Un cours sur le bonheur. C’est de loin la série de cours la plus populaire donnée par la célèbre et très exigeante université américaine de Yale: Psychology and the Good Life. Nous nous y sommes inscrits pour y apprendre que pour être heureux, il faut travailler dur
l y a peu, la célèbre université américaine de Yale a organisé le cours le plus populaire en 300 ans d’existence: Psychology and the Good Life, ou comment mener une vie heureuse. Les cours de la professeure Laurie Santos ont eu tellement de succès qu’ils ont dû être organisés dans la salle de concert du campus. Aucun auditoire ne permettait d’accueillir les 1.200 inscrits.
Il ne faut pas s’étonner de ce succès. Plus de la moitié des étudiants de première année cherchent un soutien psychologique, nous apprennent les statistiques de l’université. Les étudiants se sentent déprimés, seuls et débordés. Yale, une université avec un pourcentage d’admission des candidats inférieur à 7%, constitue un environnement très compétitif qui met les étudiants sous forte pression. "Une crise de santé mentale": c’est ainsi que Santos décrit la situation dans son université. L’objectif du cours est d’apporter une réponse à ce problème.
Vu que le cours a également remporté beaucoup de succès en dehors de l’université, Santos a créé, pour la plateforme d’apprentissage Coursera, une version en ligne gratuite du cours. "Je pense que la situation est plus grave pour les étudiants universitaires. Mais on constate que la plupart des adultes ne sont pas plus heureux qu’il y a dix ans", nous a répondu la professeure dans un mail lorsque nous l’avons interrogée sur les raisons de son succès. "Suite aux nombreux changements intervenus dans la société, et surtout suite à l’émergence des réseaux sociaux, nous nous sentons plus mal au lieu de nous sentir mieux."
Les Belges ne sont pas des gens très heureux. Dans le World Happiness Report des Nations unies, la Belgique se classe au 16e rang des peuples les plus heureux, loin derrière les pays scandinaves, mais aussi derrière les Pays-Bas, le Costa Rica et Israël. Dans une récente enquête de l’économiste de la santé Lieven Annemans, les Belges s’attribuent un score de bonheur moyen de 6,5/10. Un quart d’entre eux se donnent une note inférieure à 5/10. Nous sommes par contre les champions du monde en termes de consommation de médicaments analgésiques et antidépresseurs. Le nombre de malades de longue durée pour raisons psychiques augmente de manière effrayante et le taux de suicide reste très élevé.
Je me considère plutôt comme une cynique, mais je ne me sens certainement pas malheureuse. Je ne fais pas partie des étudiants de Yale qui doivent débourser 60.000 dollars par année d’étude. Je suis ni dépressive, ni épuisée. Je vis une relation stable, j’ai un bon travail, et je suis en bonne santé. Et je peux m’offrir pratiquement tout ce dont j’ai besoin. Avec une certaine réserve: quand je m’inscris au cours en ligne, je remarque assez vite qu’aucun des arguments que je viens d’énoncer – relation amoureuse, travail, santé, argent, biens matériels – ne contribue à mon bonheur. Le premier cours est une leçon de modestie.
Dès le début du cours, les participants subissent un test de bonheur et de personnalité. L’objectif est de mesurer les progrès accomplis au fur et à mesure de l’avancée du cours. Mesurer le bonheur n’est pas chose facile. Le World Happiness Report se penche également sur des données matérielles comme les revenus et l’espérance de vie. Santos utilise l’Authentic Happiness Inventory, un questionnaire qui mesure les émotions positives et négatives. Il ressemble un peu aux tests que l’on trouve dans la presse féminine, mais il a pourtant été élaboré par l’université de Pennsylvanie. Mon résultat est une fois de plus assez décevant: 2,83/5. Je "passe" tout juste. Peut-être ai-je en réalité bien plus besoin de suivre ce cours que ce que j’imaginais.
