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Monde arabe, spécificités et occidentalisation

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    Monde arabe, spécificités et occidentalisation
    01 mars 2007 - Page : 21


    Une lecture des chaînes de télévision en vogue comme Al Jazeera, El Arabiya ou MBC nous renseignerait sur ce fait. Le monde arabe se réduirait ainsi à trois entités: Egypte, Syrie et Liban.


    «Alger, capitale de la culture arabe» semble reproduire les schémas archaïques du nombrilisme moyen-oriental, installant les espaces culturels maghrébins dans la marginalité.
    D’ailleurs, ces derniers temps, des organes de presse arabe remettent sur la sellette le débat Machrek-Maghreb et la question de la modernité. Souvent, les intellectuels du Machrek considèrent le Maghreb comme une sorte d’appendice, un monde étrange et étranger. La lecture de différents textes critiques nous montre que le qualificatif «arabe» se réduit à la production culturelle du Machrek. Ce qui s’expliquerait par une manifeste méconnaissance du Maghreb par les intellectuels du Moyen-Orient. Mostéfa Lacheraf avait déjà, dans son ouvrage,
    Algérie, nation et société, succinctement abordé cette question du regard réducteur porté par les intellectuels du Machrek sur le Maghreb. En 1998, une polémique, parfois violente, avait opposé le philosophe marocain, El Jabiri, au sociologue syrien, Georges Tarabichi autour de ce thème. L’intellectuel marocain mettait en avant l’apport essentiel et décisif des lettrés maghrébins à la pensée arabe. Mais la question de l’occidentalisation, latente ou apparente, des élites et des sociétés arabes marquait implicitement les discussions.
    On avance souvent l’idée, considérée comme une évidence, de l’existence d’une culture arabe, évacuant ainsi toutes les composantes des sociétés du Maghreb et du Machrek. Aucun auteur ne daigne interroger cette fragile expression qui ne résiste pas à un examen sérieux. On occulte les spécificités et les dimensions esthétiques et artistiques sous-tendant les structures théâtrales, artistiques et littéraires du Maghreb et du Machrek. Un rapide parcours des titres d’ouvrages, de thèses ou d’articles, nous donne à voir cette maladroite propension à user de ce type d’associations lexicales. Les titres indiquent que la cause est entendue et qu’aucun questionnement n’est possible. Cette idée est-elle sous-tendue par des oripeaux linguistiques ou des attributs idéologiques? La lecture de différents textes critiques nous montre que le qualificatif «arabe» se réduit à la production dramatique du Machrek. Ce qui s’expliquerait par une manifeste méconnaissance du Maghreb par les intellectuels du Moyen-Orient.

