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Afghanistan: l’échec de la lutte contre l’opium

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  • Afghanistan: l’échec de la lutte contre l’opium

    Depuis le début de la guerre menée par les Américains en Afghanistan en 2001, les États–Unis ont dépensé 840 milliards de dollars dont 8,6 milliards pour lutter contre la production et le trafic de drogue qui finance les talibans en Afghanistan. Mais d’après différents rapports, ces opérations ont « échoué ». La production de pavot a atteint un nouveau record l’an dernier et l’Afghanistan reste le premier producteur d’opium au monde.

    D'après l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNUDC), en 2016 la production mondiale d'opium a bondi de 65% pour atteindre 10 500 tonnes. En Afghanistan, les cultures de pavot à opium qui recouvraient 201 000 hectares en 2016 sont passés en 2017 à 328 000 hectares. Cette production record d’opium en Afghanistan, estimée à 9 000 tonnes, est la plus importante mesurée depuis 2002, année à partir de laquelle on a commencé à mesurer les surfaces cultivées, précise le rapport spécial de l’inspecteur général pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), qui dresse un bilan très négatif sur pratiquement l’ensemble des programmes d’aide à la reconstruction menés en Afghanistan depuis 2002. « Pour être franc, ces chiffres sont synonymes d’échec et les perspectives ne sont pas encourageantes », conclut l’inspecteur général du SIGAR, John Sopko.

    Le lourd bilan de la guerre

    Pour les Afghans, cette guerre qui vient se rajouter à toutes celles qui ont précédé, est évidemment un désastre absolu. Les pertes civiles, difficiles à établir, sont estimées à 17 000 morts en 2014 et dépasseraient 3 500 morts par an depuis. Le nombre de blessés est incalculable, le pays est fractionné en territoires tenus par différents seigneurs de guerre. Au milieu de ce chaos, la culture du pavot reste une des rares productions intéressantes financièrement et pourvoyeuse de travail saisonnier pour les populations rurales.

    Côté américain, cette guerre a déjà fait officiellement 2 403 morts et 20 092 blessés parmi ses forces engagées. La guerre contre les talibans en Afghanistan est devenue le conflit le plus long dans lequel les États-Unis se sont engagés depuis leur indépendance. Les Américains, qui ont envoyé sur place plus de 100 000 hommes au plus fort du conflit, ne disposent plus que de 8 400 militaires sur place. Un chiffre qui pourrait changer, suite aux dernières annonces de Donald Trump, qui envisagerait de renvoyer des renforts, contrairement à ses engagements électoraux - il avait annoncé que l’Amérique cesserait d’être le gendarme du monde. Depuis la fin de la mission de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) le 1er janvier 2015, ayant entraîné le retrait de la plupart des pays occidentaux, la présence militaire étrangère est aujourd’hui principalement composée d’hommes appartenant à des sociétés militaires privées, rétribuées par les États-Unis, mais dont les pertes ne sont pas officiellement comptabilisées.

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    Financièrement, les sommes dépensées par les Américains dans cette guerre dépassent le montant du plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe en 1945 : ce chiffre est déjà de 840 milliards de dollars, ou, comme l’indique le journal Le Monde, de 2 000 milliards de dollars si on cumule l’ensemble des guerres menées par les Américains en Afghanistan, en Irak et en Syrie suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

    L’échec de la «reconstruction»

    Mais les résultats attendus par les Américains ne sont pas au rendez-vous. La guerre s’enlise et la stratégie de l’Occident semble dans l’impasse. Contrairement aux communications des responsables militaires américains et de l’Otan (communications du général John Nicholson qui commande la mission «Resolute Support » de l’Otan, par exemple) qui affirment régulièrement que la situation s’améliore, plusieurs rapports récents dressent un bilan plus contrasté sur l’intervention américaine, appelée opération « Freedom’s Sentinel ». C’est le cas des rapports de juin 2018 de l’Inspection générale du Pentagone et de l’Inspection générale spéciale du Congrès américain pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), chargée de suivre l’utilisation des fonds américains.

    Pour le rapport SIGAR, la situation tant militaire qu’économique ne s’est pas améliorée. Après 16 ans d’interventionnisme militaire et politique, les talibans n’ont jamais été autant en position de force. Les attentats et le nombre d’affrontements entre les forces gouvernementales et les talibans se sont multipliés et seulement 59,7% du territoire seraient sous contrôle afghan, soit 6 points de moins qu’en 2016.

    Sur le plan économique, « la communauté internationale a déversé des dizaines de milliards de dollars sur l’Afghanistan depuis 2002, souvent sans contrôle, exacerbant la corruption endémique dans le pays », affirme John Sopko, l’inspecteur général du SIGAR, pointant notamment le Fonds pour la reconstruction de l’Afghanistan (ARTF) créé en 2002 et administré par la Banque mondiale qui ignore, d’après lui, comment et à quelles fins a été dépensé cet argent. Enfin, sur l’un des axes essentiels de cette reconstruction, la lutte contre la production d’opium, principale source de financement des insurgés afghans, le rapport SIGAR conclut : « Malgré un investissement américain de 8,6 milliards de dollars depuis 2002 pour s’attaquer à la production de narcotiques, le nombre de zones de production n’a cessé d’augmenter ». Et pas seulement dans les zones tenues par les talibans, précise le rapport, mais il se développe également dans des territoires sous contrôle du gouvernement.