Pas d’euphorie
Pendant les années 70, les psychologues ont commencé à se demander comment améliorer le bien-être des gens. Jusque-là, la psychologie ne s’intéressait qu’aux malades, aux "fous". Les scientifiques décrivaient en détail les troubles, mettaient au point des médicaments et imaginaient des thérapies. Les patients étaient considérés avant tout comme des victimes de certaines circonstances.
"Nous avons oublié de prendre en compte les choix personnels et la responsabilité des individus", explique le psychologue américain Martin Seligman dans un célèbre TED Talk. "De plus, nous avons perdu de vue comment les interventions positives opéraient et pouvaient rendre les gens plus heureux." Seligman, dont les premières recherches portaient sur la dépression, est devenu le fondateur de la "psychologie positive". Le point de départ de la science dans l’étude du bonheur, c’est qu’il faut partir des forces des individus pour optimiser leur bien-être, au lieu de soigner leurs points faibles.
Les détracteurs de cette approche estiment que la psychologie positive a développé "l’obsession du bonheur", et l’illusion que le bonheur était accessible si l’on pensait positivement. C’est douloureux pour ceux qui souffrent réellement d’un problème psychique. "La science du bonheur n’est pas la ‘bonheur-ologie’", prévient Santos dès sa première conférence. Faire des choses qui rendent content, joyeux ou euphorique ne contribue pas au bonheur. Les études démontrent que ceux qui cherchent de manière compulsive à être heureux le sont paradoxalement moins.
D’une certaine manière, créer un sentiment de bonheur est très difficile. Près de 50% des causes sont génétiques, 10% s’expliquent par les circonstances de la vie, explique Sonja Lubyomirski, une autre pionnière de la psychologie positive. Les 40% restants font l’objet du cours. Nota bene à ne pas sous-estimer: cette théorie sur la capacité à devenir heureux ne s’applique que si quelques conditions de base sont remplies, comme la sécurité et un revenu permettant de subvenir à ses besoins fondamentaux. Ainsi, un Syrien dans un abri à Idlib a peu de chance d’être heureux.
Imaginez que vous ayez le choix entre gagner au Lotto ou être paralysé: personne ne choisira la chaise roulante, et malgré tout, cela n’a aucun impact sur le bonheur. Lors d’une expérience devenue célèbre, le psychologue Dan Gilbert a interrogé des gagnants du Lotto et des personnes paralysées. Au début, les gagnants du Lotto se sentent plus heureux que les patients paraplégiques, mais les différences sont moins importantes qu’attendu. Trois mois après l’événement décisif, les effets – tant positifs que négatifs – avaient disparu, et les deux groupes se sentaient comme avant.
Une grande partie du cours porte sur la réfutation des théories du bonheur. Notre cerveau est conçu pour développer une attirance quasi irrésistible pour les choses qui, selon nous, amélioreront notre bien-être, même si ce n’est pas le cas à terme, comme une augmentation de salaire, le mariage, un corps parfait, une nouvelle voiture, une plus grande maison, une barre de chocolat. Dans la réalité, l’effet disparaît rapidement. Les événements positifs donnent tout au plus une amélioration temporaire du sentiment de bonheur. Par ailleurs, nous surestimons l’impact des événements négatifs: rupture, maladie, licenciement.
En réalité, la formation de Santos n’est pas un cours intensif de psychologie positive, mais une master class en économie comportementale. Comme l’a démontré entre autres l’économiste Richard Thaler, les gens sont des êtres irrationnels guidés par leur instinct et leurs erreurs de jugement, et qui ne font pas nécessairement les meilleurs choix. Nous sommes constamment trahis par notre cerveau. C’est la même chose en matière de bonheur. C’est comme une illusion d’optique: même si nous savons que deux petites flèches sont de même longueur, notre cerveau continue à penser que l’une d’elles est plus longue.
Moins de réseaux sociaux
Et l’argent? Nous rend-il heureux? De nombreux chercheurs sur le bonheur se sont penchés sur la question. La réponse est complexe. Le classement des pays les plus riches et les plus développés n’est pas le même que celui des pays où les habitants se sentent le plus heureux. L’amélioration incroyable du niveau de vie du monde occidental au cours du dernier siècle ne s’est pas accompagnée d’une augmentation identique de la satisfaction et du bien-être des populations.