    Le Maghreb, un appendice

    Souvent, les intellectuels du Machrek n’accordent, faute d’informations et de recherches sérieuses, que très peu d’importance à l’ensemble maghrébin. Notre lecture des textes et nos nombreuses rencontres avec des critiques et des hommes de culture arabes nous permettent de conclure que le Machrek méconnaît tragiquement le Maghreb. La réciproque n’est pas vraie. Les intellectuels maghrébins sont souvent à l’écoute de toutes les manifestations culturelles du Moyen-Orient. Les chercheurs et les universitaires rétrécissent le champ de leurs travaux suggéré par leurs intitulés en ne s’intéressant qu’au Liban, à la Syrie et à l’Egypte considérant ainsi l’art et la littérature au Maghreb comme une sorte d’appendice de la production du Machrek. Cette lecture réductrice et prétentieuse résulterait peut-être de l’absence de sources documentaires. Finalement, les deux ensembles s’ignorent. Aucune institution culturelle sérieuse n’existe. Une lecture des chaînes de télévision en vogue comme Al Jazeera, El Arabiya ou MBC nous renseignerait sur ce fait. Le monde arabe se réduirait ainsi à trois entités: Egypte, Syrie et Liban. Seuls Mohamed Aziza (Regards sur le théâtre arabe contemporain), Jacob M.Landau (Etudes sur le théâtre et le cinéma arabes), Jacques Berque, Abdellah Laroui, Hichem Djaït semblent accorder la même importance à l’art théâtral dans les deux sous-ensembles.
    Les deux entités, au-delà de leurs différences, ont vécu différemment leur rapport avec l’Occident. Souvent, l’absence de véritables débats dans les pays arabes éludait des questions importantes, comme celle se rapportant à la confusion entre modernisation et occidentalisation (ou européanisation), sciemment entretenue, fonctionnant comme un bouclier idéologique primordial.
    On ne peut évoquer cette question sans entreprendre une plongée dans l’Histoire. Les pays arabes vivent le plus souvent de délicates situations syncrétiques juxtaposant une structure européenne et une forme locale, puissamment présente dans l’imaginaire social. Cette réalité presque schizophrénique est à l’origine de multiples malentendus et d’une illusoire quête d‘identité qui remet fictivement en cause l’idée même d’unité et d’existence. Les Arabes qui n’ont jamais cherché à faire la distinction entre deux réalités tout à fait différentes, modernité et Occident, sont piégés par leur rencontre avec l’Europe. Ce thème est obsessionnellement présent dans les productions artistiques et littéraires arabes. Le romancier égyptien, Jamal El Ghittani (Zini Barakat), le Soudanais, Tayeb Salih (Saison de migration vers le Nord), le Tunisien, Messadi (Le Barrage), le cinéaste, Youssef Chahine (Alexandrie pourquoi?) évoquaient cette question de la relation avec l’Occident. C’est une sorte de va-et-vient entre un Occident, tantôt désiré tantôt rejeté et une réalité autochtone sombrant dans la désillusion.
    Il est utile de signaler que la relation avec l’Europe est marquée par une double attitude faite, paradoxalement, de fascination et de répulsion. Les pays du Moyen-Orient, et notamment l’Egypte, ont été fortement séduits par la France. D’ailleurs, leurs élites ont été énormément fascinées par la culture française à tel point que le plagiat constituait un fondement essentiel de cette relation avec l’Autre. La reproduction du modèle culturel français et européen devenait le souci majeur des dirigeants politiques de l’Egypte et des autres territoires du Machrek.
    Pour Mohamed Ali, le vice-roi d’Egypte, de 1805 à 1848, le modèle européen, et surtout français, devait régir la société égyptienne. Une opposition sourde caractérisait les relations d’El Azhar avec les nouvelles institutions de l’Etat calquées sur le modèle français. Cette séduction de la France a poussé le souverain jusqu’à soutenir la colonisation française en Algérie.
    Mais cette francisation de la société égyptienne s‘accompagnait également par des réalisations «modernistes».
    Plusieurs écoles furent construites par les jésuites qui trouvèrent ainsi une occasion de propager leur religion. L’Université américaine vit le jour en 1866 et forma de
    nombreux étudiants. Moins de vingt années après, les Français fondèrent leur propre établissement d’enseignement supérieur, l’Université Saint-Joseph. Le mouvement de traduction connut un essor considérable.
    La «Nahda» qui s’était, en quelque sorte, déplacée en Egypte, était souvent assimilée à une européanisation réussie et à l’imitation des valeurs occidentales, et particulièrement françaises. Les dirigeants politiques d’Egypte étaient, eux aussi, fascinés par ces nouvelles formes de représentation découvertes, grâce à l’Expédition de Napoléon (1798-1801) et aux émigrés syriens qui prirent en charge la diffusion et la propagation des idées et des valeurs occidentales. Mohamed Ali voulait mettre en oeuvre les fondements nécessaires à la constitution d’un Etat-Nation, former une armée nationale forte et développer l’économie en insistant sur l’indispensable centralisation des structures étatiques. Aussi, Mohamed Ali voulait-il reproduire le schéma institutionnel français.
    Si les pays du Machrek étaient fascinés par l’Europe, le Maghreb, sous la colonisation, a fait une rencontre tragique avec l’Europe représentée par la colonisation française. Les populations d’Afrique du Nord ont longtemps résisté aux charmes de la culture occidentale avant d’adopter, souvent par nécessité historique, ses formes. Une sérieuse controverse opposait l’institution d’El Azhar aux rénovateurs et à ceux qui voulaient emprunter les structures occidentales. Même des réformateurs connus comme Jamal Eddine el Afghani et Mohamed Abdou, qui a été rédacteur en chef d’El Waqa’i el masria (journal officiel) à partir de 1877, ont été relativement séduits par la civilisation européenne et ont invité El Azhar à procéder à de profondes réformes.
    Les choses n’étaient pas simples d’autant plus qu’une grande césure entre les élites et la société rendait la communication extrêmement difficile et délicate.
    Aujourd’hui, également, le fossé ne cesse de se creuser entre une société profonde fortement marquée par les débris d’une mémoire en reconstitution et des élites trop piégées par les jeux de l’ «occidentalité» trop vite assimilée à la modernité dont les contours définitoires sont trop flous. D’ailleurs, les premières missions envoyées par Mohamed Ali en France ne dissimulaient nullement leur admiration pour la France. Les voyages des lettrés dans les pays d’Europe renforçaient encore plus ce désir de ressembler aux Européens.
    Rifa’a Tahtawi est le premier à diriger une mission en France. Il y restera quatre années et traduira de très nombreux ouvrages. Il décrivit son voyage et ses découvertes dans un ouvrage intitulé Takhlis al ibriz ila talkhis bariz (Du raffinement de l’or au résumé de Paris) qui mettait en lumière les multiples facettes d’une société française avancée et les grandes découvertes scientifiques et techniques de ce pays qui était, en quelque sorte, une sorte de paradis sur terre.

