, ce qui est moins le cas des compagnies nationales qui ne relèvent que de leur gouvernement.

    En outre, les compagnies étrangères en charge de l'exploration sont souvent de petites compagnies occidentales appelées «indépendantes» qui, a elles seules, n'auront pas ensuite les moyens de développer leurs découvertes éventuelles. Elles devront donc céder tout ou partie de leur participation à des compagnies elles aussi étrangères, mais avec des capacités techniques et financières beaucoup plus importantes. Les compagnies nationales peuvent aussi prendre une participation si elles le souhaitent à cette occasion.

    De façon générale, les compagnies nationales ont peu envie d'investir dans l'exploration, car les résultats sont évidemment hypothétiques alors que les coûts sont eux assurés.

    Il ne s'agit donc pas de casser un monopole, qui, sauf dans de très rares pays, n'existe d'ailleurs pas, mais au contraire de mettre en valeur de façon optimale le potentiel du sous-sol national en associant différentes formes de compétences et de contributions financières. Il convient de rappeler que les compagnies privées étrangères payent aux Etats des droits pour acquérir les permis d'exploration et qu'elles avancent en outre tous les coûts d'exploration. C'est seulement en cas de découverte commercialement exploitable qu'elles pourront se rembourser. Dans le cas contraire, elles auront tout simplement perdu leur investissement.
    Les pays africains doivent-ils dès à présent penser à l'après-pétrole, où est-ce trop tôt, selon vous?

    Ce n'est ni trop tôt ni trop tard. Dans l'avenir, le pétrole devrait rester durablement cher, en tout cas beaucoup plus cher qu'au XXe siècle, y compris en tenant compte de ce que l'on a alors appelé les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Pour les pays producteurs d'hydrocarbures, et a fortiori pour ceux qui en sont dépourvus, le pétrole ne devrait pas servir à produire de l'électricité comme c'est encore trop souvent le cas en Afrique, notamment du fait de l'usage très fréquent des groupes électrogènes alimentés par du gazole importé, faute d'une alimentation électrique régulière et disponible, y compris là où des réseaux existent pourtant. La question des transports a ses propres problématiques liées aux produits pétroliers et même les agro-carburants ne constituent pas selon moi une solution, sauf à prendre le risque de tenter de régler un problème en le remplaçant par un autre. La question est plus largement énergétique et une grande partie du problème vient aussi, comme on l'a vu, de la production d'électricité défaillante, avec des sources de production insuffisantes, mal entretenues et coûteuses et des réseaux de transmission en très mauvais état qui ne couvrent même pas l'essentiel du territoire dans de nombreux pays.

    Lorsque ces réseaux sont insuffisamment développés et/ou performants, des sources alternatives de production électriques comme les renouvelables peuvent, sur une zone géographique donnée, avoir toute leur place.

    Sans vouloir jouer aucunement les donneurs de leçons, il faudrait aussi que les populations soient prêtes à payer un juste prix pour l'électricité, c'est-à-dire au moins des coûts de production optimisés plus une marge inévitable pour les exploitants, notamment pour sécuriser les investissements, le tout en évitant autant que possible le recours aux subventions. Ces dernières plombent non seulement le budget des Etats, mais hypothèquent en outre l'équilibre des comptes des entreprises de production et de distribution électrique, qui dépendent à leur tour indirectement des subsides de l'Etat. Elles ne peuvent pas dans ces conditions planifier, gérer, entretenir et investir correctement de façon autonome dans leurs infrastructures de production et de transmission d'où le marasme persistant du secteur électrique dans de nombreux pays d'Afrique. La question du pouvoir d'achat des populations est aussi bien sûr fondamentale et il appartient aux pouvoirs politiques de faire preuve d'imagination dans l'élaboration de systèmes de tarification et de recouvrement des factures, pour que chacun paye ce qu'il doit vraiment, mais pas plus que le coût nécessaire et induit par une bonne gestion.

    Les pays africains, comme bien d'autres, devraient aussi réduire et gérer au mieux leur dépendance pétrolière, surtout ceux qui ne disposent pas de gisements de production. Pour ceux qui en disposent, il leur faudra gérer là aussi au mieux leurs ressources, a fortiori lorsqu'elles sont en cours d'évaluation, mais aussi après, en évitant notamment le piège de l'illusion de la rente pétrolière.

    Je remarque en effet trop souvent que les personnels politiques, et pas seulement en Afrique, usent et abusent de promesses électorales ou non, financées en théorie par les futures recettes pétrolières. Le fait de survendre politiquement ces futurs revenus avec tous les projets qu'ils sont censés financer, ne peut créer à terme que déception et frustrations parmi les populations. Ne parlons même pas des Etats qui s'endettent pour financer des projets en les gageant sur les recettes pétrolières futures. La réalité de la dette finit toujours par les rattraper. Parallèlement, les personnels politiques devraient aussi éviter d'investir dans des éléphants blancs. Il n'y a pas à proprement parler de malédiction pétrolière. Il y a surtout un mauvais usage et une gestion politico-économique trop souvent désastreuse des revenus du pétrole par les pouvoirs en place. Le gaz naturel et notamment le gaz naturel liquéfié, pourrait aussi constituer dans certains cas et au moins pour des pays côtiers, une réponse partielle à la problématique de l'électricité, en complément des renouvelables utilisés plus localement à l'intérieur des terres.