Le lauréat du prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a pourtant démontré que l’argent rendait heureux, du moins jusqu’à un certain niveau. Aux États-Unis, ce niveau correspond à un revenu annuel de près de 75.000 dollars par an (64.000 euros). Annemans a calculé que pour les Belges, ce niveau se situait à 6.500 euros net par mois et par ménage. Au-dessus de ce montant, les gens ne sont pas (plus) heureux, au contraire.
La psychologue Sonya Lubyomirski a interrogé un échantillon de personnes dont le revenu annuel se monte à 30.000 dollars et leur a demandé de combien d’argent ils pensaient avoir besoin. Ils ont opté en moyenne pour un montant de 50.000 dollars. Mais ceux qui gagnent 100.000 dollars estiment avoir besoin de 250.000 dollars. On retrouve le même paradoxe si on les interroge sur une augmentation salariale: pour chaque augmentation de 1 dollar, ils souhaitent en réalité en obtenir 1,4.
Dans une autre expérience, les participants ont le choix entre gagner 50.000 dollars contre 25.000 dollars pour leur collègue, ou opter pour 100.000 dollars et 250.000 dollars pour leur collègue. La moitié choisissent de gagner 50.000 dollars, soit 50% de moins que ce qu’ils pourraient obtenir, mais deux fois plus que leur collègue.
Cette attitude s’explique en partie parce que nous avons tendance à nous comparer aux autres, et parce que nos références sont souvent irrationnelles. Le gagnant d’une médaille de bronze peut être plus heureux que celui qui obtient la médaille d’argent: il ne s’agit pas de ce que vous obtenez, mais de ce que vous pensiez pouvoir obtenir. Cela fonctionne de la même façon en sens inverse: dans une région où le taux de chômage est élevé, les gens se sentent moins malheureux s’ils sont sans emploi que dans une région où le taux d’emploi est élevé.
Il ne faut donc pas s’étonner que ceux qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux soient moins satisfaits de leur vie. Même lorsqu’ils écument Facebook à la recherche d’anciens condisciples ayant des enfants affreux, des goûts douteux et un emploi ennuyeux. L’impact positif de ceux qui s’en tirent moins bien est nettement inférieur à l’impact négatif de tous ceux qui ont l’air plus heureux, plus stables et plus intéressants. Santos plaide donc ardemment pour que l’on se désinscrive des réseaux sociaux ou, au minimum, qu’on les utilise le moins possible.
Faire preuve de gratitude
Sur le campus de Yale et dans les médias américains, on se moque gentiment du cours et des étudiants à la recherche du bonheur, que l’on soupçonne de vouloir obtenir facilement de bonnes notes. Santos a réagi en qualifiant son programme de "cours le plus dur de Yale". Son pari est osé: changer la vie des participants en leur faisant développer de nouvelles habitudes qui contribueront à terme, et de manière durable, à leur bien-être. Comme ceux qui ont essayé de mener une vie plus saine le savent, le plus difficile est de tenir dans la durée. Tout le monde peut se passer d’alcool pendant un mois, mais c’est une autre histoire de se limiter à dix bières par semaine pendant le reste de l’année, comme le recommande le Conseil supérieur de la santé.
Les devoirs à domicile constituent la partie la plus importante de ce programme de dix semaines. Pas de devoirs écrits à rendre, de lectures ou de tâches à accomplir, mais des actions concrètes, dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement, et que les participants doivent accomplir au moins une fois par jour pendant une semaine complète.