    L'expression

  • #2
    Suite

    Ce discours pro-européen s’accompagnait dans tout le monde arabe, Machrek et Maghreb, d’une marginalisation des cultures locales considérées comme rétrogrades. Ce qui provoquera de très sérieux conflits dans toutes les sociétés arabes qui ne feront que s’exacerber, d’autant plus que les dirigeants ne semblent pas encore conscients de la gravité de la situation.
    Les élites étaient très séduites par le mode de vie français et les formes culturelles et scientifiques. On reproduisait, discours, vêtements, architecture...C’est le temps du mimétisme absolu. Van Bemmelin écrivait ceci dans son livre L’Egypte et l’Europe à propos du Khédive Ismail: «Dès qu’il fut monté sur le trône, il se mit à vivre en grand seigneur à la franque. Palais, ameublement, cuisine et table, voiture et harnais, costumes de cour et uniformes militaires, il lui fallait tout à la franque comme à Paris.
    Puis, il était impatient d’étaler tout son luxe devant les étrangers auxquels il préparait de grandes fêtes nocturnes à l’européenne et devant les princes européens qu’il traitait splendidement à la franque s’ils voulaient bien venir voir le Caire. Ce fut dans l’accueil fait à l’impératrice Eugénie que cette hospitalité démesurée atteignit son apogée...Non content de sacrifier lui-même à son idole, Isma’îl engagea les membres de sa famille, les pachas, les fonctionnaires du gouvernement, à en faire autant, à se vêtir, à se loger, à se meubler et à vivre le plus possible à la franque. Il ne fut que trop écouté; et ce ne fut pas seulement par obéissance que les Turcs et même les Egyptiens, riches ou aisés, au Caire surtout, s’empressèrent de demander à l’Europe des vêtements, des tapis et des rideaux, des voitures et des meubles.»
    Ce discours pro-européen caractérisait les relations qu’entretenaient les élites avec l’Occident. La découverte de l’Autre s’était faite de manière paradoxalement calme et teintée de fascination.
    C’est vrai qu’il existait quelques intellectuels comme Al Afghani ou Abdou qui tentaient de provoquer une sorte de rencontre entre les deux cultures et qui insistaient exclusivement sur l’apport scientifique et technique de l’Occident. La francophonie se limitait presque exclusivement à la langue dans les pays du Maghreb, mais elle investissait les structures politiques, culturelles et économiques au Machrek. Il est évident que les voyages en Europe, l’ouverture de centaines d’écoles par les missionnaires, le rejet de la présence ottomane, les contacts permanents avec l’Europe ont favorisé l’installation de ce discours francophoniste sous-tendu par des relents idéologiques profonds.
    On ne peut que s’interroger sur le manque d’«originalité» de certains textes qui ne font que reproduire des passages ou la structure architecturale de quelques romans ou pièces de théâtre français. Un auteur aussi célèbre que Tewfik El Hakim a repris pour sa pièce Ali Baba, les principaux éléments de la construction dramaturgique d’un opéra français (de Vanloo et Busnach) du dix-neuvième siècle et ignora complètement le texte originel, Les Mille et Une Nuits. Les écrivains ont souvent repris, sans les interroger, un certain nombre de structures reproduites d’ouvrages d’Alexandre Dumas ou Hugo par exemple.

    La césure

    Cette tendance au plagiat se retrouve chez plusieurs écrivains égyptiens célèbres comme El Manfalouti, Mahmoud et Mohamed Taymour et bien d’autres.
    Ainsi, il n’est nullement possible de comprendre la situation actuelle faite de désillusions et de désenchantement, si on n’interrogeait pas l’Histoire et surtout la rencontre avec l’Europe, essentiellement au dix-neuvième siècle. Ce regard est primordial pour mieux cerner cette attitude schizophrénique, ambivalente caractérisant les sociétés arabes trop investies par un dédoublement paralysant, mettant en jeu deux univers, l’un formel, l’autre informel plus présent, même s’il est moins apparent. C’est dans cette période qu’a été mise en oeuvre une véritable décapitation de la dimension mémorielle, entreprise violentant férocement l’imaginaire social et engendrant une profonde césure séparant durablement les élites et les populations cantonnées dans un rôle de sujet passif par les pouvoirs qui se rendent aujourd’hui compte de la haine terrible que leur vouent ces foules. Les tensions sont encore relativement peu violentes.
    Les sociétés syncrétiques, doubles, traversées par deux attitudes fonctionnant comme des espaces trop antithétiques et antagoniques, ne peuvent qu’enfanter de graves tensions si les élites, loin de tourner le dos à la «modernité», ne l’assimilent pas à l’«Occident» souvent mythifié, tantôt adoré, tantôt rejeté. N’est-il pas temps dans les sociétés arabes de produire une pensée autonome, certes, ouverte, mais fondamentalement ancrée dans la culture de l’ordinaire?




    Ahmed CHENIKI

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