C’est l’un des tout derniers membres du Groupe des 22 ; pour tout dire, il ne reste plus que lui et Othmane Belouizdad après la récente disparition de Amar Benaouda. Lui, c’est Abdelkader Lamoudi, 93 ans et la mémoire étonnamment intacte, bon pied bon œil, le verbe haut et l’engagement impétueux d’un jeune maquisard. Si Abdelkader, c’est aussi du charisme, une aura, quelque chose qui tient de ce magnétisme des grandes figures du Mouvement national, lui qui a croisé sur les bancs de l’école, à Biskra, un certain…Larbi Ben M’hidi, qui a adhéré très jeune au PPA puis à l’OS avant de prendre des responsabilités importantes au sein de l’Organisation spéciale dans la région de Biskra-El Oued et le Sud-Constantinois. A ce titre, il a aussi joué un rôle-clé dans l’approvisionnement en armes des premiers maquis, notamment dans les Aurès.
Cette interview, on peut le dire, est une première tant sa parole publique est rare. Abdelkader Lamoudi a toujours décliné poliment les demandes d’entretien, chose qu’il a tenu à nous rappeler. Il aura été la discrétion même. Homme de devoir, sitôt l’indépendance du pays acquise et la mission accomplie, il a choisi de se retirer avec dignité, laissant sa place propre, immaculée, comme ses habits de lumière, répétant humblement que son combat, il l’a mené pour l’Algérie, pas pour les honneurs, encore moins le pouvoir. Quel meilleur mentor, pour rappeler au bon souvenir de nos compatriotes, les jeunes surtout, le long chemin de la libération en ce 56e anniversaire de l’indépendance, que ce pionnier parmi les pionniers du combat anticolonial, acteur et témoin de premier plan, et qui nous livre le «making of» de l’insurrection de Novembre de l’intérieur. Son témoignage opère une formidable reconstitution du contexte pré-54 en produisant au passage une radioscopie rigoureuse des forces en présence et les tendances qui s’opposaient au sein du bloc nationaliste, PPA-MTLD en tête, avant de mettre en lumière l’irruption décisive des cadres de l’OS. Récit précieux donc et document rare qui révèle en filigrane comment cette bande de jeunes activistes qui avaient maille à partir avec l’ordre colonial, sont devenus cette génération d’exception dont le destin s’est intimement confondu avec l’ADN de toute une nation.…
– Nous aimerions revenir sur votre parcours militant au long cours et vos débuts au PPA puis dans les rangs de l’OS (l’Organisation spéciale). Vous étiez très jeune quand vous avez adhéré au Parti du peuple algérien (PPA) et nous croyons savoir que c’est vous qui avez fondé la première cellule du PPA à El Oued, n’est-ce pas ?
Oui, en effet. Mon adhésion au PPA s’est faite dans une période où il y avait un bouillonnement, où les choses ont commencé un peu à bouger, les gens parlaient politique. Et surtout, à cette époque, j’avais un lien avec Ben
M’hidi. Nous avons été à l’école ensemble, à Biskra.
Nous sommes restés un bon moment très proches, Larbi et moi. Et de là est venue l’idée d’adhérer au PPA. Cela a commencé avec Larbi et le groupe de Biskra, puis nous leur avons emboîté le pas à El Oued et nous avons créé une cellule PPA.
– C’était au début des années 1940 ?
Oui, c’était vers 1943-1944. Nous avons pris ce chemin avec le PPA, et au cours de ces années de militantisme, j’ai rencontré les Didouche, Boudiaf, Larbi bien entendu et d’autres…
– Ben Boulaïd ?
Mostefa Ben Boulaïd, je l’ai rencontré dans le cadre de l’Organisation (l’OS, ndlr). Parce que j’avais la responsabilité du parti au niveau de Biskra, El Oued et les Aurès, après la création de l’OS. Dans les Aurès, c’était Ben Boulaïd qui dirigeait et moi je m’occupais de l’OS. Celle-ci exigeait une organisation stricte, bien structurée, et une disponibilité qui n’admettait aucun répit. Il fallait être là, tout le temps.
Les réunions étaient périodiques. L’autorité de Mostefa Ben Boulaïd dominait toute la région des Aurès. Si Mostefa – Allah yerrahmou – était un grand chef. A côté de ce que prescrivait l’Organisation et exigeait comme travail de préparation, lui, parallèlement, faisait un autre travail. Il a sacrifié beaucoup de choses. C’était un homme aisé, il avait des biens…
– Et même une société de transport…
Effectivement, et aussi des vergers, un moulin, et une grande maison à Arris. Il a mis tous ses biens au service de la cause. C’est encore plus noble. Je me souviens, j’ai fait des stages dans sa propriété.