Ces tâches sont basées sur les habitudes et caractéristiques humaines que des études ont mises en évidence comme étant perçues comme gratifiantes. Les gens heureux ont en général un réseau social élargi et approfondi, mais établissent aussi beaucoup de contacts avec des inconnus, dans le train ou dans les cafés. Ils rendent aussi plus souvent service aux autres, bénévolement. Ils sentent moins la pression du temps, dorment suffisamment, sont actifs ou sportifs. Ils font de la méditation et sont reconnaissants, ouverts et curieux. Ils ont un objectif de vie clair.
l y a peu, la célèbre université américaine de Yale a organisé le cours le plus populaire en 300 ans d’existence: Psychology and the Good Life, ou comment mener une vie heureuse. Les cours de la professeure Laurie Santos ont eu tellement de succès qu’ils ont dû être organisés dans la salle de concert du campus. Aucun auditoire ne permettait d’accueillir les 1.200 inscrits.
Il ne faut pas s’étonner de ce succès. Plus de la moitié des étudiants de première année cherchent un soutien psychologique, nous apprennent les statistiques de l’université. Les étudiants se sentent déprimés, seuls et débordés. Yale, une université avec un pourcentage d’admission des candidats inférieur à 7%, constitue un environnement très compétitif qui met les étudiants sous forte pression. "Une crise de santé mentale": c’est ainsi que Santos décrit la situation dans son université. L’objectif du cours est d’apporter une réponse à ce problème.
Vu que le cours a également remporté beaucoup de succès en dehors de l’université, Santos a créé, pour la plateforme d’apprentissage Coursera, une version en ligne gratuite du cours. "Je pense que la situation est plus grave pour les étudiants universitaires. Mais on constate que la plupart des adultes ne sont pas plus heureux qu’il y a dix ans", nous a répondu la professeure dans un mail lorsque nous l’avons interrogée sur les raisons de son succès. "Suite aux nombreux changements intervenus dans la société, et surtout suite à l’émergence des réseaux sociaux, nous nous sentons plus mal au lieu de nous sentir mieux."
Les Belges ne sont pas des gens très heureux. Dans le World Happiness Report des Nations unies, la Belgique se classe au 16e rang des peuples les plus heureux, loin derrière les pays scandinaves, mais aussi derrière les Pays-Bas, le Costa Rica et Israël. Dans une récente enquête de l’économiste de la santé Lieven Annemans, les Belges s’attribuent un score de bonheur moyen de 6,5/10. Un quart d’entre eux se donnent une note inférieure à 5/10. Nous sommes par contre les champions du monde en termes de consommation de médicaments analgésiques et antidépresseurs. Le nombre de malades de longue durée pour raisons psychiques augmente de manière effrayante et le taux de suicide reste très élevé.
Je me considère plutôt comme une cynique, mais je ne me sens certainement pas malheureuse. Je ne fais pas partie des étudiants de Yale qui doivent débourser 60.000 dollars par année d’étude. Je suis ni dépressive, ni épuisée. Je vis une relation stable, j’ai un bon travail, et je suis en bonne santé. Et je peux m’offrir pratiquement tout ce dont j’ai besoin. Avec une certaine réserve: quand je m’inscris au cours en ligne, je remarque assez vite qu’aucun des arguments que je viens d’énoncer – relation amoureuse, travail, santé, argent, biens matériels – ne contribue à mon bonheur. Le premier cours est une leçon de modestie.
Dès le début du cours, les participants subissent un test de bonheur et de personnalité. L’objectif est de mesurer les progrès accomplis au fur et à mesure de l’avancée du cours. Mesurer le bonheur n’est pas chose facile. Le World Happiness Report se penche également sur des données matérielles comme les revenus et l’espérance de vie. Santos utilise l’Authentic Happiness Inventory, un questionnaire qui mesure les émotions positives et négatives. Il ressemble un peu aux tests que l’on trouve dans la presse féminine, mais il a pourtant été élaboré par l’université de Pennsylvanie. Mon résultat est une fois de plus assez décevant: 2,83/5. Je "passe" tout juste. Peut-être ai-je en réalité bien plus besoin de suivre ce cours que ce que j’imaginais.
Pas d’euphorie
Pendant les années 70, les psychologues ont commencé à se demander comment améliorer le bien-être des gens. Jusque-là, la psychologie ne s’intéressait qu’aux malades, aux "fous". Les scientifiques décrivaient en détail les troubles, mettaient au point des médicaments et imaginaient des thérapies. Les patients étaient considérés avant tout comme des victimes de certaines circonstances.
