La notion de ruissellement ne signifie pas que l’enrichissement des uns fera couler des monceaux de billets sur les terres des pauvres, mais elle traduit l’idée qu’en permettant aux plus entreprenants de créer de la richesse, les autres en profiteront aussi.
La théorie du ruissellement (trickle down en anglais) expose que l’enrichissement de certains rejaillit à terme sur les autres. C’est William Jennings Bryan, candidat démocrate à la convention présidentielle américaine le 9 juillet 1896 à Chicago, qui a sans doute pour la première fois utilisé ce terme pour rejeter « ceux qui croient que si vous légiférez uniquement pour rendre les riches prospères, leur prospérité ruissellera sur ceux se trouvant dessous ».
Cette notion de ruissellement ne signifie évidemment pas que l’enrichissement des uns fera directement couler des monceaux de billets sur les terres des pauvres comme certains ont ironisé. Mais elle traduit l’idée qu’en permettant aux plus entreprenants de créer de la richesse, les autres en profiteront aussi à terme par le ruissellement de cette richesse jusqu’à eux.
Il ne s’agit donc pas non plus de croire que la richesse peut se diffuser automatiquement et couler à flots, comme le champagne de ces fontaines de coupes construites pour certains mariages sur le verre supérieur desquelles est déversé le champagne de nombreuses bouteilles qui descend ensuite de verre en verre et de niveau en niveau jusqu’aux verres placés au rang le plus large au niveau inférieur.
Cette image du ruissellement exprime d’une certaine manière les effets d’une politique de l’offre qui, notamment en réduisant les charges fiscales et sociales et les réglementations excessives, tend à encourager l’innovation et la création d’entreprises. Les entrepreneurs qui réussissent s’enrichissent, mais ils n’y parviennent qu’en faisant travailler salariés, fournisseurs et sous-traitants qui profitent ainsi de leur initiative et des risques qu’ils ont pris.
Les consommateurs en bénéficient aussi du fait de l’accroissement du nombre de produits et services mis sur le marché, par des entreprises plus nombreuses que la concurrence, incite à améliorer sans cesse leur production tout en en réduisant les prix. L’enrichissement des entrepreneurs qui réussissent contribue ainsi, dans une économie de marché ouverte et cadrée par un état de droit garantissant à tous les mêmes droits, à réduire la pauvreté. Mais en même temps elle est susceptible d’accroître l’inégalité.
Cette idée du ruissellement est donc combattue par tous les apôtres de l’égalité absolue qui ne sauraient admettre que l’inégalité se développe pour combattre la pauvreté. Ses adversaires soutiennent sans vergogne que cette théorie est non seulement mauvaise, mais même qu’elle n’a pas de consistance. « Il n’existe aucune théorie du ruissellement » écrit Jean-Marc Vittori le 2 octobre 2017 dans Les Échos tout en tempérant son propos ensuite. Le pape François fulmine contre cette théorie. M Macron se défend que sa politique du premier de cordée s’y apparente et son Premier ministre préfère parler de sa politique comme d’un « effet de souffle fiscal en faveur de l’investissement, de l’emploi et de la croissance ». La réalité nous paraît tout à la fois moins hypocrite et plus complexe.
L’INÉGALITÉ AU SECOURS DE L’ÉGALITÉ
Le ruissellement n’est peut-être pas à proprement parler une théorie économique à part entière, mais il est une illustration des effets de la théorie libérale depuis que les physiocrates l’ont conceptualisée au XVIIIème siècle sur les bases de la philosophie du droit naturel, développée par les thomistes de l’École de Salamanque. Turgot a exprimé combien le libre commerce, capable d’enrichir le commerçant bien sûr, est aussi le meilleur moyen d’enrichir les consommateurs en leur offrant les meilleurs produits aux meilleurs prix :
Les réflexions et l’expérience prouvent également que la voie du commerce libre est, pour fournir aux besoins du peuple, la plus sûre, la plus prompte, la moins dispendieuse et la moins sujette à inconvénients […] Plus le commerce est libre, animé, étendu, plus le peuple est promptement, efficacement et abondamment pourvu ; les prix sont d’autant plus uniformes, ils s’éloignent d’autant moins du prix moyen et habituel sur lequel les salaires se règlent nécessairement. Les approvisionnements faits par les soins du gouvernement ne peuvent avoir les mêmes succès1.