– Dans sa ferme à Foum Toub ?
Exactement. Il avait une ferme à Foum Toub où il hébergeait des militants qui ont participé au premier soulèvement de la Kabylie. C’est dire qu’il a consenti tous les sacrifices. Je me souviens qu’on a fait à Foum Toub un stage de fabrication de bombes.
Il y avait un instructeur qu’a ramené l’Organisation ; il avait servi dans une unité de l’armée française qui fabriquait des bombes. Tout cela pour dire le grand mérite de Si Mostefa. Il a tout mis à la disposition du Parti et de l’Organisation. C’était sa vie.
– Et tout cela, c’était avant 1954. C’était peu après la création de l’OS (qui a vu le jour en février 1947). On peut dire que pour vous l’option de la lutte armée était déjà tranchée à l’époque ?
Il faut rappeler que le PPA a été fondé par des émigrés en France et par Messali Hadj. Ça, c’est indéniable. Messali Hadj a été plusieurs fois arrêté, déporté, il a beaucoup souffert… Ceci dit, quand le parti a grandi, il ne pouvait plus être dirigé par un seul homme. Le parti était partout, il englobait toute l’Algérie, et il avait besoin d’organisation, d’un bureau politique, il devait tenir des congrès…
Dans ses rangs, il y avait des gens cultivés, des diplômés, qui ne pouvaient plus accepter l’emprise d’un seul homme sur le parti. Messali considérait que c’était son parti à lui. Dès lors, il y a eu des frictions. Bien sûr, ils ont essayé de masquer ces différends, mais il est arrivé un moment où il fallait prendre des décisions graves.
Lui (Messali, ndlr) ne dirigeait rien en réalité. Il était souvent en captivité ou à l’extérieur, en Afrique et ailleurs… D’autres ont pris en main le parti. Il se trouve qu’au sein du PPA, les gens différaient dans leurs idées au sujet du moyen de libérer l’Algérie. Il y en a qui disaient : il faut travailler le peuple jusqu’à ce qu’il adhère au projet indépendantiste.
D’autres estimaient que le parti avait atteint un certain degré de maturité, qu’il était présent dans tout le pays, et qu’il était temps de prendre une décision (concernant le déclenchement de la Guerre de Libération, ndlr). Parmi ces gens, il y avait Mohamed Belouizdad. Lui et ses compagnons – ils étaient quatre ou cinq – ont dit : on ne peut pas continuer à tergiverser. On subit la répression. Et puis, il faut que nous nous préparions pour l’objectif pour lequel nous nous sommes engagés.
On a dit : il faut libérer l’Algérie, il faut donc suivre la route qui mène à l’indépendance de l’Algérie ! On ne va pas suivre éternellement les aléas de la politique, «la France organise des élections», «la France a fait ci ou ça», ça ne rime à rien. Alors, il y a eu un congrès.
Ces idées se sont affrontées. Lahouel Hocine et ses partisans ont fait remarquer que dans le parti, il y a maintenant des courants, c’est normal ; que ceux qui veulent privilégier l’action politique poursuivent leur travail dans l’action politique.
Et pour ceux qui veulent autre chose, on va créer une organisation à cet effet. Ils ont nommé des cadres pour s’en charger, avec, à leur tête, Mohamed Belouizdad. C’était une décision sage mais qui allait faire en sorte qu’on s’écarterait les uns des autres.
– Ça allait accentuer la crise au sein du PPA-MTLD ?
Ça devait conduire plus tard à la scission du parti. Les germes de la scission étaient là. Les gens qui ont créé l’OS après ce congrès ont commencé à travailler.
On leur a dit : prenez les meilleurs des militants. Cette organisation qui était complètement parallèle au PPA devait préparer le soulèvement, faire la guerre à la France pour libérer la patrie. On a commencé à organiser l’OS. Il y avait trois régions : l’Oranie, l’Algérois et le Constantinois.
Chacune avait un responsable. Ils se réunissaient régulièrement pour faire le point. Mais pour préparer une insurrection, ça supposait du matériel. Il fallait avoir des armes, des bombes, des refuges, toute une logistique…
– Vous avez acheminé vous-même des armes. Comment procédiez-vous ?
