Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Tahar Ben Jelloun - Procès du Hirak : le verdict est une provocation

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Tahar Ben Jelloun - Procès du Hirak : le verdict est une provocation

    À l'endroit des leaders du Hirak originaires d'une des régions les plus sensibles du royaume avec des problèmes qui s'accumulent et sont loin d'être résolus, le verdict de 20 ans de prison ne peut manquer d'interroger.


    Les juges de la chambre criminelle près la cour d'appel de Casablanca n'y sont pas allés de main morte dans le procès intenté par l'État contre des manifestants du mouvement de protestation dans le Rif, mouvement appelé Hirak. Leur leader a été condamné à vingt ans de prison ; les 53 autres accusés ont eu entre quinze ans et un an de prison.

    Normalement, on ne doit pas commenter une décision de justice. Mais là, ce n'est pas un procès pour viol ou pour un attentat terroriste. Cela concerne une des régions les plus sensibles, la plus propice à la rébellion et à la contestation, une région où les problèmes s'accumulent et sont loin d'être résolus. C'est une région où le mécontentement s'est exprimé dans des manifestations où il y eut quelques provocations. Mais de là à prononcer de telles condamnations, il y a de l'excès et du manque de discernement.

    Verdict politique
    C'est un verdict politique. C'est en ce sens qu'il est dangereux. Peut-être que la justice marocaine est indépendante. C'est ce qu'on dit. Mais alors pourquoi une telle sévérité ? Un verdict qui ressemble à une provocation. Cela me rappelle l'époque des années de plomb où toute contestation du régime était considérée comme une atteinte à la sûreté de l'État et durement réprimée. Que de simples citoyens ont été moisir en prison pour des chefs d'accusation fantaisistes ou imaginaires. L'Instance équité et réconciliation, instaurée le 12 avril 2004 par le roi Mohammed VI, qui a eu à examiner plus 29 000 dossiers de victimes de la répression et de la torture, a démontré combien les années de plomb ont été des années d'injustice, et tous les Marocains ont espéré que plus jamais l'État n'allait tomber dans le système répressif aveugle de l'ancien régime.

    La pauvreté mère de toutes les protestations
    Les manifestations d'Al Hoceima, comme celles de Jerada, expriment quelque chose de réel et de très inquiétant : les citoyens n'en peuvent plus des inégalités, des injustices, des promesses non tenues. C'est la pauvreté qui est mère de toutes ces protestations. Il faut voir ce qu'il y a derrière la colère des gens. Réprimer, enfermer dans des prisons des citoyens qui dénoncent des situations intolérables, ne résoudra aucun problème, au contraire, ce sera une injustice de plus qui vient s'ajouter sur un paquet de frustrations et de malaise.

    Quid de Nasser Zefzafi ?
    Le cas de Nasser Zefzafi est particulier. Il a été provocateur et probablement encouragé par des Rifains de l'extérieur qui ont d'autres intérêts. Mais est-ce que cela mérite 20 ans d'enfermement ? Cet homme est certes un leader qui a commis des erreurs, par exemple, son intrusion dans une mosquée, arrachant le micro à l'imam pour faire son propre discours. La justice vient d'en faire un martyr. Tous les ingrédients sont réunis pour que la rancœur et la colère redoublent de férocité et d'ampleur, d'autant plus qu'on a affaire à une population très sensible à tout ce qui touche son identité, sa spécificité et sa mémoire.

    Mon constat à Al Hoceima
    Je me souviens, la première fois où je me suis rendu à Al Hoceima, j'ai constaté combien cette région était à l'abandon. Les habitants parlaient rifain. Quand je m'adressais à eux en arabe, ils me répondaient en espagnol. Le sentiment identitaire y est très développé et assez intransigeant.

    Il serait utile de lire l'histoire récente du Rif, à partir de l'époque où Abdelkrim al Khattabi a créé « la République du Rif », qui a eu quand même une existence de cinq années, de 1921 à 1927. La rébellion de 1958 a été réprimée très durement sous la direction de Moulay Hassan, prince héritier et futur roi.
    La mémoire rifaine est pleine de trous qui n'augurent rien de bon. Cette région, depuis longtemps sous tension, a besoin d'être apaisée, rassurée, équipée et surtout aimée par Rabat. Besoin d'être réparée comme on répare les vivants en leur livrant de quoi espérer et vivre en paix.
    Attention au dérapage
    On sait que certains barons de la drogue encouragent la rébellion. Le désordre social et politique arrangerait bien leurs affaires juteuses. Ce sont eux qui auraient mérité d'être jugés et condamnés. Ce sont eux qu'il faut aller débusquer dans des pays assez complaisants avec les trafiquants. Voyez le cas de Said Chaou, condamné en 2015 par la justice marocaine pour « association de malfaiteurs » et « trafiquants de stupéfiants ». Les Pays-Bas où il se cache refusent de l'extrader, sachant pertinemment ce qu'il représente et ce dont il est capable. C'est à partir d'Amsterdam qu'il a lui aussi proclamé « la République du Rif » et a créé le « mouvement du 18 septembre » réclamant une séparation d'avec le Maroc. Il a en outre vivement encouragé les Rifains à rejeter et à renier leur patrie.
    L'ancien régime n'avait rien réglé avec la répression. Le Maroc se dit en voie de démocratisation. La démocratie exige le respect de l'individu qu'il soit contestataire, opposant ou pas. La peine de prison infligée aux 53 personnes du Hirak n'apaisera absolument pas les centaines de milliers de citoyens en colère, que ce soit dans le Rif ou dans d'autres régions du royaume où il règne pauvreté et injustice.


    le Point fr
Chargement...
X