Au siècle suivant Guizot dit « Enrichissez-vous » aux Français qui veulent devenir électeurs dans un système censitaire, mais en même temps son message est qu’en créant de la valeur pour eux, ils en créeront pour tous. C’est la base du système libéral selon lequel l’intérêt de chacun peut concourir à celui de tous et en vertu duquel la liberté concourt à un progrès permanent issu des initiatives de chacun.
En ce sens, il vaudrait mieux parler d’une irrigation naturelle de la richesse que de ruissellement, car la richesse des uns offre une opportunité aux autres, pour autant que ceux-ci sachent et puissent la saisir. Chacun ne peut s’enrichir qu’à la condition d’être libre de pouvoir le faire, ce qui exige que l’État ne vienne pas l’emprisonner dans des contraintes qui tout à la fois l’empêcheront de travailler, créer, entreprendre… et favoriseront les combines de tous les profiteurs du système pour tirer avantage de leur position dans les rouages de la machine administrative, sans avoir à gagner leur pain à la sueur de leur front.
Au demeurant, la théorie du ruissellement a été étudiée et précisée ensuite. Dans son discours de réception du prix Nobel d’économie en 1971, Simon Kuznets expliquait :
La croissance économique d’un pays peut-être définie comme étant une hausse sur une longue période de sa capacité d’offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques. Cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’elle requiert. Les fruits de la croissance s’étendent par suite aux autres secteurs de l’économie.
Dès les années 1950, il a soutenu, et représenté dans sa fameuse courbe en U renversé, que le développement économique passe d’abord par plus d’inégalité avant que celle-ci décroisse lorsque le pays a atteint un certain niveau de richesse.
L’économiste Philippe Aghion a reconnu le processus de ruissellement dans une étude2 de 1997. Dans son analyse économétrique, il nous apparaît qu’à l’époque il faisait fi de l’aspect moral, ou plutôt il considérait que la recherche de l’égalité absolue l’emportait sur le respect du travail, des efforts et de la propriété de chacun. Pourtant près de vingt ans plus tard, le propos a été plus clair en faveur du ruissellement dans sa leçon inaugurale au Collège de France, le 1er octobre 2015. À l’encontre de trop d’idées reçues, il a souligné que l’augmentation sensible de la part de revenus au sommet de l’échelle sociale, le top 1%, depuis plusieurs décennies était davantage due aux fruits de l’innovation qu’aux rentes foncières et spéculatives. Mais, dit-il « dans le long terme, les rentes de l’innovation se dissipent à cause de l’imitation et de la destruction créatrice. Autrement dit, l’inégalité générée par l’innovation est de nature temporaire ». Et la richesse inégale tend naturellement à profiter à tous par la généralisation du progrès que ces innovations engendrent de telle façon que d’une certaine manière l’inégalité produit à terme plus d’égalité ou pour le moins une réduction de la pauvreté.
LES INÉGALITÉS ONT PERMIS DE LUTTER CONTRE LA PAUVRETÉ
L’inégalité n’est donc pas nécessairement l’ennemie de la pauvreté, et peut être sa meilleure alliée sous certaines réserves et conditions. Contrairement au nouveau poncif propagé par quelques études totalement contestables de certaines organisations internationales (FMI, OCDE…), l’inégalité n’endommage pas la croissance mais la favorise, sauf lorsqu’elle est fondée sur de mauvaises richesses bâties sur la corruption, la fraude, la connivence avec l’État.
Depuis une trentaine d’années le degré d’inégalité s’est légèrement accru au sein de divers pays de l’OCDE. Les plus riches s’y sont encore enrichis notamment par suite de la mondialisation accélérée de l’échange des produits et services et des innovations de la révolution numérique.