Le parti nous a donné une somme d’argent pour acheter des armes. C’est Mohamed Belouizdad qui nous a apporté l’argent. Un de nos militants à El Oued, Mohamed Belhadj, est allé à Tripoli (Libye) pour acheter les armes et il les a ramenées à dos de chameaux jusqu’à El Oued. On les a stockées chez un autre militant qui avait une petite palmeraie et nous attendions les ordres.
Elles sont restées là pendant un moment. Après, nous avons reçu l’ordre de les acheminer vers les Aurès. Moi, Mohamed Belhadj et un autre militant, Bachir Benmoussa, nous nous sommes chargés de les acheminer avec l’aide d’un groupe de Biskra qui a loué les services de chameliers.
Au préalable, on a tâté le terrain pour choisir le meilleur moment pour sortir et on a procédé à une reconnaissance du chemin. On a accroché les sacs chargés d’armes aux flancs des chameaux et on est sortis vers les coups de 8h du soir. On a choisi le moment où il n’y avait pas de lune. On devait déposer cet armement aux abords des Aurès.
– Ce lot d’armes a servi plus tard lors du déclenchement de la Révolution le 1er Novembre 1954 ?
Bien sûr ! D’ailleurs, c’était la plus grosse quantité d’armes que nous avons réussi à nous procurer. Les autres avaient quelques armes récupérées auprès de particuliers. Mais là c’était une quantité conséquente qui comprenait des fusils, 3 ou 4 mitraillettes et beaucoup de munitions.
La traversée a été éprouvante. Nous étions épuisés, mais nous ne pouvions pas nous arrêter. Nous étions encore proches des zones d’habitation. Nous avons marché toute la nuit et le jour suivant jusqu’en début d’après-midi.
On était très, très fatigués. On s’est assis dans un endroit à l’abri et on a fait reposer les bêtes. On a repris ensuite notre marche jusqu’à Zeribet Hamed. Pas Zeribet El Oued, Zeribet Hamed.
Il y avait quelqu’un à qui on devait remettre les armes. Une fois notre mission accomplie, nous sommes rentrés à Biskra. On ne devait pas s’occuper de la suite, c’était cloisonné. C’est un peu plus tard que nous avons appris que c’est Ben Boulaïd lui-même qui les a récupérées. Il est venu avec deux ou trois de ses aides accompagnés de mulets.
Parce que pour gravir la montagne, les chameaux ne faisaient pas l’affaire. Ils ont récupéré les armes et les ont planquées en un lieu sûr dans les Aurès. Après, Ben Boulaïd les a distribuées. Nous, on a continué notre travail en essayant de faire monter vers le nord tout ce qu’on pouvait comme armes. On a même mis des armes dans des sacs de dattes sèches.
On a envoyé plusieurs fois des armes comme ça. Certaines étaient enroulées dans des couvertures. Il y avait un militant à Biskra, Ahmed Zakouni, commerçant de son état. Il avait des locaux et il les gardait chez lui jusqu’à ce qu’on vienne les récupérer. C’est ainsi qu’on a acheminé les armes par petites quantités.
Il y avait également un militant qui possédait un camion, et qui a transporté un lot d’armes à Constantine, précisément à Condé Smendou, l’actuelle Zighoud Youcef. De la même façon, nous avons expédié des armes vers Annaba, Skikda, Sétif… Tout le monde a eu sa part d’armement. Certes, ce n’était pas une grande quantité mais assez pour faire un peu de bruit.
– Venons-en maintenant à la réunion des 22 à laquelle vous avez participé. L’objectif de cette réunion, c’était d’unir vos forces après la crise du PPA-MTLD ?
Il fallait aller à une autre étape. Il faut préciser que les présents étaient tous des cadres de l’OS. C’est l’OS qui s’est occupé de tout. Parce que le parti qui continuait à activer parallèlement était un peu éloigné de notre organisation. Entre-temps, il y a eu l’affaire du militant de l’OS à Tébessa qui s’est rendu à la police.
(Il s’agit de Khiari Abdelkader, dit R’haïm ; cela s’est passé le 18 mars 1950, ndlr). C’est ainsi que la police française a découvert l’existence de l’Organisation. Le nidham tout entier a été démasqué. Les principaux responsables de l’OS sont entrés dans la clandestinité.