"Nous avons oublié de prendre en compte les choix personnels et la responsabilité des individus", explique le psychologue américain Martin Seligman dans un célèbre TED Talk. "De plus, nous avons perdu de vue comment les interventions positives opéraient et pouvaient rendre les gens plus heureux." Seligman, dont les premières recherches portaient sur la dépression, est devenu le fondateur de la "psychologie positive". Le point de départ de la science dans l’étude du bonheur, c’est qu’il faut partir des forces des individus pour optimiser leur bien-être, au lieu de soigner leurs points faibles.
Les détracteurs de cette approche estiment que la psychologie positive a développé "l’obsession du bonheur", et l’illusion que le bonheur était accessible si l’on pensait positivement. C’est douloureux pour ceux qui souffrent réellement d’un problème psychique. "La science du bonheur n’est pas la ‘bonheur-ologie’", prévient Santos dès sa première conférence. Faire des choses qui rendent content, joyeux ou euphorique ne contribue pas au bonheur. Les études démontrent que ceux qui cherchent de manière compulsive à être heureux le sont paradoxalement moins.
D’une certaine manière, créer un sentiment de bonheur est très difficile. Près de 50% des causes sont génétiques, 10% s’expliquent par les circonstances de la vie, explique Sonja Lubyomirski, une autre pionnière de la psychologie positive. Les 40% restants font l’objet du cours. Nota bene à ne pas sous-estimer: cette théorie sur la capacité à devenir heureux ne s’applique que si quelques conditions de base sont remplies, comme la sécurité et un revenu permettant de subvenir à ses besoins fondamentaux. Ainsi, un Syrien dans un abri à Idlib a peu de chance d’être heureux.
Imaginez que vous ayez le choix entre gagner au Lotto ou être paralysé: personne ne choisira la chaise roulante, et malgré tout, cela n’a aucun impact sur le bonheur. Lors d’une expérience devenue célèbre, le psychologue Dan Gilbert a interrogé des gagnants du Lotto et des personnes paralysées. Au début, les gagnants du Lotto se sentent plus heureux que les patients paraplégiques, mais les différences sont moins importantes qu’attendu. Trois mois après l’événement décisif, les effets – tant positifs que négatifs – avaient disparu, et les deux groupes se sentaient comme avant.
Une grande partie du cours porte sur la réfutation des théories du bonheur. Notre cerveau est conçu pour développer une attirance quasi irrésistible pour les choses qui, selon nous, amélioreront notre bien-être, même si ce n’est pas le cas à terme, comme une augmentation de salaire, le mariage, un corps parfait, une nouvelle voiture, une plus grande maison, une barre de chocolat. Dans la réalité, l’effet disparaît rapidement. Les événements positifs donnent tout au plus une amélioration temporaire du sentiment de bonheur. Par ailleurs, nous surestimons l’impact des événements négatifs: rupture, maladie, licenciement.
En réalité, la formation de Santos n’est pas un cours intensif de psychologie positive, mais une master class en économie comportementale. Comme l’a démontré entre autres l’économiste Richard Thaler, les gens sont des êtres irrationnels guidés par leur instinct et leurs erreurs de jugement, et qui ne font pas nécessairement les meilleurs choix. Nous sommes constamment trahis par notre cerveau. C’est la même chose en matière de bonheur. C’est comme une illusion d’optique: même si nous savons que deux petites flèches sont de même longueur, notre cerveau continue à penser que l’une d’elles est plus longue.
Moins de réseaux sociaux
Et l’argent? Nous rend-il heureux? De nombreux chercheurs sur le bonheur se sont penchés sur la question. La réponse est complexe. Le classement des pays les plus riches et les plus développés n’est pas le même que celui des pays où les habitants se sentent le plus heureux. L’amélioration incroyable du niveau de vie du monde occidental au cours du dernier siècle ne s’est pas accompagnée d’une augmentation identique de la satisfaction et du bien-être des populations.