Mais dans le même temps, cette mondialisation a aussi contribué à enrichir le monde contrairement à ce que soutiennent à tort trop d’idéologues enfermés dans un étroit souverainisme ou dans un égalitarisme obsessionnel. De 1990 à 2015 les pays les plus pauvres ont connu une progression spectaculaire de leur revenu moyen par tête (chiffre en pouvoir d’achat, donc corrigé des variations monétaires) : le revenu du Chinois a été multiplié par 14, celui de l’Indien par 6, celui de l’Indonésien et du Thaïlandais par 4. Parmi les pays de l’OCDE, le Chili fait partie des cinq pays les plus inégalitaires, mais il est celui qui a eu le plus fort taux de croissance (4%) sur la période 2000/2010 et celui dont le taux de pauvreté a le plus baissé (6%) durant la crise 2007/2011.
Dans le monde, selon le rapport de la Banque mondiale de 2016, le nombre d’individus vivant avec moins de 1,90 dollar par jour a chuté de plus des deux tiers depuis 1990 malgré l’augmentation significative de la population des pays les plus pauvres. Le taux de pauvreté (selon le standard antérieur de moins de 1 dollar par jour) dans les zones urbaines de l’Inde est passé de 39% en 1987-1988 à 12% en 1999-2000.
Dans le même temps la croissance est passée de 0,8% jusqu’au milieu des années 1980 à 3,2% dans les années 1990 ; et si la croissance annuelle dans ce pays est passée de 0,8% jusqu’au milieu des années 1980 à 3,2% dans les années 90, « ce décollage n’est pas tant le résultat d’interventions locales que la conséquence de réformes systémiques, en particulier la libéralisation du commerce et celle du marché des biens et services3 » note encore Philippe Aghion.
Le prix Nobel 2015 Angus Deaton4 a constaté que les pays du tiers monde ont été enfoncés dans leur misère par l’assistance que leur a procurée trop longtemps le monde développé pour des raisons éminemment politiques. Cette assistance était largement accaparée par les plus puissants de ces pays, et ce qui en restait ne servait qu’à laisser croire aux populations assistées qu’elles pouvaient subsister sans créer de richesses par elles-mêmes.
Ce qui a permis la réduction de la pauvreté dans le monde, rappelle Angus Deaton, c’est la croissance plus que les mesures de redistribution. Et cette croissance a été favorisée par la liberté d’enrichissement économique et non frauduleux laissée aux plus hardis et aux plus avisés. Ce qui bien entendu conduit à une certaine inégalité propre à la diversité des comportements humains.
LES ENTREPRENEURS IRRIGUENT LE MONDE
Donnez un pain et deux pommes chaque matin à trois jeunes sans le sou. Le premier s’en contentera pour sa journée ; le deuxième les mangera dès le matin et ira crier famine à l’heure de déjeuner ; le troisième prendra sur lui de ne manger qu’une pomme par jour et vendra l’autre, à celui qui a mangé les deux le matin peut-être, pour accumuler jour après jour une petite fortune et devenir bientôt un vilain riche… capable d’embaucher les deux premiers pour développer son commerce de pommes.
En acceptant des privations pour tenter de s’enrichir, le troisième entraîne la « cordée » vers l’emploi. C’est la théorie du ruissellement selon laquelle la création de richesse profite à tous, différemment. L’égalité exigerait de les laisser tous les trois végéter dans une médiocre assistance et il y faudrait sans doute des mesures coercitives à l’encontre de celui qui a pris le parti de se priver et de travailler pour s’enrichir à terme.
Malgré les dénégations horrifiées d’une doxa bien pensante, la liberté de création et d’échange permet, mieux que toute autre démarche, de réduire la pauvreté. À condition bien sûr que l’État ne décourage pas ces initiatives en captant par exemple la plus grande partie du profit du vendeur de pommes ou en lui imposant tant de sujétions étranges et stupides qu’il renonce à son commerce. Certes notre vendeur de pommes gagnera plus que les deux autres qui auront trouvé un petit boulot chez lui. Mais n’est-il pas préférable que les 10% les plus pauvres gagnent 1 500 € par mois et les 10% les plus riches 8 000 € par mois, plutôt que respectivement 1 000 € et 1 500 € par exemple ?