Parmi eux Boudiaf, Ben M’hidi, Mourad (Didouche) et beaucoup d’autres militants qui se sont mis au vert pour ne pas être arrêtés. Mais vous savez, quand Dieu le Tout-Puissant décide de quelque chose, aucune force ne peut contrarier Ses desseins.
Si ce bonhomme ne nous avait pas dénoncés, ces dirigeants n’auraient pas basculé dans la clandestinité. Or, c’est dans la clandestinité que tout s’est joué. Ils se sont sentis traqués, mis au pied du mur. Ils se sont dit : on ne peut rester dans la clandestinité éternellement.
Cette interview, on peut le dire, est une première tant sa parole publique est rare. Abdelkader Lamoudi a toujours décliné poliment les demandes d’entretien, chose qu’il a tenu à nous rappeler. Il aura été la discrétion même. Homme de devoir, sitôt l’indépendance du pays acquise et la mission accomplie, il a choisi de se retirer avec dignité, laissant sa place propre, immaculée, comme ses habits de lumière, répétant humblement que son combat, il l’a mené pour l’Algérie, pas pour les honneurs, encore moins le pouvoir. Quel meilleur mentor, pour rappeler au bon souvenir de nos compatriotes, les jeunes surtout, le long chemin de la libération en ce 56e anniversaire de l’indépendance, que ce pionnier parmi les pionniers du combat anticolonial, acteur et témoin de premier plan, et qui nous livre le «making of» de l’insurrection de Novembre de l’intérieur. Son témoignage opère une formidable reconstitution du contexte pré-54 en produisant au passage une radioscopie rigoureuse des forces en présence et les tendances qui s’opposaient au sein du bloc nationaliste, PPA-MTLD en tête, avant de mettre en lumière l’irruption décisive des cadres de l’OS. Récit précieux donc et document rare qui révèle en filigrane comment cette bande de jeunes activistes qui avaient maille à partir avec l’ordre colonial, sont devenus cette génération d’exception dont le destin s’est intimement confondu avec l’ADN de toute une nation.…
– Nous aimerions revenir sur votre parcours militant au long cours et vos débuts au PPA puis dans les rangs de l’OS (l’Organisation spéciale). Vous étiez très jeune quand vous avez adhéré au Parti du peuple algérien (PPA) et nous croyons savoir que c’est vous qui avez fondé la première cellule du PPA à El Oued, n’est-ce pas ?
Oui, en effet. Mon adhésion au PPA s’est faite dans une période où il y avait un bouillonnement, où les choses ont commencé un peu à bouger, les gens parlaient politique. Et surtout, à cette époque, j’avais un lien avec Ben
M’hidi. Nous avons été à l’école ensemble, à Biskra.
Nous sommes restés un bon moment très proches, Larbi et moi. Et de là est venue l’idée d’adhérer au PPA. Cela a commencé avec Larbi et le groupe de Biskra, puis nous leur avons emboîté le pas à El Oued et nous avons créé une cellule PPA.
– C’était au début des années 1940 ?
Oui, c’était vers 1943-1944. Nous avons pris ce chemin avec le PPA, et au cours de ces années de militantisme, j’ai rencontré les Didouche, Boudiaf, Larbi bien entendu et d’autres…
– Ben Boulaïd ?
Mostefa Ben Boulaïd, je l’ai rencontré dans le cadre de l’Organisation (l’OS, ndlr). Parce que j’avais la responsabilité du parti au niveau de Biskra, El Oued et les Aurès, après la création de l’OS. Dans les Aurès, c’était Ben Boulaïd qui dirigeait et moi je m’occupais de l’OS. Celle-ci exigeait une organisation stricte, bien structurée, et une disponibilité qui n’admettait aucun répit. Il fallait être là, tout le temps.
Les réunions étaient périodiques. L’autorité de Mostefa Ben Boulaïd dominait toute la région des Aurès. Si Mostefa – Allah yerrahmou – était un grand chef. A côté de ce que prescrivait l’Organisation et exigeait comme travail de préparation, lui, parallèlement, faisait un autre travail. Il a sacrifié beaucoup de choses. C’était un homme aisé, il avait des biens…
– Et même une société de transport…
Effectivement, et aussi des vergers, un moulin, et une grande maison à Arris. Il a mis tous ses biens au service de la cause. C’est encore plus noble. Je me souviens, j’ai fait des stages dans sa propriété.
– Dans sa ferme à Foum Toub ?
Exactement. Il avait une ferme à Foum Toub où il hébergeait des militants qui ont participé au premier soulèvement de la Kabylie. C’est dire qu’il a consenti tous les sacrifices. Je me souviens qu’on a fait à Foum Toub un stage de fabrication de bombes.