    Il n'y a donc pas d'opposition mais au contraire une complémentarité à trouver entre le tout pétrole inutile et coûteux et un bouquet énergétique dans lequel le pétrole continuerait d'alimenter une part très importante du secteur des transports, mais serait parallèlement associé à d'autres sources d'énergie notamment pour la production d'électricité. Il faudrait surtout que les Etats soient capables de mettre en place des cadres légaux, fiscaux et administratifs permettant à des systèmes énergétiques plus performants et donc économiquement viables d'émerger enfin. La transition énergétique en Afrique, dans l'intérêt bien compris de ses populations, doit trouver ses propres voies. Les situations africaines étant très différentes, par delà des problématiques souvent assez proches, cette transition ne sera probablement pas non plus identique à celle des pays développés car elle suppose avant tout une réforme importante des systèmes en place pour les rendre nettement plus performants.

    Mais un peu à l'image de ce qui s'est produit dans les télécommunications en Afrique, avec un accès direct au téléphone via les mobiles et l'arrivée du WIFI, sans passage préalable par la téléphonie fixe, les populations africaines pourraient aussi bénéficier d'un accès à l'énergie jusqu'ici inexistant faute de réseau, mais aussi d'une transition énergétique plus rapide, sous réserve que les marchés africains offrent suffisamment de garanties aux investisseurs sur les différents points que je viens d'évoquer.

    Comme dans bien d'autres domaines, la balle est donc pour beaucoup dans le camp des politiques. Même si bien sûr ils ne peuvent pas tout faire, ils peuvent au moins commencer à engager leur pays dans de bonnes directions sur la voie des réformes. Il faudra ensuite qu'ils s donnent les moyens de garder le cap sur la durée.

    La promotion des énergies vertes, est-elle un frein aux investissements dans l'industrie des hydrocarbures en Afrique dans une vision à moyen terme ?

    Pas du tout. Les renouvelables visent à satisfaire directement la production d'électricité au profit des entreprises et des populations et donc la demande domestique, alors que le pétrole, si les ressources le permettent, assure surtout des recettes d'exportation qui financeront, d'une façon ou d'une autre, des dépenses de l'Etat dans différents domaines à sa convenance. Les finalités ne sont donc pas tout à fait les mêmes. De même le gaz naturel peut à l'évidence trouver sa place dans le mix électrique de certains pays en compagnie des énergies renouvelables.

    La question des énergies renouvelables n'interdit en rien d'investir parallèlement dans les hydrocarbures dès lors que des gisements commercialement rentables sont clairement identifiés.

    Le pétrole peut lui contribuer à réduire la facture des importations de produits raffinés, que le pays producteur dispose ou non de capacités de raffinage. Mais il faut aussi faire attention, s'agissant des raffineries, de bien évaluer les projets, même pour un pays producteur de pétrole. En effet, compte tenu de marchés de taille souvent limités en termes de consommation de produits raffinés, dans de nombreux pays d'Afrique, la pertinence de l'installation d'une raffinerie n'est pas toujours évidente, même si pour un pays producteur de pétrole, elle vise avant tout à renforcer voire à assurer en théorie son autonomie en produits raffinés. Mais cette préoccupation immédiate et simpliste peut se traduire par des coûts de raffinage très importants pour la seule satisfaction de l'orgueil national, mais pas toujours de la rationalité économique.

    Des projets de raffineries sous-régionales mutualisées, avec la participation de plusieurs Etats peut faire sens dans certains contextes, mais il convient là aussi d'être prudent car il s'agit de projets qui engagent à très long terme. Le Nigeria dispose depuis trente ans, via sa compagnie nationale NNPC, de 4 raffineries d'une capacité totale théorique de raffinage de 450 000 b/j. Mais leur capacité effective est depuis des années inférieure à 20% en moyenne, d'où le projet en cours de construction d'une raffinerie privée près de Lagos, à l'initiative du milliardaire nigérian Aliko Dangote. Alors que le Nigeria consomme en moyenne 435 000 b/j de produits pétroliers, cette raffinerie, d'un coût estimé à 12 milliards de dollars, aura une capacité théorique de traitement de 650 000 b/j et se classera ainsi parmi les plus grandes raffineries mondiales. Le Nigeria deviendra-t-il de ce fait exportateur de produits raffinés après avoir été paradoxalement victime de fréquentes pénuries de carburants et ce alors même qu'il était le premier pays africain producteur et exportateur de pétrole pendant plus de trois décennies ? Et que faire dès lors des quatre raffineries d'Etat ? Wait & see.


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