Le lauréat du prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a pourtant démontré que l’argent rendait heureux, du moins jusqu’à un certain niveau. Aux États-Unis, ce niveau correspond à un revenu annuel de près de 75.000 dollars par an (64.000 euros). Annemans a calculé que pour les Belges, ce niveau se situait à 6.500 euros net par mois et par ménage. Au-dessus de ce montant, les gens ne sont pas (plus) heureux, au contraire.
La psychologue Sonya Lubyomirski a interrogé un échantillon de personnes dont le revenu annuel se monte à 30.000 dollars et leur a demandé de combien d’argent ils pensaient avoir besoin. Ils ont opté en moyenne pour un montant de 50.000 dollars. Mais ceux qui gagnent 100.000 dollars estiment avoir besoin de 250.000 dollars. On retrouve le même paradoxe si on les interroge sur une augmentation salariale: pour chaque augmentation de 1 dollar, ils souhaitent en réalité en obtenir 1,4.
Dans une autre expérience, les participants ont le choix entre gagner 50.000 dollars contre 25.000 dollars pour leur collègue, ou opter pour 100.000 dollars et 250.000 dollars pour leur collègue. La moitié choisissent de gagner 50.000 dollars, soit 50% de moins que ce qu’ils pourraient obtenir, mais deux fois plus que leur collègue.
Cette attitude s’explique en partie parce que nous avons tendance à nous comparer aux autres, et parce que nos références sont souvent irrationnelles. Le gagnant d’une médaille de bronze peut être plus heureux que celui qui obtient la médaille d’argent: il ne s’agit pas de ce que vous obtenez, mais de ce que vous pensiez pouvoir obtenir. Cela fonctionne de la même façon en sens inverse: dans une région où le taux de chômage est élevé, les gens se sentent moins malheureux s’ils sont sans emploi que dans une région où le taux d’emploi est élevé.
Il ne faut donc pas s’étonner que ceux qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux soient moins satisfaits de leur vie. Même lorsqu’ils écument Facebook à la recherche d’anciens condisciples ayant des enfants affreux, des goûts douteux et un emploi ennuyeux. L’impact positif de ceux qui s’en tirent moins bien est nettement inférieur à l’impact négatif de tous ceux qui ont l’air plus heureux, plus stables et plus intéressants. Santos plaide donc ardemment pour que l’on se désinscrive des réseaux sociaux ou, au minimum, qu’on les utilise le moins possible.
Faire preuve de gratitude
Sur le campus de Yale et dans les médias américains, on se moque gentiment du cours et des étudiants à la recherche du bonheur, que l’on soupçonne de vouloir obtenir facilement de bonnes notes. Santos a réagi en qualifiant son programme de "cours le plus dur de Yale". Son pari est osé: changer la vie des participants en leur faisant développer de nouvelles habitudes qui contribueront à terme, et de manière durable, à leur bien-être. Comme ceux qui ont essayé de mener une vie plus saine le savent, le plus difficile est de tenir dans la durée. Tout le monde peut se passer d’alcool pendant un mois, mais c’est une autre histoire de se limiter à dix bières par semaine pendant le reste de l’année, comme le recommande le Conseil supérieur de la santé.
Les devoirs à domicile constituent la partie la plus importante de ce programme de dix semaines. Pas de devoirs écrits à rendre, de lectures ou de tâches à accomplir, mais des actions concrètes, dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement, et que les participants doivent accomplir au moins une fois par jour pendant une semaine complète.
Ces tâches sont basées sur les habitudes et caractéristiques humaines que des études ont mises en évidence comme étant perçues comme gratifiantes. Les gens heureux ont en général un réseau social élargi et approfondi, mais établissent aussi beaucoup de contacts avec des inconnus, dans le train ou dans les cafés. Ils rendent aussi plus souvent service aux autres, bénévolement. Ils sentent moins la pression du temps, dorment suffisamment, sont actifs ou sportifs. Ils font de la méditation et sont reconnaissants, ouverts et curieux. Ils ont un objectif de vie clair.
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