Il y avait un instructeur qu’a ramené l’Organisation ; il avait servi dans une unité de l’armée française qui fabriquait des bombes. Tout cela pour dire le grand mérite de Si Mostefa. Il a tout mis à la disposition du Parti et de l’Organisation. C’était sa vie.
– Et tout cela, c’était avant 1954. C’était peu après la création de l’OS (qui a vu le jour en février 1947). On peut dire que pour vous l’option de la lutte armée était déjà tranchée à l’époque ?
Il faut rappeler que le PPA a été fondé par des émigrés en France et par Messali Hadj. Ça, c’est indéniable. Messali Hadj a été plusieurs fois arrêté, déporté, il a beaucoup souffert… Ceci dit, quand le parti a grandi, il ne pouvait plus être dirigé par un seul homme. Le parti était partout, il englobait toute l’Algérie, et il avait besoin d’organisation, d’un bureau politique, il devait tenir des congrès…
Dans ses rangs, il y avait des gens cultivés, des diplômés, qui ne pouvaient plus accepter l’emprise d’un seul homme sur le parti. Messali considérait que c’était son parti à lui. Dès lors, il y a eu des frictions. Bien sûr, ils ont essayé de masquer ces différends, mais il est arrivé un moment où il fallait prendre des décisions graves.
Lui (Messali, ndlr) ne dirigeait rien en réalité. Il était souvent en captivité ou à l’extérieur, en Afrique et ailleurs… D’autres ont pris en main le parti. Il se trouve qu’au sein du PPA, les gens différaient dans leurs idées au sujet du moyen de libérer l’Algérie. Il y en a qui disaient : il faut travailler le peuple jusqu’à ce qu’il adhère au projet indépendantiste.
D’autres estimaient que le parti avait atteint un certain degré de maturité, qu’il était présent dans tout le pays, et qu’il était temps de prendre une décision (concernant le déclenchement de la Guerre de Libération, ndlr). Parmi ces gens, il y avait Mohamed Belouizdad. Lui et ses compagnons – ils étaient quatre ou cinq – ont dit : on ne peut pas continuer à tergiverser. On subit la répression. Et puis, il faut que nous nous préparions pour l’objectif pour lequel nous nous sommes engagés.
On a dit : il faut libérer l’Algérie, il faut donc suivre la route qui mène à l’indépendance de l’Algérie ! On ne va pas suivre éternellement les aléas de la politique, «la France organise des élections», «la France a fait ci ou ça», ça ne rime à rien. Alors, il y a eu un congrès.
Ces idées se sont affrontées. Lahouel Hocine et ses partisans ont fait remarquer que dans le parti, il y a maintenant des courants, c’est normal ; que ceux qui veulent privilégier l’action politique poursuivent leur travail dans l’action politique.
Et pour ceux qui veulent autre chose, on va créer une organisation à cet effet. Ils ont nommé des cadres pour s’en charger, avec, à leur tête, Mohamed Belouizdad. C’était une décision sage mais qui allait faire en sorte qu’on s’écarterait les uns des autres.
– Ça allait accentuer la crise au sein du PPA-MTLD ?
Ça devait conduire plus tard à la scission du parti. Les germes de la scission étaient là. Les gens qui ont créé l’OS après ce congrès ont commencé à travailler.
On leur a dit : prenez les meilleurs des militants. Cette organisation qui était complètement parallèle au PPA devait préparer le soulèvement, faire la guerre à la France pour libérer la patrie. On a commencé à organiser l’OS. Il y avait trois régions : l’Oranie, l’Algérois et le Constantinois.
Chacune avait un responsable. Ils se réunissaient régulièrement pour faire le point. Mais pour préparer une insurrection, ça supposait du matériel. Il fallait avoir des armes, des bombes, des refuges, toute une logistique…
– Vous avez acheminé vous-même des armes. Comment procédiez-vous ?
Le parti nous a donné une somme d’argent pour acheter des armes. C’est Mohamed Belouizdad qui nous a apporté l’argent. Un de nos militants à El Oued, Mohamed Belhadj, est allé à Tripoli (Libye) pour acheter les armes et il les a ramenées à dos de chameaux jusqu’à El Oued. On les a stockées chez un autre militant qui avait une petite palmeraie et nous attendions les ordres.