La théorie du ruissellement (trickle down en anglais) expose que l’enrichissement de certains rejaillit à terme sur les autres. C’est William Jennings Bryan, candidat démocrate à la convention présidentielle américaine le 9 juillet 1896 à Chicago, qui a sans doute pour la première fois utilisé ce terme pour rejeter « ceux qui croient que si vous légiférez uniquement pour rendre les riches prospères, leur prospérité ruissellera sur ceux se trouvant dessous ».
Cette notion de ruissellement ne signifie évidemment pas que l’enrichissement des uns fera directement couler des monceaux de billets sur les terres des pauvres comme certains ont ironisé. Mais elle traduit l’idée qu’en permettant aux plus entreprenants de créer de la richesse, les autres en profiteront aussi à terme par le ruissellement de cette richesse jusqu’à eux.
Il ne s’agit donc pas non plus de croire que la richesse peut se diffuser automatiquement et couler à flots, comme le champagne de ces fontaines de coupes construites pour certains mariages sur le verre supérieur desquelles est déversé le champagne de nombreuses bouteilles qui descend ensuite de verre en verre et de niveau en niveau jusqu’aux verres placés au rang le plus large au niveau inférieur.
Cette image du ruissellement exprime d’une certaine manière les effets d’une politique de l’offre qui, notamment en réduisant les charges fiscales et sociales et les réglementations excessives, tend à encourager l’innovation et la création d’entreprises. Les entrepreneurs qui réussissent s’enrichissent, mais ils n’y parviennent qu’en faisant travailler salariés, fournisseurs et sous-traitants qui profitent ainsi de leur initiative et des risques qu’ils ont pris.
Les consommateurs en bénéficient aussi du fait de l’accroissement du nombre de produits et services mis sur le marché, par des entreprises plus nombreuses que la concurrence, incite à améliorer sans cesse leur production tout en en réduisant les prix. L’enrichissement des entrepreneurs qui réussissent contribue ainsi, dans une économie de marché ouverte et cadrée par un état de droit garantissant à tous les mêmes droits, à réduire la pauvreté. Mais en même temps elle est susceptible d’accroître l’inégalité.
Cette idée du ruissellement est donc combattue par tous les apôtres de l’égalité absolue qui ne sauraient admettre que l’inégalité se développe pour combattre la pauvreté. Ses adversaires soutiennent sans vergogne que cette théorie est non seulement mauvaise, mais même qu’elle n’a pas de consistance. « Il n’existe aucune théorie du ruissellement » écrit Jean-Marc Vittori le 2 octobre 2017 dans Les Échos tout en tempérant son propos ensuite. Le pape François fulmine contre cette théorie. M Macron se défend que sa politique du premier de cordée s’y apparente et son Premier ministre préfère parler de sa politique comme d’un « effet de souffle fiscal en faveur de l’investissement, de l’emploi et de la croissance ». La réalité nous paraît tout à la fois moins hypocrite et plus complexe.
L’INÉGALITÉ AU SECOURS DE L’ÉGALITÉ
Le ruissellement n’est peut-être pas à proprement parler une théorie économique à part entière, mais il est une illustration des effets de la théorie libérale depuis que les physiocrates l’ont conceptualisée au XVIIIème siècle sur les bases de la philosophie du droit naturel, développée par les thomistes de l’École de Salamanque. Turgot a exprimé combien le libre commerce, capable d’enrichir le commerçant bien sûr, est aussi le meilleur moyen d’enrichir les consommateurs en leur offrant les meilleurs produits aux meilleurs prix :
Les réflexions et l’expérience prouvent également que la voie du commerce libre est, pour fournir aux besoins du peuple, la plus sûre, la plus prompte, la moins dispendieuse et la moins sujette à inconvénients […] Plus le commerce est libre, animé, étendu, plus le peuple est promptement, efficacement et abondamment pourvu ; les prix sont d’autant plus uniformes, ils s’éloignent d’autant moins du prix moyen et habituel sur lequel les salaires se règlent nécessairement. Les approvisionnements faits par les soins du gouvernement ne peuvent avoir les mêmes succès1.