    L’économie illégale de l’Afghanistan représentait déjà en 2017 entre 20% et 32% du PIB

    La production record d’opium en 2017 a permis, d’après l’ONUDC, de produire dans des laboratoires clandestins de 550 à 900 tonnes d’héroïne de qualité exportable avec une pureté comprise entre 50% et 70%. Pour s’attaquer à ce trafic, depuis fin 2017 l’armée américaine mène des raids aériens afin de détruire ces laboratoires de production d’héroïne, principalement dans le Helmand, « la province du pavot » majoritairement sous contrôle des talibans. D’après le rapport SIGAR, l’efficacité de ces opérations est difficile à évaluer : un laboratoire peut être reconstruit en trois ou quatre jours et puis il y a le risque de faire des victimes civiles qui « aliénerait les populations rurales contre ces frappes et renforcerait les insurgés », précise le rapport. Par ailleurs, indique le document, jusqu’à ce jour « aucun programme de lutte contre le trafic de drogue, qu’il ait été mené par les États-Unis, l’armée afghane ou la coalition internationale, n’a réussi à réduire la culture du pavot ou la production d’opium en Afghanistan ». «Leur impact a été négligeable », a même précisé John Sopko lors de la présentation de son rapport.


    Préparation du pavot

    Selon le dernier rapport de l’ONUDC de mai 2018, « le pavot à opium est devenu un élément crucial de l’économie afghane qui assure la subsistance de nombreux Afghans qui le cultivent, travaillent dans les champs de pavot ou participent au commerce illicite des drogues… Dans les zones rurales, une part considérable de la population est affectée et peut tirer profit de la culture du pavot à opium. Les opiacés ont créé une économie illégale qui imprègne la société rurale dans la mesure où de nombreuses communautés – et pas seulement les agriculteurs - sont devenues dépendantes du revenu du pavot à opium pour maintenir leurs moyens de subsistance ».

    La valeur estimée de l’opium produit en Afghanistan est passé de 1,56 milliard de dollars en 2015 à 3,03 milliards de dollars en 2016. Le rapport de l’ONUDC souligne que « la production record d’opium crée de multiples défis pour l’Afghanistan, les pays voisins et de nombreux autres pays. Elle a entraîné une expansion rapide de l’économie illégale en Afghanistan. D’une valeur de 4,1 à 6,6 milliards de dollars en 2017, soit 20% et 32% du PIB (produit intérieur brut) et la valeur de cette économie des opiacés en Afghanistan a largement dépassé la valeur des exportations licites de biens et de services en 2016 (7% du PIB) pour ce pays».

    L’Afghanistan domine le marché de l’opium

    L’Afghanistan domine le marché de l’opium depuis plus de dix ans. Cette production, transformée en héroïne et en morphine dans des laboratoires locaux, fait l’objet d’un trafic international qui couvre pratiquement l’essentiel de la demande du marché mondial.

    Selon l'ONUDC, l’Afghanistan en 2009 produisait 6 900 tonnes d’opium. Le marché international produisait alors entre 430 et 450 tonnes d’héroïne pour une consommation globale estimée à 340 tonnes. Cinquante tonnes provenaient de Birmanie et du Laos et le reste d’Afghanistan, soit 380 tonnes pour l’hypothèse la plus basse, auxquels il faut déduire encore 5 tonnes saisies ou consommées en Afghanistan : reste 375 tonnes d’héroïne afghane pour alimenter un trafic international qui rapportera sur le marché international près de 55 milliards de dollars par an. L’estimation pour 2017 est de 900 tonnes d’héroïne afghane.

    Les principales routes pour l’exportation de l’héroïne afghane sont terrestres. Deux grands axes se distinguent : la route du nord à destination de la Fédération de Russie, via le Tadjikistan, le Kirghizistan (ou l’Ouzbékistan ou le Turkménistan) et le Kazakhstan, qui représente un marché estimé à 13 milliards de dollars par an ; la route des Balkans à destination de l’Europe occidentale, via l’Iran (souvent par le Pakistan), la Turquie, la Grèce et la Bulgarie et l’Europe du Sud-Est, qui représente un marché estimé à 20 milliards de dollars par an.

    Aujourd’hui, on estime qu’un tiers de l’héroïne produite en Afghanistan est acheminée vers l’Europe par la route des Balkans et qu’un autre tiers est envoyé vers l’Asie centrale et la Russie par la route du nord. L’Asie serait un marché en plein développement, 15 à 20 tonnes partiraient vers la Chine et 35 tonnes alimenteraient l’Asie du Sud et du Sud-est. 35 tonnes seraient envoyées vers l’Afrique, et le reste approvisionnerait l’Amérique du Nord et l’Océanie.


    L'augmentation du nombre de drogués en Iran serait aussi liée à la hausse de la production d'opium en Afghanistan.

    Pour l’ONUDC, seule une petite partie des revenus générés par la culture et le trafic d’opiacés afghans parvient aux groupes de trafiquants de drogue en Afghanistan. Beaucoup plus de milliards de dollars sont générés par le trafic d’opiacés dans les principaux marchés de consommation, principalement en Europe et en Asie. Le rapport de l’ONUDC conclut que « la réduction de la production d’opium en Afghanistan nécessite une approche internationale qui cible la chaîne d’approvisionnement en opiacés à tous les stades, de la source à la destination

    RFI
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