Elles sont restées là pendant un moment. Après, nous avons reçu l’ordre de les acheminer vers les Aurès. Moi, Mohamed Belhadj et un autre militant, Bachir Benmoussa, nous nous sommes chargés de les acheminer avec l’aide d’un groupe de Biskra qui a loué les services de chameliers.
Au préalable, on a tâté le terrain pour choisir le meilleur moment pour sortir et on a procédé à une reconnaissance du chemin. On a accroché les sacs chargés d’armes aux flancs des chameaux et on est sortis vers les coups de 8h du soir. On a choisi le moment où il n’y avait pas de lune. On devait déposer cet armement aux abords des Aurès.
– Ce lot d’armes a servi plus tard lors du déclenchement de la Révolution le 1er Novembre 1954 ?
Bien sûr ! D’ailleurs, c’était la plus grosse quantité d’armes que nous avons réussi à nous procurer. Les autres avaient quelques armes récupérées auprès de particuliers. Mais là c’était une quantité conséquente qui comprenait des fusils, 3 ou 4 mitraillettes et beaucoup de munitions.
La traversée a été éprouvante. Nous étions épuisés, mais nous ne pouvions pas nous arrêter. Nous étions encore proches des zones d’habitation. Nous avons marché toute la nuit et le jour suivant jusqu’en début d’après-midi.
On était très, très fatigués. On s’est assis dans un endroit à l’abri et on a fait reposer les bêtes. On a repris ensuite notre marche jusqu’à Zeribet Hamed. Pas Zeribet El Oued, Zeribet Hamed.
Il y avait quelqu’un à qui on devait remettre les armes. Une fois notre mission accomplie, nous sommes rentrés à Biskra. On ne devait pas s’occuper de la suite, c’était cloisonné. C’est un peu plus tard que nous avons appris que c’est Ben Boulaïd lui-même qui les a récupérées. Il est venu avec deux ou trois de ses aides accompagnés de mulets.
Parce que pour gravir la montagne, les chameaux ne faisaient pas l’affaire. Ils ont récupéré les armes et les ont planquées en un lieu sûr dans les Aurès. Après, Ben Boulaïd les a distribuées. Nous, on a continué notre travail en essayant de faire monter vers le nord tout ce qu’on pouvait comme armes. On a même mis des armes dans des sacs de dattes sèches.
On a envoyé plusieurs fois des armes comme ça. Certaines étaient enroulées dans des couvertures. Il y avait un militant à Biskra, Ahmed Zakouni, commerçant de son état. Il avait des locaux et il les gardait chez lui jusqu’à ce qu’on vienne les récupérer. C’est ainsi qu’on a acheminé les armes par petites quantités.
Il y avait également un militant qui possédait un camion, et qui a transporté un lot d’armes à Constantine, précisément à Condé Smendou, l’actuelle Zighoud Youcef. De la même façon, nous avons expédié des armes vers Annaba, Skikda, Sétif… Tout le monde a eu sa part d’armement. Certes, ce n’était pas une grande quantité mais assez pour faire un peu de bruit.
– Venons-en maintenant à la réunion des 22 à laquelle vous avez participé. L’objectif de cette réunion, c’était d’unir vos forces après la crise du PPA-MTLD ?
Il fallait aller à une autre étape. Il faut préciser que les présents étaient tous des cadres de l’OS. C’est l’OS qui s’est occupé de tout. Parce que le parti qui continuait à activer parallèlement était un peu éloigné de notre organisation. Entre-temps, il y a eu l’affaire du militant de l’OS à Tébessa qui s’est rendu à la police.
(Il s’agit de Khiari Abdelkader, dit R’haïm ; cela s’est passé le 18 mars 1950, ndlr). C’est ainsi que la police française a découvert l’existence de l’Organisation. Le nidham tout entier a été démasqué. Les principaux responsables de l’OS sont entrés dans la clandestinité.
Parmi eux Boudiaf, Ben M’hidi, Mourad (Didouche) et beaucoup d’autres militants qui se sont mis au vert pour ne pas être arrêtés. Mais vous savez, quand Dieu le Tout-Puissant décide de quelque chose, aucune force ne peut contrarier Ses desseins.
Si ce bonhomme ne nous avait pas dénoncés, ces dirigeants n’auraient pas basculé dans la clandestinité. Or, c’est dans la clandestinité que tout s’est joué. Ils se sont sentis traqués, mis au pied du mur. Ils se sont dit : on ne peut rester dans la clandestinité éternellement.
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