Au siècle suivant Guizot dit « Enrichissez-vous » aux Français qui veulent devenir électeurs dans un système censitaire, mais en même temps son message est qu’en créant de la valeur pour eux, ils en créeront pour tous. C’est la base du système libéral selon lequel l’intérêt de chacun peut concourir à celui de tous et en vertu duquel la liberté concourt à un progrès permanent issu des initiatives de chacun.
En ce sens, il vaudrait mieux parler d’une irrigation naturelle de la richesse que de ruissellement, car la richesse des uns offre une opportunité aux autres, pour autant que ceux-ci sachent et puissent la saisir. Chacun ne peut s’enrichir qu’à la condition d’être libre de pouvoir le faire, ce qui exige que l’État ne vienne pas l’emprisonner dans des contraintes qui tout à la fois l’empêcheront de travailler, créer, entreprendre… et favoriseront les combines de tous les profiteurs du système pour tirer avantage de leur position dans les rouages de la machine administrative, sans avoir à gagner leur pain à la sueur de leur front.
Au demeurant, la théorie du ruissellement a été étudiée et précisée ensuite. Dans son discours de réception du prix Nobel d’économie en 1971, Simon Kuznets expliquait :
La croissance économique d’un pays peut-être définie comme étant une hausse sur une longue période de sa capacité d’offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques. Cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’elle requiert. Les fruits de la croissance s’étendent par suite aux autres secteurs de l’économie.
Dès les années 1950, il a soutenu, et représenté dans sa fameuse courbe en U renversé, que le développement économique passe d’abord par plus d’inégalité avant que celle-ci décroisse lorsque le pays a atteint un certain niveau de richesse.
L’économiste Philippe Aghion a reconnu le processus de ruissellement dans une étude2 de 1997. Dans son analyse économétrique, il nous apparaît qu’à l’époque il faisait fi de l’aspect moral, ou plutôt il considérait que la recherche de l’égalité absolue l’emportait sur le respect du travail, des efforts et de la propriété de chacun. Pourtant près de vingt ans plus tard, le propos a été plus clair en faveur du ruissellement dans sa leçon inaugurale au Collège de France, le 1er octobre 2015. À l’encontre de trop d’idées reçues, il a souligné que l’augmentation sensible de la part de revenus au sommet de l’échelle sociale, le top 1%, depuis plusieurs décennies était davantage due aux fruits de l’innovation qu’aux rentes foncières et spéculatives. Mais, dit-il « dans le long terme, les rentes de l’innovation se dissipent à cause de l’imitation et de la destruction créatrice. Autrement dit, l’inégalité générée par l’innovation est de nature temporaire ». Et la richesse inégale tend naturellement à profiter à tous par la généralisation du progrès que ces innovations engendrent de telle façon que d’une certaine manière l’inégalité produit à terme plus d’égalité ou pour le moins une réduction de la pauvreté.
LES INÉGALITÉS ONT PERMIS DE LUTTER CONTRE LA PAUVRETÉ
L’inégalité n’est donc pas nécessairement l’ennemie de la pauvreté, et peut être sa meilleure alliée sous certaines réserves et conditions. Contrairement au nouveau poncif propagé par quelques études totalement contestables de certaines organisations internationales (FMI, OCDE…), l’inégalité n’endommage pas la croissance mais la favorise, sauf lorsqu’elle est fondée sur de mauvaises richesses bâties sur la corruption, la fraude, la connivence avec l’État.
Depuis une trentaine d’années le degré d’inégalité s’est légèrement accru au sein de divers pays de l’OCDE. Les plus riches s’y sont encore enrichis notamment par suite de la mondialisation accélérée de l’échange des produits et services et des innovations de la révolution numérique.
Mais dans le même temps, cette mondialisation a aussi contribué à enrichir le monde contrairement à ce que soutiennent à tort trop d’idéologues enfermés dans un étroit souverainisme ou dans un égalitarisme obsessionnel. De 1990 à 2015 les pays les plus pauvres ont connu une progression spectaculaire de leur revenu moyen par tête (chiffre en pouvoir d’achat, donc corrigé des variations monétaires) : le revenu du Chinois a été multiplié par 14, celui de l’Indien par 6, celui de l’Indonésien et du Thaïlandais par 4. Parmi les pays de l’OCDE, le Chili fait partie des cinq pays les plus inégalitaires, mais il est celui qui a eu le plus fort taux de croissance (4%) sur la période 2000/2010 et celui dont le taux de pauvreté a le plus baissé (6%) durant la crise 2007/2011.
Dans le monde, selon le rapport de la Banque mondiale de 2016, le nombre d’individus vivant avec moins de 1,90 dollar par jour a chuté de plus des deux tiers depuis 1990 malgré l’augmentation significative de la population des pays les plus pauvres. Le taux de pauvreté (selon le standard antérieur de moins de 1 dollar par jour) dans les zones urbaines de l’Inde est passé de 39% en 1987-1988 à 12% en 1999-2000.
Dans le même temps la croissance est passée de 0,8% jusqu’au milieu des années 1980 à 3,2% dans les années 1990 ; et si la croissance annuelle dans ce pays est passée de 0,8% jusqu’au milieu des années 1980 à 3,2% dans les années 90, « ce décollage n’est pas tant le résultat d’interventions locales que la conséquence de réformes systémiques, en particulier la libéralisation du commerce et celle du marché des biens et services3 » note encore Philippe Aghion.
Le prix Nobel 2015 Angus Deaton4 a constaté que les pays du tiers monde ont été enfoncés dans leur misère par l’assistance que leur a procurée trop longtemps le monde développé pour des raisons éminemment politiques. Cette assistance était largement accaparée par les plus puissants de ces pays, et ce qui en restait ne servait qu’à laisser croire aux populations assistées qu’elles pouvaient subsister sans créer de richesses par elles-mêmes.
Ce qui a permis la réduction de la pauvreté dans le monde, rappelle Angus Deaton, c’est la croissance plus que les mesures de redistribution. Et cette croissance a été favorisée par la liberté d’enrichissement économique et non frauduleux laissée aux plus hardis et aux plus avisés. Ce qui bien entendu conduit à une certaine inégalité propre à la diversité des comportements humains.
LES ENTREPRENEURS IRRIGUENT LE MONDE
Donnez un pain et deux pommes chaque matin à trois jeunes sans le sou. Le premier s’en contentera pour sa journée ; le deuxième les mangera dès le matin et ira crier famine à l’heure de déjeuner ; le troisième prendra sur lui de ne manger qu’une pomme par jour et vendra l’autre, à celui qui a mangé les deux le matin peut-être, pour accumuler jour après jour une petite fortune et devenir bientôt un vilain riche… capable d’embaucher les deux premiers pour développer son commerce de pommes.
En acceptant des privations pour tenter de s’enrichir, le troisième entraîne la « cordée » vers l’emploi. C’est la théorie du ruissellement selon laquelle la création de richesse profite à tous, différemment. L’égalité exigerait de les laisser tous les trois végéter dans une médiocre assistance et il y faudrait sans doute des mesures coercitives à l’encontre de celui qui a pris le parti de se priver et de travailler pour s’enrichir à terme.
Malgré les dénégations horrifiées d’une doxa bien pensante, la liberté de création et d’échange permet, mieux que toute autre démarche, de réduire la pauvreté. À condition bien sûr que l’État ne décourage pas ces initiatives en captant par exemple la plus grande partie du profit du vendeur de pommes ou en lui imposant tant de sujétions étranges et stupides qu’il renonce à son commerce. Certes notre vendeur de pommes gagnera plus que les deux autres qui auront trouvé un petit boulot chez lui. Mais n’est-il pas préférable que les 10% les plus pauvres gagnent 1 500 € par mois et les 10% les plus riches 8 000 € par mois, plutôt que respectivement 1 000 € et 1 500 € par exemple ?
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